Ma "rencontre" avec Trent Reznor fut sonore. Au début, je ne savais même pas qu’il était lui, je croyais qu’il était eux. Abscons et abyssal tout ça, tout à fait à son image. Car non, Trent Reznor n’est pas seulement un homme, il est aussi un groupe à lui tout seul, Nine Inch Nails (nom obscur que l’on dit en relation avec le Christ ou… Freddy Krüger). Pour preuve, il n’a pas hésité à enregistrer son deuxième album, The Downward Spiral (1994) dans la maison où Sharon Tate a été massacrée avec ses amis. Les adeptes de Charles Manson avaient écrit "PIGS" avec le sang de leurs victimes sur les murs. Bigre ! Il fallait être sacrément frappé pour retourner sur cette scène d’horreur afin d’enregistrer un disque. Trent Reznor aurait déclaré qu’il avait senti des ondes dans cette maison et qu’elles avaient influencé le disque. Plus tard, il aurait aussi déclaré qu’il ne connaissait pas l’histoire des lieux quand il a commencé l’enregistrement. Quelle coïncidence alors de voir figurer sur l’album une chanson intitulée March of the Pigs.
Mais au final, The Downward Spiral est un masterpiece. Mêlant rock industriel, rock tout court et techno, ce concept-album est plutôt accessible ce qui a oeuvré pour son succès planétaire. Les morceaux sont mélodieux, les textes poétiques, venimeux et complètement torturés. Trent Reznor ouvre l’album par un Mr Self-Destruct à la rage débridée, y distille avec délice une violence contenue dans des chansons douces comme Piggy, et le referme par un Hurt exsangue. S’amusant à se perdre dans un dédale elliptique où les chansons se répondent, il explore l’impureté de l’âme, la haine de soi, l’éternelle insatisfaction. Il se place même sous l’étoile de Joy Division avec la chanson Closer, référence au titre d’un de leurs albums.
Trent Reznor, c’est aussi le mec qui s’est roulé dans la boue à Woodstock en 1994 avant de monter sur scène. Il a voulu ressembler au public, qui pataugeait dans la boue. Nombre de spectateurs glissaient et se relevaient totalement momifiés. Ça a été l’idée la plus brillante du festival, en plus d’une prestation scénique qui reste dans les esprits.
Anecdotiquement, Trent Reznor a produit et lancé Marilyn Manson dont il s’est récemment désolidarisé. Il a conceptualisé la BO du film Natural Born Killers d’Oliver Stone en ayant l’idée géniale d’accoler des bouts de dialogues du film entre les morceaux, a participé à la BO de Lost Highway de David Lynch et a fait une magnifique reprise de Dead Souls de Joy Division pour la BO de The Crow.
A part être totalement dingue, totalement poète, totalement spleeneur, totalement charismatique, Trent Reznor relève presque plus d’un Géo Trouvetou musical et marketing qui va d’idée conceptuelle en application numérique anecdotique, fan de Twitter. Pour ma part, cet aspect de sa personnalité m’intéresse moins. Dans ses derniers opus, Trent Reznor a projeté ses visions morbides du monde dans un futur proche à coup d’albums puzzles à assembler, de morceaux à mixer soi-même, de sites internet pour reconstruire l’histoire qu’il n’a pas fini de raconter. Lui aussi voulant enjamber l’inévitable armada marketing qui escorte chaque sortie d’album, il a, comme Radiohead, proposé un album en vente directe sur internet.
Après l’ivresse du succès, la solitude et la drogue, Trent Reznor va mieux. Il s’est fait couper les cheveux, a pris quelques kilos de muscles et vient même d’annoncer son prochain mariage avec Mariqueen Maanding, du groupe West Indian Girl. Bref, il a pris un coup de viril qui ne me parle plus beaucoup. Impossible cependant de ne pas rester touchée, fascinée par l’homme et par l’immense artiste.
ATTENTION ! Vidéo pour un public averti. Merci d’éloigner les enfants.