Mardi 22 avril, sur France 2 en « premier temps » (prime time), Serge Moatti va nous régaler d’une fantasmagorie télévisuelle : « Mitterrand à Vichy ». Avec la logique bien connue de cireurs, après avoir manié la brosse à reluire, Serge va maintenant prendre les patins. Pour ne filmer rien qui fâche, Moatti s’accroche pour son docu fiction à une autre fiction « Une jeunesse française », livre écrit par Pierre Péan. Sorte de « Vie rêvée d’Amélie Poulain » versus vie des Saints, vie de Tonton.
Ce bouquin, biographie autorisée par Mitterrand (voire recommandée), a pour avantage de donner de l’existence complexe de l’ancien président, qui a navigué de l’orbite de la Cagoule à la conduite des guerres coloniales en passant par Vichy avec une indéfectible affection portée à Bousquet, Jeantet et autres nationaux-socialistes français, une version du moindre mal. Le vrai titre de l’ouvrage de Péan devrait être : « Une jeunesse présentable ». Le plus souvent Tonton a parlé et Péan a noté sans chercher la petite bête. Qui pourrait être immonde.
Gamin, c’est-à-dire au XXe siècle, j’ai été élevé dans une famille angevine (catho-gaulliste) où, hasard de l’histoire, les exploits du jeune Mitterrand meublaient les conversations du dimanche après vêpres. L’épisode récurrent, celui que j’aimais bien faire répéter à « Ninette » Poislane, résistance historique ayant réchappé à Dora, c’était l’histoire de la « fuite » à Londres de notre bon François. Je devenais alors aussi avide qu’un un gosse écoutant « Les histoires de l’oncle Bernard ».
De quoi s’agit-il. Pour aller en Angleterre, Mitterrand a décollé à quelques dizaines de kilomètres de mon village. Et dans ces bleds les secrets, même d’Etat, n’ont pas la vie dure. Et « Ninette », outre la rumeur villageoise et ses informations venues de son réseau de résistance balisé de Compagnon de la Libération, avait un autre atout : être la grande copine de Michel Pichard, Compagnon lui-même, et chef à Londres du BOA, le Bureau des Opérations en Vol. Pour faire caricature, Pichard était le patron d’Air Résistance. Donc plutôt bien informé de tout ce qui a volé pendant la guerre.
Même si Pichard n’avait en charge que les mouvements des appareils de la France Libre alors que Mitterrand a volé sous la coupe du service anglais, le SOE. Dans le livre de Péan, Mitterrand raconte cette nuit du 15 novembre 1943 (il est temps d’aller à Londres à 6 mois de la Libération) : « Nous montons dans l’avion, un monomoteur Lysander ; nous sommes trois, plus le pilote. Nous mettons la tête entre les jambes pour le décollage. Nous frôlons les peupliers… Plus tard le pilote se présente à nous : « Je m’appelle Déricourt… » Je dis aux deux autres passagers « Quel pilote formidable ! … » Comment aurais-je inventé tout cela… ? »
Comment ? Je ne le sais pas. Pourquoi. Là, j’ai une idée. D’abord, l’appareil de Tonton n’a jamais été piloté par Henri Déricourt, un as de l’Aéropostale, un copain de Guillaumet et de Mermoz. L’avion, non pas un Lysander monomoteur mais un Hudson d’une dizaine de places, avait le commandant Hodges au volant.
Pourquoi ses oublis du président ? Tout simplement parce que trois des cinq ou six passagers arrivés en Anjou à bord sont immédiatement pistés par la gestapo qui surveillait le terrain d’aviation sauvage de Seiches-sur-le-Loir, et arrêtés à la gare Montparnasse. Ce qui signifie que le départ de Mitterrand pour Londres était un fait connu des Allemands, et qu’ils l’ont laissé s’envoler. Et c’est bien normal puisque l’as Déricourt, l’organisateur de ce vol, était un agent double qui racontait sa vie à un autre as, celui-ci complètement nazi.
A sa décharge, Mitterrand n’est pas le seul à avoir volé vers l’Angleterre avec un cet étrange neutralité allemande puisque le fameux Déricourt donnait le double de ses listes de passagers à Kieffer, officier d’Hitler…
L’histoire de ce départ avec des gestapistes planqués dans les bosquets a toujours embarrassé Mitterrand. D’où la version d’un départ en Lysander. Cet appareil ne pouvant embarquer qu’un ou deux passagers, plus ou moins installés sur les genoux du co-pilote, il ne pouvait être l’avion (donc un Hudson) ayant débarqué cinq ou six personnes sous le regard des nazis. Péan affirme que les documents du SOE sont faux. Que l’avion présidentiel était bien un Lysander…
Il n’explique pas comment, dans ce minuscule zinc, auraient pu grimper à la fois Mitterrand, Du Passage, Muselier, le pilote Hodges et son co-adjuteur ? Pichard lui, présent sur les terrains d’aviation anglais, a bien noté Mitterrand à bord d’un Hudson. En 1986, ce célibataire daltonien, mais en pleine forme, était en train d’écrire toute cette histoire quand, par un bel été, on l’a retrouvé mort dans son appartement parisien. Bien plus tard, François étant au Palais, on a livré une nouvelle version de ce vol polémique, une version bling bling : c’est David Birkin, père de la chanteuse Jane, qui aurait « sauvé » Mitterrand….
Dans toute cette affaire il n’y a pas péché mortel. Mais, comme toujours quand on veut faire coller les mots Mitterrand et vérité, il y a des petits coins difficiles à faire entre dans le moule. En juin 1948, le collabo Déricourt sera jugé et acquitté. Avec dans son dossier un témoignage élogieux de Mitterrand, ministre des anciens combattants. Déricourt, qui est engagé par le SDECE, va disparaître en mission au Laos. Mais, là aussi, rien n’est sûr.
Prochain article La fuite de Vichy racontée dans le scénario de Péan…