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Les hussards noirs de la Polynésie

Colonisation / dimanche 20 avril 2008 par Pascal Legeay
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Mangareva, c’est un docu-drama inspiré d’une histoire réelle. En 1834, deux missionnaires catholiques du Sacré Coeur débarquent sur cette île heureuse de l’Archipel des Gambier, en Polynésie française. En l’espace de dix ans, ces « envoyés de Dieu » convertissent plusieurs milliers de Polynésiens et sont responsables de 5 000 morts…

Mangareva, c’est un le roman d’un beau tableau de chasse, ou comment réduire une île richement dotée par la nature en mouroir sinistre : 5000 morts en dix ans, une culture orale éteinte, les structures politico-religieuses liquidées, les échanges économiques traditionnels détruits et tout un eden réduit à une aridité singulièrement famélique. Belle opération avec une solide compagnie d’infanterie coloniale ? Grands dieux non : deux missionnaires de la congrégation du Sacré Cœur, une poignée de soutanes énergiques, la foi.

« Il constate en regardant brûler les totems qui frétillent dans la braise :

– Nos dieux sont tous morts.

– C’est donc, répond Laval en lui mettant la main sur l’épaule, qu’ils n’étaient pas des dieux. Les missionnaires passent à table et se servent des braises pour cuire un petit cochon de lait. »

Mangareva, sous des dehors de roman inquiétant, est un docu-drama dans un eden marin. Une spirale de mort annoncée et décrite avec minutie. Les conquérants y sont inspirés et décidés à tout prendre. Ils ne failliront pas, malgré les difficultés matérielles, à accomplir ce pourquoi ils sont envoyés de Paris. Leur mission nécessite le sacrifice lent des natifs subjugués par la foi et la technologie. L’hécatombe des jeunes et le carnage du lagon sont le troc imposé en échange d’une cathédrale majestueuse, bâtie en force sur un atoll qui n’en demandait pas tant.

Tahiti, protectorat français, est à 1200 km mais ignore la théocratie retranchée malgré le nombre élevé des victimes, la commercialisation éhontée et abusive des richesses, le chantier énorme, le traitement infligé aux jeunes filles : Les officiers de marine sont pourtant rarement aveugles et sourds.

« Le mot s’est propagé à travers le Pacifique parmi les européens en quête de fortune qu’aux Gambier on échange des perles d’une exceptionnelle beauté à des prix dérisoires »

Le déplorable abandon de l’archipel cessa pourtant, dès qu’il fût devenu base de ravitaillement des vapeurs trans-pacifiques. 35 ans après.

Les prêtres s’approprient les terres et diffusent la peur du sexe

Les hommes de Picpus partagent une foi roide et sèche, exigeante et impitoyable, en guerre contre le démon, et rapide à fracasser les « idoles » pour capturer les cœurs et leurs esprits. Durant l’agonie des habitants, soumis de terreur en présence de ces Akua, les esprits blancs revenus des morts qui ne respectent aucun des « tabus ».

La Congrégation gère l’état-civil, le cadastre, l’éducation religieuse, les prêtres s’attribuent donc les terres. Ils les possèdent toujours aujourd’hui.

Mangareva est une longue souffrance, imposée en échange de promesses de vie éternelle, même si les colonisés crient très vite leur douleur d’avoir perdu leurs symboles et repères culturels. Les tentatives d’évasions sont toujours fatidiques, les suicides trop nombreux.

« La pire des fautes commises par mon peuple est d’avoir cru que le savoir des occidentaux nous rendrait heureux, qu’il apporterait un surcroît de pouvoir et de richesse. »

La confrontation de la pureté des ascètes avec le sexe, longtemps joyeusement exhibé des Mangaréviens insouciants, fait sourire tant on se réjouit d’une résistance si persévérante.

Mais les profondeurs spirituelles du petit peuple innocent nous sont offertes pour mieux nous frapper : l’éradication du bonheur a été aussi complète que celle de la Nature.

« Le prix à payer de votre civilisation sont le travail, la défiance envers nous-mêmes, le mépris pour ce que nous sommes devenus.  »

Les tranquilles enfants de Rousseau n’avaient aucune chance. La rapacité du pillage est déterminée, son caractère absolutiste est sans scrupule :

« Donnez vos perles décrète Laval sans ambages. Kerekorio sursaute avec les mouches qui se promenaient tranquillement sur son ventre. Il craint Laval lui aussi. Jamais il n’est venu chez lui sans avertir.

– Pourquoi ? demande Kerekorio.

– Parce que, répond Liausu, il n’ y a personne digne de confiance à qui remettre votre trésor »

Quand tout est consommé de cette Passion collective, le roman devient plus sombre, à l’image des plongées dans les remords et les doutes : J.H. Lime a beaucoup vécu, énormément rêvé et compris les tourments de ces solitaires, oubliés par une hiérarchie lointaine.

Un sanglot de l’homme blanc

On partage un sanglot de l’homme blanc, avec le très sympathique frère convers Murphy. Sa jovialité généreuse d’ irlandais enchante, avec ses chants et son diable d’accordéon ; serviteur défroqué des religieux, il va soigner et aider sa nouvelle famille de son mieux. Sa frugalité est digne d’un Dr. Schweitzer échappé d’une bonne vieille Histoire de l’Oncle Paul. Les autres colons, affreux et méchants, sont tous échappés de Coup de Torchon.

Au final, ce sont les manuels, les ouvriers importés par les curés qui vont se révéler : avec des astuces de Robinson, ces compagnons autodidactes et fidèles au devoir, vont créer leur chef d’oeuvre, leur Graal de pierre.

Souvent, il y a la folie d’Aguirre dans le prêtre Laval, tyran psychotique alternant la contrainte cruelle et la violente prise de parole rituelle. Harceleur, Laval est diable omni-présent durant l’agonie des habitants, soumis de terreur en présence des Akua, esprits blancs revenus des morts qui ne respectent aucun des « tabus ».

Jean-Hugues Lime écrit une belle histoire d’un drame obscur, il a le trait fin et « efficace », mais s’il retient sa plume trop souvent, son cadrage de cinéaste nous fait partager de vraies proximités avec l’action. Les dialogues fonctionnent avec la nervosité du théâtre, créant les petits drames, définitifs dans la grande tragédie et lançant les rires à gorge déployée.

Comme au camp, dans La Vie est Belle.

En bonus :

Pour aller vraiment très loin, Hiroa, reflets culturels ethnologiques et archéologiques Polynésiens, avec des photos qui font rêver en bienvenue.

La statue de Mangareva du Quai Branly.

Une vision critique non-officielle de la Polynésie.

Sous un autre angle, sur ces années-là, et pour en savoir davantage sur les méthodes militaires et les pillages planifiés à très grande échelle en Afrique, lire le livre de Benjamin Stora Histoire de l’Algérie coloniale, aux éditions La Découverte (collection Repères), 130 pages. … »

« L’océan perpétue ses assauts sur la barrière de corail et fait jaillir des explosions d’écume qui s’échevellent dans un ciel de métal et retombent en gouttelettes décomposant la lumière, comme un arc-en-ciel qui s’effondre. » C’est bien comme du Georges Schéhadé.

« Mangareva », Jean-Hugues Lime, le cherche midi, 312 pages.

Jean-Hugues Lime est comédien. Il a écrit et réalisé plusieurs films et auteur de romans.


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2 MESSAGES

Forum

  • Les hussards noirs de la Polynésie
    le lundi 28 avril 2008 à 11:42, Grall hubert a dit :
    Même si les habitants de la Polynésie n’étaient pas tout à fait les bons sauvages chers à Rousseau, il est indéniable que la venue des occidentaux avec leurs soldats, marchands, curés et moines de toutes obédiences leur a apporté, outre la vérole et la syphilis, le chancre d’une religion mortifère des coutumes et croyances locales. Il n’y a pas de quoi s’en vanter.
  • Les hussards noirs de la Polynésie
    le dimanche 20 avril 2008 à 13:01
    Oui enfin, ne pas prendre ce roman pour un livre d’histoire. Les choses ont toujours été plus compliquées que ça : bon sauvage contre méchant curé, faut se méfier. D’ailleurs, à ma connaissance (limitée, mais quand même…) "tabou" ou "tabu" est une francisation du mot polynésien "tapu"… Les Polynésiens avant le premier contact n’étaient pas exactement de "bons sauvages". D’abord, ils ne vivaient pas à l’état de nature mais subissaient une hiérarchie sociale très rigide. En conséquence, ils avaient aussi une vie politique mouvementée, avec des guerres, des trahisons, des vengeances. Tout comme le discours de Dakar de Sarkozy est à côté de la plaque, le discours selon lequel les Polynésiens ont toujours été passifs est abusif.
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