Habitat et infrastructures
LA DEMANDE FINALE
Expression difficile et divergences
On vient de voir que, en raison de la multiplicité des filtres entre offre et demande, la demande finale s'exprime difficilement. L'échec de la domotique le démontre amplement: seuls les gestionnaires d'immeubles et l'Etat, notamment par voie réglementaire en matière de qualité et de sécurité, expriment une demande claire en la matière.
A partir du début des années 80, et surtout depuis le début des années 90, une dichotomie est apparue entre nécessité absolue et demande de qualité accrue des couches moyennes :
-l'accroissement de la ségrégation sociale entraîne l'augmentation des besoins sociaux non porteurs d'innovations technologiques: de ce côté, la demande est surtout quantitative (nombre de logements, surface unitaire des logements);
- la demande de confort accru des couches moyennes n'est pas forcément toujours solvable et émerge difficilement (exemple de l'acoustique).
Autre phénomène marquant, la différenciation de plus en plus grande des modes de vie, due en particulier à l'évolution démographique. A cette différenciation doit répondre celle de l'offre: logements pour personnes âgées, résidences pour étudiants, bureaux "high tech"... De cette évolution découlent des questions nouvelles touchant à l'évolution des produits, à l'ergonomie des équipements, aux services liés à l'habitat, etc.
La différenciation des couples produits/besoins devrait avoir des conséquences technologiques considérables, à condition que les réglementations s'adaptent à l'évolution des besoins.
S'ajoutant à la différenciation des modes de vie, l'augmentation de la mobilité résidentielle et de la mobilité des usages implique une demande croissante de flexibilité.
La mobilité des usagers rend particulièrement difficile la connaissance de la demande par les maîtres d'ouvrage gestionnaires. Il faut gérer la contradiction entre le caractère éphémère de la demande et le besoin de durabilité du gestionnaire, par exemple en séparant équipements (remplaçables) et structures (pérennes).
Un contenu technologique plutôt faible
La demande finale est une demande de qualité de service (ensemble produit service). De ce fait, la qualité des bâtiments dépend de plus en plus des équipements, et donc de leur appropriation, et il faut passer de la résolution de problèmes strictement techniques à une conception tournée vers l'optimisation de la qualité d'usage ("ergonomie conceptuelle").
La notion de modernité est extérieure à la demande. D'où un décalage entre la volonté d'innovation des acteurs de l'offre et le caractère traditionnel de la demande finale, qui ne doit pas être considéré comme un "frein à l'innovation", mais comme une donnée du marché.
Doit-on susciter des anticipations utopiques motrices de changement (le "high tech" crée la demande) ? Faut-il banaliser les bâtiments en les rendant eux aussi sensibles aux effets de mode ("maison jetable") ? Les avis divergent.
On remarque à ce sujet que le "high tech" n'est pas facilement assimilé par l'usager (ce qu'illustre l'échec de certaines expérimentations domotiques) et que la non-accessibilité de certaines technologies (prix élevé, difficulté d'apprentissage) accroît le risque de rupture sociale, surtout en situation d'augmentation des inégalités. A l'inverse, la demande des plus démunis est un défi pour le progrès technologique. Et, plus généralement, les contraintes fortes stimulent l'innovation (voir les progrès accomplis récemment sur les vitrages).
La notion de sécurité est appelée à prendre une importance croissante: le refus absolu du risque correspond à une évolution fondamentale du corps social. Il s'agit toutefois d'un concept ambigu et multiforme, dont certains aspects sont artificiellement surestimés (sécurité contre l'intrusion) et d'autres sous-estimés (accidents domestiques). Pour repérer les besoins technologiques dans ce domaine, il est nécessaire de faire la part de ce qui relève de la construction et de ce qui n'en relève pas (exemple: la sécurité des plaques de chauffe des cuisinières).
Certains estiment qu'avec l'augmentation de la mobilité quotidienne, la demande de confort s'orientera plus vers les équipements urbains (transports, aménagement de l'espace public) que vers le logement. Les technologies nouvelles pourraient en particulier aider à mieux articuler les différentes composantes de la ville (logements, équipements publics, infrastructures), mais on constate la difficulté de définition d'une politique de la ville face à l'extrême complexité de la demande. D'autres experts considèrent au contraire que le logement reste prioritaire dans la demande de confort, et que des transferts pourraient plutôt s'opérer dans l'autre sens: habitués à la climatisation dans leur voiture et au bureau, les habitants voudront de plus en plus être climatisés chez eux.