1. Dans le Marianne de la semaine, deux journalistes, Eric Conan et Renaud Dély, dénoncent "la nouvelle pensée unique, (…) toujours aussi puissante", qui "se renouvelle sans cesse", qui "veut étouffer les voix dissidentes", et qui "sert la domination des élites".
La pensée unique, nous disent-ils : c’est l’horreur.
(Je suis assez d’accord.)
La pensée unique, observent-ils par exemple, fut notamment un "lieu de giscardisation de la gauche des banquiers libérés et des technocrates branchés".
Cette "giscardisation", estiment-ils, c’est : "La ligne Olivennes-Joffrin-Ockrent".
La charge est rude - surtout si on se rappelle que Renaud Dély, qui la cosigne, a longtemps été, avant que de passer au Parisien, puis chez Marianne, le proche collaborateur, à Libération, de ce même Laurent Joffrin dont il moque, aujourd’hui, la contribution à la "giscardisation de la gauche".
En même temps : il est parfaitement vrai que ledit Laurent Joffrin aime à promouvoir, sans désemparer, une droitisation décomplexée de ce qu’il nomme, joliment, "le camp progressiste" - et qu’il ne ménage, pour ce faire, ni son temps, ni sa peine.
2. Ainsi a-t-il, par exemple, récemment produit, à quelques mois seulement d’intervalle, deux bouquins burlesques, et quasiment identiques, et (naturellement) barbichus, pour exiger de la gauche qu’elle se giscardise, en effet.
Dans le dernier paru de ces deux ouvrages, "La Gauche Bécassine", Laurent Joffrin posait, au mois de février 2007, et à la veille donc de la présidentielle, une question pleine de gravitude : "La gauche peut-elle gagner ?"
Laurent Joffrin, après avoir sans doute un peu réfléchi, répondait : "On peut en douter".
Car, de son point de vue (coutumier) : "Une série de tabous et de totems (pesait) encore sur les candidats… ou sur la candidate".
Laurent Joffrin précisait : "Une orthodoxie dépassée entrave encore l’action du camp progressiste".
Puis : "Une bien-pensance paralysante empêche la gauche d’épouser son temps".
Puis encore : "La gauche procède toujours par réflexes, par idées toutes faites, par dogmes assénés".
Pour cette gauche Bécassine, confite en marxisme-léninisme, Laurent Joffrin exigeait : "(Du) réalisme (dans les) analyses, et de l’audace dans (les) propositions".
Laurent Joffrin souhaitait, en somme : "Aider la gauche à quitter ses habits usés pour endosser le costume de la modernité" - en "théorisant", notamment, "son ralliement à une économie ouverte, de propriété privée et de libre entreprise".
(Applaudissements nourris d’Estaing.)
Or, comme je te disais plus haut : ce n’était pas (du tout) la première fois que Laurent Joffrin sommait la gauche de se purger de ses vieux démons collectivistes - pour mieux se giscardiser.
3. Déjà, au mois de septembre 2006.
"A l’approche", déjà, "de l’élection présidentielle".
Laurent Joffrin avait posé, dans un précédent livre, "Les Tabous de la gauche", une question pleine de gravitude : "La gauche française saura-t-elle enfin s’affranchir des tabous qui la corsètent ?"
Laurent Joffrin, déjà, en doutait, car, écrivait-il (déjà) : "(La gauche) reste prisonnière d’une grille de lecture poussiéreuse, brandit des références obsolètes, et se sert d’outils devenus inefficaces".
Laurent Joffrin, déjà, regrettait que la gauche "vénère" de très archaïques "totems" ouvriéristes, et l’invitait à "revenir dans le monde réel" - en "approuvant", notamment, "l’économie de marché".
(Applaudissements nourris d’Estaing.)
4. En résumé, tu l’auras compris : Laurent Joffrin, au mois de septembre 2006, puis au mois de février 2007, a peu ou prou écrit deux fois le même livre, où reviennent des mots et des locutions quasiment identiques : tabous, totems, orthodoxie dépassée, grille de lecture poussiéreuse, habits usés, références obsolètes, etc.
Deux fois le même livre, pour dire que l’avenir de la gauche se prénomme Valéry.
Sauf que.
Maintenant que j’y repense.
Laurent Joffrin est bien l’auteur de "La Gauche Bécassine".
Mais ce n’est pas lui, en fait, qui a écrit "Les Tabous de la gauche".
C’est un certain Renaud Dély, qui était à l’époque "rédacteur en chef (…) à Libération" - et le fidèle second, par conséquent, de Laurent Joffrin.
5. Alors moi, que veux-tu.
Je sais que c’est petit.
Mesquin, même - j’avoue.
Mais quand je découvre que le même Dély dénonce aujourd’hui la "giscardisation de la gauche" ?
La "ligne Joffrin" ?
Je ris.