On rit moins, comme tu sais, depuis que Celui-dont-le-nom-ne-doit-pas-être-dit a pris l’année dernière, dans ce pays, tous les pouvoirs.
Je veux dire que les occasions de se marrer un bon coup se raréfient nécessairement, au(x) temps où le sans-papiers devient dans nos rues un gibier (qui a ceci de moins que mainte espèce animale, que nulle directive ne le protège contre la prédation).
Aussi : nous devrions goûter, de la presse (qui ment), pour ce qu’elle nous procure de sain divertissement, (et parce que le rire nous maintient à distance du colonel (1) Brice Hortefeux), cette façon qu’elle a de nous présenter comme des scoops interplanétaires des infos qui sont tout, sauf nouvelles.
(Genre : la pluie mouille, le printemps vient après l’hiver, et caetera, et caetera.)
Par exemple, tout frais : nos amis les journaleux, depuis quelques heures, nous vendent, comme ils feraient du Graal, un gars qui se proclame, accroche-toi je te prie solidement à ton siège, le choc va être assez rude : "Libéral ET socialiste".
(Putain.
Coco.
C’est du très lourd.
Tu me le balances pleine page, avec de la titraille qui tue.)
Je te jure que je n’invente rien - pas plus tard qu’hier après-midi, Nouvelobs.com présentait comme exclusif, ça donne quand même envie d’ériger un monument à la Pignolade, cet aveu du maire de Paris, Bertrand Delanoë : "Oui, je suis libéral ET socialiste".
(Saaaaans déconner ?)
Cette révélation, il va de soi, était si foudroyante, qu’elle ne pouvait rester cantonnée au seul espace netique du Nouvel Obs, et en effet, à 20 heures, France 2 la répercutait, la présentant peu ou prou comme un séisme politique de magnitude sichuanaise : le.
Maire.
De.
Paris.
Est.
Socialiste.
ET.
Libéral.
Interviewé, l’intéressé, courageusement, confirmait : "Ben oui, quoi, c’est un joli nom, libéraaaaa-leuuuuu" - puis, se rappelant qu’il n’était pas du tout Jean Ferrat, précisait, en substance, qu’il n’allait certes pas laisser la droite accaparer pour elle seule un si joli nom.
Diantre non.
Merde, alors.
Car, estime-t-il (j’essaie de te la faire courte) : quand "ce vocable, "libéral", (…) s’applique à une doctrine politique, au sens global, (…) un militant socialiste devrait le revendiquer".
Parce que, tu sais quoi ?
Le libéralisme "est une doctrine d’affranchissement de l’homme, née dans l’Europe des Lumières", et, "comme son nom l’indique, une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales" - même si "des conservateurs" un peu salauds sur les bords "l’ont dévoyé".
Très sincèrement ?
Je ne voudrais pas doucher, oh non, l’enthousiasme des limiers du Nouvel Obs, qui estiment avoir trouvé là une exclusivité de gros niveau.
(Coco.)
Mais pour ce qui me concerne, des "socialistes" ET libéraux ?
J’en ai trouvé, tout seul, rue de Solférino, où siège leur parti, et rien qu’au mois de mai, non pas un, non pas deux, mais 592.
Et encore : je me suis pas foulé.
J’ai pas cherché dans les (re)coins : j’ai compté que les plus voyants.
(Ceux, tu sais, qui jour après jour hissent le commentaire politique jusqu’aux plus hautes altitudes, par des formules pleines de grâce, type : "Une gauche moderne devra être également le parti des entreprises"(2).)
Daniel Bensaïd, qui est quelque chose comme un trotskiste, mais dont j’espère et suppose qu’il rechignerait à trop fusiller du libertaire, a fait tout récemment, dans un livre que tu devrais te procurer d’urgence (3), la démonstration, assez documentée, que les "socialistes" ET libéraux sont à la rue de Solférino ce que sont les poux de (la) barbiche au menton pileux d’un patron de presse dont je tairai le nom.
Il rappelle, par exemple, que le fameux philosophe qui joua au spin doctor avec Ségolène Royal durant qu’elle faisait campagne, je parle bien sûr de BHL, déplorant il y a peu "la singulière fortune, ces temps-ci, de la thématique antilibérale", fustigeait "l’ignorance insensée" des pauvres "étourdis (4) qui ne semblent pas le moins du monde gênés de se voir baptiser anti-libéraux".
Bensaïd rappelle aussi qu’à l’automne dernier Les Gracques, ce burlesque essaim, rappelle-toi, de "socialistes" ET libéraux, posaient que : "La gauche moderne est libérale", et qu’"elle refuse", non sans courage, "d’abandonner à la droite ce beau mot né à gauche".
(Dans le même temps, ils réclamaient ("comme l’exige(ai)ent aussi Manuel Valls, Pascal Lamy ou Dominique Strauss-Kahn", souligne Daniel Bensaïd) que la gauche dise "clairement que l’économie de marché est une bonne chose (…)".)
Et je te passe la cohorte infinie des "socialistes" ET libéraux qui, depuis l’élection de Celui-dont-le-nom-ne-doit-pas-être-dit, rivalisent de hardiesse pour exiger que le "socialisme" hexagonal se réforme, se rénove, se modernise…
Dès lors.
Quand Bertrand Delanoë répète aujourd’hui, pour la millième fois, que "le libéralisme" est une-idée-jolie-pour-une-jolie-gauche-pleine-de-modernité ?
(Contrairement à ce que pourraient supputer les salariés de Renault-Vilvoorde sur la seule foi d’une expérience indéniablement "socialiste" ET libérale, mais un peu ratée ?)
Je ne vois guère que Le Nouvel Obs, pour trouver ça "exclusif".
Parce que franchement, "socialiste" ET libéral ?
C’est, en France, et en 2008, et cependant que Celui-dont-le-nom-ne-doit-pas-être-dit alourdit sa férule, ce qui se rapproche le plus de la mère de tous les pléonasmes.
Et on sait, par l’Italie, où ça se termine en général - parce que Veltroni, rappelle-toi, (ancien) maire, aussi, de capitale, brandissait lui aussi, bien haut, ces quelques mots : "Oui, je suis libéral ET socialiste".
Résultat : Berlusconi.
Mais bon, le principal, n’est-ce pas ?
C’est d’avoir l’exclusivité.
Coco.
(1) De réserve. (2) Manuel Valls. (3) "Un nouveau théologien, Bernard-Henri Lévy", Lignes, 2008. (4) Comprendre : les cons terminaux.