Un mot nouveau : "Réalis(m)e".
Apparaît ce matin au (divertissant) vocabulaire (de guerre de classes) de Laurent Joffrin, petit monier barbichu de Libération.
Il s’agit, plus précisément, d’un réalisme "socialiste" - qui cependant n’a rien de commun (ni de communiste évidemment) avec les fresques flamboyantes où se (con)célébraient naguère les grands bouchers rouges.
Pour Joffrin, neffet, le réalisme socialiste est une conversion au libéralisme (décomplexé).
Juste après que le maire de Paris vient (dans un livre d’entretien(s) avec… Laurent Joffrin) de se proclamer urbi et orbi socialiste ET libéral ?
Juste après que Manuel Valls, qui n’est pas moins burlesque, a (vivement) protesté qu’il était lui aussi et socialiste ET libéral (et que ça le faisait un peu chier de se faire piquer son plan de com par Delanoë-le-copieur) ?
Juste après que l’ahurissante Marie-Ségolène Royal, après nous avoir entretenu(e)s journellement, durant qu’elle faisait campagne, du bonheur libéral, a tancé le maire de Paris d’avoir mis un nom sur leur passion commune pour le Marché (dont, par ailleurs, ces deux-là se disputent les parts au sein du Parti "socialiste") ?
Joffrin, qu’enivre ce ralliement apparatchique à son credo natal, jappe, de joie, dans un éditorial selon sa cocasse manière, que : "Les socialistes ont à coup sûr pris un tournant réaliste".
Car il y a, selon Joffrin, de l’"irréalis(m)e" à ne pas voir, dans (les recoins de) nos vies, les immenses bienfaits que (nous) dispense le libéralisme - et qu’un salarié me narrait il y a peu en ces termes concis : "Le patron nous a laissé le choix de nous faire enc****, ou de nous faire enc****".
Joffrin, nobstant, fait semblant de se poser une question à laquelle, déjà, il a répondu un million et demi de fois : "Sont-ils pourtant plus à droite qu’auparavant", les "socialistes" ?
Non, bien sûr.
Crie Joffrin.
La droite estime que le capitalisme est beau, mais qu’il faut le réguler pour mieux mesurer sa joliesse ?
Le P"S" répond, désormais, que le capitalisme est beau mais qu’il faut le réguler pour mieux mesurer sa joliesse ?
Pour Joffrin, c’est la preuve, difficilement contestable, que le P"S" n’est pas du tout "plus à droite qu’auparavant" - que vas-tu imaginer là ?
Joffrin, au contraire, voit dans l’alignement du pas des socialos de la rue de Solférino sur le pas de Sarko la preuve qu’ils sont, enfin, "dans le réel" (synonyme, ici, de prosternation aux semelles des maîtres du Medef), plutôt que dans l’espèce de folie collectiviste à grosse teneur andropoviste qui, rappelle-toi, marqua naguère les campagnes de messieurs Mitterrand et Jospin.
Hors le Marché, point de "réel", nous dit par conséquent Joffrin.
Dès lors, naturellement, si tu attends des alternatives à l’emprise du libéralisme, tu n’es pas de gauche : tu es fou.
Tu relèves de l’asile, car tu vis dans un monde irréel.
Estime Joffrin-le-neurologue.
C’est à ce même procédé que la psychiatrie soviétique fut redevable de son essor - et je ne crois pas du tout que la répétition à plusieurs décennies d’intervalle de la même nécessité d’un "réalisme socialiste" soit complètement anodine : foutre non, camarade.
Aujourd’hui comme hier, ici comme là-bas, les vulgarisateurs de la doxa dominante se prévalent, pour te les briser, d’un "réel" fantasmatique - parce qu’ils refusent de regarder pour ce qu’elle est une réalité qui, c’est vrai, ne cadre qu’assez mal avec leurs quotidiennes prédications : de la même façon qu’hier, le thuriféraire du socialisme-à-visage-humain négligeait quelque peu le sombre destin du koulak, le chantre du libéralisme omet de voir aujourd’hui que le marché pourrit la vie du salarié.
Joffrin toutefois lâchera de hauts cris à la seule idée qu’on puisse lui tenir grief de refaire dans le pot de Parisot les vieilles recettes du socialisme totalitaire : son inspiration, à lui, serait plutôt en Suède - car bien évidemment, inconscient que les foules s’informent désormais ailleurs que dans Libération et savent donc ce qu’il en est du "modèle" nordique, il hoquète (encore) que : "La gauche scandinave (a su effectuer) son aggiornamento réaliste dans les années 30".
C’est ce qui fait dire à Claude Guéant : "Nico, décidément, je crois que nous avons en Barbiche un opposant précieux".
Il va de soi que pour conclure sa péroraison du matin, Joffrin aligne les deux mots à quoi se résume son iconoclasme de télégraphiste libéral, pour exposer que : "Le socialisme français (…) se déploiera mieux dans la réalité que dans le petit monde réconfortant des totems et des tabous".
Il est vrai : le jour où la gauche cessera de se renier, maint petit baron de la presse y perdra son gagne-pain, qui est, comme tu sais, de nous anesthésier.