Monsieur.

Vous avez, mercredi, commencé votre (sidérante) allocution vespérale par ces mots : "Que le président Uribe reçoive la gratitude de l’ensemble du peuple français et qu’il soit assuré de notre reconnaissance.

Que le peuple colombien et l’armée colombienne soient également félicités".

Or : "l’ensemble du peuple français" a (encore), Dieu merci [1], d’autres sources d’information(s) que les burlesques médias où se répète en boucle, depuis 48 heures, comme ce soir dans Le Monde, que "l’opération qui a permis d’aller chercher dans la jungle Ingrid Betancourt et quatorze de ses compagnons d’infortune a fait l’admiration du monde entier".

"L’ensemble du peuple français" peut (encore) lire ceci, par exemple, qui était aussi dans Le Monde, et dont l’auteur, Nicolas Joxe, n’a pas spécialement le profil d’un agitateur marxiste-léniniste, puisque aussi bien il fustige "la dérive criminelle de la guérilla" en Colombie, puis des "violations massives des droits de l’homme" par les Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia.

(Le nom de Nicolas Joxe n’apparaît d’ailleurs pas dans l’ordinateur de Raul Reyes (asesinado por el ejército colombiano).)

Il explique (ça nous change assez de l’affligeante loghorrée dont nous ont d’abord abreuvé(e)s les journaleux appelés à commenter à la télé la libération d’Ingrid Betancourt) que "la violence politique qui ravage la Colombie ne se résume pas aux seules FARC", que, "depuis vingt ans, sous prétexte de lutter contre la guérilla, des milices paramilitaires d’extrême droite ont commis des crimes de masse contre la population", que, "ces derniers mois, des fosses communes ont été découvertes dans toutes les régions du pays", que "le procureur général de Colombie a affirmé qu’elles pourraient contenir les restes de près de 10.000 civils assassinés par ces groupes paramilitaires".

10.000 civils assassinés, dites ?

Ca fait de "Monsieur Marulanda" un centriste mou de l’exécution - et je vous passe le sort que le régime colombien fait aux syndicalistes.

Nicolas Joxe souligne encore que : "La presse colombienne a révélé comment les chefs paramilitaires ont généralisé la torture en formant leurs hommes à démembrer vivantes leurs victimes".

Nicolas Joxe ajoute que "des officiers supérieurs de l’armée" colombienne "ont "sous-traité" aux milices le soin de mener cette guerre sale en toute impunité", puis que "les paramilitaires ne se sont pas cantonnés à (un) travail de répression", mais qu’ils ont aussi "bâti une redoutable organisation mafieuse qui contrôle l’essentiel du trafic de cocaïne vers les Etats-Unis et l’Europe".

Il note, surtout, que : "Dans un rapport de la DIA (Defense Intelligence Agency) datant de 1991, les services de renseignement militaire américains présentaient Alvaro Uribe Velez, alors sénateur au Congrès, comme "un politicien collaborant avec le cartel de Pablo Escobar aux plus hauts niveaux du gouvernement"".

(Voyez ceci, aussi.)

Puis : "Quelques années plus tard, en tant que gouverneur de la région de Medellin, Alvaro Uribe Velez autorise la formation de coopératives de sécurité privée servant en réalité de couverture légale àdes groupes paramilitaires peuplés de tueurs de la mafia".

Puis : "Depuis 2005, le président Uribe a tout mis en oeuvre pour parvenir à une amnistie générale des paramilitaires en adoptant la loi dite de justice et paix".

Cela fait, tout de même, beaucoup - pour un seul homme.

Cela fait assez, en tout cas, pour que "l’ensemble du peuple français" puisse n’avoir aucune envie.

Mais alors : aucune.

De lui manifester une quelconque espèce de "gratitude".

C’est pourquoi, s’il vous plaît : ça serait bien que vous cessiez de faire comme si "l’ensemble du peuple français" partageait votre sympathie pour le chef de l’Etat colombien.

La prochaine fois, dites plutôt : "Que le président Uribe reçoive la gratitude de l’ensemble du président Sarkozy".

Par avance : merci.