Si tu n’es pas (encore) complètement certain(e) que le capitalisme fait la joie des familles à Bamako et à Porto, à Caracas et à Doha, du nord au sud et d’ouest en est ?
Si Davos n’est pas le pôle vers où se tourne ta piété ?
Si tu ne psalmodies pas cent fois par jour le saint mantra qui dit que l’Homme naît ultralibéral, et que juste après il commence à aimer Jacques Marseille ?
Alors, ami(e) : tu es (un peu) raciste.
C’est pas moi qui le dis, hein ?
Tu penses bien que ça me ferait un peu ch*** de te balancer au matin une si cruelle connerie.
C’est Pascal Lamy, "le patron de l’OMC".
Le "socialiste" qu’aime, pour sa modernité, l’apparatchik de la rue de Solférino.
Dans Libé, ce matin, il pose posément que "le capitalisme", c’est vrai, connaît parfois des "crises", mais qu’"il est" toujours "parvenu à trouver en lui les réponses à ces crises" - et que, d’ailleurs, nonobstant la pleurnicherie de l’émeutier de la faim moyen : "Il n’y a pas d’autre système qui ait pu passer l’épreuve de la réalité".
Déjà, tu reconnaîtras : c’est beau.
Mais la suite est plus belle encore, où Pascal Lamy suggère, sans trop d’excès de trop de pudeur(s), que le capitalisme, parmi bien des bienfaits, aurait pu nous éviter la Seconde guerre mondiale (aux temps où la fine fleur du capitalisme commerçait d’abondance avec monsieur Hitler, excellent client au demeurant, toujours un mot gentil, car, ainsi que tu sais, pour le merveilleux système qui sait "trouver en lui les réponses (aux) crises", l’argent n’a pas d’odeur, même quand il pue très fort l’envie d’exterminer : cela fit je crois l’objet, il y a trente ans, à Santiago, d’une aimable dispute entre Milton Friedman et Augusto Pinochet).
Pascal Lamy, dont la valeur comme historien m’avait, suis-je distrait, quelque peu échappé, considère, ainsi, que c’est, "dans les années 30, l’effet domino de pratiques protectionnistes, consécutif à la crise financière, et mêlé à la xénophobie", qui a, "parmi d’autres causes, conduit à la guerre mondiale".
(Le Reich avait ceci de pénible, "parmi d’autres" défauts, qu’il se montrait inconsidérément protectionniste - sauf dans ses relations, il va de soi, pleines de beaucoup de chaleur, avec l’excellent monsieur Ford.)
Entrevois-tu ce que cherche à te dire Pascal Lamy ?
Pascal Lamy cherche à te dire, et l’annonce d’ailleurs haut et clair, qu’"il y a une dose de xénophobie dans le protectionnisme".
(Et Libé trouve ça tellement beau, que Libé en fait la titraille aguicheuse de la double page où Libé sert une soupe de langue épaisse au boss de l’OMC.)
Pascal Lamy affirme : "Je ne connais aucun protectionnisme qui ne porte une dose de xénophobie et de nationalisme".
Dès lors, tu l’as compris : le protectionnisme est en nos temps, et dans l’esprit de Pascal Lamy, quelque chose comme une résurgence hitlérique.
Moins tranchant, mon dictionnaire, prénom Robert, le définit comme une : "Politique économique qui vise à protéger l’économie nationale contre la concurrence étrangère par des mesures diverses", genre "droits de douane, contingents, formalités administratives", etc.
Le protectionnisme est ainsi, pour certaines contrées oubliées, un rempart, un peu dérisoire, contre les menées de l’OMC de Pascal Lamy, qui n’aime rien tant que la dérégulation planétaire qui met le pauvre à terre.
Concrètement, et pour user d’un exemple que même le teckel de Pascal Lamy peut comprendre (pour autant qu’il ait un teckel de compagnie), le gars qui dans son trou désolé du tiers-monde estime que finalement, la paysannerie locale pourrait tout aussi bien user aux champs de ses propres semis, plutôt que de ceux (transgéniques) d’une multinationale yankee, est un protectionniste.
Plus généralement : est protectionniste, peu ou prou, fût-ce pour quelques heures, quiconque estime avoir les mêmes droits, sur son économie, que ceux que s’octroie l’OMC de Pascal Lamy.
C’est pour ça, évidemment, que Pascal Lamy définit le protectionniste comme un gars dont la mèche et la moustache rappellent de bien mauvais souvenirs : dès lors que le gueux ne se tient plus, on n’a d’autre choix que de lui signifier qu’on n’a pas oublié son raid sur les Sudètes.
Pascal Lamy se vautre, là, dans le procédé qui, naguère, fit les beaux jours du stalinisme, et dont la droite (au sens large), à bout d’arguments rationnels pour justifier l’injustifiable, use et abuse désormais avec une constance qui épouvante : si-que-t’es-pas-de-mon-avis-c’est-que-t’es-quelque-chose-comme-un-affreux-nazi.
Naturellement - et c’est, d’une certaine manière, le côté rassurant du truc : ce terrorisme intellectuel révèle surtout l’absolue détresse conceptuelle où se débat désormais un capitalisme qui n’a plus guère le choix, pour (essayer de) nous enfumer, que de s’en remettre aux bonnes vieilles recettes, bien dégueulasses, par lesquelles, comme je disais, Иосиф Виссарионович Джугашвили (Jospeh Vissarionovitch Djougachvili) assurait hier son emprise sur des millions d’esclaves.
Le désolant est de constater que ces recettes, refaites aux plus vieux plats, fonctionnent encore - puisque aussi bien, dans un monde où un esprit taquin pourrait trouver un relent de racisme à l’OMC de Pascal Lamy, sous le règne de qui la moitié méridionale de la planète continue à crever, Libé, fièrement, klaxonne encore qu’"il y a une dose de xénophobie dans le protectionnisme"…