Daniel Leconte (à gauche, sur la photo) n’est pas seulement le réalisateur, pour le cinéma, d’un long-métrage documentaire sur l’"affaire des caricatures" de Mahomet où Philippe Val, directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo (très à droite, sur la photo), fait le (vaillant) héros [1].

Tu le sais probablement : Leconte anime aussi, pour la télévision, des soirées franco-allemandes - où il aime recevoir, devine qui ?

Le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo [2].

Ainsi, le 13 avril 2004, il présente une soirée "entièrement consacrée au thème du "complot"" [3], où il fustige les "petits malins" qui "viennent nous dire que la réalité est plus compliquée, que la majorité des journalistes se trompent" - genre, les conspirationnistes qui réclament des preuves qu’un avion s’est pour de bon crashé dans le Pentagone en 2001.

Les intervenants qu’il a conviés procèdent à un lâcher d’amalgames d’une grossièreté rarement atteinte : l’objectif est (bien sûr) de montrer (sans le démontrer, faut pas non plus trop exiger) que la gauche de gauche est d’une laideur qui incommode.

Ce burlesque numéro de stigmatisation des vilains "gauchistes" qui font rien qu’à se défier du bushisme [4] est tout naturellement ponctué par de crânes proclamations de Philippe Val, "qui n’hésitera pas à ramener, tout, absolument tout, via la théorie du complot, à la haine des juifs, depuis l’antiaméricanisme jusqu’à la critique de l’économie libérale en passant par le très hypothétique complot ayant visé Lady Di" [5].

Bon, tu vas me demander pourquoi tout d’un coup je te reparle de ce happening déjà ancien ?

Très simplement parce que ces jours-ci, un minuscule détail vient quelque peu miter la promotion du long-métrage dont le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo est le (vaillant) héros - puisque aussi bien l’admirable dessinateur danois "auteur du dessin de Mahomet portant un turban en forme de bombe", que Charlie Hebdo avait portraituré en sympathique "libertaire", a été "l’invité vedette, samedi 20 septembre, du congrès du Parti du peuple danois (extrême droite)", comme l’ont relevé Le Monde et Marianne.

Naturellement, quelques jours plus tard, les internautes qui débattent ici avec Leconte lui demandent ce qu’il pense de cette exhibition.

Et là, tu vas voir, Leconte fait ce que fait certaines fois le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo : il s’affranchit des lois (d’airain) qu’il réclame pour les autres - car, n’est-ce pas, il est quand même très au-dessus de ces viles contingences.

Question de "Samy", internaute : "Kurt Westergaard, le caricaturiste de Mahomet portant le turban explosif, fait meeting avec l’extrême droite allemande. Cela vous surprend-t-il ?"

Réponse : "Des preuves" !

Nouvelle question : "Récemment, Le Monde nous a appris que Kurt Westergaard avait été l’invité vedette, samedi 20 septembre, du Parti du peuple danois, étonnant, non ?"

Réponse : "(…) Une fois encore, ce genre d’information qu’il sort dans ce contexte est à vérifier".

Je sais que ça troue un peu le cul, mais là, si je résume, qu’est-ce qu’on voit ?

On voit que Leconte, soudain, bascule du côté obscur de la Force - et voilà que le grand débusqueur de théoriciens du complot, abruptement confronté à une réalité qui jette une lumière assez glauque sur les caricatures de Mahomet, devient sans trop se forcer l’un de ces "petits malins" qui réclament des preuves quand les preuves existent déjà, et qui "viennent nous dire que la réalité est plus compliquée, que (…) les journalistes se trompent" [6].

(Je ne doute pas que le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo en a été navré : je trouve, comme lui, affligeant que des gens de bien succombent aux simplismes des conspiracy theories.)

Dans ses (fortes) réponses aux outrecuidants internautes qui ont le front de mentionner que le dessinateur "libertaire" dont Charlie a chanté la grâce vient de se produire à l’extrême droite, Leconte répond aussi : "Comme je vois, ce sont les bonnes vieilles méthodes staliniennes qui reviennent. Comme d’habitude, on sali (sic) les gens pour ne pas avoir à discuter avec eux".

Et de bisser : "Encore une fois ce sont les bonnes vieilles méthodes pour disqualifier les contradicteurs".

Et bon, tu me connais : je n’ai rien contre un ou deux comprimés de foutage de gueule, de temps à autre.

Mais là, je voudrais quand même redire à Leconte que dans la vraie vie, et si vraiment il cherche une ceinture noire (septième dan) dans l’art (difficile) de salir "les gens pour ne pas avoir à discuter avec eux" - un expert, un mec vraiment spécialisé dans le si-que-t’es-pas-de-mon-avis-c’est-que-t’es-un-nazi ?

Le mieux est qu’il se plonge dans la production éditoriale de son copain - le (vaillant) héros.