Notre plus fameux "historien des idées, philosophe et politologue" (l’autoradio est en option), je veux parler bien sûr de Pierre-André Taguieff, also known as Tag(ada), nous honore d’un nouveau livre.
Le voilà qui s’en prend, cette fois-ci, à "la judéophobie des Modernes", laquelle va de Voltaire à "l’islamisme radical" (en passant par la gauche de gauche, qui est d’une laideur insoutenable), et le résultat est, comme le souligne dans Le Monde le cocasse Roger-Pol Droit, "une somme tout à fait remarquable".
(Ivan Rioufol, bloc-noteur progressiste au Figaro, estime plutôt, quant à lui, que ce bouquin est "remarquable", cependant que Le Point, sobrement, le juge "monumental".)
De fait, l’ouvrage est conséquent : 683 pages (serrées), dont 181 pages d’un appareil de notes qui montre que l’auteur est un sacré bosseur.
Son prix aussi est assez dense : 35 euros.
Pour un(e) bénéficiaire du RSA, évidemment, ça fait un peu cher.
Mais franchement ?
Ca les vaut, puisque pour ces 35 euros tu as quand même, au fil des pages, un gros paquet d’opulentes révélations - en même temps, et ce n’est pas rien, que la confirmation de la renommée rigueur qui a fait de Tag l’un de nos penseurs les mieux cotés.
Dans ce déferlement de scoops, j’ai notamment relevé que mon pote Pierre Tevanian est, personne me l’avait dit, "le Fouquier-Tinville de la nouvelle extrême gauche".
(J’ai un message pour toi, Pierre Tevanian : si c’est pour me faire guillotiner, je préfère t’annoncer que c’est pas demain la veille qu’on va retourner boire des coups à Ménilmontant, mon salaud - non mais qu’est-ce que c’est que ces manières ?)
J’ai noté, aussi, que Jean Ziegler (dont j’ignorais totalement qu’il fût si compromis), a ceci de fort pénible qu’il "se laisse fasciner par des dictateurs islamo-nationalistes et collabore avec eux".
(Nooooom de Dieu, ça m’a foutu un (rude) coup.)
Dans un registre un (tout petit) peu différent, j’ai bien retenu que "le régime autoritaire, nationaliste, néo-tiers-mondiste, socialiste et populiste mis en place par l’ex-putschiste Hugo Chavez au Venezuela" est un "national-socialisme tiers-mondiste" (un nazisme du gueux, si tu préfères).
Et j’ai recopié dans mon petit calepin que le nom de Chomsky (""Juif non juif" (voire anti-juif)" [1]), n’en déplaise aux benêts qui ne l’avaient pas remarqué, rime (riche) avec celui de Garaudy. [2]
Mais surtout.
Surtout.
J’ai appris.
Et voilà exactement ce que j’appelle de la grosse révélation.
Que l’antisémitisme est pour ainsi dire de l’histoire ancienne.
(Voui, mâme Dupont : révolue - à quelques folkloriques manifestations nazies près.)
Sottement, je croyais que cette infection perdurait.
A (l’extrême) droite, notamment.
Mais point, assure Tag : elle est globalement passée de mode.
Il explique ça comme ça : "J’en suis arrivé à la conclusion que, pour éviter d’alimenter certaines équivoques, sources de malentendus persistants et de débats inutiles, il fallait réserver le mot "antisémitisme", entendu stricto sensu, pour désigner la forme prise par la judéophobie au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, dans le cadre des doctrines racialistes fondées sur l’opposition "Aryens/sémites". Je propose donc de désigner par le mot "antisémitisme", de façon restreinte, la forme racialiste de la judéophobie, telle qu’elle est passée au politique en s’intégrant dans le nationalisme à la fois culturel et politique du dernier tiers du XIXe siècle, et dont la manifestation la plus extrême a été représentée par l’antisémitisme génocidaire du régime hitlérien".
Tag précise : "Je fais l’hypothèse que, dans la période post-nazie, l’antisémitisme au sens restreint du terme relève d’un phénomène de survivance, aussi choquantes que puissent être certaines de ses résurgences (bandes néonazies, skinheads, etc.)"
A la page 361, Tag enfonce le clou : ""L’antisémitisme", au sens strict du terme, est chose du passé, et ne survit aujourd’hui que dans certains milieux néo-nazis ultra-marginaux, bien que parfois fort bruyants, notamment en Allemagne et en Russie".
Et il ajoute ceci : "La haine des Juifs a désormais partie liée avec l’antiracisme tel qu’il s’est dévoyé dans divers milieux militants "antisionistes", perverti par ses usages communistes, tiers-mondistes, arabo-musulmans et islamistes (…)"…
Evidemment, tu reconnais là une régurgitation du célèbre aphorisme d’un non moins célèbre philosophe, qui dit que "l’antiracisme sera le communisme du XXIe siècle" - et tu commences (très fort) à deviner où Tag veut t’emmener.
Car en effet, si l’antisémitisme appartient au passé, qu’avons-nous là, et là, et là ?
Nous avons là, et là, et là, , tu l’auras compris, de la judéophobie (des Modernes).
Et en quoi se différencie-t-elle de l’antisémitisme ?
En ce que "c’est" désormais, comme le résume dans Le Monde Roger Pol-Droit, "en détestant l’Occident qu’on va haïr le peuple juif, car il symbolise désormais ce qu’on veut détruire (judéo-christianisme, capitalisme, libéralisme, impérialisme)".
Tag, de fait, proclame très posément que : "La haine des Juifs va désormais de pair avec la haine de l’Occident - qu’on peut désigner par le néologisme "hespérophobie"". [3]
Et ça, n’est-ce pas ?
C’est bien commode.
Ca justifie les imputations obscènes de nos Philippe Val de compagnie, de tous ces gros penseurs dont l’argumentation, depuis quelques années, se résume à ressasser que si tu es de gauche, et (par conséquent) d’un avis quelque peu différent du leur sur la marche du monde, tu es un épais nazi - puisque aussi bien, comme dit ce matin Pierre Marcelle dans Libération : "Depuis certain 11 septembre et certaine croisade irakienne, le procès en antisémitisme se dégaine à tout propos et tout prétexte, au seul profit des antisémites véritables. Arme mécanique et absolue des maîtres censeurs, il n’est plus désormais que l’étendard trop prévisible sous lequel se concoctent d’étranges alliances et incongrus jumelages…"
(Naturellement, je n’aimerais pas que tu ailles t’imaginer qu’en ce (moscovite) procès, Tag serait au banc de l’accusation publique : je te rappelle que les amalgames grotesques (et insultants, éventuellement), type téma comme ce mec-là prend des airs de Fouquier-Tinville, sentez combien Chomsky pue le négationniste, sont exclusivement réservés à l’usage des clercs de grosse ampleur.)
T’aimes pas trop le capitalisme ?
T’es un judéophobe.
Tu n’aimes que peu l’impérialisme ?
T’es un judéophobe.
(Maudite racaille communiste, tiers-mondiste, arabo-musulmane.)
Il suffit de l’énoncer, pour que ça devienne tout simple - et justement : c’est ce que Tag énonce dans son nouveau bouquin.
Rioufol ne s’y est pas trompé : ""La haine des Juifs va sans conteste avec celle de l’Occident", soutient Taguieff" - écrit le bloc-noteur vendredique du Figaro.
Et il ajoute : "Mais l’antiaméricanisme est du même tonneau".
De sorte que, si tu n’es pas un fan de base de George W. Bush ?
Ben, t’es encore une fois judéophobe - et c’est la fin de la discussion, parce que très sincèrement, qui aurait envie de papoter avec un nazi ?
Rien de nouveau, évidemment : les staliniens usaient du même procédé.
Les staliniens, aussi, nazifiaient, d’abondance, le (très) sale gauchiste qui osait ne pas mettre son pas dans leur pas : remember comment que ces mecs-là te levaient en un rien de temps de la hyène hitléro-trotskyste.
Autre temps, mêmes (tristes) moeurs : déjà il y a trente ans, Chomsky pointait le "style tout stalinien" de "l’intelligentsia"…
Le niveau monte, pas vrai ?
[1] Je te jure que c’est ce qui est écrit…
[2] Là, tu l’auras saisi : Tag insinue, sans le moindre commencement de preuve (et pour cause), que Chomsky ferait presque "partie de la nébuleuse négationniste", comme Garaudy. Je le précise, parce que dans l’une de ses fooooort nombreuses notes, à la page 653, le même Tag se lance dans cette ahurissante explication : "J’ai forgé le néologisme de "dubitationnisme" pour caractériser la position publiquement tenue pour Jean-Marie Le Pen, à partir de 1986, sur les chambres à gaz homicides et la réalité du génocide des Juifs d’Europe : le doute, avec ses sous-entendus ("Les historiens en débattent", etc.), plutôt que la négation pure et simple". Attends, le gars soutient que les chambres à gaz font un détail de l’histoire de la Seconde guerre mondiale, et t’en es à lui chercher un néologisme, histoire d’affiner sa pensée ???
[3] Et quant à moi, certaines fois, je succombe, j’en conviens, à de brusques bouffées de burlesquepitrophobie.