Cette "crise", qui fait que "les Bourses plongent" - comme l’observe Libération ?
N’est pas exactement, si mes souvenirs sont bons, la toute première du genre : j’ai même l’impression que ça fait pas mal de fois, en peu d’années, qu’on nous fait le coup du (hideux) fantôme du krach-de-1929 - et rappelez-vous, mâme Dupont, que l’actionnaire volait bas, on se lançait du haut du Woolworth Building comme on boit un verre d’eau, c’était vraiment la grosse pitié.
Admettons que tu achètes une bagnole : tu la sors de son emballage, tu fais vingt kilomètres, et boum, elle tombe en panne.
Tu vas chez le garagiste, le mec te dit c’est rien, vous en faites pas, c’est une bougie, bougez pas, je vous la nettoie, merci de me régler en espèces.
Tu repars, tout(e) content(e) d’avoir la bougie décrassée pour une si modique somme, tu refais vingt bornes - et soudainement ?
La (sotte) panne, derechef.
Re-garagiste, re-pognon, etc.
Ca dure comme ça quelques heures, et tout naturellement : au bout de la trentième panne, et de trop de milliers d’euros de réparations diverses, tu finis par te dire qu’au fond ça serait aussi bien que tu changes de bagnole, et que celle-ci doit quand même avoir un gros défaut caché, merde alors, c’est quand même pas normal de tomber en panne tous les vingt kilomètres.
Et là, évidemment, tu as toujours un garagiste pour te dire que non, pas du tout, c’est pas du tout la peine de se mettre en de si gros frais quand il suffit de nettoyer quelques bougies, tenez, voici votre facture, non, là, ce n’est pas la date, mais bien plutôt ce que vous me devez.
Parce que, n’est-ce pas : si tu décides que tu ne veux plus de cette bagnole de merde, le garagiste n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte, et ça, tu l’as compris, ça le fait assez gravement chier.
Bon, le capitalisme est un peu comme ta caisse pourrie : vérolé de l’intérieur, notoirement irréparable.
C’est pour ça que tous les trois ans il tombe en "crise", et dans ces moments-là ?
Tu as Laurent Joffrin, garagiste à Paris troisième, qui te dit comme ça que ça serait franchement dommage d’achever la pauvre bête sur une aire d’autoroute, quand elle peut encore t’emmener au moins jusqu’à Toulon (où tu écouteras les ahurissantes proclamations d’un ami du CAC hissé à la chefferie de l’Etat).
Faut le comprendre, Laurent Joffrin : ça fait cinquante ans qu’il va répétant que les marchés font le magnifique horizon (nimbé de roses chatoyants) de l’humanité concurrentielle - et que la gauche ferait bien de réaliser que son avenir se joue entre le-néo-libéralisme-ou-la-mort, et voulez-vous bien je vous prie m’ôter ce laid surmoi communiste ?
Alors évidemment, ça le gêne un peu, Laurent Joffrin, que la "crise", dans la vraie vie, soit moins uniment ravissante que dans les grotesques happenings où il scandait naguère : "Vive la crise !"
Du coup ?
Il fait semblant de ne pas voir que c’est le capitalisme qui est structurellement déconnant - et ce matin il écrit, dans l’un de ses fameux éditos (qui font dire à Beytout que "Joffrin est comme un Phare dans la Nuit de la Pensée à menton poilu"), que, oui, certes, "faut donc payer".
Faut que le pauvre mette au pot de quoi éponger le vomi des vaillants spéculateurs qui ont boursicoté avec sa petite économie, faut changer la bougie (ça fera 700 milliards de dollars) - mais juste après ?
Juuuuuste après - parole de Joffrin ?
Faudra, espère : "Demander des comptes".
Et tu sais quoi ?
Dans la vraie vie ?
Ca fait maintenant, comme je disais, moulte année que Joffrin nous fait le (même) coup.
Des années que Joffrin nous promet, en se grattant la barbichette, que des philanthropes vont moraliser le capitalisme - pour ajouter encore à ses folles beautés.
En 2007, il fustigeait, dans un burlesque essai, "l’anticapitalisme rigide affiché par la gauche", hurlait qu’"il y a des vertus dans le risque" [1], et proclamait (comme il fait toujours) que rien ne vaut "un capitalisme encadré, (…) mais un capitalisme tout de même", une "économie de marché bien tempérée".
Depuis lors, on le sait : le marché ne s’est que peu tempéré.
De sorte que même les geais arriérés ont fini par comprendre que le capitalisme ne s’humaniserait jamais - pour la simple raison que son propos essentiel n’est pas (du tout) de faire de ta vie un conte barbichu, mais bien plutôt, et par coutume, de prendre à ceux qui n’ont rien de quoi mieux gaver ceux qui ont déjà tout.
Mais jamais Joffrin et ses pair(e)s, lovés au creux chaud de la dominance qui les nourrit, n’admettront, tu l’imagines, qu’ils racontent n’importe quoi depuis des temps immémoriaux : ce n’est certes pas l’effondrement des Bourses qui les fera se déjuger.
A mon humble avis : nous devrions maintenant "demander des comptes" (plutôt que de "payer") aux pileux journaleux acharnés à nous entretenir dans le mensonge de la concurrence régulée.
[1] Et en effet tu peux risquer ton capital, puisque l’Etat s’empresse de t’allonger 700 milliards de dollars quand tu nages dans ta merde.