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Horreur : "Cette Fronde Est Politique" !

30 octobre 2008 à 22h57

1. Le Point nous apprend ce matin l’affreuse nouvelle : "Deux fois, coup sur coup, le groupe Lagardère, opérateur des NMPP, a été pris en otage par une partie de la CGT du Livre".

Ce fut atroce.

"Les manifestants ont d’abord bloqué l’accès de ses rédactions (regroupées dans un immeuble à Levallois-Perret)".

On imagine sans peine la terreur des journal… Des salarié(e)s du groupe Lagardère [1] !

Mais finalement, Kevin Spacey a réussi à négocier la reddition du commando cégétaire, qui réclamait notamment "un Boeing 747 avec le plein de super et une paëlla pour quinze - mais sans moules, Raymond supporte pas les moules, et tu ne voudrais quand même pas qu’on tue un otage toutes les deux minutes jusqu’à ce que tu aies enlevé de là ces putains de moules, hein, motherfucker ? "

(Merci, Kevin, old chap : je te vois un avenir en forme de Légion d’honneur.)

"Puis dimanche", rapporte Le Point, "ce fut au tour du JDD d’être absent des kiosques franciliens".

Au grand dam des fans (des Hauts-de-Seine) des prêches dominicaux du fidèle Claude (qui d’après Philippe Val "travaille en ce moment à un livre sur Jean Sarkozy").

Pour Le Point, ces deux prises d’otages ?

C’est "une honte !"

Ces mecs de "la CGT du Livre" qui "protestent contre le plan de modernisation des NMPP qui prévoit, entre autres, la fermeture du centre de traitement de Combs-la-Ville" ?

Ce n’est tout simplement pas tolérable (sauf si on veut, bien sûr, que notre cher et vieux pays devienne demain une démocratie populaire).

Le Point, d’ailleurs, ne l’admet pas, et lâche vers son lectorat ce délicat décryptage du harcèlement du (modeste) groupe Lagardère par l’hydre cégétique : "Les syndicalistes (…) veulent (…) le maintien de leur bastion militant".

(De Combs-la-Ville.)

Or : où va-t-on, je te le demande, si les rouges (les rrrrrouges) défendent leurs bastions militants ?

On va, comme je disais, vers un soviétisme qui a déjà fait la preuve qu’il était fatal aux paysan(ne)s de l’Ukraine, et qui pourrait tout aussi bien décimer demain la population rurale des alentours de Combs-la-Ville.

Du coup, Le Point lance un cri d’alarme : "Cette fronde n’est pas sociale, elle est politique" !

Et ça, n’est-ce pas ?

De la "politique" ?

Ailleurs que dans les colonnes du JDD ?

De la "politique" où la politique serait autre chose que le fidèle copier-coller de trois burlesques "petites phrases" du manager de Paris et de l’incessante logorrhée du porte-parole de l’UMP (dont le coiffeur est comme tu sais l’homme de l’art qui depuis l’an de grâce 1827 modèle aussi la chevelure de Luc Ferry) ?

De la "politique", hors du petit champ que nous lui avons assigné ?

Foutre, mais c’est l’horreur !

Passe qu’une "fronde" soit un peu "sociale" : tu devines bien qu’il est (encore) un peu difficile d’empêcher complètement le travailleur de geindre quand le patronat le possède au fond d’une impasse.

Mais qu’une "fronde" soit (effrontément) "politique" ?

Que le même travailleur, nobstant que la "modernisation" exige sa mise au pas, veuille se conserver, le maraud, les quelques (rarissimes) "bastions" où le Medef ne fait pas encore tout à fait sa loi ?

MERDE ALORS : PAS QUESTION [2] !

(Est-ce qu’on fait de la politique, nous, quand toutes les semaines on vagit dans nos pages (fût-ce en patois jacquesmarseillais) que le capitalisme est l’avenir de l’humanité ?

Naturellement pas, coco : on fait de l’information.)

Et Le Point de conclure : "Empêcher un journal de paraître, ce n’est pas défendre la presse, c’est l’enfoncer".

2. Et le big boss du Monde [3], Éric Fottorino, de hurler ce soir à la une, comme en écho à l’imprécation matutinale du Point : "Empêcher la parution d’un quotidien est un acte grave, surtout s’il est le fruit d’une action sauvage menée au mépris de tout respect des règles établies" [4] !

Établies par qui, ces règles ?

Fottorino ne le dit pas.

De la même façon, il évite, avec beaucoup de minutie, de nous dire ce qui motive les syndicalistes qui ont bloqué hier la parution de son journal : "Nous n’entrerons pas ici dans la complexité d’un dossier qui concerne la modernisation des messageries (les NMPP) et la contestation par une fraction des ouvriers du Livre du plan dit Défi 2010, visant précisément à relancer les ventes des journaux".

Annonce-t-il.

Tu ne sais absolument rien (parce que c’est d’une "complexité" qui certainement ruinerait le confort de ta lecture) de ce que veut cette "fraction des ouvriers du livre" (c’est de l’escamotage ou je ne m’y connais pas) - mais tu comprends que ces mecs-là ont très envie d’empêcher la relance des "ventes des journaux", les salauds : et tu entrevois que si lesdits ne se vendent plus, ce n’est pas du tout parce qu’ils sont devenus des organes de propagation de la pensée dominante où maint lecteur ne veut plus se laisser enfermer, oooooh beeeeen nooooon, qu’imagines-tu là, mais bien plutôt parce que des communistes empêchent leur publication par des "actes sauvages".

Fottorino écrit d’ailleurs que, s’il n’est pas (du tout) question de rapporter le point de vue des preneurs d’otages : "En revanche, il est temps d’opposer un "non" ferme à cette pratique arbitraire, indigne d’une démocratie pluraliste, dont la presse écrite est l’un des piliers".

Tu as, tu l’as compris, d’un côté "une fraction des ouvriers du livre CGT", qui n’aime pas (du tout) la "démocratie", puis tu as, de l’autre côté, une presse admirablement "pluraliste", où en effet une variété presque infinie de points de vue se décline quotidiennement - qui va des analyses plutôt favorables au marché aux articles ouvertement favorables aux marchés, en passant évidemment par diverses tribunes où de crânes spécialistes font valoir que rien ne vaut, pour la fraîcheur du teint, le marché le matin, le marché le midi, et le marché le soir.

Fottorino est d’autant plus (en) colère, que ce "coup de force" (des putschistes venus de Combs-la-Ville) "survien(t) alors que les quotidiens, et en particulier Le Monde, servent d’outil de compréhension indispensable pour éclairer la crise économique et financière que nous vivons ou l’enjeu de la prochaine élection présidentielle américaine".

Fottorino, tu le noteras, ne nous dit pas directement que nous sommes de laid(e)s imbéciles - et c’est gentil à lui, mais le message qu’il nous délivre est bel et bien que nous sommes si tragiquement limité(e)s, que jamais nous ne saurions appréhender "la crise économique et financière" sans le prompt secours du quotidien vespéral qui depuis des années glapit que la "réforme" et la "modernisation" libérales feront la joie de nos familles.

A mon avis, le gars ne souhaite pas, lui non plus, que nous fassions de la "politique" hors des passages que Le Monde et Le Point cloutent pour nous.

Rompez.

Valtaire Veut Dialogue Entre Un Mourant Et Un Éditorialiste Qui Se Porte Bien

Notes

[1] T’es là, tu reviens de ton déjeuner rue La Boétie, déjà tu penses au fin papier où tu vas relater que décidément le chef de l’Etat français a quelque chose en lui de beau, et sur quoi tu tombes ? Sur des preneurs d’otages - des salopards encagoulés, qui vont te mettre au fond d’une geôle beyrouthine pendant 6.080 jours sans même ton Version Femina, et à la fin, qui tu verras ? Jean-Charles Marchiani !

[2] J’espère que ça te fait pas trop chier que je crie ? Je sais pas, des fois, ça me prend.

[3] Qui "n’est pas paru, mercredi 29 octobre, pour des raisons indépendantes de (sa) volonté", à cause des maudits ******s de la CGT du Livre.

[4] Dans la vraie vie, à mon avis : empêcher la parution d’un quotidien quand ce quotidien est celui, vespéral, des marchés, relève plutôt, naturellement, d’une saine hygiène de vie où la promenade en forêt dans les premiers frimas remplace pour une fois, très avantageusement, l’ingestion passive d’une propagande libérale qui bousille gravement les neurones. (Mais ça n’engage que moi.)