Je sais pas si tu as noté comme, depuis quelques jours, on nous les brise avec les ""parachutes dorés" et autres rémunérations jugées injustes des grands patrons" ?
De tout côté on n’entend plus que ça (un air nouveau qui nous vient de là-bas), de tout côté on nous proclame qu’il-faut-qu’on-en-finisse-avec-les-golden-parachutes [1].
Laurence Parisot, qui depuis des années accepte en souriant que des dirigeants dont l’entreprise est en situation d’échec ou qui sont eux-mêmes en situation d’échec la quittent avec des indemnités astronomiques, juge soudain qu’"il n’est pas acceptable que des dirigeants dont l’entreprise est en situation d’échec ou qui sont eux-mêmes en situation d’échec la quittent avec des indemnités".
Oooooh.
Ben.
Non.
Alors.
Pour autant : Laurence Parisot ne souhaite pas (du tout) que le gouvernement "force" les patrons "à obtempérer par une loi", parce que bon, explique-t-elle (sans que nul(le) ne songe à lui soumettre l’idée qu’elle pourrait aussi ne pas se foutre si fort de notre gueule) : "Aux Etats-Unis, dans les années 1980, c’est une loi fiscale sévère sur les salaires qui avait provoqué le développement parfois fou des stock options".
(Je voulais pas de cet argent, monsieur l’agent : c’est le gouvernement qui m’a pour ainsi dire contraint à me gaver, par des lois scélérates.)
Plutôt que de leur infliger une législation inique, Laurence Parisot préfère proposer aux patrons un "code de gouvernance", qui dit que c’est pas joli, joli, de se voter un parachute à 15 millions d’euros quand on a une petite quéquette.
(On devine que les patrons l’entérineront d’enthousiasme : on sait que ces mecs-là ont la fibre citoyenne - c’est pas les millions de salarié(e)s qu’ils ont plansocialisé(e)s qui me contrediront.)
Laurence Parisot t’annonce, en résumé, que tu vas pouvoir te baigner en toute sécurité : elle a demandé aux requins de ne pas te bouffer la jambe, et elle ne doute pas que les requins l’écouteront.
Le gouvernement, turellement, "se montre sensible aux arguments de Laurence Parisot", et renonce à légiférer - jugeant, lui aussi, que le gentil patronat s’auto-régulera.
(Si tu es un immigré, le régime va te faire une loi tous les six mois, pitoyable enculé.
Si tu es un patron ?
Le gouvernement va te voter sa confiance, plutôt qu’un texte liberticide.)
En somme : le message que t’envoient, en ces jours de crise, le patronat, le gouvernement, et la presse (qui ment) est que les capitaleux vont très fort se moraliser, et qu’on ne les y reprendra plus à se parachuter vers d’épais magots indemnitaires.
Mais, dans la vraie vie, la crise n’est pas née de la multiplication des golden parachutes, dont les montants cumulés, pour obscènes qu’ils soient, ne pèsent d’aucun poids dans les finances du monde.
Dans la vraie vie, la crise vient de ce que le capitalisme est une gigantesque machine à tronçonner-ceux-qui-n’ont-rien-pour-mieux-gaver-ceux-qui-ont-tout.
Dans la vraie vie, nos soucis ne viennent pas vraiment de ce que des patrons ou des banquiers (hallucinés) palpent de riches gratifications - mais bien plutôt de ce qu’ils broient quotidiennement des milliers de salariés, avant que de les surendetter.
Mais ça, n’est-ce pas ?
Ni le MEDEF, ni le gouvernement, ni le big boss de Charlie Hebdo ne vont l’admettre - puisque pour eux les marchés font la joie des familles : alors ils te fourguent ce blabla somnifère autour des ""parachutes dorés et autres rémunérations jugées excessives des grands patrons", histoire de te maintenir un peu loin du véritable enjeu de la crise.
Mettons que je veuille te fourguer une vieille Simca pourrie ?
Une épave dégueulasse ?
Je vais pas te dire, hey, teuma comment que la direction est faussée, teuma comment que ça freine pas, c’est vraiment une caisse de cauchemar.
Je vais plutôt lui mettre un vigoureux coup de Polish, et, surtout, je vais te montrer que j’ai refait la sellerie, agade, agaaaaade, c’est beau, c’est chaud, c’est assorti à ta nouvelle cravate.
Et là, tu l’as compris : le "code de gouvernance" de Laurence Parisot est le (vigoureux) coup de Polish qu’elle met au capitalisme, dans l’espoir qu’icelui fera encore illusion auprès de possibles acheteurs.
Elle veut que tu fasses encore des milliards de kilomètres dans sa vieille tire moisie - alors elle t’invite à relever qu’elle a changé le rétroviseur.
Mais si tu vérifies le châssis ?
Tout le truc est bon pour la casse.
[1] Je voudrais saluer ici un chanteur libéral qui se reconnaîtra, je n’en doute pas.