J.O. 243 du 19 octobre 2003
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Texte paru au JORF/LD page 17847
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Décision du 11 septembre 2003 se prononçant sur un différend qui oppose les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group au gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, Réseau de transport d'électricité (RTE)
NOR : CREX0306853S
La Commission de régulation de l'énergie,
Vu la demande de règlement d'un différend, enregistrée sous le numéro 03-38-05, le 6 juin 2003, présentée par France-Manche, société anonyme au capital de 88 879 500 EUR, dont le siège social est situé au 19, boulevard Malesherbes, 75008 Paris, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro B 333 286 714, agissant de concert avec The Channel Tunnel Group, dont le siège est situé à Cheriton Park, Cheriton High Street, Folkestone, Kent CT19 4QS, les deux opérant dans le cadre d'une société en participation sous le nom d'Eurotunnel, représentée par M. Richard Shireffs, président-directeur général de France-Manche et Chief executive officer de The Channel Tunnel Group, dûment habilité à cet effet, ayant pour avocat Me Laurent Vandomme, cabinet Herbert Smith, 20, rue Quentin-Bauchart, 75008 Paris ;
Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group, opérant dans le cadre de la société en participation Eurotunnel (ci-après, « Eurotunnel »), demandent à la CRE de faire droit à leur réclamation présentée à RTE concernant, en premier lieu, le domaine de tension qu'il convient de retenir pour déterminer le tarif d'accès au réseau public de transport d'électricité et, en second lieu, la désignation des ouvrages pour lesquels Eurotunnel doit supporter des frais d'exploitation, d'entretien et de renouvellement (EER).
Sur la tension de raccordement :
Eurotunnel soutient que le point de raccordement auquel il est fait référence dans le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 se situe dans son cas au poste 400 kV des Mandarins.
Ce point n'étant pas défini dans la réglementation en vigueur, seule devrait être retenue, selon Eurotunnel, la définition employée dans le décret no 2003-229 du 13 mars 2003 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement aux réseaux publics de distribution, selon laquelle le point de raccordement est le « point physique projeté pour la connexion de l'installation au réseau public par l'intermédiaire d'ouvrages de raccordement à construire ». Selon Eurotunnel, il se situe donc nécessairement « en amont » de ses ouvrages de raccordement.
Eurotunnel soutient que les installations de son raccordement, décrites dans la « convention de raccordement » du 17 février 1989, sont constituées de câbles, cellules et jeux de barre à 225 kV, de transformateurs 400 kV/225 kV et de cellules et lignes à 400 kV raccordées au poste RTE à 400 kV de Mandarins. Selon Eurotunnel, il résulte de cette description et de la définition du décret no 2003-229 du 13 mars 2003 que le raccordement de son site a été effectué au poste 400 kV des Mandarins et donc que la tension de raccordement de ses installations est de 400 kV.
Eurotunnel précise que son interprétation, selon laquelle la tension de raccordement est mesurée en amont des ouvrages de raccordement, est corroborée par les dispositions du cahier des charges du réseau d'alimentation générale de 1995 qui stipule que le concessionnaire se fait rembourser par les nouveaux clients « les frais qui sont imputables à l'ensemble de son raccordement à partir du jeu de barres du poste du concessionnaire le plus proche susceptible de desservir ce point de livraison à la tension physique de raccordement appropriée ». Eurotunnel estime, en outre, que le fait que son raccordement contienne des ouvrages à 225 kV n'a pas d'incidence sur sa tension de raccordement dès lors qu'en stipulant que « la puissance de raccordement, la tension physique de raccordement, la classe de tension de fourniture (...) doivent être précisées dans les contrats de fourniture », le cahier des charges distingue la tension de raccordement et la tension de fourniture.
Eurotunnel fait également observer que tous ses soutirages d'électricité sont réalisés directement à partir de ce poste, sans passer par le réseau 225 kV de RTE, et que les ouvrages de son raccordement, qu'il a financés, lui sont réservés. En effet, sur les deux autotransformateurs du raccordement, raccordés directement au réseau 400 kV, l'un est réservé à Eurotunnel en toute hypothèse et l'autre est réservé à Eurotunnel en cas de perte du premier autotransformateur.
En outre, selon Eurotunnel, la transformation 400 kV/225 kV assurée au sein de ses ouvrages de raccordement ne résulte pas d'un souhait de sa part, mais de l'inexpérience d'EDF en matière d'enfouissement des câbles 400 kV et de son souhait de soutenir son réseau 225 kV.
Eurotunnel soutient par ailleurs que la tension de raccordement de 400 kV est celle qui a été contractuellement convenue entre les parties, tant dans la convention de raccordement que dans les contrats de fourniture conclus avec EDF.
Selon Eurotunnel, les deux parties à la convention de raccordement conclue le 17 février 1989 ont considéré que le raccordement était de 400 kV. En effet, cette convention stipule que le calcul de la participation financière d'Eurotunnel au coût de son raccordement est fondé sur un raccordement de référence à 400 kV. Par ailleurs, certaines de ses stipulations techniques ont pour objet de faire face à la perte d'ouvrages de raccordement à 400 kV. Or, dès lors qu'elle est toujours en vigueur et qu'elle a toujours été visée par les contrats préparés par RTE, cette convention s'impose à RTE, sans que celui-ci puisse remettre en cause les engagements souscrits par EDF.
Par ailleurs, Eurotunnel invoque les contrats de fourniture conclus avec EDF en vertu desquels il est expressément considéré comme un client raccordé au niveau 400 kV. Si Eurotunnel reconnaît que ces contrats ne sont plus applicables aujourd'hui, il estime toutefois qu'ils démontrent que la tension de raccordement de ses installations au réseau d'alimentation générale n'a jamais été contestée par les parties.
Eurotunnel soutient que l'application à son égard d'une tension de raccordement de 400 kV est conforme à la logique de la tarification de l'accès au réseau.
En effet, la logique de la tarification de l'accès au réseau implique que les coûts liés à un niveau de tension donné - y compris les coûts liés au raccordement des utilisateurs et une partie des coûts liés aux niveaux de tension supérieurs qui alimentent le réseau sollicité - soient répartis entre l'ensemble des utilisateurs raccordés à ce niveau de tension. Eurotunnel estime que l'application à son égard de la tarification au niveau de tension 225 kV serait contraire à cette logique en ce qu'elle reviendrait à lui faire supporter une partie de l'ensemble des coûts du réseau à 225 kV de RTE, alors qu'il n'en sollicite pas les ouvrages.
Eurotunnel soutient que l'application à son égard d'une tension de raccordement de 400 kV n'est pas discriminatoire.
Eurotunnel soutient que les conditions particulières de raccordement au réseau de transport d'électricité et du financement de celui-ci doivent être prises en compte dans la détermination du tarif qui lui est applicable. Eurotunnel soutient, en effet, contrairement à RTE, que l'application de conditions d'accès au réseau qui ne tiendraient pas compte des particularités de sa situation au regard des autres utilisateurs constituerait, de la part de RTE, une discrimination.
Sur les frais d'EER :
Eurotunnel soutient que la facturation d'EER pour la ligne no 3 est dépourvue de fondement réglementaire ou conventionnel.
Eurotunnel rappelle qu'en vertu du cahier des charges du réseau d'alimentation générale de 1958, en vigueur lors de la signature de la convention de raccordement, le concessionnaire devait supporter l'ensemble des coûts du réseau, ce qui excluait de mettre à la charge du client des frais d'EER. Eurotunnel précise qu'il a été toutefois convenu avec EDF, dans la convention de raccordement du 17 février 1989, de conditions dépassant ce qui était prévu dans le cahier des charges du réseau d'alimentation générale en vigueur, à savoir la facturation d'EER pour l'autotransformateur « 763 », pour ses cellules 400 kV et 225 kV, pour le câble « secours » et pour sa cellule 225 kV. Le cahier des charges du réseau d'alimentation générale de 1995 prévoit que les charges liées à une autre ligne servant de secours doivent être répercutées sur l'utilisateur.
Or, selon Eurotunnel, une seule ligne de son raccordement correspond à cette définition : il s'agit des ouvrages à 225 kV de la ligne no 2. Eurotunnel soutient, au surplus, que seuls ces ouvrages relèvent de la notion de « liaison servant de secours » employée dans le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 aux termes duquel « une ligne de raccordement est considérée comme une ligne de secours-substitution si elle n'est utilisée qu'en substitution d'une ou plusieurs lignes principales indisponibles du fait de situation de défaillance, de réparation ou de maintenance ».
En tout état de cause, Eurotunnel soutient que, dans le cas d'alimentations de secours, ou encore lorsque les parties se sont engagées au-delà des stipulations du cahier des charges, c'est la convention de raccordement conclue entre le client et le concessionnaire qui fixe les conditions financières du raccordement. Eurotunnel considère donc que RTE ne peut lui réclamer le paiement de frais d'EER que dans les conditions convenues avec EDF dans la convention de raccordement du 17 février 1989 et pour les seuls ouvrages du raccordement que cette convention désigne. Contrairement à ce que demande RTE, c'est donc sur l'autotransformateur « 763 », ses cellules 400 kV et 225 kV, le câble « secours » et sa cellule 225 kV que les EER peuvent être facturés.
Eurotunnel soutient à titre subsidiaire que, contrairement à ce que soutient RTE, la ligne no 3 n'est pas une alimentation complémentaire au sens du projet de contrat d'accès au réseau de transport (contrat CART).
Eurotunnel soutient que la ligne no 3, dès lors qu'elle répond à l'ensemble de ses besoins électriques autres que la traction, est nécessaire, par sa capacité, à l'alimentation normale du site. Elle constitue donc, selon lui, avec la ligne d'alimentation de la charge de traction, l'alimentation principale du site. Par conséquent, elle ne correspond ni à une alimentation de secours, ni à une alimentation complémentaire au sens du projet de contrat CART. Dès lors, Eurotunnel soutient que, si l'on considère que les frais d'EER qui lui sont imputables doivent être déterminés en fonction de la nouvelle réglementation de l'accès au réseau telle qu'elle est prévue par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 et sans tenir compte des stipulations contraires de la convention de raccordement du 17 février 1989, RTE ne serait fondé à lui réclamer que les frais d'EER correspondant à la ligne de secours-substitution au sens strict, à savoir une cellule de départ de 225 kV et une ligne de 225 kV.
Eurotunnel soutient qu'en application du décret du 26 avril 2001, les coûts des autres ouvrages de son raccordement, quel que soit leur niveau de tension, doivent être réputés couverts par le tarif d'accès au réseau.
Eurotunnel soutient que RTE n'est pas fondé à lui facturer des frais d'EER pour l'intégralité des ouvrages du raccordement dans l'hypothèse où la tarification à la tension de 400 kV lui serait appliquée.
Eurotunnel soutient que, comme le rappelle RTE, « le tarif d'accès au réseau prend en compte les frais d'exploitation, d'entretien et de renouvellement (EER) des ouvrages amont jusqu'au point de livraison ». Il en déduit que, quel que soit le tarif d'accès au réseau qui lui est applicable, RTE ne peut prétendre que ce tarif ne couvrirait les frais d'EER d'aucun des éléments du raccordement d'Eurotunnel, pas même de ceux de son alimentation « principale ».
En conséquence, Eurotunnel demande à la CRE :
Concernant la tension de raccordement devant être employée aux fins de tarification de son accès au réseau :
- de décider que la tension de raccordement d'Eurotunnel est de 400 kV ;
- de décider que les factures d'accès au réseau d'Eurotunnel depuis le 1er avril 2000 doivent être régularisées sur cette base.
Concernant les frais d'EER :
- à titre principal, de décider qu'ils doivent exclusivement porter sur la ligne d'alimentation no 2 ;
- à titre subsidiaire, si la CRE devait considérer que la réglementation nouvelle ne modifie pas l'accord des parties sur ce point, de décider que des frais d'EER ne peuvent être imputés à Eurotunnel que conformément à sa convention de raccordement et que ces frais doivent être partagés pour les ouvrages dont l'utilisation est partagée ;
- de décider que les factures d'accès au réseau d'Eurotunnel depuis le 1er avril 2000 doivent être régularisées sur cette base ;
- de décider que les sommes trop perçues doivent être restituées par RTE à Eurotunnel avec les intérêts au taux légal depuis le 1er avril 2000, le montant de ces sommes trop perçues étant, en tant que de besoin, estimé par un expert indépendant désigné par la CRE, aux frais de RTE ;
- de décider que le coût pour Eurotunnel de la présente procédure lui sera remboursé par RTE.
Vu les observations en défense, enregistrées le 27 juin 2003, présentées par le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, RTE, domicilié 34-40, rue Henri-Régnault, 92048 Paris-La Défense, service d'Electricité de France, établissement public de caractère industriel et commercial dont le siège social est 22-30, avenue de Wagram, à Paris, représenté par M. Merlin, directeur de RTE, et ayant pour avocat Me Vogel, 30, avenue d'Iéna, 75016 Paris ;
Sur la tension de raccordement :
RTE soutient qu'il résulte de la convention de raccordement que la tension de raccordement d'Eurotunnel est de 225 kV.
RTE soutient que la notion de tension de raccordement est explicitée au II-1, § 2, de la proposition tarifaire de la CRE du 10 janvier 2002, qui est à l'origine du décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002, aux termes de laquelle « la tarification s'effectue par point de connexion en fonction de la puissance souscrite ». Il invoque la convention de raccordement conclue entre EDF et Eurotunnel, dont l'article 1er a défini la consistance du raccordement, en indiquant que « le poste Tunnel sera alimenté en énergie électrique par trois câbles de 225 kV depuis le poste EDF 225 kV de Mandarins » et qui a précisé que « la limite de propriété définie pour les câbles 225 kV constituera le point de livraison de l'énergie ». Il en déduit que le point de connexion entre les installations privées d'Eurotunnel et le réseau public de transport d'électricité se situe à la tension de raccordement 225 kV correspondant au domaine de tension HTB 2.
RTE soutient que la tension de livraison d'Eurotunnel, au sens du cahier des charges du réseau d'alimentation générale, est de 225 kV.
RTE fait référence à l'article 8-1-1 du cahier des charges du réseau d'alimentation générale qui prévoit que « l'alimentation doit se faire, en principe, par une seule canalisation et en un seul point de livraison par établissement desservi, le point de livraison étant situé dans les emprises de cet égablissement ». Dans le cas d'Eurotunnel, RTE soutient qu'il s'agit du poste Tunnel 225 kV. Il observe par ailleurs que les puissances nécessaires pour satisfaire les besoins d'Eurotunnel pour la traction et les services auxiliaires, même cumulées, ne sauraient correspondre, selon le cahier des charges du réseau d'alimentation générale de 1995, à une classe de tension supérieure à 225 kV.
RTE soutient qu'appliquer le tarif HTB 2 à Eurotunnel ne conduit pas à le faire payer deux fois pour la même cause.
RTE ne conteste pas qu'Eurotunnel ait participé au financement d'une partie des installations en 400 kV rendues nécessaires par la réalisation du raccordement, mais il estime que cette circonstance ne permet pas de conclure qu'Eurotunnel devrait bénéficier d'un droit à l'application du tarif de la classe de tension 400 kV. Il conteste, en revanche, que cette circonstance conduise à faire payer deux fois Eurotunnel pour les ouvrages de raccordement. En effet, il considère qu'il résulte du cahier des charges du réseau d'alimentation générale de 1995 que les ouvrages nécessaires au raccordement d'une nouvelle installation d'un utilisateur sont remboursés au concessionnaire par celui-ci, dans les conditions dudit cahier des charges. Ces charges n'entrent donc pas dans l'assiette du tarif. En revanche, les autres charges relatives à ces ouvrages entrent dans l'assiette du tarif.
RTE soutient que les conditions d'exploitation des lignes à 225 kV alimentant Eurotunnel ne sauraient justifier que lui soit appliqué le tarif à 400 kV.
RTE soutient que la tension de raccordement ne saurait être déduite des schémas d'exploitation spécifiques du réseau public de transport que RTE adapte pour éviter que l'alimentation d'Eurotunnel ne soit à l'origine de perturbations pour les autres utilisateurs du réseau dans la zone. Il considère qu'Eurotunnel bénéficie des mêmes prestations que tout autre utilisateur raccordé en 225 kV et qu'il assume les mêmes charges vis-à-vis d'Eurotunnel que pour tout autre utilisateur raccordé en 225 kV.
RTE soutient que les ouvrages en amont du point de livraison, tant ceux qui alimentent la charge de traction d'Eurotunnel que ceux qui alimentent les services auxiliaires, font partie du réseau public de transport d'électricité et qu'Eurotunnel n'est donc pas fondé à prétendre qu'ils constitueraient des ouvrages de raccordement dédiés, voire privatifs, alors qu'ils servent, en fonction du schéma d'exploitation de la zone, à alimenter également les autres utilisateurs de ce réseau.
RTE soutient que seuls la convention de raccordement du 17 février 1989 et le contrat de mise à disposition d'énergie (contrat MADE) du 16 mai 2001 sont de nature à créer des obligations à son égard.
RTE conteste, en effet, qu'Eurotunnel puisse se prévaloir à son encontre des négociations avec EDF ayant précédé la signature de la convention de raccordement ou des contrats de fourniture conclus avec EDF qui n'ont pas été reconduits depuis qu'Eurotunnel a fait valoir son éligibilité. RTE considère, en particulier, que le choix de la structure du raccordement d'Eurotunnel, qui s'est imposé du fait du caractère perturbateur de la traction monophasée, a reçu l'accord sans réserve des négociateurs et que les accords aux termes desquels les parties ont souhaité s'engager au-delà des prescriptions du cahier des charges de la concession du réseau d'alimentation générale ne lui sont pas opposables. Ainsi, selon RTE, la CRE devra déterminer la tarification applicable à Eurotunnel à partir de la situation objective du raccordement litigieux, c'est-à-dire en fonction des seules caractéristiques électriques du raccordement, les modalités de son financement convenues entre EDF et Eurotunnel ne pouvant aucunement servir de fondement pour la détermination de la tension de raccordement.
RTE soutient que les dispositions tarifaires demandées par Eurotunnel sont discriminatoires.
RTE déduit de ces éléments techniques qu'une tarification correspondant à une tension de raccordement de 225 kV doit s'appliquer à Eurotunnel. Une solution différente, qui reviendrait à faire supporter à l'ensemble des autres utilisateurs du réseau public de transport le coût du service spécifique dont bénéficie Eurotunnel, serait, selon lui, discriminatoire.
Sur les frais d'EER :
RTE estime qu'Eurotunnel est redevable de frais d'EER non seulement pour l'alimentation de secours de son site, mais aussi pour la ligne servant d'alimentation complémentaire. Il développe à cette fin l'argumentation suivante.
RTE soutient que la ligne no 3 d'Eurotunnel est une alimentation complémentaire.
Selon RTE, la notion d'alimentation complémentaire résulte des dispositions de la section 5 du chapitre II du décret du 19 juillet 2002, qui prévoient expressément, dans la définition qu'elles donnent de la ligne de secours-substitution, la possibilité qu'un site soit alimenté par « une ou plusieurs lignes principales ». RTE s'appuie également sur la communication de la CRE du 20 mai 2003 qui aurait admis qu'une rémunération particulière soit prévue lorsque l'utilisateur bénéficie d'une ligne complémentaire pour répondre à des besoins particuliers qui lui sont propres. La notion d'alimentation complémentaire a été également définie par RTE dans l'article 2 des conditions générales du contrat CART qu'il propose aux utilisateurs du réseau depuis l'entrée en vigueur du décret du 19 juillet 2002.
En application de cette définition, RTE estime que la ligne servant à l'alimentation des services auxiliaires d'Eurotunnel est assimilable, au regard de ses besoins auxiliaires, à une alimentation principale qui lui permet de ne pas être perturbé par sa propre charge de traction. Dès lors qu'un seul des câbles de 225 kV alimentant le poste Tunnel 225 kV pourrait suffire aux besoins de puissance de traction et des auxiliaires, cette ligne constitue une alimentation complémentaire.
RTE conteste, par ailleurs, les affirmations d'Eurotunnel selon lesquelles son site ne disposerait que d'une seule alimentation constituée de deux lignes, l'alimentation du site étant assurée par deux alimentations distinctes en raison du caractère perturbateur de la traction monophasée.
RTE soutient que des frais d'EER doivent être facturés au titre de l'alimentation complémentaire d'Eurotunnel.
RTE soutient, tout d'abord, que l'absence de définition légale ou réglementaire de la notion d'alimentation complémentaire ne saurait justifier que les frais d'EER ne s'appliquent que sur les alimentations de secours-substitution.
RTE soutient également que, pour tenir compte de la multiplicité des lignes desservant le poste 225 kV, il est fondé à faire supporter à Eurotunnel les frais d'EER de la ligne no 3 selon une règle identique à celle appliquée pour la facturation de l'alimentation de secours-substitution. Selon RTE, le défaut de paiement de frais d'EER, constituerait un enrichissement sans cause d'Eurotunnel, dès lors que les coûts afférents à l'alimentation complémentaire du site correspondent à un service dont Eurotunnel bénéficie ainsi qu'à des charges que RTE supporte.
RTE soutient que les charges qu'il supporte pour l'alimentation complémentaire du site ne peuvent pas être couvertes par l'application du tarif dans le cadre d'une seul contrat pour l'ensemble du site et que ne pas répercuter à Eurotunnel les charges qu'il supporte constituerait une atteinte aux principes, issus de la loi du 10 février 2000, de gestion du service public de l'électricité aux meilleures conditions de coût, d'efficacité économique et de non-discrimination.
RTE soutient, à titre subsidiaire, que si la ligne no 3 ne devait pas être considérée comme une alimentation complémentaire, celle-ci ne pourrait être assimilée qu'à une alimentation principale.
Selon RTE, la construction des deux lignes de l'alimentation normale d'Eurotunnel a été, en effet, rendue nécessaire par le caractère perturbateur de la traction monophasée et la ligne no 3 est assimilable à l'alimentation principale des besoins auxiliaires d'Eurotunnel. Il soutient qu'il en résulte que si la ligne no 3 ne devait pas être considérée comme une alimentation complémentaire, il devrait proposer un contrat CART spécifique pour cette alimentation, ce qui occasionnerait pour Eurotunnel une charge financière supplémentaire.
En conséquence, RTE demande à la CRE :
De décider que le contrat CART à conclure entre RTE et Eurotunnel sera établi en fonction d'une tension de raccordement de 225 kV, et selon le tarif d'utilisation du réseau relevant du domaine de tension HTB 2 ;
De décider qu'Eurotunnel doit supporter les frais d'EER qui lui sont facturés par RTE pour l'alimentation complémentaire du site ;
De condamner Eurotunnel à rembourser à RTE le coût de la procédure.
Vu les observations complémentaires, enregistrées le 25 juillet 2003, présentées par Eurotunnel ;
Sur la tension de raccordement :
Eurotunnel soutient que RTE opère une confusion entre le point de raccordement et le point de livraison du site.
Eurotunnel estime que ces notions sont, en effet, nettement distinctes dans le cas de son site, en raison des particularités de son raccordement qui, à la différence de ceux d'autres utilisateurs, inclut des tranformateurs.
Eurotunnel soutient que l'affirmation de RTE, selon laquelle la tension de raccordement s'apprécie au point de livraison, est dénuée de tout fondement. Il rappelle que le point de raccordement et le point de livraison sont explicitement distingués dans les seuls textes définissant la notion de point de raccordement, à savoir les décrets no 2003-229 du 13 mars 2003 et no 2003-588 du 27 juin 2003 relatifs aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement aux réseaux publics de distributions et de transport. Selon ces textes, le point de raccordement est le « point physique projeté pour la connexion de l'installation au réseau public par l'intermédiaire d'ouvrages de raccordement à construire » alors que le point de livraison est le « point physique du réseau où les caractéristisques techniques d'une fourniture sont spécifiques », étant précisé que « le point de livraison peut différer du point frontière entre le réseau public et l'installation de l'utilisateur ». Eurotunnel en déduit que le point de raccordement, au regard de ces dispositions, n'est ni le point de livraison, ni le point frontière entre le réseau public et l'installation de l'utilisateur, mais qu'il se situe nécessairement en amont des ouvrages de raccordement. Il renvoie à sa saisine dans laquelle il estime avoir apporté la démonstration que le point de raccordement d'Eurotunnel est le poste Mandarins 400 kV.
Eurotunnel invoque également la convention de raccordement, que la déclaration d'éligibilité ne saurait selon lui remettre en cause. Y est définie la consistance des ouvrages de raccordement qui relient le site d'Eurotunnel au poste Mandarins 400 kV et y figure le schéma d'exploitation convenu qui révèle que le soutirage de l'énergie se fait directement sur le réseau 400 kV, sans sollicitation du réseau 225 kV.
Eurotunnel soutient que les parties à la convention de raccordement étaient convenues que sa tension de raccordement est de 400 kV.
Eurotunnel invoque la commune intention des parties, au regard de laquelle doit être interprétée la convention de raccordement du site. Il considère qu'il résulte, tant des négociations qui ont lieu avant la conclusion de la convention de raccordement du 17 février 1989, que des négociations des contrats de fourniture et des stipulations mêmes de ces contrats, que la tension de raccordement du site correspond bien à une tension de 400 kV. Il conteste, dès lors, l'affirmation de RTE selon laquelle une tension de 225 kV serait suffisante pour satisfaire aux besoins de puissance du site, compte tenu de la puissance demandée et de la nature des charges. Il soutient que c'est d'ailleurs le gestionnaire du réseau qui a imposé la réalisation d'un raccordement à la tension 400 kV pour des raison de sûreté du réseau, en particulier pour pallier le déséquilibre entre phases engendré par le raccordement de la charge de traction monophasée, compte tenu des niveaux autorisés par les règles techniques de sécurité du réseau.
Eurotunnel persiste dans son affirmation selon laquelle les ouvrages à 225 kV de son raccordement lui sont réservés.
Sur le caractère dédié ou privatif des ouvrages de raccordement, Eurotunnel admet que les ouvrages du raccordement de son site font bien partie du réseau concédé à RTE, mais maintient que leur caractère d'ouvrages réservés résulte de la convention de raccordement. Il reconnaît qu'en régime normal, RTE peut utiliser la surcapacité de l'autotransformateur alimentant les services « auxiliaires » d'Eurotunnel pour soutenir son réseau 225 kV local et que RTE peut, en théorie, raccorder d'autres utilisateurs aux ouvrages du raccordement de son site dès lors que ceux-ci font partie du réseau public de transport. Il rappelle toutefois que les contraintes qui s'imposent à RTE aux termes de la convention de raccordement ne lui permettent pas de raccorder d'autres utilisateurs aux ouvrages du raccordement affectés à la traction et lui imposent, lorsqu'un autre ouvrage du raccordement est affecté à l'alimentation de la charge de traction, de ne plus alimenter aucune autre charge par cet ouvrage.
Eurotunnel soutient que l'application à son égard d'une tarification de 400 kV n'est pas une mesure discriminatoire.
Eurotunnel rappelle que son raccordement est à la tension de 400 kV et que les seuls ouvrages à la tension de 225 kV qu'il sollicite sont les ouvrages de son propre raccordement. Il soutient également que la circonstance que ses ouvrages de raccordement soient, pour partie, à la tension de 225 kV ne saurait justifier que le tarif de ce niveau de tension lui soit appliqué puisque le tarif d'utilisation du réseau assure, en vertu de l'article 2 du décret du 26 avril 2001, une mutualisation des charges du réseau entre les utilisateurs en prévoyant un partage des coûts indépendamment tant de la distance effective entre un client et son fournisseur que de la consistance de son raccordement.
Sur les frais d'EER :
Eurotunnel dénonce, à titre liminaire, le caractère prétendument opaque des bases du calcul des frais d'EER réalisé par RTE.
Eurotunnel soutient que la seule indication qui lui a été donnée sur ce point est que « 1 EER = 7 % du prix à neuf d'une cellule + 3 % du coût à neuf du câble », sans que les bases de ce calcul n'aient été justifiées.
Eurotunnel maintient son affirmation selon laquelle RTE ne peut lui imposer la facturation d'EER pour la ligne no 3 au motif qu'elle constituerait une alimentation complémentaire.
Il soutient que la qualification d'alimentation complémentaire, que RTE entend appliquer à la ligne de son raccordement alimentant les services auxiliaires, ne lui est pas opposable. S'il admet que RTE puisse convenir avec un de ses clients de la réalisation d'une alimentation complémentaire d'un site, il estime néanmoins que RTE ne peut qualifier d'alimentation complémentaire la ligne qui assure l'alimentation de ses services auxiliaires dès lors qu'aucun accord n'est intervenu entre RTE et lui, ni qu'aucune disposition réglementaire ne l'impose.
Eurotunnel soutient, en effet, que la notion d'alimentation complémentaire n'a aucun fondement réglementaire, les dispositions du décret du 19 juillet 2002 dont se prévaut RTE prévoyant seulement l'existence de plusieurs alimentations principales. Cette notion d'alimentation complémentaire n'a pas non plus, selon lui, de fondement contractuel, dès lors qu'elle ne résulte que d'un modèle de contrat qu'Eurotunnel a précisément refusé de signer. Eurotunnel soutient également que la communication de la CRE du 20 mai 2003, qui prévoit que le caractère complémentaire d'une ligne doit résulter des stipulations contractuelles relatives au raccordement d'un site, permet de considérer que RTE ne peut appliquer une telle qualification aux ouvrages du raccordement de son site en l'absence d'accord intervenu entre eux à ce sujet.
Eurotunnel soutient que l'alimentation de ses services auxiliaires n'est pas une alimentation complémentaire, selon la définition qu'en donne RTE.
Eurotunnel rappelle que les différentes lignes du raccordement sont simultanément nécessaires à l'alimentation du site et que, contrairement à ce que soutient RTE, le raccordement, au moment de sa réalisation, n'a pas été conçu pour les besoins propres d'Eurotunnel mais pour permettre au gestionnaire du réseau le soutien de son réseau 225 kV local à travers des ouvrages du raccordement.
Eurotunnel soutient également qu'aucun texte en vigueur ne fait obstacle à ce qu'une alimentation principale soit constituée de plusieurs lignes distinctes et qu'en application des dispositions du décret du 26 avril 2001 les coûts de l'ensemble des ouvrages du raccordement sont réputés, au même titre que les autres coûts du réseau, couverts par le tarif d'utilisation du réseau et partagés entre les différents utilisateurs.
Eurotunnel soutient qu'en tout état de cause il n'a pas à payer de redevance de regroupement.
Eurotunnel soutient que, contrairement à ce que allègue RTE, la qualification d'alimentation principale de la ligne d'alimentation des auxiliaires n'entraîne, en tout état de cause, aucune conséquence tarifaire. En effet, l'alimentation de la traction et celle des auxiliaires étant connectées au poste des Mandarins 400 kV, il serait fondé à demander le regroupement des points de raccordement et la conclusion d'un contrat CART unique cumulant les puissances synchrones des deux lignes.
Eurotunnel n'aurait donc pas à payer une redevance de regroupement, les points de raccordement étant contigus.
Eurotunnel persiste dans l'intégralité de ses demandes.
Vu les observations complémentaires, enregistrées le 28 août 2003, présentées par RTE ;
Sur la tension de raccordement :
RTE soutient que le tarif doit être appliqué au point de connexion avec le réseau d'alimentation générale.
RTE précise au préalable qu'il livre l'énergie à Eurotunnel au poste Tunnel à 225 kV et que le poste Tunnel est relié au poste Mandarins 225 kV qui fait partie du réseau d'alimentation générale. Il souligne qu'afin d'assurer le transport de l'énergie jusqu'au point physique de connexion entre le réseau d'alimentation générale et les installations d'Eurotunnel, il supporte les charges de couverture des pertes, d'exploitation, d'entretien et de renouvellement des ouvrages, à 400 et 225 kV, situés en amont du point de livraison. Il considère que, dans ces conditions, Eurotunnel devant rémunérer RTE pour l'ensemble des prestations dont il bénéficie, c'est la tarification correspondant aux livraisons en 225 kV qui s'applique. Il soutient qu'une solution différente, qui reviendrait à faire supporter à l'ensemble des autres utilisateurs du réseau public de transport le coût du service spécifique dont bénéficie Eurotunnel, constituerait une rupture dans l'égalité d'accès au réseau public de transport.
RTE soutient, par ailleurs, que l'interprétation de la notion de point physique de raccordement employée par Eurotunnel est erronée puisque, selon la proposition tarifaire de la CRE en date du 10 janvier 2002, « la tarification s'effectue par point de connexion ». RTE considère que c'est, par conséquent, à la limite de propriété entre le réseau public et les installations d'Eurotunnel que s'applique le tarif. RTE fait également observer que le décret no 2003-229 du 13 mars 2003 relatif aux prescriptions techniques auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement aux réseaux de distribution n'est pas le seul texte, au jour du dépôt de la demande, définissant la notion de point de raccordement. En effet, l'annexe à l'arrêté du 30 décembre 1999 relatif aux conditions techniques de raccordement au réseau de transport des installations de production de puissance inférieure à 120 MW a défini le point de raccordement comme « un poste du réseau public de transport dont la tension est compatible avec la puissance de l'installation de production disposant de capacités d'accueil suffisantes ». Cette dernière définition confirme, selon lui, son interprétation selon laquelle la tension de raccordement doit être compatible avec la puissance de l'installation alimentée, c'est-à-dire, en l'espèce, 225 kV.
RTE soutient également que la définition du point de raccordement invoquée par Eurotunnel est contradictoire.
RTE soutient qu'Eurotunnel ne peut soutenir à la fois que le point de raccordement est le « point projeté pour la connexion de l'installation » au réseau de transport « par l'intermédiaire d'ouvrages de raccordement à construire » et que ce point doit être « identifié sur le réseau existant ». Il ne fait pas de doute, selon lui, que le point de raccordement projeté est le poste Mandarins 225 kV « à construire », comme le confirment les termes mêmes de la convention de raccordement qui définissent la consistance du raccordement en stipulant que « le poste Tunnel sera alimenté (...) par trois câbles 225 kV depuis le poste EDF 225 kV de Mandarins ».
RTE conteste qu'Eurotunnel puisse se prévaloir d'engagements contractuels conclus antérieurement à l'exercice de son éligibilité.
RTE soutient que le demandeur ne peut pas se fonder sur des comptes rendus de réunion, au demeurant conformes selon RTE à son analyse, pour déterminer la commune intention des parties quant à la tension du raccordement, dès lors qu'il est clairement exprimé dans la convention de raccordement que c'est un raccordement à 225 kV qui a été convenu, associé à un schéma d'exploitation particulier. En effet, aux termes mêmes de cette convention, « il sera nécessaire de réaliser le raccordement en câbles souterrains 225 kV et donc de créer un poste 225 kV au poste EDF de Mandarins ». Quant aux stipulations des contrats de fourniture, qui disposent que la classe de tension d'Eurotunnel est 400 kV « compte tenu des dispositions retenues dans la convention de raccordement », RTE soutient qu'elles ne sont pas argumentées et sont en totale contradiction avec la convention de raccordement.
RTE soutient qu'Eurotunnel n'est plus fondé à demander que continuent à lui être appliquées des clauses commerciales négociées avec EDF qui perdent toute portée dès lors qu'Eurotunnel a résilié son contrat intégré. Il rappelle à cet effet les dispositions de l'article 49 de la loi du 10 février 2000 aux termes desquelles « lorsqu'un client exerce [son éligibilité], les contrats en cours concernant la fourniture de ce site par EDF (...) sont résiliés de plein droit » et la décision de la CRE du 2 mai 2002 relative à un différend entre RTE et la RATP aux termes de laquelle « la RATP n'est plus fondée à se prévaloir des stipulations antérieures [du contrat antérieur résilié de plein droit], ni à revendiquer un droit acquis au maintien de ces stipulations, dont l'éventuelle incorporation aux nouvelles dispositions contractuelles doit être appréciée au moment de leur conclusion et au regard du nouvel environnement juridique applicable ».
RTE entend par ailleurs corriger certaines inexactitudes figurant dans la réplique présentée par Eurotunnel.
RTE précise que, contrairement à ce que soutient Eurotunnel, il n'affirme pas qu'une « tension 225 kV est suffisante pour satisfaire les besoins de puissance exprimés par Eurotunnel », mais qu'un seul câble alimentant le poste Tunnel 225 kV pourrait suffire aux besoins de puissance de la traction et des auxiliaires d'Eurotunnel. RTE rappelle la différence qui existe entre la capacité d'un réseau à alimenter une charge perturbatrice et celle d'un ouvrage à transiter de l'énergie.
Par ailleurs, RTE conteste les affirmations d'Eurotunnel selon lesquelles certains ouvrages lui seraient dédiés. La consigne d'exploitation de la zone qu'il produit établit que l'alimentation des auxiliaires d'Eurotunnel, en schéma normal, se fait depuis le poste de Mandarins 225 kV du réseau d'alimentation générale par l'intermédiaire des lignes 225 kV Echinghen-Mandarins et Mandarins-Attaques et de l'autotransformateur no 3, ces lignes faisant partie de ce que Eurotunnel appelle le réseau local. Il soutient également que l'analyse de la convention d'exploitation démontre que chaque tronçon du jeu de barres du poste Mandarins 225 kV peut alimenter Eurotunnel (que ce soit sa traction ou ses auxiliaires) ou répondre aux besoins électriques d'autres utilisateurs de la zone. Elle prévoit, en effet, que « les départs Tunnel au poste des Mandarins sont alimentés à travers les autotransformateurs 761 et 763 dont l'un est réservé à la traction ferroviaire et l'autre utilisé en service normal à la fois pour Eurotunnel et pour les besoins du réseau d'alimentation générale ». RTE fait également observer qu'Eurotunnel partage manifestement cette analyse, puisqu'il admet que « RTE peut prétendre juridiquement pouvoir raccorder d'autres usagers sur les ouvrages du raccordement d'Eurotunnel tant 400 kV que 225 kV qui font en effet partie du RPT ».
RTE rappelle qu'il résulte du schéma convenu dans la consigne d'exploitation que les alimentations principale et complémentaire trouvent leur point électrique commun à la tension 400 kV, mais rappelle ses observations en réplique selon lesquelles la consigne d'exploitation convenue ne saurait déterminer le tarif devant être appliqué à Eurotunnel.
RTE soutient également que, si le partage des coûts du réseau de transport entre ses utilisateurs qu'opère le tarif ne dépend pas de la consistance des ouvrages de raccordement, il est, en revanche, faux d'en déduire que ce partage peut porter sur des réseaux de niveaux de tension différents. RTE invoque, à cet effet, la proposition tarifaire des 31 mai et 5 juin 2001 de la CRE selon laquelle « les charges à recouvrer sont (...) évaluées par niveau de tension et réparties en fonction des flux moyens d'énergie et de puissance d'un niveau de tension à un autre ».
Sur les frais d'EER :
RTE conteste l'affirmation selon laquelle sa méthode de calcul des frais d'EER imputables à Eurotunnel serait « opaque et non explicitée ».
Il rappelle que la facturation des frais d'EER trouve son fondement dans la section 5 du chapitre II du décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 et que leur montant n'a pas varié depuis le premier contrat MADE d'Eurotunnel. RTE rappelle que tous les contrats MADE signés par Eurotunnel en 2000, 2001 et 2002 prévoyaient déjà une telle facturation et qu'Eurotunnel n'a jamais fait état, durant les périodes d'exécution de ces contrats, de la moindre critique à cet égard.
RTE conteste le défaut de fondement juridique de la notion d'alimentation complémentaire.
Il rappelle qu'est qualifié d'alimentation principale « l'ensemble des ouvrages qui doivent être disponibles simultanément pour constituer la capacité de transit nécessaire aux besoins du site de l'utilisateur », que, dans le cas d'Eurotunnel, la totalité des besoins en puissance peuvent transiter par une des trois lignes reliant les postes de Mandarins 225 kV et Tunnel 225 kV et que, dans ces conditions, l'alimentation, objet du différent, qui fait partie d'un raccordement visant d'abord à satisfaire les besoins exprimés par Eurotunnel, ne fait pas partie des ouvrages constituant l'alimentation principale. RTE soutient, par ailleurs, qu'Eurotunnel ne peut pas à la fois soutenir que ses deux alimentations constituent son unique alimentation principale et exprimer un besoin de puissance distinct entre l'alimentation de la traction (180 MW) et l'alimentation des auxiliaires (100 MW).
A titre subsidiaire, RTE soutient que, si la CRE devait en décider autrement, l'alimentation, objet du différend, devait être qualifiée de seconde alimentation principale et qu'il conviendrait, dans ce cas, d'établir un contrat CART spécifique ou de regrouper les deux alimentations, conformément au décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002.
RTE demande donc à la CRE :
De rejeter l'intégralité des demandes d'Eurotunnel ;
De dire que RTE est fondé à appliquer à Eurotunnel une tarification sur la base de son raccordement en 225 kV (tarif HTB 2) et à facturer des frais d'EER pour son alimentation complémentaire ;
De dire que les frais de cette procédure seront remboursés à RTE par Eurotunnel.
Vu les observations complémentaires, enregistrées le 5 septembre 2003, présentées par Eurotunnel ;
Eurotunnel soutient que les définitions employées par RTE en ce qui concerne son domaine de tension de raccordement ont notablement évolué. Il affirme que RTE soutenait, dans ses premières observations, qu'il s'agit du « domaine de tension de l'ouvrage situé au point de connexion entre les installations privées d'un utilisateur et le réseau public de transport » et qu'il soutient, dans ses secondes observations, qu'il s'agit du « poste Mandarins 225 kV ». Eurotunnel persiste dans son analyse sur cette question.
Eurotunnel précise, par ailleurs, que les contrats de fourniture prévoyaient une tension de raccordement de 400 kV, qui est, selon lui, une réalité technique inchangée.
Eurotunnel conteste le calcul, produit par RTE, selon lequel les frais d'EER s'élèveraient à 566 653 EUR pour la seule ligne de secours et soutient que cette somme correspond en réalité exactement aux frais d'EER calculés pour l'ensemble de ses ouvrages de raccordement.
Eurotunnel conteste, par ailleurs, que les contrats MADE puissent servir de fondement à la facturation d'EER. Il affirme avoir été contraint de signer ces contrats sous toutes réserves, notamment celle d'un recours devant la CRE et d'un accord sur les conditions financières et techniques, qui n'est jamais intervenu. Il précise que RTE avait introduit un abattement de la prime fixe.
Eurotunnel conteste également que RTE puisse lui imposer la qualification de ligne complémentaire pour la ligne no 2 alors que cette qualification ne ressort pas de la convention de raccordement. Il rappelle qu'aux termes du cahier des charges du réseau d'alimentation générale, les frais d'EER incombent à RTE, sauf dans des situations exceptionnelles convenues contractuellement.
Eurotunnel persiste dans l'intégralité de ses demandes.
Vu l'ensemble des dossiers remis par les parties ;
Vu la décision du 10 juin 2003 du président de la CRE relative à la désignation d'un rapporteur et d'un rapporteur adjoint pour l'instruction de la demande de règlement de différend no 2003-38-05 ;
Vu la décision de la CRE du 3 juillet 2003 relative à la prorogation du délai d'instruction de la demande de règlement de différend ;
Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la CRE ;
Vu le décret no 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Vu le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 fixant les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité en application de l'article 4 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu le décret no 2003-588 du 27 juin 2003 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement au réseau public de transport de l'électricité ;
Vu la décision du 15 février 2001 de la CRE relative au règlement intérieur de la commission ;
Les parties ayant été régulièrement convoquées à l'audience.
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Après avoir entendu, le 11 septembre 2003, lors de l'audience devant la commission, en présence de :
M. Jean Syrota, président, Mme Jacqueline Benassayag, MM. Bruno Lechevin, François Morin, commissaires ;
MM. Olivier Challan Belval, directeur général, Marc de Monsembernard, directeur juridique, Damien Caby, rapporteur ;
MM. Lavoine, Prost, Roy et Me Vogel, pour RTE ;
MM. de Kersabiec, Chaudron, Dupont, Houle et Mes Vandomme et Bandet, pour les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group, les deux opérant dans le cadre d'une société en participation sous le nom d'Eurotunnel ;
- le rapport de M. Damien Caby, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Vandomme, pour les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group : Eurotunnel persiste dans ses conclusions et moyens ;
- les observations de M. Lavoine et Me Vogel, pour RTE : RTE persiste dans ses conclusions et moyens ; il soutient, en outre, que faire droit aux conclusions d'Eurotunnel serait constitutif d'un abus de position dominante, d'une entente et d'une aide d'Etat ;
La commission en ayant délibéré le 11 septembre 2003 après que les parties, le rapporteur et les agents de la CRE se sont retirés.
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Schéma d'exploitation du réseau public de transport
Il résulte des pièces du dossier que les ouvrages électriques du réseau public de transport situés électriquement entre la tension 400 kV et les ouvrages électriques propriété d'Eurotunnel sont, en régime normal, exploités selon le schéma ci-dessous :
Vous pouvez consulter le tableau dans le JO
n° 243 du 19/10/2003 page 17847 à 17854
Vous pouvez consulter le tableau dans le JO
n° 243 du 19/10/2003 page 17847 à 17854
Sur la tension de raccordement devant être employée aux fins de tarification de l'accès au réseau d'Eurotunnel :
Le tarif d'accès au réseau public de transport est fixé par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002. Ce décret dispose que la tarification s'effectue par « point physique de raccordement » et que les coefficients de la formule tarifaire sont fonction de la tension de raccordement qui doit être mesurée au point de raccordement de l'utilisateur, c'est-à-dire au point limite de propriété des ouvrages électriques entre les ouvrages de l'utilisateur et ceux relevant de la concession du réseau d'alimentation générale dont RTE est le concessionnaire. Cette interprétation des textes en vigueur est d'ailleurs cohérente avec la proposition de la CRE du 10 janvier 2002 selon laquelle « la tarification s'effectue par point physique de connexion » et que, compte tenu du régime légal de fixation des tarifs d'utilisation des réseaux électriques, le pouvoir réglementaire est réputé avoir repris dans son intégralité, sans en modifier ni le contenu ni la portée.
Or, la convention de raccordement d'Eurotunnel stipule que « les ouvrages de raccordement (...) feront partie de la concession d'EDF jusqu'aux limites de propriété dans le poste Tunnel » qui se situe aux « plages de raccordement des têtes de câble 225 kV, qui font partie de la concession EDF ». Dès lors, les points physiques de connexion d'Eurotunnel au réseau public de transport, concédé à EDF et dont RTE est le gestionnaire, sont à la tension de 225 kV. Les coefficients de la formule tarifaire qui doivent lui être appliqués sont donc sont ceux du domaine de tension HTB 2.
Contrairement à ce que soutient Eurotunnel, l'application à son égard de la tarification relative à cette tension de raccordement est cohérente avec la logique tarifaire de répartition des coûts liés à un niveau de tension donné entre l'ensemble des utilisateurs raccordés à ce niveau de tension. La détermination du tarif applicable à un utilisateur ne saurait, en effet, dépendre de la portion des ouvrages du réseau public à ce niveau de tension qu'il utilise effectivement, laquelle est, du reste, techniquement impossible à déterminer en raison des lois physiques régissant la répartition des flux d'énergie sur un réseau électrique synchrone.
La tension de raccordement d'un utilisateur est un paramètre physique sans lien avec l'éventuel raccordement d'autres utilisateurs par l'intermédiaire des mêmes ouvrages électriques. En conséquence, l'argument d'Eurotunnel se fondant sur le caractère prétendument « réservé » des ouvrages à 225 kV du réseau d'alimentation générale concourant à son alimentation électrique est sans incidence sur le domaine de tension de son raccordement. Au surplus, il résulte des écritures mêmes d'Eurotunnel que ces ouvrages permettent de soutenir les autres ouvrages de RTE à 225 kV situés à proximité. Ils ne lui sont donc pas « réservés ».
Contrairement à ce qu'affirme Eurotunnel, dès lors que les modalités d'exploitation du réseau public dont il est convenu avec RTE ne sont pas susceptibles de modifier la tension à l'interface du réseau public, leur innovation est également inopérante.
L'affirmation d'Eurotunnel selon laquelle l'application du tarif correspondant au niveau de tension de raccordement HTB 2 le conduirait à payer deux fois pour ses ouvrages de raccordement, une première fois en application du cahier des charges du réseau d'alimentation générale, lors de la construction du raccordement, et une seconde fois lors de la facturation du tarif d'accès au niveau de tension 225 kV qui inclut les charges d'amortissement des ouvrages à 225 kV dudit réseau, n'est pas fondée. En effet :
1. L'article 12 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 modifiée dispose que « le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité exerce ses missions dans des conditions fixées par un cahier des charges type de concession approuvé par décret en Conseil d'Etat, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ». En l'absence de publication de ce décret, l'avenant du 10 avril 1995 à la convention du 27 novembre 1958 pour la concession à Electricité de France, service national, du réseau d'alimentation générale en énergie électrique est toujours applicable, pourvu toutefois que ses stipulations ne soient contraires ni aux dispositions des décrets du 26 avril 2001 et du 19 juillet 2002, ni à aucune des dispositions de la loi du 10 février 2000 ou d'un texte pris pour son application, et pourvu que les conditions dans lesquelles elles sont appliquées ne conduisent pas à méconnaître ces dispositions.
2. Cet avenant prévoit que « le concessionnaire se fera rembourser par tout client nouveau la part qui lui incombe des frais qui sont imputables à l'ensemble de son raccordement ». Ces remboursements sont inscrits au compte des recettes de RTE.
3. Le décret no 2001-365 du 26 avril 2001 dispose que « les tarifs d'utilisation des réseaux publics sont calculés à partir de l'ensemble des coûts de ces réseaux, tels qu'ils résultent de l'analyse de coûts techniques [et] de la comptabilité générale des opérateurs ». Les charges que recouvre le tarif n'incluent donc pas celles qui ont été remboursées à RTE par les utilisateurs en application des règles de facturation des raccordements.
En revanche, faire droit à la demande d'Eurotunnel de bénéficier du tarif d'accès en HTB 3 reviendrait, comme le soutient à raison RTE, à ne pas lui facturer la part des charges du réseau de transport qui lui incombent en raison de l'utilisation qu'il fait de certains de ses ouvrages à la tension de 225 kV. En effet, comme le reconnaît d'ailleurs Eurotunnel, « il est bien entendu que les ouvrages du raccordement sont des éléments du réseau concédé » et qu'ils sont donc « couverts par le tarif d'accès au réseau ». Or, les charges afférentes à la partie de ces ouvrages qui sont à la tension 225 kV ne sont pas recouvrées par le tarif d'accès en HTB 3, auquel sont affectées les charges afférentes aux seuls ouvrages à 400 kV. L'application à Eurotunnel du tarif HTB 3 l'exonérerait donc du paiement à RTE d'une partie des charges afférentes à son utilisation du réseau de transport.
Par ailleurs, Eurotunnel ne peut utilement se prévaloir du fait que les seuls ouvrages à la tension de 225 kV du réseau public de transport qu'il utiliserait seraient ceux qu'il a financés pour demander que lui soit appliquée la tarification relative au domaine de tension supérieur. En effet, les dispositions réglementaires en vigueur relatives à la tarification de l'accès au réseau public de transport ne distinguent pas au sein de ce réseau les ouvrages financés par l'utilisateur des autres ouvrages.
Pour la détermination de son tarif d'accès au réseau public de transport, Eurotunnel ne peut pas non plus se prévaloir utilement de la définition du point de raccordement figurant dans le décret no 2003-588 du 27 juin 2003. En effet, son article 1er limite son champ d'application aux seuls cas de « raccordement au réseau public de transport ». La définition du point de raccordement figurant dans ce décret ne vise d'ailleurs que les « ouvrages de raccordement à construire » et désigne un point qui sert, lors de l'étude d'un projet de raccordement au réseau, de référence pour vérifier que les prescriptions techniques fixées par le décret sont satisfaites.
Eurotunnel ne saurait, par ailleurs, utilement invoquer, à l'appui de ses prétentions, la convention de raccordement conclue le 17 février 1989 avec EDF, qui établirait, selon lui, que le raccordement était considéré à 400 kV, d'un commun accord entre les parties. En effet, en vertu de l'article 1er du décret no 2000-365 du 26 avril 2000 pris pour l'application de la loi no 2000-108 du 10 février 2000, les conditions tarifaires d'utilisation des réseaux publics de transport s'appliquent « nonobstant toute disposition contraire des cahiers des charges des concessions, des règlements de service des régies, des contrats et des protocoles » et sont d'ordre public. Par suite, quels que soient les engagements contractuels conclus entre EDF et Eurotunnel pour le raccordement avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000, le tarif d'utilisation applicable ne peut être déterminé que selon les règles définies par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002.
Eurotunnel ne saurait pas plus utilement invoquer les contrats d'approvisionnement conclus avec EDF avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000. En effet, ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Paris (cour d'appel de Paris, 10 décembre 2002, Régie autonome des transports parisiens, RG no 2002/10760), « la situation de droit et de fait des parties contractantes diffère de celle précédemment en vigueur où EDF disposait d'une situation de monopole pour l'ensemble de ses prestations et concluait des contrats intégrés couvrant à la fois la fourniture d'énergie et son transport, alors qu'aujourd'hui ces deux activités sont indépendantes et soumises à des impératifs de concurrence... ». Par ailleurs, un utilisateur de réseau « ne saurait se prévaloir d'une situation contractuelle passée, à laquelle [il] a mis fin en invoquant, dans le cadre du nouveau régime issu de la loi du 10 février 2000, son droit à l'éligibilité pour la fourniture d'énergie et en acceptant de conclure avec RTE des contrats spécifiques pour l'accès au réseau public de transport, indépendants du ou des contrats d'approvisionnement conclus pour la fourniture d'électricité ». Par suite, l'équilibre général trouvé par Eurotunnel et EDF dans le cadre d'une négociation portant sur la conclusion d'un contrat intégré de fourniture et de transport d'énergie est sans influence sur la détermination, dans le contrat d'accès au réseau de transport conclu avec RTE, du niveau de la tension de raccordement.
Eurotunnel n'est pas fondé à soutenir que la consistance des ouvrages construits pour son raccordement devrait déterminer ses points de connexion au réseau public de transport. En effet, c'est seulement en fonction de sa tension de raccordement au réseau public tel qu'il existe au moment où il l'utilise que doit être déterminé son tarif d'accès. Or, déterminer le tarif applicable à un utilisateur en fonction de la tension en amont des ouvrages construits pour son raccordement au réseau public aurait pour conséquence de fonder la détermination de ce tarif sur le point de raccordement d'une utilisation au réseau qui existait avant qu'elle n'y soit raccordée.
Sur les frais d'exploitation, entretien et renouvellement (EER) :
L'article 8 de l'avenant du 10 avril 1995 à la convention du 27 novembre 1958 pour la concession à Electricité de France, service national, du réseau d'alimentation générale en énergie électrique stipule que « le concessionnaire est tenu d'exécuter à ses frais tous les travaux d'entretien et de renouvellement nécessaires au maintien des ouvrages de la concession en bon état de fonctionnement, ainsi que tous les travaux de mise en conformité des ouvrages avec les règlements techniques ». Il précise néanmoins que « si le client souhaite bénéficier d'autres liaisons lui servant de secours, le concessionnaire lui en répercutera l'intégralité des charges correspondantes (investissement, entretien, exploitation et renouvellement) ». Le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 n'a pas remis en cause ces dispositions. Il y fait au contraire explicitement référence dans la section 5 du chapitre II, selon laquelle « les frais spécifiques d'investissement, d'entretien, d'exploitation et de renouvellement [des lignes de secours sont] facturés par les gestionnaires de réseaux ».
Il résulte donc de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient RTE, les frais d'exploitation, d'entretien et de renouvellement de l'ensemble des ouvrages du réseau d'alimentation générale lui incombent, à l'exception des seules « liaisons (...) servant de secours ». Par conséquent, aucune des parties ne contestant que seule la ligne no 2 est une alimentation de secours, RTE n'est pas fondé à demander de facturer des frais d'EER pour la ligne no 3.
Contrairement à ce que soutient RTE, ni la circonstance que le projet de contrat que RTE a soumis à Eurotunnel définisse la notion d'« alimentation complémentaire », ni celle que le décret no 2002-1014 prévoie qu'un utilisateur du réseau public de transport puisse disposer de plusieurs alimentations principales ne sauraient servir de fondement à la facturation de frais d'EER pour la ligne no 3.
Le fait que les contrats MADE, signés par Eurotunnel en 2000, 2001 et 2002, dont la période de validité est d'ailleurs expirée, prévoyaient la facturation de frais d'EER pour la ligne no 3 et que certaines dispositions financières du dernier contrat MADE n'aient pas cessé, en dépit du non-renouvellement du contrat, d'être appliquées après son expiration, ne sauraient pas plus servir de fondement à la facturation de frais d'EER pour la ligne no 3.
Par ailleurs, la communication du 20 mai 2003, dans laquelle la CRE rappelle que, sous son contrôle, conformément aux dispositions de l'article 7 du décret no 2001-365 du 26 avril 2001, les contrats d'accès au réseau public de transport « peuvent prévoir la fourniture de prestations particulières en matière de qualité de l'électricité livrée ou de modalités de comptage et prévoir les conditions financières correspondantes permettant de couvrir les coûts supplémentaires engendrés », ne peut pas non plus, contrairement à ce que soutient RTE, servir de fondement à la facturation de frais d'EER pour la ligne no 3.
En effet, RTE n'allègue pas qu'il fournirait à Eurotunnel des prestations particulières en matière de qualité de l'électricité livrée ou de modalités de comptage. Au surplus, l'examen du projet de contrat CART, établi par RTE pour Eurotunnel, confirme que ce dernier n'entend pas fournir de telles prestations. En effet, d'une part, la rubrique 7.1.2 « Engagements optionnels en matière de qualité de fourniture » est déclarée sans objet en ce qui concerne les engagements en matière de creux de tension ainsi que les autres engagements personnalisés et, d'autre part, le projet de RTE renvoie aux conditions générales en ce qui concerne les caractéristiques indicatives en matière de qualité de l'onde de tension.
RTE n'est pas non plus fondé à affirmer qu'en l'absence de facturation de frais d'EER pour la ligne no 3, les charges qu'il supporte pour l'alimentation d'Eurotunnel par deux lignes, complétées par la ligne de secours, ne seraient pas recouvrées par le tarif. En effet, il est démontré ci-après que, pourvu que le tarif soit correctement appliqué, l'utilisation de chacune des lignes est bien facturée :
1. La tarification de l'utilisation du réseau public de transport s'effectue « par point physique de raccordement », conformément à la section 3 du chapitre II du décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002. Or, il résulte des pièces du dossier que les lignes no 1 et no 3 sont connectées au jeu de barres du poste Tunnel 225 kV en deux points physiquement distincts et séparés électriquement, les sectionneurs du jeu de barres étant en position ouverte en régime normal d'exploitation. Le courant électrique ne peut se propager entre ces deux points qu'en passant par la ligne no 1, l'autotransformateur qui l'alimente, le réseau à 400 kV, le second autotransformateur ou les transformateurs d'où proviennent les deux lignes à 225 kV qui alimentent le poste des Mandarins et la ligne no 3. Les deux parties en conviennent d'ailleurs lorsqu'elles affirment que le point électrique commun à l'alimentation des charges de traction et à celle des auxiliaires du raccordement d'Eurotunnel est situé sur le réseau 400 kV, au poste Mandarins 400 kV.
2. Pour établir le tarif applicable à Eurotunnel, il convient donc de considérer qu'il existe deux points physiques de raccordement distincts et traiter séparément, d'une part, les flux physiques au point de raccordement de la charge de traction et, d'autre part, ceux du point de raccordement des auxiliaires, alors même que ces flux transitent tous deux par le même poste (Tunnel 225 kV) sur des jeux de barres séparés, qui ne peuvent être reliés électriquement sans passer par la tension de 400 kV que dans certaines circonstances exceptionnelles.
3. Dans le cas où Eurotunnel demanderait à bénéficier du regroupement tarifaire de ses points de raccordement, l'utilisation des lignes no 1 et no 3 serait également facturée, sous la forme de la « redevance de regroupement correspondant à la tarification du réseau électrique existant permettant physiquement ce regroupement » prévue par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002.
Compte tenu de ce qui précède, l'argumentation de RTE, selon laquelle l'absence de facturation de frais d'EER pour la liaison no 3 serait constitutive d'une aide d'Etat, d'une entente ou d'un abus de position dominante, susceptibles d'être sanctionnées par les autorités de la concurrence, et aurait pour conséquence un enrichissement sans cause d'Eurotunnel et une rupture d'égalité dans l'accès au réseau public de transport, est dénuée de fondement. Il en est de même du moyen tiré de la méconnaissance, en cas d'absence de facturation de frais d'EER pour la liaison no 3, du principe, issu de la loi du 10 février 2000, de la gestion du service public de l'électricité aux meilleures conditions de coût et d'efficacité économique.
Sur les frais de la procédure :
Eurotunnel demande à la CRE de condamner RTE au remboursement des frais exposés par la présente procédure de règlement de différend. RTE formule une demande identique à l'encontre d'Eurotunnel. Interrogés sur ce point lors de la séance, Eurotunnel et RTE ont déclaré fonder leur demande sur les dispositions définissant la compétence de la CRE en matière de règlement de différend.
Or, si l'article 38 de la loi du 10 février 2000 habilite la CRE à préciser les conditions d'ordre financier dans lesquelles l'accès aux réseaux est assuré, il ne lui donne pas, pas plus qu'un autre texte, compétence pour condamner la partie perdante à rembourser les frais de procédure exposés par l'autre partie. Par suite, les demandes d'Eurotunnel et de RTE tendant à cette fin ne peuvent qu'être rejetées,
Décide :
Article 1
Pour la facturation de l'accès au réseau public de transport, RTE doit appliquer à Eurotunnel le tarif défini par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 correspondant à la tension de raccordement HTB 2.Article 2
RTE n'est pas fondé à appliquer la facturation de frais d'exploitation, entretien et renouvellement à la ligne no 3 du raccordement d'Eurotunnel.Article 3
Le surplus des conclusions de RTE et des conclusions d'Eurotunnel est rejeté.Article 4
La présente décision sera notifiée à France-Manche, à The Channel Tunnel Group et à RTE et sera publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 11 septembre 2003.
Pour la commission :
Le président,
J. Syrota