J.O. 193 du 22 août 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 14349

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 28 juillet 2003 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-483 DC


NOR : CSCL0306783X




LOI PORTANT RÉFORME DES RETRAITES


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi portant réforme des retraites.


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I. - Sur l'article 3 de la loi et, par voie de conséquence,

l'ensemble du texte


Cet article pose le principe que les assurés doivent pouvoir bénéficier d'un traitement équitable au regard de la retraite, quelles que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent.

En prescrivant cette règle, le législateur est resté en deçà de sa propre compétence et a méconnu tant l'article 34 de la Constitution que le préambule de la Constitution de 1946. Par voie de conséquence, le principe d'égalité est méconnu.

I-1. Qu'en particulier, le onzième alinéa dudit Préambule dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Il s'en évince que le droit à une retraite par répartition se trouve effectivement relever des principes constitutionnels s'appliquant aux droits sociaux de l'universalité des citoyens. Mais, au-delà de ce principe que l'article 1er de la loi entend rappeler, il importe de considérer que ce droit à la retraite comprend la prise en compte de la pénibilité des tâches que chacun a assumées pendant sa vie de labeur. Le lien fait, dans ce même alinéa, entre la protection du vieux travailleur, le droit à la santé, le repos, l'état physique et mental, et le droit d'obtenir une aide de la collectivité au titre de la solidarité nationale marque, on ne peut plus clairement, l'obligation qu'a le législateur, quand il met en oeuvre ce principe de valeur constitutionnelle, de prendre en compte la pénibilité des tâches assurées par les travailleurs.

Mais la loi présentement critiquée est muette sur ce point.

I-2. Il s'ensuit que les personnes se trouvant, au jour de l'accès à la retraite, dans une situation plus défavorable du fait de la lourdeur de la tâche qu'ils ont accomplie durant leur vie de travail ne bénéficient pas du traitement adapté à la réalité objective et rationnelle de leur existence.

Ainsi, des personnes se trouvant dans des situations différentes sont traitées de manière identique, alors même que le Préambule de 1946, pris en son onzième alinéa, assigne au législateur l'obligation de prendre en compte ces différences objectives de situations.

Le principe d'égalité s'en trouve, paradoxalement, méconnu.

I-3. Ce n'est pas, sur ce point, la session de rattrapage organisée par l'article 12 de la loi, lequel prévoit que les organisations professionnelles et syndicales sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité du travail, qui peut suppléer au devoir qui incombe au législateur.

En tout état de cause, il est certain que l'obligation positive qui s'adresse au législateur en matière de prise en compte de la pénibilité des tâches ne peut être satisfaite par une négociation collective qui, au demeurant, n'interviendra que d'ici à plusieurs années.

Au surplus, il faudrait considérer que les résultats de cette négociation collective ne pourraient lier le Parlement quant à sa compétence pour mettre en oeuvre le onzième alinéa du Préambule de 1946.

Dans ces conditions, en ne prenant pas en compte la pénibilité des tâches comme l'y conduisent pourtant les principes de valeur constitutionnelle qui viennent d'être rappelés, le législateur est resté en deçà de sa compétence. Dès lors, cette loi ne garantit pas le traitement équitable des retraités.

Il s'ensuit que la censure de cet article 3, lequel n'est pas séparable du reste du texte, entraînera nécessairement l'invalidation de l'ensemble de la loi. Il ne pourra en aller autrement dès lors que c'est tout le mécanisme de la loi qui est affecté par l'absence de prise en compte d'un critère constitutionnellement établi.


II. - Sur l'article 5 de la loi


Cet article pris en son § III précise que la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite sont majorées d'un trimestre par année pour atteindre quarante et une annuités en 2012 sauf si, au vu du rapport mentionné au § II du même article , un décret pris après avis, rendus publics, du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites modifie ces échéances.

II-1. Sur la violation de l'article 34 de la Constitution et du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 :

Un tel mécanisme méconnaît l'article 34 de la Constitution et ensemble le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel la Nation garantit, notamment aux vieux travailleurs, la sécurité matérielle, le repos et le loisir.

Qu'en effet, cet article modifiant, in fine, la durée de cotisations pour chaque travailleur et permettant d'allonger encore cette période indispensable pour faire valoir ses droits acquis à la retraite permet au pouvoir réglementaire de procéder à ces éventuelles modifications du régime des retraites.

En sorte que le Parlement est dépossédé de sa propre compétence. A cet égard, et considérant l'importance de ce mécanisme pour les travailleurs, il est certain que la modification de la durée de cotisation par la fixation du nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein étant déterminée par la voie législative ne peut être modifiée que par la même voie procédurale.

(i) Dans ces conditions, l'article 34 qui fixe le pouvoir du Parlement de voter la loi est manifestement violé. Il l'est d'autant plus gravement que la matière dont il s'agit est, ni plus ni moins, celle de la garantie à laquelle chaque travailleur a droit au titre du onzième alinéa du Préambule de 1946. Vous venez, d'ailleurs, de rappeler très récemment qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution et qu'il doit, dans l'exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle (décision no 2003-475 DC du 24 juillet 2003, considérant 20).

S'agissant de la mise en oeuvre d'un principe de valeur constitutionnelle, le législateur devait soit épuiser sa compétence, soit, en tout état de cause, conserver la compétence de modifier le mécanisme ainsi établi.

Or, en l'espèce, le III de l'article 5 offre la possibilité au pouvoir exécutif de modifier, proprio motu, la règle fixée par le législateur. Il ne s'agit en rien d'un décret d'application de la loi, mais de la faculté qu'aurait le pouvoir exécutif de modifier la règle fixée par le législateur (voir rapport no 898, tome I, M. B. Accoyer, pages 106 et 107).

La circonstance que le décret qui pourrait être adopté pour modifier la durée des cotisations le serait sur avis de la Commission de garantie des retraites et du Conseil d'orientation des retraites ne purge pas le vice d'inconstitutionnalité ainsi dénoncé. On pourrait même y déceler une aggravation, si possible, du grief. Il est, à cet égard, pour le moins surprenant qu'une disposition de nature législative puisse être modifiée par le pouvoir réglementaire de sa propre initiative après consultation d'organismes mais au détriment des pouvoirs du Parlement. De surcroît, il importe de s'interroger sur la portée de ces avis. Si ceux-ci, et l'indétermination de l'article sur ce point affermit la critique d'incompétence négative, lient le pouvoir exécutif, il faut alors considérer que le pouvoir du Parlement pour mettre en oeuvre un droit de valeur constitutionnelle est transféré à des organismes administratifs.

Ceci est d'autant moins admissible que l'emploi du décret pour modifier la loi vise l'hypothèse de l'ajustement du mécanisme. Il faut bien avouer que la portée d'une telle disposition est bien mystérieuse. Ce qui ajoute à l'imprécision des termes de la loi.

Autrement dit, c'est un simple décret qui peut contraindre les citoyens à cotiser plus longtemps encore que ce que le législateur a déterminé dans la présente loi. On comprend l'intérêt pour le Gouvernement de s'affranchir d'un nouveau débat sur ce thème au Parlement. On ne peut l'admettre constitutionnellement. On doit le refuser au nom des principes démocratiques.

Ainsi donc, on ne saurait imaginer violation de l'article 34 de la Constitution plus flagrante.

(ii) C'est en vain que l'on tenterait d'exposer que la durée des cotisations relève en tout état de cause de la compétence du pouvoir réglementaire. A supposer, pour les seuls besoins du raisonnement, que cela soit exact, il resterait que le Parlement ayant décidé, souverainement, de légiférer sur ce sujet, comme il le peut (décision no 82-143 DC du 30 juillet 1982), a seul compétence pour y déroger.

La seule hypothèse contraire serait de recourir à la procédure de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution. A défaut de l'utilisation de cette voie singulière, et qui n'est pas d'actualité tant que la loi n'est pas entrée en vigueur, il n'est pas possible au pouvoir exécutif de modifier une disposition législative.

(iii) On ne saurait davantage avancer l'hypothèse téméraire selon laquelle le législateur aurait habilité, à titre extraordinaire, le pouvoir exécutif à prendre une mesure de nature législative.

Ce serait faire échec à la procédure de l'article 38 de la Constitution permettant au Parlement d'habiliter de façon temporaire et précise l'exécutif.

Il est donc certain, et cela ne peut que surprendre même les auteurs de la saisine, que le législateur a commis une incompétence négative flagrante.

II-2. Sur la méconnaissance du principe de clarté de la loi et les objectifs de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de lisibilité de la loi :

La valeur constitutionnelle de ces principes et objectifs a été reconnue à plusieurs reprises (décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999). Si un certain degré de complexité de la loi peut être admis dès lors que les destinataires du texte sont censés posséder un certain degré de connaissance juridique et technique (décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000), il est certain, en revanche, que la loi doit être aisément accessible quand les destinataires forment l'ensemble des citoyens.

Au cas présent, le III de l'article 5 de la loi critiquée rend particulièrement délicate l'information effective et objective des ayants droit dès lors que les conditions d'application de la loi sont susceptibles d'être modifiées par voie décrétale. Il est difficile de connaître les conditions d'application d'une loi susceptible d'être « ajustée » par un texte de rang inférieur dans la hiérarchie des normes.

Les citoyens ne pourront, en réalité, jamais savoir avec certitude le nombre de trimestres de cotisations nécessaires pour s'assurer une liquidation de leurs droits à la retraite avec un taux plein. En effet, il convient de le rappeler, l'échéancier de mise en oeuvre de cette majoration du nombre de trimestres est celui fixé par le III de l'article 5 querellé, « sauf si » un décret intervient, un jour ou l'autre...

La prévisibilité de la loi, la confiance légitime que chaque citoyen doit avoir dans le droit lui étant applicable, la sécurité juridique indispensable dans une société démocratique, sont ici renvoyés à des voeux pieux. La République ne peut s'en satisfaire.

Le souhait exprimé par le Président de la République, lors de son intervention télévisée du 14 juillet 2003, de voir les Françaises et les Français informés de leurs droits à cet égard pourra être difficilement exaucé. Le mieux pour répondre à ce haut désir de clarté de la loi réside donc dans la censure d'un dispositif législatif conditionnel.

II-3. Sur la violation du principe d'égalité :

L'une des conséquences, constitutionnellement inacceptable, de cet article 5 de la loi est d'introduire dans le droit des retraites les éléments d'un traitement différencié de travailleurs se trouvant dans une situation objectivement identique au regard de la loi.

L'allongement de la durée de cotisation par la voie du décret, même pris sur avis de deux commissions spécialisées, conduira à ce que des personnes se trouvant dans la même situation soient traitées différemment au jour de la mise en paiement de leur retraite en raison de l'ajustement qu'aura décidé, in petto, le pouvoir exécutif.

Il paraît peu conforme au principe d'égalité qu'un texte réglementaire puisse modifier les conditions de réalisation d'un droit tel que voulu par le législateur.

De ce chef, encore, la censure est inévitable.


III. - Sur l'article 32 de la loi


Cet article modifie l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale en prévoyant que les femmes assurées sociales bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance d'un trimestre pour toute année durant laquelle elles ont élevé un enfant, dans des conditions fixées par décret, dans la limite de huit trimestres par enfant.

Une telle disposition méconnaît, paradoxalement, le principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Votre jurisprudence est, à cet égard, constante et vous censurez toute discrimination liée à un traitement différent de personnes se trouvant dans des situations objectivement identiques.

En l'espèce, si l'on ne peut que soutenir le principe d'une telle majoration au bénéfice des femmes, il est certain qu'il n'existe aucune raison objective et rationnelle justifiant que les hommes soient exclus du bénéfice d'un tel droit dès lors qu'ils ont élevé également leur enfant.

On se bornera à rappeler, à cet égard, que l'article 371-2 du code civil dispose que « l'autorité appartient au père et à la mère pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation. » Quant à l'article 203 du même code, il prévoit que « les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ».

La mère et le père ont des droits et des devoirs identiques. Assurément, l'égalité entre les femmes et les hommes passe aussi par cette égalité domestique (voir en ce sens, pour une application à la situation des fonctionnaires : CE 29 juillet 2002, Griesmar, requête no 141112, conclusions F. Lamy).

L'inégalité de traitement que pose l'article ici critiqué conduit, implicitement, la femme à se trouver figée dans un rôle qui devrait être partagé également. L'application ainsi partielle de cette bonification risquerait de remettre en cause, de façon insidieuse, la conquête, toujours en cours, de l'égalité entre les femmes et les hommes. Un tel mécanisme conduit à ce que, dans un couple, ce soit la femme qui doive demeurer au domicile pour bénéficier de ce droit. Or, il est pour le moins souhaitable que l'objectif de parité domestique aboutisse à laisser le libre choix, dans chaque foyer, pour une organisation familiale où l'homme et la femme peuvent également se répartir les tâches quotidiennes.

Certes, il serait pour le moins paradoxal que le vice d'inconstitutionnalité dont la présente disposition est entaché conduise à invalider un article faisant bénéficier les femmes d'un tel droit. On n'ose imaginer, à cet égard, que le législateur ait volontairement inscrit dans la loi une telle inégalité pour mieux faire disparaître, en raison de la censure devant intervenir, tout avantage de cette nature avec l'intérêt financier susceptible de s'y attacher.

La question est donc bien de faire bénéficier les hommes du même droit que celui accordé aux femmes, et non d'en priver ces dernières.

C'est pourquoi, considérant que le Conseil constitutionnel n'a pas le pouvoir de transformer un homme en femme, il reste la possibilité d'indiquer au législateur que la conséquence de cette inconstitutionnalité lui fait nécessité de modifier, dans les meilleurs délais, la loi afin de rétablir l'égalité ainsi violée (décision no 2003-468 DC du 3 avril 2003).


IV. - Sur l'article 48 de la loi


Cet article modifie l'article 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dans son 2°, il remplace le b actuel de cet article 12 par une rédaction aux termes de laquelle les fonctionnaires ne pourront bénéficier d'une bonification d'un an pour les enfants nés avant 2004, qu'à la condition d'avoir « interrompu leur activité dans des conditions prévues par décret ».

Cet article est entaché du vice d'incompétence négative (IV-1) et méconnaît le principe d'égalité (IV-2).

IV-1. Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :

Selon l'article 34 de la Constitution, la loi fixe également les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ».

En modifiant le régime d'attribution des bonifications pour charge d'enfant, et en rétablissant en apparence l'égalité entre femmes et hommes comme imposée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et du Conseil d'Etat (CJCE, C366/99, avis, 29 novembre 2001, Griesmar, CE 29 juillet 2002, précité), l'article critiqué est resté en deçà de la compétence réservée au législateur.

En renvoyant, en effet, au décret la détermination des conditions d'interruption d'activité ouvrant droit à cette bonification, le Parlement a méconnu le pouvoir qui lui incombait de préciser les garanties accordées aux fonctionnaires. En particulier, là encore, ce devoir de précision résulte directement du principe constitutionnel applicable en la matière par le Préambule de 1946.

Il s'ensuit un risque de privation de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

Ce d'autant plus que la définition de cette condition d'ouverture du droit à bonification entraînera une rupture caractérisée d'égalité.


IV-2. Sur la violation du principe d'égalité :


Cette violation se mesure d'un triple point de vue.

En premier lieu, le fait de prévoir une nouvelle condition, l'interruption d'activité, afin de pouvoir bénéficier du droit à bonification lié aux enfants à charge, applicable selon que les enfants sont nés avant ou après le 1er janvier 2004 et que le fonctionnaire a vu sa retraite liquidée avant ou après le 28 mai 2003, introduit un traitement différencié entre des personnes se trouvant objectivement dans des situations identiques. La charge que représente l'éducation des enfants est, à cet égard, indifférente à l'interruption effective d'activité. D'autant plus que, comme cela résulte d'une jurisprudence constante, la pension des fonctionnaires constitue un prolongement du traitement pour services faits. Il s'ensuit que des fonctionnaires qui auront eu des enfants pendant la même durée de services seront susceptibles de se voir appliquer des régimes différents quant à leur droit à rémunération différée.

Ainsi, et pour l'exemple, deux fonctionnaires ayant eu deux enfants en 1981 mais dont l'un a vu ses droits à la retraite liquidés avant le 28 mai 2003 et le second après cette même date se verront appliquer deux régimes différents quant aux bonifications. Autrement dit, l'application de la nouvelle condition après la date du 28 mai 2003, à savoir l'interruption d'activité, à des fonctionnaires se trouvant dans des situations objectivement identiques rompt manifestement l'égalité de traitement entre eux. Ce à quoi, il convient d'ajouter que cette condition de portée rétroactive ne trouve pas sa définition dans la loi mais dans un futur texte réglementaire dont on n'ignore la date d'entrée en vigueur.

C'est en vain, en outre, que l'on chercherait une rationalité quelconque à cette date du 28 mai 2003.

En deuxième lieu, et de manière pernicieuse, il s'agit de refermer l'accès de ce droit aux hommes et faire échec, sans le dire, à la jurisprudence communautaire et du juge administratif en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. En posant le principe de l'interruption d'activité, dans des conditions inédites à ce jour, le législateur tente de restreindre l'ouverture de ce droit aux hommes dès lors que, de fait et la plupart du temps, ce sera la femme qui se verra contrainte de demeurer au foyer.

Comme on l'a vu précédemment, les obligations tirées du code civil quant à l'éducation et la garde des enfants s'imposent également aux parents, mariés ou non. En fixant un critère lié à l'interruption d'activité, l'article 48 conduit à réintroduire une inégalité au sein du couple.

Au lieu de favoriser l'égalité domestique, et à l'instar de ce qu'il a fait au travers de l'article 32, le législateur tente, indirectement, de contraindre les femmes à demeurer au foyer.

En dernier lieu, le législateur, en prévoyant que ces nouvelles dispositions sont applicables à compter du 28 mai 2003, a conféré une portée rétroactive à cette disposition.

Certes, les auteurs de la saisine n'ignorent pas que la non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle que dans certains cas, telle la matière pénale. Pour autant, il est acquis qu'au titre d'une certaine idée de la sécurité juridique, vous censurez les dispositions législatives dont la portée rétroactive ne se trouve justifiée par aucun intérêt général suffisant (décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998). On ajoutera que cet intérêt général ne peut se réduire à un simple intérêt financier (décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995) et que la mesure rétroactive ne peut avoir pour effet de priver de garantie légale une exigence de valeur constitutionnelle.

Pourtant, au cas présent, aucun intérêt général, et certainement pas suffisant, ne vient justifier une telle mesure rétroactive. Bien plus. Cette disposition prive d'effet la garantie accordée aux fonctionnaires de bénéficier d'une bonification par enfant à charge.

Cette portée rétroactive est d'autant plus inconstitutionnelle qu'elle aboutit, comme montré précédemment, à traiter, sans aucune justification rationnelle, des fonctionnaires ayant eu leurs enfants, sinon le même jour, la même année.

Que la loi produise ses effets à compter du 1er janvier 2004, pour aussi regrettable que cela puisse être, a le mérite de l'objectivité. En revanche, faire dépendre le régime des bonifications en vertu d'une date de portée rétroactive arrêtée de façon arbitraire ne peut être admis constitutionnellement.

Enfin, cette disposition aura pour conséquence, on n'ose imaginer voulue sciemment, de remettre en cause des situations acquises devant les juridictions en application de la jurisprudence Griesmar (précitée) au titre de laquelle les fonctionnaires hommes bénéficiaient de cette bonification.

De tous ces chefs, la censure est encourue.


V. - Sur les articles 51 et 66 de la loi


Ces articles modifiant les articles L. 13 à L. 17 du code des pensions civiles et militaires ont pour effet de diminuer la rémunération de chaque annuité jusqu'au niveau de 1,875 % par année de service et de bonifications.

Ils méconnaissent le principe d'égalité entre fonctionnaires.

La pension des fonctionnaires est bien une rémunération continuée ou différée pour services faits. Vous avez jugé qu'à l'instar des rémunérations des agents de l'Etat en activité elles constituent une charge par nature de l'Etat, les principes d'unité et d'universalité budgétaires faisant obstacle à ce qu'elles ne soient pas retracées dans la loi de finances, ni financées par des ressources que celle-ci ne détermine pas (décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994). Vous avez, par ailleurs, considéré que la pension a un caractère de prolongement du traitement, les fonctionnaires étant, au regard du régime des pensions, dans la même situation statutaire que face aux droits et obligations attachés à leur fonction durant la période active de leur carrière (décision no 85-200 DC du 16 janvier 1986, considérant 8).

C'est dans le même sens que la Cour de justice des Communautés européennes a statué en considérant qu'elles entrent dans le champ d'application de l'article 119 du traité CE (CJCE 29 novembre 2001 précité ; CJCE 13 décembre 2001, Mouflin, aff. C-206//00).

Celle-ci constitue, en réalité, un traitement différé (voir M. Hauriou, Droit administratif, 1911, 7e édition, page 648). C'est ce que confirme le Conseil d'Etat en considérant que « les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer, ou à assurer à leurs ayants cause, des conditions.

On mesure tous les aléas qui peuvent survenir d'un service à l'autre, pour mille raisons, et qui auront pour conséquence de faire appliquer des réglementations différentes aux fonctionnaires ayant été radiés des cadres à la même date.

Le choix du critère de la liquidation, qui ne correspond à aucun moment ayant date certaine, s'avère de nature à rompre l'égalité de traitement entre les fonctionnaires.

On doit ajouter qu'un tel mécanisme fourbu d'aléas ne peut que méconnaître les principes de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Il est tout simplement impossible, pour les fonctionnaires, de savoir avec certitude les règles qui seront applicables à leur situation si ces dernières sont susceptibles de varier selon des modalités matérielles de mise en oeuvre.

De ces chefs, la censure est encourue.


VI. - Sur l'article 54 de la loi


Cet article prévoit que, pour son application, les règles de liquidation de la pension sont celles en vigueur au moment de la mise en paiement.

Les mêmes griefs doivent être dirigés contre cette disposition.

En retenant un critère d'application de la loi qui peut varier d'un service à l'autre, pour des raisons matérielles, l'article 54 ne peut que conduire à appliquer des règles différentes à des situations objectivement identiques.

La censure est aussi certaine.


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Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir décision no 2003-483 DC.)