LOI DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE POUR 2001
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 7 décembre 2000, par MM. Jean-François Mattei, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy, Mme Nicole Ameline, M. François d'Aubert, Mme Sylvia Bassot, MM. Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Pascal Clément, Bernard Deflesselles, Francis Dhersin, Laurent Dominati, Dominique Dord, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, François Goulard, Pierre Hellier, Philippe Houillon, Aimé Kergueris, Pierre Lequiller, Alain Madelin, Michel Meylan, Paul Patriarche, Bernard Perrut, Jean Proriol, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Guy Teissier, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. Philippe Auberger, Jean Bardet, François Baroin, Michel Bouvard, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, Alain Cousin, Charles Cova, Lucien Degauchy, Jean-Pierre Delalande, Patrick Delnatte, Yves Deniaud, Guy Drut, Christian Estrosi, Jean-Michel Ferrand, François Fillon, Michel Hunault, Christian Jacob, Robert Lamy, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Thierry Mariani, Alain Marleix, Patrice Martin-Lalande, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Jean-Claude Mignon, Pierre Morange, Renaud Muselier, Jacques Myard, Patrick Ollier, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, André Schneider, Bernard Schreiner, Michel Terrot, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Dominique Baudis, Claude Birraux, Emile Blessig, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Loïc Bouvard, Yves Bur, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Marc-Philippe Daubresse, Francis Delattre, Léonce Deprez, Renaud Dutreil, Jean-Pierre Foucher, Germain Gengenwin, Hubert Grimault, Patrick Herr, Francis Hillmeyer, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM. Jean-Jacques Jégou, François Léotard, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Bigot, Christian Martin, Pierre Menjucq, Pierre Micaux, Jean-Marie Morisset, Arthur Paecht, Dominique Paillé, Jean-Luc Préel, Marc Reymann, François Rochebloine, Rudy Salles, François Sauvadet, députés, et le 7 décembre par MM. Jean Arthuis, Jacques Baudot, Michel Bécot, Jean Bernadaux, Maurice Blin, Mme Annick Bocandé, MM. André Bohl, Jean-Guy Branger, Jean-Pierre Cantegrit, Marcel Deneux, Gérard Dériot, André Dulait, Serge Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Henri Le Breton, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Jacques Machet, André Maman, Louis Moinard, Philippe Nogrix, Michel Souplet, Xavier de Villepin, Jean Bernard, Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun, Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Gérard César, Jean Chérioux, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Jean-Paul Delevoye, Charles Descours, Michel Doublet, Michel Esneu, Hilaire Flandre, Bernard Fournier, Philippe François, Yann Gaillard, Alain Gérard, Francis Giraud, Alain Gournac, Georges Gruillot, Alain Hethener, André Jourdain, Dominique Leclerc, Max Marest, Pierre Martin, Paul Masson, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Josselin de Rohan, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Jacques Valade, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon, Guy Vissac, Nicolas About, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, James Bordas, Jean Boyer, Louis Boyer, Jean-Claude Carle, Marcel-Pierre Cleach, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, Jacques Dominati, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Jean-Paul Emin, Jean-Paul Emorine, Hubert Falco, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Louis Grillot, Mme Anne Heinis, MM. Jean-François Humbert, Jean-Philippe Lachenaud, Roland du Luart, Serge Mathieu, Philippe Nachbar, Michel Pelchat, Bernard Plasait, Guy Poirieux, Jean Puech, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, François Trucy, Jacques Bimbenet, Paul Girod, Lylian Payet, André Vallet, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi organique no 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;
Vu la loi no 97-277 du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite ;
Vu la loi no 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000 ;
Vu la loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des douanes ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 13 décembre 2000 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les auteurs des saisines demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ; que les députés requérants mettent en cause la conformité à la Constitution, en tout ou partie, de ses articles 3, 4, 9, 21, 24, 44, 49, 50, 53 et 55 ; que les sénateurs requérants contestent pour leur part les articles 3, 4, 7, 14, 16, 18, 21, 24, 29, 44, 45, 49, 50 et 53 de la loi ;
Sur le grief tiré de la violation de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi :
Considérant que, selon les sénateurs auteurs de la saisine, la loi de financement pour 2001 mettrait en place « un certain nombre de circuits financiers de transferts de dépenses et de recettes au sein même des branches de la sécurité sociale et des fonds concourant à son financement, mais également entre ces branches et fonds, d'une part, et le budget général, d'autre part » ; que la mise en place de ces mécanismes porterait atteinte, par sa complexité, à l'objectif de valeur constitutionnelle ci-dessus mentionné ;
Considérant que, si la loi déférée accroît encore la complexité des circuits financiers entre les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et les organismes créés pour concourir à leur financement, elle énonce de façon précise les nouvelles règles de financement qu'elle instaure ; qu'en particulier, elle détermine les nouvelles recettes de chaque organisme et fixe les clés de répartition du produit des impositions affectées ; qu'en outre, les transferts entre les différents fonds spécialisés et les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale sont précisément définis ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le surcroît de complexité introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à la rendre contraire à la Constitution ;
Sur l'article 3 :
Considérant qu'en vertu de l'article 3 de la loi déférée, la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité définis au I de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale est réduite lorsque le total de ces revenus est inférieur à un plafond fixé à 169 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance majoré de 40 % ;
Considérant que les auteurs des deux saisines estiment la réduction prévue par l'article 3 contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Considérant que la contribution en cause entre dans la catégorie des « impositions de toutes natures » mentionnées à l'article 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement sous réserve de respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle ; qu'il lui revient notamment de prendre en compte les capacités contributives des redevables compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ;
Considérant que, s'il est loisible au législateur de modifier l'assiette de la contribution sociale généralisée afin d'alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c'est à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l'égalité entre ces contribuables ; que la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l'ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration de 1789 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doivent être déclarés contraires à la Constitution l'article 3 de la loi déférée, ainsi que les articles 2 et 7 qui en sont inséparables ;
Sur l'article 9 :
Considérant que l'article 9 simplifie le mode de fixation de l'assiette des cotisations sociales des exploitants agricoles en permettant aux intéressés d'opter entre deux périodes de référence : l'année précédente ou les trois années précédentes ; que la rupture d'égalité dénoncée par les députés requérants résiderait dans la disparition de l'option ouverte aux adhérents au régime réel d'imposition en faveur de l'année en cours ;
Considérant que la conséquence dénoncée de la mesure de simplification décidée par le législateur, de caractère provisoire et inhérente à la simplification, ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques ; que ne porte pas davantage atteinte à ce principe la circonstance que la même année pourrait, au cours de la période transitoire, servir d'assiette aux cotisations prélevées au cours de deux années consécutives ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doit être rejeté le grief tiré de ce que l'article 9 romprait l'égalité devant les charges publiques ;
Sur l'article 18 :
Considérant que l'article 18 de la loi déférée fixe, pour 2001, les montants des « prévisions de recettes, par catégorie, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement » ;
Considérant que les sénateurs requérants estiment que cet article « n'est pas conforme à la sincérité qui permettrait au Parlement de déterminer, conformément à l'article 34 de la Constitution, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour 2001 » ; qu'ils font valoir à cet égard, s'agissant du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale dont une partie des recettes est constituée par la taxe générale sur les activités polluantes visée aux articles 266 sexies à 266 terdecies du code des douanes, qu'« aucun élément ne permet de fonder une prévision de recettes évaluée à 7 milliards de francs au titre de cette taxe ni a fortiori une prévision d'équilibre de ce fonds » ; que la modification de la taxe générale sur les activités polluantes est envisagée par le seul projet de loi de finances rectificative pour 2000, actuellement en discussion au Parlement, alors qu'elle « aurait dû figurer en loi de financement de telle sorte qu'il soit possible de coordonner l'impact de cet aménagement avec l'article 18 de la loi déférée » ;
Considérant, en premier lieu, que les prévisions de recettes par catégorie doivent figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale en application du 2o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ; qu'il appartient au législateur, pour arrêter le montant desdites prévisions, de prendre en compte l'ensemble des données, notamment d'ordre fiscal, ayant une incidence sur le montant des recettes des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ; que c'est au demeurant compte tenu de ces « prévisions de recettes » que le législateur est appelé par l'article 34 de la Constitution à fixer les objectifs de dépenses ;
Considérant, en deuxième lieu, que le législateur n'était pas tenu de déterminer dans la loi déférée elle-même le nouveau régime de la taxe générale sur les activités polluantes, nonobstant la circonstance que le produit de cette taxe alimente le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ;
Considérant, en troisième lieu, que le législateur a pu légitimement fixer le montant des prévisions de recettes du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale à 7 milliards de francs, compte tenu de la modification de l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes prévue par le projet de loi de finances rectificative pour 2000 en cours de discussion au Parlement ; que, toutefois, dans l'hypothèse où la promulgation de cette loi conduirait à une baisse significative du rendement attendu de la taxe et aurait pour effet de diminuer corrélativement les recettes du fonds prévues lors de l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, il appartiendrait à une loi de financement de la sécurité sociale ultérieure de prendre en compte les incidences sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale des mesures en définitive arrêtées par la loi de finances rectificative pour 2000 ;
Considérant que, sous cette réserve, les griefs formulés à l'encontre de l'article 18 de la loi déférée doivent être rejetés ;
Sur l'article 21 :
Considérant que l'article 21 de la loi déférée modifie, en son I, l'article L. 223-1 du code de la sécurité sociale relatif aux attributions de la Caisse nationale des allocations familiales et, en son II, l'article L. 135-3 du même code relatif aux recettes du fonds de solidarité vieillesse ; que ces dispositions ont pour objet de faire prendre en charge par la Caisse nationale des allocations familiales le coût global des majorations de pensions pour enfants mentionnées au a du 3o et au 6o de l'article L. 135-2 du même code ; que ce coût global était supporté, en l'état de la législation, par le fonds de solidarité vieillesse ; qu'aux termes du III de l'article 21 : « Pour l'année 2001, la Caisse nationale des allocations familiales verse au fonds de solidarité vieillesse un montant égal à 15 % des sommes visées au présent article » ;
Considérant que les députés requérants soutiennent que « la mise à la charge de la branche famille des majorations familiales des pensions de vieillesse du régime général porte atteinte à l'universalité des prestations familiales et à l'égalité des citoyens devant les charges publiques » ; qu'ils font valoir à cet égard que le système ainsi instauré conduit à faire « financer par certains cotisants des avantages dont ils sont privés » ;
Considérant que, pour leur part, les sénateurs requérants estiment qu'« en grevant les moyens de la branche famille d'une charge qui lui est étrangère, l'article 21 méconnaît l'exigence constitutionnelle résultant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 » ;
Considérant, en outre, que, selon les deux saisines, l'article 21 porterait atteinte au principe de « l'autonomie organique et financière » des branches de la sécurité sociale, principe qui découlerait, pour les députés, du 3o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, et qui serait, selon les sénateurs, « un principe fondamental reconnu par la législation républicaine » ;
Considérant, en premier lieu, que, en raison de la solidarité mise en oeuvre tant au sein de chaque régime de base qu'entre régimes de base différents par les transferts et compensations entre régimes, le fait, pour certains cotisants, de contribuer au financement de prestations familiales sans bénéficier corrélativement desdites prestations n'est pas contraire par lui-même au principe d'égalité ;
Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions critiquées ne modifient pas la nature de prestation vieillesse des majorations de pensions pour enfants ; que les règles d'ouverture des droits et de leur liquidation restent en effet inchangées ; qu'ainsi qu'il a été dit, l'article 21 de la loi déférée se borne à transférer la charge financière globale des majorations de pensions pour enfants du fonds de solidarité vieillesse à la Caisse nationale des allocations familiales ;
Considérant, en troisième lieu, que ces majorations ont pour effet, sous certaines conditions, d'augmenter la pension de tout assuré du régime général ou des régimes alignés si cet assuré a eu ou a élevé au moins trois enfants ; que ces majorations s'analysent comme un avantage familial différé qui vise à compenser, au moment de la retraite, les conséquences financières des charges de famille ; que les exigences constitutionnelles découlant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ne sont donc pas méconnues par le transfert de charge contesté ; que, pour le même motif, le prélèvement prévu par l'article 21 ne méconnaît pas le principe d'égalité au détriment de la Caisse nationale des allocations familiales ;
Considérant, enfin, que manque en fait le grief tiré d'une atteinte à un « principe de l'autonomie des branches de la sécurité sociale » ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs relatifs à l'article 21 de la loi déférée doivent être rejetés ;
Sur l'article 49 :
Considérant que l'article 49 modifie l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale relatif à la contribution applicable à la progression du chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques qui n'ont pas passé convention avec le comité économique des produits de santé ; que le I fixe à 3 % le taux de progression du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises redevables retenu, au titre de l'année 2001, comme fait générateur de cette contribution ; que le II modifie les règles de calcul de ladite contribution ; qu'en particulier, au cas où le taux d'accroissement du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises redevables serait supérieur à 4 %, le taux de la contribution globale applicable à cette tranche de dépassement serait fixé à 70 % ;
Considérant que, selon les requérants, cette disposition méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques à un triple point de vue ; qu'ils soutiennent, en premier lieu, que le taux de 3 % retenu par la loi, qui est « totalement indépendant de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie », n'est fondé sur aucun élément objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi ; qu'en deuxième lieu, le taux de contribution de 70 % serait « manifestement confiscatoire » ; qu'enfin, le dispositif retenu par le législateur entraînerait une rupture de l'égalité devant les charges publiques entre les entreprises redevables et les entreprises exonérées ;
Considérant qu'il est également fait grief au taux d'imposition ainsi fixé de porter atteinte à la liberté contractuelle de l'ensemble des entreprises concernées, « le choix de l'option conventionnelle n'étant plus libre mais forcé devant la menace constituée par la contribution » ;
Considérant qu'il appartient au législateur, lorsqu'il institue une imposition, d'en déterminer librement l'assiette et le taux, sous réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de l'imposition en cause ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ;
Considérant, en premier lieu, que la disposition contestée se borne à porter de 2 % à 3 % le taux de progression du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises redevables, au-delà duquel est due la contribution prévue à l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale ; que le choix d'un tel taux satisfait à l'exigence d'objectivité et de rationalité au regard du double objectif de contribution des entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques au financement de l'assurance maladie et de modération des dépenses de médicaments que s'est assigné le législateur ; qu'eu égard à ces finalités, il était loisible à celui-ci de choisir un seuil de déclenchement de la contribution différent du taux de progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie ;
Considérant, en deuxième lieu, que c'est à la tranche du chiffre d'affaires global dépassant de 4 % le chiffre d'affaires de l'année antérieure et non à la totalité du chiffre d'affaires de l'année à venir que s'applique le taux de 70 % prévu par l'article 49 ; qu'au demeurant, en application du cinquième alinéa de l'article L. 138-12 du code de la sécurité sociale, le montant de la contribution en cause ne saurait excéder, pour chaque entreprise assujettie, 10 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au titre des médicaments remboursables ; que le prélèvement critiqué n'a donc pas de caractère confiscatoire ;
Considérant, en troisième lieu, que les entreprises qui se sont contractuellement engagées dans une politique de modération des prix de vente des médicaments remboursables qu'elles exploitent se trouvent dans une situation particulière justifiant qu'elles ne soient pas assujetties à la contribution contestée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doit être rejeté le grief tiré d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant, par ailleurs, que, s'il est vrai que le dispositif institué par le législateur a notamment pour finalité d'inciter les entreprises pharmaceutiques à conclure avec le comité économique des produits de santé, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, des conventions relatives à un ou plusieurs médicaments, visant à la modération de l'évolution du prix de ces médicaments et à la maîtrise du coût de leur promotion, une telle incitation, inspirée par des motifs d'intérêt général, n'apporte pas à la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen une atteinte contraire à la Constitution ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les griefs dirigés contre l'article 49 doivent être rejetés ;
Sur l'article 50 :
Considérant que l'article 50, qui modifie l'article L. 138-2 du code de la sécurité sociale, augmente de 0,45 point le taux de la contribution due, en vertu de l'article L. 138-1 du même code, par les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques, ainsi que par les entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités lorsqu'elles vendent en gros des médicaments ou spécialités remboursables ; qu'il est précisé que « les dispositions du présent article s'appliquent au chiffre d'affaires réalisé à compter du 1er octobre 2000 » ;
Considérant que cet article est contesté par les députés et sénateurs requérants en tant qu'il comporterait un effet rétroactif, sans qu'aucun motif d'intérêt général n'ait été avancé pour le justifier « si ce n'est des recettes fiscales plus importantes » ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 138-4 du code de la sécurité sociale que la contribution en cause est « assise sur le chiffre d'affaires réalisé au cours de chaque trimestre civil » ; qu'ainsi, manque en fait le grief tiré du caractère rétroactif de la disposition contestée ;
Sur l'article 53 :
Considérant que l'article 53 crée un « fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante », établissement public national ayant pour mission de réparer les dommages subis par « les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante » et par « les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République » ; que ce fonds a également pour mission de réparer les préjudices subis par les ayants droit des victimes ainsi définies ; qu'en vertu du IV de l'article 53, le fonds dispose d'un délai de six mois à compter de la réception de la demande pour présenter au demandeur une offre d'indemnisation ; qu'aux termes du dernier alinéa du V : « L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante » ; qu'aux termes du V du même article : « Le demandeur ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du IV ou s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur » ;
Considérant que les requérants font grief à ces dispositions de porter « une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif » qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que, selon eux, « en cas d'acceptation de l'offre du fonds, la restriction en matière de droit d'accès aux tribunaux de droit commun apparaît excessive par rapport à l'objectif recherché à travers la création du fonds » ; qu'ils soutiennent en outre que la voie de recours instituée par le V du même article « ne présente pas les mêmes garanties et les mêmes caractéristiques que les procédures d'indemnisation traditionnelles » ; qu'enfin, en contestant une offre du fonds devant le juge d'appel, le requérant s'exposerait, selon les députés requérants, « à se voir fermer automatiquement toutes les voies de recours ultérieures » ;
Considérant qu'il résulte de l'article 53 de la loi déférée que le législateur a entendu garantir aux victimes « la réparation intégrale de leurs préjudices » tout en instituant une procédure d'indemnisation simple et rapide ; que la personne qui a choisi de présenter une demande d'indemnisation devant le fonds a la possibilité d'introduire un recours devant la cour d'appel si sa demande a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans un délai de six mois ou encore si elle a rejeté l'offre qui lui a été faite ; qu'en toute hypothèse, la décision de la cour d'appel pourra faire l'objet d'un pourvoi en cassation ; que les dispositions du dernier alinéa du IV de l'article 53, relatives au désistement et à l'irrecevabilité des actions en réparation, s'entendent compte tenu de celles de son deuxième alinéa ; que les actions juridictionnelles de droit commun demeurent ouvertes, aux fins de réparation, aux personnes qui ne saisissent pas le fonds ; qu'enfin, la victime conserve la possibilité de saisir la juridiction pénale ; qu'ainsi, les dispositions contestées, qui trouvent leur justification dans la volonté de simplifier les procédures contentieuses, d'éviter qu'un même élément de préjudice ne soit deux fois indemnisé et d'énoncer clairement les droits des victimes, ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Sur l'article 55 :
Considérant que l'article 55 fixe à 693,3 milliards de francs pour l'année 2001 l'objectif national de dépenses d'assurance maladie de l'ensemble des régimes obligatoires de base ; que, selon les sénateurs requérants, cette évaluation serait dépourvue de tout caractère objectif et rationnel ; que serait dès lors remis en cause le fondement constitutionnel du dispositif de régulation des dépenses de soins de ville institué par le XII de l'article 24 de la loi du 29 décembre 1999 susvisée, portant loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ;
Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires que l'objectif dont la sincérité est contestée a été déterminé en tenant compte à la fois des dépenses réelles observées en 2000 et de la progression de ces dépenses attendue pour l'année 2001 ; qu'une telle estimation n'étant entachée d'aucune erreur manifeste, le grief doit être rejeté ;
Sur les dispositions ne pouvant figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale :
Considérant que les députés auteurs de la première saisine font grief aux dispositions des articles 4, 24 et 44 d'être étrangères au domaine des lois de financement de la sécurité sociale ; que, pour leur part, les sénateurs auteurs de la seconde saisine considèrent qu'en tout ou partie les dispositions des articles 4, 14, 16, 24, 29, 44 et 45 ne peuvent y figurer ;
Considérant qu'aux termes du dix-neuvième alinéa de l'article 34 de la Constitution : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » ;
Considérant que le I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1996 susvisée, qui constitue la loi organique prévue par l'article 34 de la Constitution, dispose :
« I. - Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« 1o Approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;
« 2o Prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ;
« 3o Fixe, par branche, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ;
« 4o Fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ;
« 5o Fixe, pour chacun des régimes obligatoires de base visés au 3o ou des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement qui peuvent légalement recourir à des ressources non permanentes, les limites dans lesquelles ses besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources » ;
Considérant que le III du même article prévoit en son premier alinéa : « Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale » ;
Considérant que l'article 4 modifie l'assiette de la contribution pour le remboursement de la dette sociale pour en exonérer certains retraités et pensionnés ; que le produit de cette contribution est intégralement affecté à la caisse d'amortissement de la dette sociale, qui n'est pas un organisme créé pour concourir au financement des régimes obligatoires de base ; qu'en outre, la modification de ses règles d'assiette est dépourvue d'effets financiers directs sur l'équilibre de ces régimes ;
Considérant que l'article 24, qui abroge la loi susvisée du 25 mars 1997, n'a pas d'incidence sur l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale en 2001 ;
Considérant que l'article 29 met à la charge du fonds de solidarité vieillesse visé à l'article L. 135-1 du code de la sécurité sociale la validation, par des organismes de retraite complémentaire, de périodes de chômage et de préretraite indemnisées par l'Etat ; que les organismes bénéficiaires des versements résultant de cette disposition ne sont pas des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ; que, dès lors, l'article contesté n'affecte pas directement l'équilibre financier de ces derniers ;
Considérant que l'article 39 précise des modalités de fonctionnement de l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation ; que l'article 45 modifie le statut et les règles de financement des appartements de coordination thérapeutique et des centres de cure ambulatoire en alcoologie ; que l'article 46 autorise la publicité des médicaments par anticipation sur leur radiation de la liste des spécialités remboursables ; qu'aucune de ces diverses dispositions ne concourt de façon significative à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base en 2001 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les articles 4, 24, 29, 39, 45 et 46 de la loi déférée, dont aucun n'améliore le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, doivent être déclarés non conformes à la Constitution comme étrangers au domaine des lois de financement de la sécurité sociale ;
Considérant, en revanche, que le IX de l'article 16 rend applicable dès le 1er janvier 2000 l'affectation des droits sur les boissons, désormais prévue par le IV du même article , au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ; que ces droits étaient portés en recettes du fonds de solidarité vieillesse par l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ; que, pour contester la nouvelle affectation, les sénateurs requérants font valoir qu'une mesure touchant à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base en 2000 n'aurait pas sa place dans la loi déférée ;
Considérant que ni le II de l'article LO 111-3, aux termes duquel : « Seules les lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1o à 5o du I », ni aucune autre disposition ne fait obstacle à la modification de l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 par l'article 16 de la loi déférée ; que doivent en conséquence être rejetés les griefs tirés de la non-conformité de l'article 16 à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ;
Considérant que l'équilibre financier des régimes de base en 2001 est affecté significativement par les dispositions de l'article 14 qui étend à de nouvelles catégories de salariés le bénéfice des allégements de cotisations patronales de sécurité sociale prévus par la loi susvisée du 19 janvier 2000 ; que l'article 44, qui permet aux professionnels de santé, aux établissements de santé, ainsi qu'aux centres de santé ne disposant pas d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale, de transmettre des prélèvements aux fins d'analyse, a également une incidence significative sur l'équilibre de la branche maladie ; que, par suite, les articles 14 et 44 sont au nombre de ceux qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale ;
Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
Art. 1er. - Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 2, 3, 4, 7, 24, 29, 39, 45 et 46 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 décembre 2000, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mmes Monique Pelletier et Simone Veil.