J.O. Numéro 299 du 26 Décembre 2001       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 20588

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 6 décembre 2001 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision 2001-453 DC


NOR : CSCL0105243X



LOI DE FINANCEMENT
DE LA SECURITE SOCIALE POUR 2002

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, adoptée à l'Assemblée nationale le 4 décembre 2001.
Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.

1. Sur le domaine des lois de financement

Trois articles de la loi qui est déférée ne peuvent manifestement pas être rattachés d'une quelconque manière que ce soit au domaine des lois de financement.
Celui-ci est précisément défini par l'article 34, alinéa 4, de la Constitution au terme duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
L'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale précise également le contenu des lois de financement dans son I, et dispose, dans le III, « qu'outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
Au regard de ce domaine constitutionnellement défini, il apparaît que plusieurs articles de la loi qui est déférée ne sont pas de ceux qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. Ils ne concernent en effet ni les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, ni les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.
L'article 31 vise à mettre en oeuvre la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière. Pour ce faire, il modifie l'ordonnance no 82-272 du 26 mars 1982 relative à la durée hebdomadaire du travail dans la fonction publique hospitalière. S'il est évident que la réduction du temps de travail à l'hôpital et la création de 45 000 emplois en trois ans annoncée par le Gouvernement aura une incidence financière sur les comptes de la sécurité sociale, en revanche l'article 31 qui modifie une ordonnance n'a pas en soit d'incidence directe sur les comptes de la sécurité sociale.
Or, à plusieurs reprises, le juge constitutionnel a censuré des cavaliers sociaux, notamment dans sa décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, qui a jugé non conformes à la Constitution 6 articles pour ce motif, rappelant à cette occasion que les dispositions doivent avoir « une incidence directe, immédiate et significative sur l'équilibre des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ». En l'espèce, ce n'est pas le cas de l'article 31 qui constitue donc un cavalier social.
Deux autres articles sont également concernés.
L'article 73 de la loi de financement dont l'objectif selon l'exposé des motifs est de simplifier les relations entre les usagers et les organismes de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, notamment par le développement des déclarations sociales et du paiement des cotisations par voie électronique.
L'article 75, résultant de l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale d'un amendement du Gouvernement, réforme les modalités de fonctionnement des caisses de sécurité sociale (UCANSS) qui assurent la gestion du personnel de la sécurité sociale.
L'objet même de ces deux articles ne relève pas d'une loi de financement de la sécurité sociale puisqu'ils n'ont pas d'incidence sur l'équilibre financier des régimes de base et ne constituent pas non plus une amélioration du contrôle du Parlement sur la gestion des comptes.
Les lois de financement de la sécurité sociale ne sauraient devenir des lois fourre-tout, dénaturant ainsi la volonté exprimée par le constituant, au mépris de la jurisprudence du juge constitutionnel.
Pour ces raisons, les articles 31, 73 et 75 de la présente loi de financement doivent être déclarés non conformes à la Constitution.

2. Sur la sincérité des prévisions
et de la loi de financement

L'article 16 présente, par catégorie, les ressources prévisionnelles pour 2002 de l'ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des organismes créés pour concourir à leur financement.
L'article 69 présente par catégorie les dépenses prévisionnelles.
L'article 71 fixe l'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2002.
Or, la sincérité des prévisions inscrites à ces articles , et plus généralement de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, s'avère douteuse. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2002 est fondé sur des hypothèses de croissance et donc de ressources qui apparaissent clairement irréalistes au regard de la situation économique et sociale actuelle. Il en résulte une inadéquation entre les prévisions de dépenses et les prévisions de recettes qui lui sont affectées.
Le Gouvernement se fonde sur une hypothèse de croissance du PIB de 2,5 %. Avant même les attentats du 11 septembre dernier et le nouveau climat d'incertitude qu'ils font peser sur l'économie mondiale, le taux de croissance moyen du PIB pour 2002, tel qu'il était évalué par la moyenne des instituts indépendants se situait à + 2,1 %. Depuis, le Fonds monétaire international a sensiblement corrigé à la baisse ces estimations et envisage une croissance en France pour 2002 de + 1,6 %.
Dans ce contexte, on peut également s'interroger sur le réalisme de la prévision de croissance de la masse salariale du secteur privé évaluée à 5 % par le Gouvernement. Sachant que l'évolution de la masse salariale réagit en règle générale avec un retard de six à huit mois par rapport à la conjoncture, ce délai correspondant au temps nécessaire pour les chefs d'entreprise pour prendre conscience du nouveau climat des affaires et ajuster leur politique d'embauche en conséquence.
Compte tenu de la dégradation continue pendant cinq mois consécutifs du marché du travail, on ne peut donc qu'être extrêmement dubitatif quant à la probabilité d'une croissance de + 5 % de la masse salariale du secteur privé en 2002. Or, l'on sait qu'un point de masse salariale représente 11 milliards de francs de recettes pour le seul régime général.
Dans le même temps, les dépenses sont sous-estimées. S'agissant de l'assurance maladie, le projet de loi prévoit une croissance des dépenses (ONDAM) de 3,9 % par rapport aux dépenses réalisées en 2001. Or, selon les propos du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de 2001 « l'hypothèse retenue en matière de dépenses d'assurances maladie est particulièrement ambitieuse. L'objectif de 3,9 % fixé pour 2002, qui inclut le financement de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux, correspond à un objectif inférieur pour les autres dépenses. Sa réalisation supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années, supérieure à 5 %. On rappelle que les objectifs fixés pour 2000 et 2001 ont été dépassés d'environ 2,5 milliards d'euros, soit 16 à 17 milliards de francs. »
L'irréalisme des prévisions économiques et de l'hypothèse de croissance de l'ONDAM conduit à mettre en doute la sincérité des comptes soumis à l'examen des parlementaires.
Dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur la loi de finances, le juge constitutionnel a précisé dans la décision no 2000-448 DC que « leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » en ajoutant que « la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminée par la loi de finances ».
Cette exigence de sincérité, ainsi constitutionnellement garantie, trouve à l'évidence matière à s'appliquer dans le domaine des lois de financement de la sécurité sociale, compte tenu de leur nature juridique comme de leurs conséquences économiques qui les rapprochent des lois de finances.
En l'espèce, la présente loi de financement ne répond pas à cette exigence constitutionnelle de sincérité, en ne tenant clairement pas compte dans ses prévisions des informations disponibles.
De ce fait, c'est l'objectif même de la réforme des méthodes d'examen et d'adoption des dispositions relatives au financement de la sécurité sociale (permettre une maîtrise des dépenses tout en garantissant la sincérité et la lisibilité de l'engagement social de la nation et l'effectivité du contrôle du Parlement) qui est remis en cause.
Pour toutes ces raisons, les articles 16, 69 et 71 de la présente loi de financement doivent être déclarés non conformes à la Constitution.

3. Sur le principe de l'intelligibilité de la loi
et de la sécurité juridique

La présente loi de financement met en place un certain nombre de circuits financiers de transferts de dépenses et de recettes au sein même des branches de la sécurité sociale et des fonds concourant à son financement, mais également entre ces branches et fonds d'une part et le budget général de l'Etat d'autre part.
La Cour des comptes a ainsi souligné cette complexité dans son rapport relatif à la sécurité sociale de septembre 2001 : « Les flux de financement croisés, les dettes à recouvrer qui en résultent, les règles hétérogènes de facturation des services rendus par l'Etat à la sécurité sociale et par la sécurité sociale à l'Etat, l'existence de fonds à vocations très disparates, multiples, financés de façon diverse et variable d'une année sur l'autre, l'existence de structures à part, qui ne sont ni dans l'Etat ni dans la sécurité sociale, mais qui jouent un grand rôle comme la CADES, tout tend à rendre la situation incompréhensible... »
Dans sa décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999, le juge constitutionnel a consacré le principe de la lisibilité et de l'intelligibilité de la loi en rappelant que celle-ci relève de la sécurité juridique. A cette occasion, il est rappelé que ce principe qui exige la clarté dans l'expression démocratique l'exige aussi dans la rédaction de la loi et la détermination des principes qu'elle entend poser.
S'agissant des lois de financement et des montages financiers, la décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000 a considéré que la complexité des circuits de financements ne constituait pas en soi un motif d'inconstitutionnalité, à partir du moment où les nouvelles règles de financement étaient définies avec une précision suffisante.
En l'occurrence, la transparence et la lisibilité des comptes ne sauraient être atteints que s'il était possible de définir la nature des recettes affectées notamment aux fonds et d'assurer leur stabilité dans le temps.
Or tel n'est pas le cas du fonds de réserve des retraites dont une partie du financement est retracée dans l'article 67 de la présente loi de financement.
En l'occurrence, l'article 67 modifie la répartition du prélèvement social de 2 % assis sur les revenus financiers : la part de ce prélèvement affecté au fonds de réserve passe à 65 % (au lieu de 50 %) tandis que celle affectée à la CNAVTS passe de 30 à 15 %, le reste étant affecté au fonds de solidarité vieillesse.
Or, la nature et la pérennité des ressources alimentant le fonds de réserve des retraites est douteuse. En effet, l'annonce mardi 16 octobre de la réduction drastique du prix de vente des licences UMTS (divisé par 8, passant de 32,5 milliards de francs à 4 milliards) a fortement compromis l'équilibre du fonds de réserve qui était censé bénéficier en 2002 de la totalité du produit de ces recettes.
Pour combler ce manque à gagner, le Gouvernement a annoncé que cette perte de ressources serait « compensée par le versement de recettes de privatisation », en l'occurrence celle des autoroutes du sud de la France, inscrite dans la loi de finances.
Mais la capacité du fonds de réserve des retraites à bénéficier de cette ressource paraît également douteuse dans la mesure où dans le même temps le Gouvernement a annoncé qu'une partie des recettes (prévisionnelles) tirées de la privatisation des autoroutes du Sud de la France allait être affectée au développement du ferroutage.
Dans ces conditions, l'alimentation même du fonds de réserve des retraites paraît fragilisée et pose la question de la crédibilité même de l'article 67 de la loi de financement.
Il apparaît dès lors que l'article 67 ne satisfait pas à l'exigence constitutionnelle défini par la décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000. Pour cette raison, il doit être déclaré non conforme à la Constitution.

4. Sur la réouverture des comptes 2000
de la sécurité sociale

L'article 12 du présent projet de loi procède à divers aménagements du régime juridique et comptable du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) en vue de son fonctionnement effectif.
Le I de cet article dispose que les recettes fiscales encaissées au titre du FOREC par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à compter du 1er janvier 2001 sont transférées au fonds et comptabilisées par cet établissement public sur l'exercice 2001.
Le II de l'article donne une base légale à la répartition des recettes comptabilisées par l'ACOSS au titre du FOREC pour l'année 2000. Il régularise la répartition ainsi effectuée, au prorata des exonérations de cotisations à la charge des régimes concernés, et dans la limite des ressources comptabilisées au titre du FOREC en 2000, soit 59 milliards de francs.
Toutefois, les recettes ne couvrent pas l'intégralité des exonérations de cotisations qui sont à la charge du FOREC, soit un déficit de 16,1 milliards de francs qui représente une dette du FOREC à l'égard des régimes de sécurité sociale.
Ce déficit est contraire aux dispositions de l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 qui prévoit l'équilibre financier du FOREC, ou, à défaut, la mise en jeu de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale qui dispose que « toute exonération de cotisations sociales donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat durant toute la durée de son application ».
Or, au mépris de ces règles, le Gouvernement a décidé d'annuler la dette du FOREC et d'autre part impute la perte correspondante des régimes de sécurité sociale sur leurs comptes de l'exercice 2000, ceux-ci étant « modifiés pour tenir compte de cette annulation ».
Ce faisant, le Gouvernement procède à une modification des comptes 2000 des régimes de sécurité sociale alors que ceux-ci sont clos et ont été approuvés par les autorités de tutelle.
Le premier président de la Cour des comptes dans une note du 7 novembre 2001 a vivement critiqué cette disposition, estimant que « les écritures comptables visant à annuler la créance inscrite dans les comptes 2000 des régimes de sécurité sociale au titre des montants d'allégements de charges non compensées par les réaffectations de recettes reçues par le FOREC devraient être passées en 2001, sans modification des comptes adoptés par les conseils d'administration de l'ACOSS et des caisses nationales ».
Cette modification soulève un certain nombre d'interrogations au regard de sa compatibilité avec plusieurs exigences constitutionnelles.
D'une part, le choix de la modification rétroactive d'un exercice clos est contraire à toutes les règles comptables et ne doit pas constituer un précédent.
Dans sa décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a strictement encadré la notion de rétroactivité à propos des dispositions fiscales en rappelant qu'elles ne sont autorisées « qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».
En l'espèce, la réouverture des comptes 2000 de la sécurité sociale ne paraît pas relever d'un motif d'intérêt général, sachant qu'il fait passer celui-ci d'une situation excédentaire à une situation déficitaire.
Surtout, elle obère la capacité de contrôle du Parlement sur les comptes de la sécurité sociale dans la mesure où les parlementaires qui ont été invités à se prononcer en 2001 sur l'état des comptes de 2000 n'ont pu le faire en connaissance de cause.
Le droit de contrôle du Parlement sur les lois de financement de la sécurité sociale relève de la même nature que celui qu'il exerce sur les lois de finances, qui se trouve au fondement du régime démocratique et qui bénéficie d'une surveillance toute particulière (cf. la décision no 64-27 DC du 18 décembre 1964, rappelée dans la décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994). Le cadre constitutionnel impose donc de respecter la réalité du contrôle du Parlement sur les comptes de la sécurité sociale.
Par ailleurs, cette réouverture des comptes 2000 est contraire au principe de l'annualité qui régit l'examen des lois de financement de la sécurité sociale et qui se traduit notamment par l'adoption d'un objectif annuel de recettes pour l'exercice considéré. Or, dans le cas particulier, l'annulation de la créance des régimes de sécurité sociale sur le FOREC ne peut s'accompagner de la révision corrélative de l'objectif de recettes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cet objectif étant depuis longtemps clos et révolu.
Or, le juge constitutionnel a rappelé dans la décision no 2001-448 du 25 juillet 2001 à propos de la loi de finances que le principe de l'annualité qui découle de l'article 47 de la Constitution s'applique dans le cadre de l'année civile, qui participe « au double impératif d'assurer la clarté des comptes de l'Etat et de permettre un contrôle efficace du Parlement ». Par extension, il est clair que ce principe d'annualité s'applique également à la loi de financement de la sécurité sociale, conformément à l'article 47-1 de la Constitution.
Enfin, l'annulation de la dette du FOREC compromet gravement l'équilibre financier du régime général pour l'exercice 2000 puisqu'il passe en droits constatés d'un excédent de + 4,3 milliards de francs à un déficit de - 10,7 milliards de francs. Ce faisant, le Gouvernement ignore l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale, rappelée dans la décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997.
Pour toutes ces raisons, l'article 12 doit être déclaré non conforme à la Constitution.

5. Sur le consentement à l'impôt

L'article 13 de la présente loi de financement présente les recettes supplémentaires affectées au FOREC en 2001 et 2002. La grande partie des fonds supplémentaires provient de la branche maladie. En 2002, le FOREC sera bénéficiaire de 100 % des produits des droits sur les alcools, de 100 % du produit de la taxe sur les véhicules à moteur et de 90,77 % du produit des droits sur les tabacs.
Or, la création de ces divers droits ou taxes a été justifiée, à l'origine, par la contribution nécessaire des Français au coût pour l'assurance maladie, de l'alcoolisme, du tabagisme et des accidents de la circulation. Le fait de les affecter à un fonds dont la vocation est totalement différente remet en cause du même coup leur légitimité.
L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
En l'occurrence, cette exigence constitutionnelle d'un consentement libre et éclairé n'est pas satisfaite car ces affectations à un nouvel emploi (la réduction du temps de travail) de plusieurs impôts se font dans la plus grande opacité, par le jeu d'une série de montages financiers particulièrement complexes.
Pour cette raison, l'article 13 de la présente loi de financement doit être déclaré non conforme à la Constitution.

6. Sur l'article 18 relatif au conventionnement
des professions de santé

Cet article réforme le cadre conventionnel régissant les relations entre les caisses d'assurance maladie et les professionnels de santé. Il prévoit un système à trois étages :
Tout d'abord l'institution d'un accord-cadre pour tous les professionnels libéraux exerçant en ville ; celui-ci, conclu pour une durée de cinq ans, est censé fixer « les dispositions communes à l'ensemble des professions ».
Comme à l'heure actuelle, chaque profession devra négocier sa propre convention, qui constitue le deuxième étage du dispositif, qui définira les tarifs et les engagements collectifs et individuels des professionnels sur l'évolution annuelle ou pluriannuelle de leur activité.
Enfin, le dispositif est complété par la création de contrats de santé publique, qui permettront aux professionnels y adhérant de percevoir des rémunérations forfaitaires en contrepartie des engagements qu'ils prendront en matière d'actions de prévention et d'amélioration de la coordination et de la permanence des soins.
Dans ce contexte, le pouvoir unilatéral des caisses de prendre des mesures de sanctions (application des lettres clés flottantes) est supprimé pour les professions placées sous une convention et maintenu pour les autres.
Dès lors, les médecins conventionnés par l'effet du règlement conventionnel minimal (comme c'est le cas des médecins spécialistes depuis 1998) sont pénalisés puisqu'ils continuent eux de relever du dispositif de maîtrise comptable. Il en résulte une inégalité devant la loi qui ne saurait être justifiée par le seul effet sur la modération des dépenses médicales.
Le mécanisme visé ci-dessus est de ce point de vue contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi, tel que réaffirmé par le juge constitutionnel dans sa décision no 73-51 DC du 27 décembre 1973. En conséquence, l'article 18 doit être déclaré non conforme à la Constitution.

7. Sur l'article 20 relatif à la taxe
sur la publicité pharmaceutique

L'article 20 modifie par un relèvement des barèmes la taxe sur la publicité pharmaceutique instituée par l'article 3 de la loi no 83-25 du 19 janvier 1983 dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 245-1 à L. 245-6 du code de la sécurité sociale. Plus précisément, le paragraphe I de l'article 11 augmente les taux des trois dernières tranches d'imposition qui s'appliquent en fonction du pourcentage représenté par le rapport entre l'assiette de la contribution et le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par les laboratoires concernés au titre des spécialités remboursables et agréées aux collectivités.
Il résulte des travaux préparatoires que ce « nouvel alourdissement du taux de la contribution sur les dépenses promotionnelles devrait avoir un effet dissuasif sur les dépenses promotionnelles (...) et permettre de renforcer les comptes de la CNAMTS » (cf. avis de M. le député J. Cahuzac, AN, première lecture doc. 2001 no 3319, p. 72).
S'il appartient au législateur, lorsqu'il institue ou modifie une imposition, d'en déterminer librement le taux et l'assiette sous réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, il doit, en particulier pour assurer le respect du principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts qu'il s'assigne. Or, tel n'est pas le cas dans l'article 20.
En ce qui concerne les taux de contribution :
La détermination des taux de contribution qui résulte d'un quotient proportionnel aux dépenses de promotion (dividende) et inversement proportionnel au chiffre d'affaires des entreprises redevables (diviseur) ne prend en compte ni les différences de situations objectives et appréciables existant entre elles, ni leurs capacités contributives respectives.
En effet la prise en compte des dépenses de promotion comme dividende du rapport déterminant le taux d'imposition n'est pas fondée sur un critère en rapport avec les capacités contributives des redevables dès lors que ces dépenses principalement composées des frais de visite médicale sont exposées pour des niveaux similaires par toutes les entreprises redevables quel que soit leur chiffre d'affaires et sans que soient pris en compte la structure de leur chiffre d'affaires et la nature de leurs produits.
En outre, ce critère n'est pas davantage rationnel puisqu'une part prépondérante desdits frais est consacrée à la rémunération des visiteurs médicaux, de sorte que la taxe et le niveau d'imposition atteint constituent une incitation forte à la réduction des personnels affectés aux activités de prospection, et portent atteinte par suite au droit au travail de ces salariés proclamé par l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Par ailleurs, le choix du chiffre d'affaires comme diviseur du quotient déterminant le taux d'imposition ne répond pas à l'exigence de rationalité de la loi fiscale puisqu'il avantage indubitablement les redevables réalisant les plus gros chiffres d'affaires, et incite en outre les laboratoires pharmaceutiques à augmenter leur chiffre d'affaires, contredisant par là même l'objectif que s'est fixé le législateur de maîtrise des dépenses de santé.
Enfin, en augmentant les trois derniers taux d'imposition de la taxe sur la publicité sans étendre les tranches auxquelles ces taux correspondent, le législateur crée des effets de seuil massifs et rompt, au prix d'une excessive progressivité, le principe d'égale répartition de l'impôt à raison des facultés contributives de chaque redevable inscrit à l'article 13 de la Déclaration du 26 août 1789 et rappelé par le juge constitutionnel dans sa décision no 93-320 DC du 21 juin 1993.
En définitive, en accentuant à ce point la progressivité des taux d'imposition, l'article 20 de la présente loi de financement de la sécurité sociale crée une discrimination non seulement injustifiée au détriment des plus petits contribuables mais surtout contraire à l'objectif qu'il s'est assigné.
En ce qui concerne l'assiette de la contribution :
La définition de l'assiette de la taxe ne répond pas à l'exigence de rationalité, ni à celle d'intelligibilité de la loi ; en effet, le législateur crée un nouvel abattement de 3 % « au titre de l'activité de pharmacovigilance des visiteurs médicaux », alors que cette activité est totalement étrangère à celle de « prospection et d'information des prescripteurs » qui est censée définir l'assiette de la contribution (en effet, l'activité de pharmacovigilance consiste en l'information donnée en retour par les prescripteurs aux visiteurs médicaux sur les effets secondaires nocifs éventuels des médicaments).
En s'abstenant de définir ces frais de « prospection et d'information » et en laissant au pouvoir réglementaire le soin de préciser l'assiette de la taxe (cf. art. R. 245-2 du code de la sécurité sociale), le législateur est resté en deçà de sa compétence fixée au deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution, selon lequel « la loi fixe les règles concernant (...) l'assiette (...) des impositions de toute nature ».
Au surplus, l'incompétence négative du législateur est aggravée par le fait que la taxe considérée a pour effet, eu égard aux taux d'imposition retenus, de restreindre l'exercice des libertés de communication, de publicité, de réunion et d'entreprendre dont les limites ne peuvent être fixées, en application de l'article 34, deuxième alinéa, de la Constitution, que par la loi.
En effet, la pénalisation fiscale des dépenses de promotion des entreprises pharmaceutiques a pour effet de restreindre leur liberté de communiquer des informations médicales ainsi que la liberté des prescripteurs de recevoir celles-ci. Ces restrictions ne sont justifiées que par l'objectif de régulation des dépenses d'assurance maladie, qui passe déjà par d'autres mécanismes de régulation pesant sur les mêmes entreprises (clause de sauvegarde, conventionnement des prix).
Au surplus, l'exercice des libertés constitutionnelles en cause participe à une démarche de santé publique et comme telle à la protection constitutionnelle de la santé visée à l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En définitive, le principe de nécessité de l'impôt n'est pas respecté.
Il résulte de ce qui précède que l'article 20 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 doit être déclaré contraire à la Constitution.

8. Sur les prélèvements opérés
sur les ressources de la branche famille

De multiples transferts de branche à branche sont opérés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, affectant en particulier les ressources de la branche famille et aboutissant à priver celle-ci en 2002 de près de 14 milliards de francs.
Ces prélèvements ne sont donc conformes ni à l'exigence posée par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale qui met en place le principe de l'autonomie des branches dans son 3o, ni à celle d'une politique de solidarité envers les familles.
L'article 12 modifie l'état de comptes 2000 pour y annuler la créance détenue par la CNAF sur le FOREC. Les réserves de la branche s'en trouvent de facto amputées de 2,8 milliards de francs.
Dans le cadre de l'article 60, il est mis à la charge de la branche famille 30 % du financement des majorations de pension pour enfant, précédemment assurée par le Fonds de solidarité vieillesse. Les majorations de pension pour enfants ont été créées par l'article 88 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 et ont constitué dès leur origine un élément déterminant de la promotion d'un régime de retraite par répartition. Elles constituaient une prime à ceux qui, par leurs choix familiaux, assurent la pérennité du système par répartition. Il ne fut jamais contesté que cette prestation qui est un complément de la retraite de base ressortait de l'assurance vieillesse.
Ce caractère de prestation d'assurance a été confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994. Par cette décision, le Conseil a considéré que le financement des majorations de pension accordées en fonction du nombre d'enfants des prestations sociales légales dues par l'Etat à ses agents retraités est, à ce titre, par nature, une charge permanente qui ne pouvait être débudgétisée.
Loin de clarifier les relations entre les branches de la sécurité sociale, comme l'affirme le Gouvernement, le présent article n'a pour effet que d'accroître la confusion existante dans les comptes sociaux et prive la branche famille de 6 milliards de francs en 2002.
Par ailleurs, la décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997 rappelle qu'il existe « une exigence constitutionnelle résultat des dispositions des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 (qui) impliquent la mise en oeuvre d'une politique de solidarité en faveur des familles ».
L'article 68 est manifestement contraire à cette exigence dès lors qu'il vise à effectuer en 2002 au profit du fonds de réserve un prélèvement sur les excédents de la branche famille de 2000 à hauteur de 782 millions d'euros (5 milliards de francs). Ce prélèvement prive la branche famille de moyens pour répondre aux attentes des familles, attentes que les excédents de la branche ont légitimement fait naître. S'il est indispensable de traiter le problème des retraites, l'abondement du fonds de réserve ne peut servir d'alibi au Gouvernement pour opérer ce détournement de fonds, d'autant qu'il prélève dans le même temps une partie des ressources du fonds de réserve pour financer les 35 heures.
Au total, les multiples prélèvements opérés par les articles 12, 60 et 68 de la présente loi aboutissent en 2002 à grever les moyens de la branche famille de 14 milliards de francs, sachant que l'Etat ne consacre en comparaison à la politique familiale que 4 milliards de francs.
Ils doivent donc être censurés au motif qu'ils méconnaissent d'une part, le principe constitutionnel de l'autonomie des branches et, d'autre part, l'exigence constitutionnelle résultant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
(Liste des signataires : voir décision no 2001-453 DC.)