J.O. Numéro 16 du 20 Janvier 2000       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 00998

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 décembre 1999 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution


NOR : CSCL9903889X



LOI RELATIVE A LA REDUCTION NEGOCIEE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Prévue par l'article 13 de la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, la loi relative à la réduction négociée du temps de travail confirme le principe de la réduction de la durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour l'ensemble des entreprises et détermine les conditions de la généralisation du processus de réduction du temps de travail amorcée par la loi no 98-461 du 13 juin 1998.
Comme la première loi sur les 35 heures, la seconde loi sur les 35 heures soulève plusieurs problèmes de conformité à notre Constitution.
Dans sa décision no 98-401 DC du 10 juin 1998 relative à la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail (première loi sur les 35 heures), le Conseil constitutionnel a déjà posé plusieurs principes précis sur la faculté pour le législateur de réglementer la durée du travail et notamment relatifs à la seconde loi annoncée. Or, la seconde loi ne respecte pas plusieurs de ces principes.
En effet, si le Conseil constitutionnel a considéré qu'il est « loisible au législateur, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 34 de la Constitution qui range dans le domaine de la loi "les principes fondamentaux... du droit du travail...", de fixer la durée légale hebdomadaire du travail effectif et, dans ce cadre, d'instituer des mécanismes d'incitation financière propres à favoriser, dès l'entrée en vigueur de la loi, la réduction du temps de travail et la sauvegarde de l'emploi », il a aussi considéré que « cette disposition constitutionnelle, tout comme celle qui confie à la loi la détermination des principes fondamentaux du droit syndical et de la sécurité sociale ne sauraient dispenser le législateur, dans l'exercice de sa compétence, du respect et des principes et règles de valeur constitutionnelle, en ce qui concerne en particulier les droits et libertés fondamentaux reconnus aux employeurs et aux salariés ; que figurent notamment, parmi ces droits et libertés, la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration de 1789, dont découle en particulier la liberté d'entreprendre, l'égalité devant la loi et les charges publiques, le droit à l'emploi, le droit syndical, ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises » (considérant 3).
Or, la loi relative à la réduction négociée du temps de travail, prévue par la loi d'incitation et d'orientation de réduction du temps de travail, ne respecte pas plusieurs de ces principes : elle porte atteinte à la liberté d'entreprendre des chefs d'entreprises et à la liberté individuelle des salariés, elle bouleverse l'économie des conventions passées entre les partenaires sociaux et elle méconnaît le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises.
Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la réduction négociée du temps de travail et lui demandent de la déclarer non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants :

I. - Le législateur méconnaît l'étendue de sa compétence
Le législateur ne doit pas méconnaître l'étendue de sa compétence en laissant à d'autres l'exercice de celle-ci. Ainsi, le législateur commet une inconstitutionnalité quand il reste en deçà de sa compétence soit en subdéléguant à d'autres autorités le soin d'édicter des règles si fondamentales qu'elles ne peuvent être prises que par lui, soit en posant des règles de façon si générale, si floue ou si vague que la marge d'appréciation ainsi laissée aux autorités en charge de les appliquer (pouvoir réglementaire, autorités administratives de contrôle, partenaires sociaux,...) les incitent à empiéter sur le domaine de la loi.
En conséquence, lorsque des règles législatives sont restrictives de droit ou qu'elles confient à des autorités publiques des pouvoirs exorbitants sur les administrés, ces règles (sous peine de révéler une incompétence négative du législateur) doivent être déterminées « avec une précision suffisante (no 98-405 DC du 29 décembre 1998, Rec. p. 326, cons. 57 à 59).
Le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence sur plusieurs dispositions :
En premier lieu, le troisième alinéa de l'article 19-XIV prévoit que le bénéfice de l'allégement des cotisations sociales patronales est suspendu lorsque les durées et les horaires de travail pratiqués dans l'entreprise sont « incompatibles » avec les limites définies au I de cet article . Par ailleurs, ce même article 19-XIV confie aux contrôleurs de l'URSSAF et aux inspecteurs du travail le soin de s'assurer de cette compatibilité. En se bornant à renvoyer à un décret en Conseil d'Etat la détermination des modalités de suspension du bénéfice de l'allégement (art. 19-XV) sans fixer lui-même des critères objectifs servant à apprécier le respect ou non de cette exigence de « compatibilité », le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
D'autres dispositions encourent aussi le reproche de l'incompétence négative en laissant dans le flou des dispositions qui sont plus incantatoires que normatives et qui vont entraîner l'introduction d'éléments d'appréciation à caractère subjectif ouvrant la voie à des contentieux et à une inégalité dans l'application.
Ainsi, comment apprécier le caractère loyal et sérieux de la négociation sur la réduction de la durée du temps de travail à 35 heures que devra engager toute entreprise avant la présentation d'un plan social (art. 1er-IV) ? Comment distinguer ce qui relève de l'adaptation à l'évolution d'un emploi de ce qui a trait au développement des compétences, dans les formations organisées en dehors du temps de travail (art. 17) ?
Les articles 1er-IV, 17, 19 et 30 sont donc contraires à la Constitution.

II. - La loi relative à la réduction négociée du temps de travail porte atteinte à la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration de 1789
De la liberté qui, d'après l'article 4 de la Déclaration de 1789, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, découlent la liberté individuelle des salariés, la liberté d'entreprendre des chefs d'entreprise et la liberté contractuelle des partenaires sociaux.
Or, la loi déférée porte atteinte à ces trois libertés, sans que les limitations apportées ne soient justifiées par « des exigences constitutionnelles ». Car, si la loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail du 13 juin 1998 pouvait s'inscrire « dans le cadre du cinquième alinéa du Préambule de 1946 » (considérant 26 de la décision du 10 juin 1998) et légitimer ainsi des atteintes à la liberté, la loi déférée ne bénéficie pas des mêmes justifications. Car, à en croire le discours de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité du 5 octobre 1999 (JO AN, 2e séance du 5 octobre 1999, p. 6858), la loi relative à la réduction négociée du temps de travail s'inscrit plus dans le cadre du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui garantit « à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » (1).
Or, c'est à « la Nation » tout entière que revient de garantir le repos et les loisirs et non aux seules entreprises et aux seuls salariés soumis au code du travail. Les objectifs de la loi ne justifient donc en rien les limitations apportées à la liberté d'entreprendre des chefs d'entreprise, à la liberté contractuelle des partenaires sociaux et à la liberté individuelle des salariés.

A. - La loi porte atteinte à la liberté contractuelle
des partenaires sociaux
La liberté contractuelle des partenaires sociaux, en vertu de l'article 4 de la Déclaration de 1789 et du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1945, est particulièrement protégée. Ainsi, le législateur, alors qu'il lui est loisible « à tout moment... d'apprécier l'opportunité de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions », ne doit « cependant priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (décision du 10 juin 1998, cons. 9). La loi déférée porte « atteinte à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (cons. 28) et limite gravement la liberté contractuelle des partenaires sociaux.

1. L'économie des contrats est gravement remise en cause
par la loi relative à la réduction négociée du temps de travail
En effet, le législateur, après avoir appelé, dans un premier temps, les partenaires sociaux, à négocier la réduction du temps de travail, en restant en retrait sur de nombreux points, nie aujourd'hui totalement les accords passés. Il bouleverse manifestement l'économie des conventions ainsi négociées en modifiant les dispositions les plus importantes que les partenaires sociaux avaient imaginées et mises en oeuvre avec énergie et difficultés, conformément à la demande du législateur.
Ainsi, afin d'adapter la réduction du temps de travail aux réalités des entreprises, les partenaires sociaux ont notamment négocié le régime des heures supplémentaires, l'organisation et la modulation du travail, le travail à temps partiel, la place prise par la formation professionnelle dans les négociations et les modalités particulières applicables au personnel d'encadrement.

a) Les heures supplémentaires
La grande majorité des accords de branche ont porté leur contingent conventionnel annuel d'heures supplémentaires au-delà de 130 heures, de façon à permettre aux entreprises qui ne pourraient mettre en place de nouvelles formes d'organisation du travail de maintenir à un niveau économiquement acceptable leur capacité productive, une fois la durée légale réduite à 35 heures.
Ces contingents conventionnels varient entre 140 heures et 210 heures par an et sont en moyenne de 188 heures.
Or, en maintenant le repos compensateur à 100 % pour les heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 130 heures (ou de 90 heures en cas d'annualisation), l'article 5 du projet de loi va directement à l'encontre de la volonté des signataires des accords.
De plus, certains accords ont prévu des taux de majoration pour les heures supplémentaires effectuées entre 35 et 39 heures variant entre 5 et 25 %. Or, en instituant un dispositif qui distingue, dans les entreprises qui n'auront pas réduit leur durée collective du travail à 35 heures, une bonification de 15 % affectée au salarié et une contribution de 10 % affectée au salarié et une contribution de 10 % affectée à un fonds, l'article 5 de la loi remet en cause ces accords. Il est à craindre, sauf à ce qu'ils soient dénoncés, que les entreprises concernées ne soient conduites à verser aux salariés, soit la bonification de 15 % si elle est supérieure au taux de majoration prévu par l'accord, soit le taux de majoration conventionnel s'il est supérieur à la bonification, augmenté dans les deux cas de la contribution. Quelle que soit l'hypothèse retenue, le coût pour l'entreprise sera supérieur à celui qu'avaient entendu fixer les négociateurs de l'accord.

b) L'annualisation de la durée du travail
La quasi-totalité des accords de branche ont mis en place des dispositifs d'annualisation de la durée du travail, dont l'objectif est de permettre que les heures effectuées certaines semaines au-delà de 35 heures en période de forte activité soient compensées par des heures non effectuées en deçà de 35 heures en période de sous-activité. Ce n'est que lorsque la durée moyenne du travail effectif sur l'année est supérieure à 35 heures que les heures effectuées au-delà de cette moyenne acquièrent le caractère d'heures supplémentaires.
Les partenaires sociaux pouvaient raisonnablement, en se fondant sur les dispositions en vigueur, négocier sur un montant à hauteur de 1 645 heures (qui correspond à la mise en oeuvre des 35 heures : 47 semaines par 35 heures/semaine). C'est ce qui s'est produit pour la quasi-totalité des accords de branche. Suivant le nombre de jours de congés conventionnels ou de jours fériés qu'elles ont entendu imputer sur la réduction du temps de travail, elles ont fixé le seuil de la durée annuelle au-delà duquel commence le décompte des heures supplémentaires entre 1 610 et 1 645 heures.
Or l'article 8 de la loi qui instaure un régime unique de modulation, l'article 9 qui détermine les conditions de prise de journées ou de demi-journées de repos sur l'année et l'article 19 qui subordonne l'octroi du nouvel allégement de cotisations sociales posent tous les trois une durée annuelle maximale de 1 600 heures. Ils remettent donc en cause la plupart des accords.

c) Le temps de travail des cadres
Tous les accords de branche ont abordé la question du temps de travail des cadres, dans la mesure où la durée de travail de cette catégorie de salariés n'est ni mesurable ni contrôlable et ont défini des modalités particulières de réduction du temps de travail.
L'article 11 de la loi institue aussi une réglementation spécifique pour les cadres mais contredit la plupart des dispositions des accords de branche :
- en restreignant aux seuls cadres dirigeants (définis en fonction de leur grande indépendance dans leur emploi du temps, leur grande autonomie dans leur pouvoir de décision et leur niveau de rémunération) la possibilité d'établir des forfaits sans référence horaire, alors que les accords de branche ont ouvert l'accès de ce type de forfait à un nombre beaucoup plus large de collaborateurs en fonction des caractéristiques des activités qu'ils exercent ;
- en limitant à 217 jours par an le nombre maximum de jours de travail susceptibles d'être accomplis par un cadre dont la durée du travail est décomptée en jours, alors que les accords de branche ont généralement prévu, en contrepartie d'un décompte en jours de la durée du travail, l'octroi de jours de repos supplémentaires de l'ordre d'une dizaine de jours en moyenne.

d) La formation professionnelle
La majorité des accords de branche a prévu l'organisation de la formation professionnelle en tout ou partie sur le temps libéré par la réduction du temps de travail.
Sur ce point également, l'article 17 tend à rendre ces accords inopérants. En considérant que toute action de formation suivie par le salarié dans le cadre de cette obligation constituait un temps de travail effectif, il contredit la majorité des accords de branche.

e) Les salaires
Les garanties salariales prévues par les accords de branche varient en fonction de différents paramètres. Soit les accords laissent les entreprises libres de compenser, en tout ou partie, ou non la réduction de la durée de travail, soit ils prévoient une compensation dont la quotité dépend de l'ampleur des éléments de souplesse en matière d'organisation du travail mis en place par les accords.
La loi ne respecte pas cet équilibre des accords en instituant, dans son article 32, une compensation financière intégrale de la réduction du temps de travail pour les salariés au SMIC qui s'appliquera aussi aux nouveaux embauchés. De plus, cette compensation au niveau du SMIC rend totalement inopérant l'ensemble des barèmes de rémunérations minima garanties actuellement en vigueur dans les professions.
Le législateur, en prévoyant dans l'article 28-II un délai d'un an pour la mise en conformité des dispositions non conformes, à l'exception des dispositions relatives aux heures supplémentaires qui seront immédiatement dépourvues d'effet, reconnaît lui-même qu'il ne reprend pas la volonté des parties et que la loi bouleversant les conventions, il est nécessaire d'accorder un délai supplémentaire aux entreprises (ce délai n'étant pas prévu lors de la première loi).
L'ensemble de ces dispositions (art. 2, 5, 8, 9, 11, 17, 19, 28 et 32) porte à l'économie des accords légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaît manifestement la liberté contractuelle et bouleverse l'économie des conventions, sans que l'intérêt général ou des exigences constitutionnelles ne justifient une telle remise en cause. Elles doivent donc être considérées comme non conformes à la Constitution.

2. La loi porte gravement atteinte à la liberté contractuelle
des partenaires sociaux
De plus, eu égard aux accords collectifs qui seront négociés pour la mise en conformité avec la réduction du temps de la durée légale, le législateur opère une contrainte manifestement excessive sur les partenaires sociaux et porte atteinte à leur liberté contractuelle.
Ainsi sont subordonnés à la conclusion d'un accord, la possibilité de payer en argent les bonifications pour heures supplémentaires (art. 5-II), l'annualisation de la durée du travail (art. 8-I), l'octroi de la réduction de la durée du travail sous forme de jours de repos répartis sur l'année (art. 9-II), le décompte de la durée du travail des cadres sur une base forfaitaire annuelle calculée en heures ou en jours (art. 11), la mise en place du temps partiel annualisé (art. 12-V) et du travail intermittent (art. 14), l'organisation de la formation professionnelle en dehors du temps de travail (art. 17-I), la garantie que la réduction d'horaire ne constitue pas une modification du contrat de travail (art. 30-I) et que le refus d'une modification du contrat consécutive à une modification d'horaire constitue un licenciement individuel réputé fondé sur une cause réelle et sérieuse (art. 30-II), mais surtout le bénéfice des versements financiers compensatoires (art. 19).
En effet, l'article 19 prévoit un nouvel allégement des cotisations sociales patronales composé d'un montant forfaitaire de 4 000 F par salarié et par an et d'un montant dégressif pour les salaires allant jusqu'à 1,8 SMIC (soit un abattement compris entre 21 500 F par an au niveau du SMIC et 4 000 F à 1,8 SMIC et au-delà). Il constitue un important mécanisme d'allégement des charges sociales, destiné à compenser la hausse des coûts salariaux. Il peut devenir une véritable condition à la survie de l'entreprise, étant donné l'importance des montants en cause. Il fait ainsi peser une pression sur les partenaires sociaux telle qu'il les oblige à conclure des accords collectifs et porte, en conséquence, une atteinte manifestement excessive à leur liberté contractuelle. L'article 19 doit être considéré comme non conforme à la Constitution.

B. - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte à la liberté d'entreprendre
Tout chef d'entreprise, « responsable de l'entreprise » (décision no 88-244 DC du 20 juillet 1988, loi portant amnistie, Rec, p. 119, cons. 22) peut, en vertu de sa liberté d'entreprendre, fixer les buts et les moyens de sa gestion et organiser son entreprise (en conséquence, il est libre de recruter ses salariés, de les assigner chacun à son poste de travail, de gérer leur carrière et il exerce un pouvoir de commandement). La liberté d'entreprendre n'est certes « ni générale ni absolue » et « s'exerce dans le cadre d'une réglementation instituée par la loi » (jurisprudence constante, cf. décision no 81-132 du 16 janvier 1982, Rec, p. 18, cons. 16 et 20, décision no 85-200 DC du 16 janvier 1986, Rec, p. 9, cons. 4 ; décision no 90-283 DC du 8 janvier 1991, Rec, p. 11, cons. 13 à 15 et 21 ; décision no 92-316 DC du 20 janvier 1993, Rec, p. 14, cons. 29 et 30, décision no 94-348 DC du 3 août 1994, Rec, p. 117, cons. 51). Elle n'en demeure pas moins un principe à valeur constitutionnelle et les limitations apportées à la liberté d'entreprendre ne doivent ni excéder « manifestement les sacrifices d'ordre personnel ou d'ordre patrimonial qui peuvent être demandés aux individus dans l'intérêt général » (décision no 88-244 DC du 20 juillet 1988, loi portant amnistie, Rec, p. 119, cons. 26), ni « en dénaturer la portée. » (décision no 90-283 DC du 8 janvier 1991, loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, Rec, p. 14, cons. 14). Elles doivent être « justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles » (décision no 98-401 DC du 10 juin 1998, cons. 26).
Les limitations apportées par la loi à la liberté d'entreprendre ne respectent pas ces exigences.

1. La loi dénature la liberté d'entreprendre
dans la détermination de la durée du travail
S'il n'est pas contesté que le législateur peut réduire la durée effective du travail dans les entreprises, c'est à la condition de ne pas porter atteinte de façon disproportionnée à la productivité et à la compétitivité des entreprises.
Il résulte que le nombre d'heures de travail effectif susceptibles d'être aujourd'hui (2) réalisées par un salarié dans l'année est de 282 jours (3) ; 47 semaines (4) ; 1 963 heures (5).
Or, en fixant à 1 600 heures par an le volume annuel d'heures au-delà duquel se déclenchent les heures supplémentaires en cas d'annualisation de la durée du travail, les articles 8, 9 et 19 de la loi entraînent une perte annuelle de 15 % de la capacité productive de chaque salarié dans l'entreprise (6), alors qu'une simple application de la réduction du temps de travail de 39 à 35 heures calculée sur l'année aurait entraîné, par rapport à la situation actuelle, une perte annuelle de 9,5 % (7).
De plus, en fixant à 217 jours maximum le nombre de jours de travail des cadres en cas de décompte en jours de leur durée du travail, l'article 11 réduit lui aussi de façon disproportionnée la capacité productive des cadres, il s'agit d'une réduction de 23 %, par rapport à la situation actuelle, du nombre de jours pendant lesquels les cadres sont susceptibles de travailler.
A ces réductions manifestement excessives, s'ajoutent la limitation à 130 heures du nombre d'heures supplémentaires disponibles, quel que soit le contingent fixé par accord de branche, en raison du déclenchement du repos compensateur à 100 % au-delà de ces 130 heures (art. 5), l'inclusion de contreparties pour les temps d'habillage et de déshabillage (art. 2), l'interdiction de mettre en place des horaires d'équivalence par accord de branche ou d'entreprise (art. 3), la réglementation des astreintes en les limitant au seul cas où elles s'effectuent à domicile, ce qui conduit à assimiler les astreintes sur le lieu de travail à du temps de travail effectif (art. 4) et l'exclusion des formations d'adaptation des formations susceptibles d'être effectuées même partiellement en dehors du temps de travail, quel que soit le dispositif mis en place par les accords (art. 17).
Les articles 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 17 et 19 réduisent ainsi de façon manifestement disproportionnée la capacité productive annuelle de chaque salarié et entraînent un rationnement excessif de la capacité productrice des entreprises, au regard des objectifs poursuivis par la loi et portent ainsi à la liberté d'entreprendre des limitations injustifiées.

2. La loi dénature la liberté d'entreprendre par l'immixtion abusive ou arbitraire de tiers dans la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail
La loi augmente les occasions de contrôle de l'administration du travail sur les entreprises et fait entrer l'administration dans la gestion quotidienne de l'entreprise :
Pour les entreprises ayant conclu un accord de réduction du temps de travail, l'article 19 met de façon excessive la gestion quotidienne des entreprises sous le contrôle d'autorités administratives, en ce qui concerne le bénéfice des allégements de cotisations sociales (contrôleurs des URSSAF et inspecteurs du travail), l'entrepreneur pouvant perdre à tout moment le bénéfice des allégements de cotisations sociales (voire, devant rembourser les sommes versées) par une décision arbitraire de l'inspecteur du travail ou du contrôleur de l'URSSAF ou, sur dénonciation légale des syndicats dans l'entreprise, pour non-respect des engagements d'emplois prévus par l'accord de réduction de la durée de travail. Ainsi, c'est à un agent de l'administration qu'il va incomber de décider si l'entreprise peut faire des heures supplémentaires ou si elle doit embaucher pour réaliser telle ou telle tâche nécessaire au maintien ou au développement de son activité, exposant à tout moment le chef d'entreprise à la suspension des aides, sans qu'il puisse mesurer au préalable les risques financiers que le choix de tel ou tel type d'organisation lui fait encourir. Cette intrusion dans la gestion quotidienne des entreprises et cette menace permanente de suppression des aides financières donnent un pouvoir exorbitant pour accorder, suspendre ou supprimer le bénéfice des allégements de charges et portent ainsi gravement atteinte à la liberté d'entreprendre de l'employeur.

C. - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte à la liberté des salariés
La liberté personnelle du salarié a valeur constitutionnelle (décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989, Rec., p. 59). En conséquence, le législateur doit respecter cette liberté même s'il poursuit un objectif d'intérêt général ou s'il cherche à mettre en oeuvre d'autres droits ou principes à valeur constitutionnelle.
Or, la loi opère, à la place des salariés eux-mêmes, un choix arbitraire de plus de temps libre et de moins de revenus, sans qu'aucun motif d'intérêt général (la recherche du plein emploi n'est plus l'objectif de la loi) ne justifie cette réduction massive du temps de travail. Plus précisément, l'article 5, en limitant le recours aux heures supplémentaires et en distinguant les régimes des heures supplémentaires applicables aux entreprises, pénalise les salariés des entreprises ayant une durée collective du travail supérieure à 35 heures en taxant de 10 % les quatre premières heures supplémentaires et porte atteinte à leur liberté de travail. Et si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 janvier 1986 (no 85-200 DC, Limitation des possibilités de cumul entre pensions de retraite et revenus d'activité, Rec., p. 9 et s), a considéré qu'il appartient à la loi « de poser des règles propres à assurer au mieux l'exercice du droit d'obtenir un emploi par un plus grand nombre d'intéressés possible » et « de faire contribuer les personnes exerçant une activité professionnelle à l'indemnisation de ceux qui n'en ont pas », le système envisagé par la loi aujourd'hui déférée est sensiblement différent. En effet, la contribution de 10 % financera en partie le fonds créé par l'article 5 de la loi de financement pour 2000, fonds qui assurera la compensation des allégements des cotisations sociales définies par l'article 28-I. Ce système revient à taxer les salariés qui travaillent plus dans certaines entreprises pour financer les baisses des charges sociales des entreprises où les salariés travaillent moins. Or, autant le système de la contribution de solidarité en 1982 et 1986 pouvait se justifier comme un financement direct de l'aide aux travailleurs privés d'emplois, autant le système de la contribution sur les heures supplémentaires taxe des salariés pour financer des baisses de charges sociales d'autres salariés au motif d'un objectif incertain et indirect de création d'emplois. Il constitue une atteinte injustifiée à la liberté du travail et compromet le principe de juste rémunération que mérite tout travail. Il doit donc être considéré comme non conforme à la Constitution.

III. - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail porte atteinte au principe d'égalité
Si le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle différemment des situations différentes ni à ce qu'il déroge au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général, la différence de traitement doit néanmoins avoir un rapport direct avec l'objet de la loi et être fondée sur des critères objectifs et rationnels (CC 29 décembre 1989, Rec., p. 229).
Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il y déroge pour des raisons d'intérêt général, mais dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (CC 1er décembre 1990, Rec., p. 84 ; 8 janvier 1991, Rec., p. 11).
Or, le législateur porte, à plusieurs reprises, atteinte au principe d'égalité sans que ni des raisons d'intérêt général ni des critères objectifs et rationnels ne le justifient.

A. - La loi relative à la réduction du temps de travail
crée des inégalités entre les entreprises
La première différence de traitement opérée par la loi (art. 1er) est relative à la date de l'application de la durée légale de 35 heures selon la taille de l'entreprise. Elle est fixée au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés. Cette différence de traitement est bien justifiée par un motif d'intérêt général (meilleure mise en oeuvre des 35 heures), selon des critères objectifs et rationnels (nombre de salariés, difficultés particulières de la gestion du personnel dans les petites entreprises) en rapport avec l'objet de la loi (réduction du temps de travail). Le Conseil constitutionnel l'a déjà jugé ainsi (décision du 10 juin 1998, cons. 35).
En revanche, la différence de traitement relative au bénéfice de l'allégement des charges sociales ne répond pas à ces exigences constitutionnelles. Ainsi, le bénéfice de l'allégement des charges sociales déterminé par l'article 21 est soumis à des conditions définies à l'article 19. Il y aura donc des entreprises qui bénéficieront de l'allégement des charges sociales sur les bas salaires et des entreprises qui n'en bénéficieront pas. La différence de régime est justifiée par le premier alinéa de l'article 19, c'est-à-dire par la mise en oeuvre ou non des 35 heures (en rapport avec l'objet de la loi), par la création d'emplois (autre objet de la loi) et par la négociation au sein de l'entreprise. Cette distinction pourrait donc apparaître comme constitutionnelle. Or, ces critères qui semblent rationnels et objectifs au premier abord, en rapport direct avec la loi, dans un but d'intérêt général (seules les entreprises qui négocient un accord de 35 heures et créant des emplois pourront bénéficier d'exonérations de charges) ne le sont plus si l'on compare les critères de l'article 19 et le but poursuivi par l'article 21, les conditions de suspension de l'allégement, le contenu de l'accord à négocier et les différences de traitement entre les entreprises qui en découlent. Les critères deviennent alors subjectifs, sans rapport les uns avec les autres, susceptibles de créer des différences de traitement injustifiés par un intérêt général ou une différence de situation.
Il est en effet paradoxal de soumettre le bénéfice d'un abaissement de charges sociales à la signature et l'application d'un accord collectif de passage à 35 heures, alors que la durée légale du travail est fixée par la loi elle-même à 35 heures.
Néanmoins, on pourrait penser que le contenu des accords entraîne une différence de situations qui justifie une différence de traitement. Ce sont les paragraphes II bis et II ter qui en définissent le contenu : les accords, en plus de la durée du travail, doivent comprendre les modalités d'organisation et de décompte du temps de travail, les incidences de rémunération de la réduction du temps de travail, le nombre d'emplois créés, les mesures tendant à favoriser le temps partiel choisi, l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et les discriminations à l'embauche. Le contenu des accords ainsi défini semble donc avoir un rapport direct avec l'objet de la loi : passage à 35 heures, création d'emplois, temps partiel choisi, égalité professionnelle entre hommes et femmes (en considérant que le passage aux 35 heures facilitera l'égalité professionnelle entre hommes et femmes en permettant une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale). Ainsi les entreprises appliquant un accord de réduction de temps de travail seraient soumises à des obligations plus grandes que les entreprises n'appliquant que la durée légale du temps de travail, ce qui justifierait un traitement différent au regard de l'allègement du temps de travail. Ce n'est, en l'occurrence, pas le cas.
En effet, si le bénéfice de l'allégement est subordonné à un tel accord, en toute logique, la non-application de l'accord devrait entraîner la suspension ou la suppression de l'allégement. Or, pour la suppression ou la suspension du bénéfice de l'allégement (paragraphes XIV et XIV bis), il n'est tenu compte ni de l'égalité hommes - femmes, ni du temps choisi, mais seulement de la compatibilité des horaires avec les 35 heures et de la création d'emplois prévue par l'accord, sauf circonstances exceptionnelles. Or, la création d'emplois par les accords est, quant à elle, facultative (et, de plus, appréciée subjectivement) : le cinquième alinéa du paragraphe II bis prévoyant la possibilité d'une stipulation contraire de l'accord (8) et le troisième alinéa du paragraphe XIV des circonstances exceptionnelles qui justifieraient la non-réalisation de l'accord en matière de création d'emplois. L'allégement des cotisations sociales n'est donc nullement la contrepartie de surcoûts exceptionnels que les entreprises ont accepté d'assumer à l'issue de la négociation des accords collectifs. Il n'est que l'application de la durée de travail à 35 heures qui n'est susceptible d'aucune dérogation.
Il apparaît donc manifeste que le bénéfice de l'allégement (et sa pérennité) n'est lié qu'à la seule application de la durée du temps de travail, qui ne vient pas en réalité de l'accord lui-même, mais de la loi.
De plus, et en considérant que la négociation au sein de l'entreprise est un objectif d'intérêt général en soi, fût-elle limitée à faire coïncider la durée collective du travail à sa durée légale, le bénéfice de l'allégement des charges sociales des entreprises est soumis à la décision d'un tiers. Ainsi, des employeurs dans des situations similaires, proposant des conditions d'accord identiques, bénéficieront ou non de l'abaissement des charges sociales selon la réaction, par définition subjective, de leurs interlocuteurs.
Pour finir, le bénéfice des allégements des charges est subordonné à une décision arbitraire de l'administration en raison de l'imprécision de la loi en ce qui concerne l'incompatibilité des durées et des horaires de l'entreprise avec les 35 heures et le respect de l'engagement en termes d'emplois, sauf circonstances exceptionnelles (art. 5, XV, 2e et 3e alinéa).
L'interprétation de ces dispositions entraînera une application différente selon les inspecteurs du travail, l'inégalité n'est donc pas justifiée par des critères rationnels et objectifs, mais plutôt par des critères subjectifs qui vont varier en fonction de la conjoncture et de l'interprétation de l'administration.
Par ailleurs, sans aller jusqu'à demander un revirement de la jurisprudence du 15 janvier 1975, il serait sans doute souhaitable que le principe d'égalité soit interprété selon les mêmes critères que le droit communautaire de la concurrence, afin d'éviter qu'une disposition validée par le Conseil constitutionnel soit censurée peu de temps après par la Cour de justice des Communautés européennes. En effet, dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, la réduction dégressive des cotisations patronales de sécurité sociale pour les entreprises accordée en cas d'accord relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail est considérée comme une aide au sens de l'article 92 du traité CE (devenu 87 CE) (9).
Pour toutes ces raisons, la différence de traitement entre les entreprises ayant signé un accord et celles qui n'en ont pas signé pour le bénéfice de l'allégement des charges sociales porte une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques qui n'est justifiée ni par une différence de situation, ni par des critères objectifs et rationnels, ni par un intérêt général. Les articles 19 et 21 doivent donc être considérés comme non conformes à la Constitution.

B. - La loi relative à la réduction négociée du temps
de travail crée des inégalités entre salariés
La loi déférée crée plusieurs inégalités relatives à la rémunération des salariés au niveau du salaire minimum de croissance et des heures supplémentaires et complémentaires.

1. Le SMIC
La principale inégalité entre les salariés est celle opérée par l'article 32 relatif au salaire minimum de croissance et au complément différentiel de salaire.
Il faut avant tout rappeler que l'instauration d'un salaire minimum garanti par la loi peut être présentée comme une grande loi sociale de la République. En effet, depuis la loi du 11 février 1950 qui instaure le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) jusqu'à aujourd'hui (devenu entre-temps le SMIC, salaire minimum interprofessionnel de croissance), aucune majorité n'a porté atteinte au principe de la garantie par la loi d'un minimum vital aux travailleurs les moins rémunérés qui ne réussissaient pas à obtenir davantage par la négociation collective, sur l'ensemble du territoire (métropolitain et départements d'outre-mer) dans toutes les professions et activités. Sans aller jusqu'à constitutionnaliser le salaire minimum garanti (en le reconnaissant, par exemple, comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République), il est néanmoins possible de considérer que le législateur a particulièrement exprimé son attachement au principe d'égalité en matière de salaire au travers du SMIC, donnant ainsi au salaire minimum (garanti puis de croissance) une valeur plus grande. Les inégalités commises par le législateur au niveau du SMIC n'en sont que plus graves, surtout lorsqu'il n'a pas comme objectif de mettre fin à ce principe et qu'il les commet involontairement.
En effet, les objectifs de l'article 32 de la loi déférée est de préserver le SMIC horaire, de maintenir le pouvoir d'achat après la baisse du temps de travail (10), tout en évitant une augmentation mécanique de 11,4 % des coûts salariaux.
Ainsi, pour faire en sorte que les personnes payées au SMIC - dont la durée du travail va passer de 39 heures à 35 heures -, l'article 32 introduit un système complexe et soi-disant transitoire : aux 35 premières heures payées normalement s'ajoutera un « complément différentiel de salaire » pour faire la jonction jusqu'à 39 heures. Le projet de loi initial prévoyait l'exclusion des salariés à temps partiel dont la durée du travail n'a pas été modifiée, l'ensemble des salariés des entreprises nouvellement créées et des salariés nouvellement embauchés occupant dans leur entreprise un poste n'ayant aucun équivalent.
Lors de la discussion du projet de loi, certaines améliorations ont été adoptées, toujours dans le but de limiter les inégalités : notamment l'amendement no 1072 visant à inciter les nouvelles entreprises à rémunérer leurs salariés 169 fois le SMIC horaire (11), l'amendement no 1081 visant à éviter que puissent se produire des démantèlements d'entreprises dans le seul but de payer leurs salariés au nouveau SMIC (12) et la ministre de l'emploi et de la solidarité a été interpellée par les parlementaires afin de définir précisément le terme d'emploi d'équivalent (13).
Pourtant, malgré ces améliorations et malgré l'objectif de ne pas mettre fin au SMIC horaire applicable à tous sur l'ensemble du territoire, le législateur n'a pu éviter des différences de traitements.

a) La loi crée une différence de traitement
entre salariés de différentes entreprises
En premier lieu, la loi crée une différence de traitement entre salariés de différentes entreprises.
A compter du 1er janvier 2000, les salariés des entreprises de moins de vingt salariés bénéficiant du SMIC continueront à travailler 39 heures tandis que ceux des entreprises de plus de vingt salariés dont la durée du travail aura été ramenée à 35 heures par semaine sur la base de 39 heures.
La même iniquité apparaîtra pour les salariés des entreprises nouvellement créées. Si l'entreprise ne souscrit pas d'elle-même, pour les salariés au SMIC, au principe du paiement de 39 heures pour 35 heures de travail afin d'obtenir les aides correspondantes, les salariés au bas de l'échelle percevront une rémunération mensuelle minimale calculée sur 35 heures, alors que les salariés des entreprises ayant réduit le temps de travail, à durée de travail égale, seront payés sur la base de 39 heures.

b) La loi crée des différences de traitement
entre salariés au sein d'une même entreprise
Les disparités s'établiront également au sein d'une même entreprise entre les salariés. Ainsi le complément différentiel de salaire ne s'appliquera pas à des salariés à temps partiel dont la durée de travail n'a pas été modifiée, à l'ensemble des salariés des entreprises nouvellement créées et des salariés nouvellement embauchés occupant dans leur entreprise un poste n'ayant aucun équivalent. Ainsi, après la réduction du temps de travail, dans la même entreprise et occupant le même poste, des salariés à temps plein (35 heures) seront payés 39 heures et d'autres salariés à temps plein seront payés 35 heures, soit une différence de 11,4 %, au seul motif que les premiers travaillaient 39 heures et ne travaillaient plus que 35 heures alors que les seconds ne travaillaient déjà que 35 heures (14). La différence de situation ne peut pas être invoquée, car si elle existait avant la réduction du temps de travail, elle n'existe plus.
L'inégalité se poursuit aussi entre les salariés à temps partiel. L'article 32 étend le bénéfice aux travailleurs à temps partiel si la durée de travail de ces derniers est également réduite. Il l'applique également (à due proportion) aux salariés embauchés à temps partiel postérieurement à la réduction du temps de travail. En revanche, cette garantie de maintien de salaire n'est pas due aux travailleurs à temps partiel dont la durée du travail n'a pas varié. Ainsi un salarié A travaillant depuis toujours 28 heures hebdomadaires sera ainsi moins bien rémunéré que son collègue B passé de 32 à 28 heures dans le cadre d'un accord de réduction du temps de travail, ainsi que de C embauché pour une même durée.
Le principe d'égalité entre salarié à temps partiel et salarié à temps complet et la règle de proportionnalité de leur rémunération sont aussi mis à mal. Le paragraphe V accentue même cette inégalité en considérant que le complément de salaire n'est pas pris en compte pour déterminer la rémunération des salariés à temps partiel tel que définie au troisième alinéa de l'article L. 212-4-5 du code du travail, de façon à éviter l'application du principe de proportionnalité des rémunérations entre salariés à temps partiel et salariés à temps complet.
Ainsi, le législateur porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, sans que ni l'objectif de la loi ni les différences de situations ne le justifient.
Au demeurant, la loi, montrant ainsi la réticence du Gouvernement et du Parlement à porter atteinte au SMIC, tente de considérer que les inégalités ainsi créées sont temporaires (15). Or, si le législateur peut, sans méconnaître la Constitution, adopter des dispositions relevant du domaine de compétence du pouvoir réglementaire (jurisprudence « Blocage des prix et des revenus, no 82-143 DC du 30 juillet 1982, Rec., p. 57), il ne tire d'aucune disposition de la Constitution d'enjoindre au Gouvernement d'exercer ses compétences dans un délai précis (inconstitutionnalité d'une disposition législative ayant pour effet de prescrire au Gouvernement de déposer un projet de loi : no 89-269 DC du 22 janvier 1990, Rec., p. 33, l'application de la loi ne peut être conditionnée par l'obligation pour le Gouvernement de passer une convention avec des organismes professionnels : no 78-95 DC du 27 juillet 1978, Rec., p. 26).
Dès lors, de deux choses l'une : ou bien cette disposition législative est sans portée normative pour le Gouvernement, mais alors elle crée, sans limitation de temps, une discrimination inconstitutionnelle entre les salariés rémunérés au SMIC selon que leur durée de travail sera ou non affectée par la loi, ou bien cette disposition législative est impérative pour le Gouvernement mais alors elle met à la charge de celui-ci une obligation inconstitutionnelle de prendre, dans un délai maximum de cinq ans, les mesures pour mettre fin à ce système.
L'article 32 doit donc être considéré comme non conforme à la Constitution.

2. Les heures supplémentaires
La loi crée une autre inégalité en ce qui concerne le régime des heures supplémentaires. Ainsi, l'article 5, en quarante et un alinéas, distingue douze volumes annuels d'heures supplémentaires disponibles en fonction de leur année d'exécution et de l'effectif de l'entreprise, quatre taux de majoration distincts (10 %, 15 %, 25 % et 50 %), trois types d'affectation des majorations pour heures supplémentaires (soit aux salariés, soit à un fonds, soit en partie aux salariés, et en partie à un fonds, suivant leur date d'exécution et que leur entreprise a réduit ou non la durée du temps de travail), deux sortes de paiement des heures supplémentaires (suivant qu'il s'agit des quatre premières heures payables en temps et des suivantes payables en argent, auxquels il peut être dérogé par accord collectif) et trois sortes de repos compensateur (à deux taux de 50 % et de 100 %) variant suivant l'effectif de l'entreprise et de la nature des heures supplémentaires.
Si certaines différences peuvent se justifier par le caractère progressif de la mise en oeuvre des 35 heures, d'autres portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Il s'agit notamment de la contribution de 10 % au fonds pour les quatre premières heures supplémentaires. Ainsi, selon qu'un salarié travaille dans une entreprise ayant une durée collective ou non de 35 heures, il est soumis à une contribution qui peut être considérée comme une imposition. Cette inégalité est même accentuée la première année, les quatre premières heures supplémentaires étant bonifiées de 10 % dans les entreprises passées aux 35 heures et taxées de 10 % dans les entreprises ayant une durée collective supérieure à 35 heures (en 2000, dans les entreprises de plus de vingt salariés passées aux 35 heures, en 2002, pour les entreprises de moins de vingt salariés).
L'article 5 doit donc être considéré comme non conforme à la Constitution.
En conclusion, les articles 2, 3, 4, 5, 8, 9, 11, 17, 19, 21, 28, 30 et 32 doivent être considérés comme non conformes à la Constitution. De plus, en raison du caractère indivisible de ses dispositions avec l'ensemble de la loi, notamment les dispositions relatives à l'allégement des charges sociales et l'instauration du double SMIC, sans lesquelles la loi n'aurait pas été adoptée, l'ensemble de la loi relative à la réduction négociée du temps de travail doit être considérée comme non conforme à la Constitution.
(Liste des signataires : voir décision no 99-423 DC.)

(1) Les enjeux de la loi sont clairs : non seulement chercher un meilleur équilibre quantitatif entre le temps de travail, le temps pour soi, le temps pour les autres, mais aussi améliorer la qualité de la vie de travail comme de la vie personnelle. Faire du sport, pour bricoler, jardiner, pour la culture, pour flâner, pour réfléchir ... pour vivre chaque jour.
(2) Le droit actuellement en vigueur :
- une durée des congés payés de 2,5 jours ouvrables par mois de travail sans pouvoir excéder 30 jours ouvrables par an (art. L. 223-2 du code du travail) ;
- une interdiction d'occuper un salarié plus de 6 jours par semaine (art. L. 221-2 du code du travail) et, sauf exception, le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche (art. L. 222-1 du code du travail) ;
- une durée maximale journalière du travail sauf dérogation, de dix heures, la durée maximale hebdomadaire absolue est de quarante-huit heures et la durée maximale hebdomadaire moyenne est de quarante-six heures sur douze semaines consécutives (art. L. 212-7 du code du travail).
Le volume annuel d'heures supplémentaires à la libre disposition de l'employeur est de 130 heures et peut être modifié, en hausse ou en baisse, par un accord collectif de branche étendu.
(3) = 365 jours, 30 jours de congés payés, 52 dimanches, le 1er mai.
(4) = 282 jours/6 jours ouvrables par semaine.
(5) = 47 semaines x 39 (heures par semaine), 130 heures supplémentaires.
(6) Le nombre d'heures susceptibles d'être effectuées dans l'année sera de 1 667,5 heures (en tenant compte du contingent d'heures supplémentaires et des 24 % de bonification des heures supplémentaires), correspondant à une perte annuelle de 295,5 heures (1 963 heures - 1 667,5 heures).
(7) Le nombre d'heures susceptibles d'être effectuées par un salarié dans l'année sur la base d'une durée légale du travail réduite à 35 heures devrait être 1 775 heures (= 1 645 heures - 130 heures supplémentaires =), correspondant à une diminution de la capacité productive de 188 heures (1 963 heures - 1 775 heures).
(8) Lorsque la convention ou l'accord prévoit des embauches, celles-ci doivent être effectuées dans un délai d'un an à compter de la réduction effective du temps de travail, sauf stipulation contraire de l'accord.
(9) Aff. C-251/97. République française/Commission des Communautés européennes, 5 octobre 1999.
(10) Nous avons deux préoccupations. La première est que le SMIC horaire soit préservé. C'est l'un des enjeux forts de ce texte. La seconde est que les salariés payés au SMIC ne voient pas leurs rémunérations diminuer en même temps que leur temps de travail. G. Gorce, 3e séance du 15 octobre 1999, JO du 16 octobre 1999, p. 7530, « Le but de cet article est de prévoir une rémunération mensuelle garantie afin qu'aucun salarié au SMIC, qu'il soit à temps plein ou à temps partiel, ne puisse subir une baisse de son salaire à l'occasion de la réduction du temps de travail, mais également d'appliquer le principe à travail égal, salaire égal. » Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, 3e séance du 15 octobre 1999, JO 16 octobre 1999, p. 7534.
(11) De M. Gorce, rapporteur, M. Cochet et M. Gremetz, 2e séance du 15 octobre 1999, JO, débats, AN, du 16 octobre 1999, p. 7486.
(12) De M. Terrier et de M. Rome, 3e séance du 15 octobre 1999, JO, débats, AN, du 16 octobre 1999, p. 7535.
(13) 3e séance du 15 octobre 1999, JO, débats, AN, du 16 octobre 1999, p. 7534.
(14) Si le travailleur à temps partiel ne se voit pas proposer de réduction supplémentaire de son temps de travail, il ne bénéficie d'aucun complément de salaire : un travailleur à temps partiel qui travaillait sur la base de 35 heures avant la réduction du temps de travail et qui continue à travailler le même nombre d'heures après le 1er janvier 2000, sera rémunéré 35 heures, sauf accord particulier. En revanche pour la même activité et dans la même entreprise, celui qui travaillait à temps complet et qui bénéficie de la mesure de réduction du temps de travail sera lui payé 39 heures pour 35 heures de travail effectif.
(15) Le IV de l'article 32 dispose « qu'avant le 31 décembre 2002, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport retraçant l'évolution des rémunérations des salariés bénéficiant de la garantie définie ci-dessus et précisant les mesures envisagées ... pour rendre cette garantie sans objet au plus tard le 1er juillet 2005 compte tenu de l'évolution du SMIC ».