J.O. Numéro 302 du 30 Décembre 1999       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 19735

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 1999 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 99-422 DC


NOR : CSCL9903862X



LOI DE FINANCEMENT
DE LA SECURITE SOCIALE POUR 2000
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, adoptée par l'Assemblée nationale le 3 décembre 1999.
Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.

I. - Sur l'ensemble de la loi
La loi de financement de la sécurité sociale a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière en regard des exigences constitutionnelles.
En effet, les délais déterminés par l'article 47-1 de la Constitution n'ont pas été respectés. Dans ses deuxième et troisième alinéas, cet article prévoit que « Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45. Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en oeuvre par ordonnance. »
Or le Sénat a été saisi du projet de loi de financement de la sécurité sociale le 2 novembre et ce n'est que le 18 novembre que le projet a été enregistré à l'Assemblée nationale pour la deuxième lecture, avec un jour de retard.
La loi qui vous est déférée encourt donc votre censure en tant qu'elle a été adoptée au terme d'une procédure non conforme à la Constitution. Eu égard aux prérogatives dont dispose le Gouvernement relativement aux lois de financement de la sécurité sociale, et notamment à la possibilité de mettre en oeuvre par ordonnance ses dispositions à l'expiration d'un délai de cinquante jours, un strict respect des dispositions de l'article 47-1 est indispensable. A défaut, le contrôle démocratique d'un texte fondamental n'est pas garanti. La brièveté des délais dans lesquels est enfermé son examen doit ainsi faire obstacle à ce que la brièveté d'un retard puisse être invoquée pour neutraliser son inconstitutionnalité. En effet, le délai total d'examen étant borné, le dépassement par le Sénat du délai de vingt jours entraîne nécessairement une réduction du délai dont dispose normalement l'Assemblée nationale.

II. - Sur le domaine des lois de financement
Trois parmi les articles les plus importants de la loi qui vous est déférée, placés en tête du texte, sont manifestement insusceptibles d'être rattachés d'une quelconque manière que ce soit au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Celui-ci est précisément défini par l'article 34 de la Constitution aux termes duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». L'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale précise, lui, dans son I, le contenu des lois de financement, et dispose, dans son III, qu' « outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
Les dispositions des articles 5, 6 et 7 de la loi dont vous êtes saisis ne sont pas de celles qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. Ces trois articles sont en effet destinés à organiser, directement ou indirectement, une partie du financement de la réduction du temps de travail ou à compenser les charges qu'elle fera naître. Ils se rattachent donc exclusivement à une mesure de politique de l'emploi et ne concernent pas les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, ni les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale :
L'article 5 de la loi propose de créer un établissement public administratif, le « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale », destiné à financer les mesures d'allègement de charges sociales sur les bas salaires, ainsi que les aides à la réduction du temps de travail. En effet, la création de ce fonds est étroitement liée au projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, qui s'y réfère dans ses articles 2 et 11. Son objectif est de sauver les 35 heures en donnant des moyens à la réduction négociée du temps de travail, et notamment une aide structurelle de 4 000 F par salarié et par an, et en accroissant les allègements de cotisations sociales. Il s'agit bien de financer - très partiellement - le surcoût du travail, conséquence des 35 heures obligatoires ;
L'article 6 qui institue une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB) affectée à ce fonds, ne peut non plus être considéré comme relevant du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En effet, il ne s'agit pas de prendre en compte un élément nouveau dans le calcul des cotisations patronales mais d'instaurer, de manière permanente, une imposition supplémentaire des entreprises en vue de financer une politique de l'emploi. En instituant cet impôt au moyen de la loi de financement, le Gouvernement s'est manifestement livré à un détournement de procédure afin d'éviter le passage par le budget de l'Etat d'une disposition ayant pour effet d'augmenter le taux de l'impôt sur les sociétés. Or la contribution en question est affectée au financement de ce qui est sans aucun doute possible une politique nationale ;
L'article 7, enfin, étend l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et l'affecte au fonds créé à l'article 5.
Le projet initial du Gouvernement prévoyait qu'une ponction serait opérée sur les organismes de protection sociale pour alimenter le fonds créé par l'article . Devant la levée de boucliers suscitée par cette mise à contribution autoritaire, le Gouvernement a dû renoncer à cette partie de son projet. En conséquence, la présence des articles 5, 6 et 7 dans la loi de financement est sans logique juridique ni organique.
Or le juge constitutionnel ne peut permettre que les lois de financement de la sécurité sociale, qui sont un instrument législatif encore relativement neuf, deviennent des lois « fourre-tout », au mépris de la lettre et de l'esprit de la Constitution. La réforme des méthodes d'examen et d'adoption des dispositions relatives au financement de la sécurité sociale avait en effet un double objectif : il s'agissait de permettre une maîtrise des dépenses tout en garantissant la sincérité et la lisibilité de l'engagement social de la Nation et l'effectivité du contrôle du Parlement. Accepter que le domaine des lois de financement perde tout contour clair irait donc directement à l'encontre de l'objet de la révision constitutionnelle.
Les articles litigieux ne se rattachent pas à ce domaine mais sont en revanche clairement de ceux qui devraient figurer dans la loi de finances de l'année. Admettre leur conformité aux dispositions précitées de la Constitution et de la loi organique ferait de la loi de financement une annexe au budget de l'Etat, sa raison d'être propre étant perdue de vue. Ainsi qu'il a été dit au cours de la discussion parlementaire, « ce texte devient de fait un instrument de gestion des finances publiques puisqu'il inclut désormais des dépenses qui relevaient du budget de l'Etat et qu'il lève de nouveaux impôts pour financer les 35 heures, dont il camoufle le coût au sein d'un fonds social dans le seul but de faire échapper ces dépenses à la comptabilité budgétaire ».
A deux reprises déjà, vous avez été amenés à préciser le domaine des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est défini par la loi organique. Vous avez ainsi jugé que tout ce qui concourt « de façon significative » à l'équilibre financier des régimes obligatoires de la sécurité sociale entre dans le champ des lois de financement. Dans votre décision 98-404 DC (paragraphe 29) relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous avez ainsi censuré un « cavalier social » en déclarant que subordonner l'autorisation de changement du lieu d'implantation d'un établissement de santé à des engagements de modération des dépenses remboursables par l'assurance maladie « ne concourt pas de façon significative aux conditions générales de l'équilibre financier de l'assurance maladie » et que cette mesure « est dès lors ... étrangère au domaine des lois de financement de la sécurité sociale ». Aujourd'hui, la nécessité de préciser le périmètre de ces lois est toujours aussi vive.
De même, les articles 5, 6 et 7 de la loi de financement dont vous êtes saisis par le présent recours ne peuvent donc qu'être considérés comme étrangers au domaine des lois de financement et donc non conformes à la Constitution. A défaut, les nouvelles modalités du financement de la sécurité sociale seraient l'occasion d'un recul très net de votre jurisprudence sur les cavaliers budgétaires, qui est le fruit d'une construction progressive dont la rigueur juridique et la précision ont permis le respect des grands principes budgétaires propres à garantir le contrôle démocratique sur les finances publiques.

III. - Sur la contribution sociale
sur les bénéfices des sociétés
L'article 6 de la loi institue une nouvelle imposition additionnelle à l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB), en insérant un article 235 ZC et un article 1668 D dans le code des impôts. Cette taxe, affectée au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales créé par l'article 5, sera due par les redevables de l'impôt sur les sociétés ayant réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions de francs. Son taux est fixé à 3,3 % de l'impôt sur les sociétés : il s'agit donc d'un impôt sur l'impôt.
Au-delà de ce qui a été dit sur le fait que cette disposition avait un caractère étranger au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, sa conformité aux principes dégagés par la jurisprudence du juge constitutionnel ne peut que faire l'objet de grandes réserves.
Tout d'abord, la CSB est un impôt extrêmement concentré puisque moins de 2 % des entreprises fourniront plus des trois quarts de son rendement, ce qui n'était pas le cas de la contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés, plus équitablement répartie entre les entreprises. Aussi apparaît-il clairement que la CSB porte en germe une rupture trop importante de l'égalité des contribuables devant l'impôt.
Les effets de seuil massifs de cette contribution méconnaîtront le principe de justice fiscale posé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Vous avez en effet estimé, à plusieurs reprises, que de cet article découlait nécessairement le principe de progressivité de l'imposition globale du revenu des personnes physiques (89-268 DC, 29 décembre 1989 ; 90-285 DC, 28 décembre 1990 ; 93-320 DC, 21 juin 1993 ; 97-388 DC, 20 mars 1997). En l'espèce, la progressivité est nulle jusqu'au seuil de 50 millions de chiffre d'affaires.
Le principe constitutionnel de la contribution de tous les citoyens en raison de leurs facultés est donc méconnu.
Certes, le principe de l'égale répartition de la contribution en raison des facultés n'interdit pas au législateur de fairesupporter à certaines personnes physiques ou morales des charges particulières ; mais il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques de tous les citoyens (85-200 DC du 16 janvier 1986).
Ainsi, le législateur peut prendre en compte la situation particulière de certaines entreprises, mais il ne peut soumettre une catégorie particulière de contribuables à un régime différent des autres catégories que s'ils sont placés dans des situations différentes (81-136 DC, 31 décembre 1981 ; 83-164 DC, 29 décembre 1983 ; 84-184 DC, 29 décembre 1984). Enfin, il résulte de votre jurisprudence qu'il doit déterminer l'assiette et le taux de l'impôt en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés (83-164 DC précitée ; 91-298 DC, 24 juillet 1991 ; 97-390 DC, 19 novembre 1997). Ces principes sont méconnus en l'espèce, puisque la loi fixe un seuil arbitraire et porteur d'effets brutaux de discrimination. Comment justifier qu'une entreprise dont le chiffre d'affaires est de 50 MF paye la taxe quand sa concurrente dont le chiffre d'affaires est à peine inférieure en est exonérée ? Il s'agit bien de contribuables placés dans des conditions quasiment identiques que le législateur fiscal ne peut traiter différemment (86-209 DC, 3 juillet 1986, paragraphe 26).
La CSB serait également à l'origine d'une discrimination peu justifiable entre les sociétés selon le type d'organisation qu'elles ont choisi. En effet, une société appartenant à un groupe, ou qui a des filiales, a un chiffre d'affaires beaucoup moins important qu'une entreprise dont l'activité et les résultats sont comparables aux siens, mais qui est organisée d'une manière très intégrée. La CSB est ainsi à l'origine d'une distorsion de concurrence qu'il est impossible de justifier, selon la technique que vous appliquez classiquement, par une référence à l'objet de la loi. Une société holding qui possède plusieurs filiales dont aucune ne dépasse le seuil de 50 millions échappera à la taxe, quand une entreprise n'ayant pas choisi de filialiser ses activités devra l'acquitter. En outre, une société appartenant à un groupe, qu'il s'agisse de la société mère ou d'une filiale, pourra jouer sur les prix et les mécanismes de facturation interne qui la lient à des sociétés du même groupe pour réduire son chiffre d'affaires.
Ce risque de discrimination est si clair que le législateur a entendu lui faire obstacle, dans l'article 30 de la présente loi de financement, s'agissant de la contribution exceptionnelle des entreprises pharmaceutiques. Le paragraphe I de cet article prévoit en effet que sont exonérées de cette contribution les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 millions de francs, sauf lorsqu'elles sont filiales à au moins 50 % d'une entreprise ou d'un groupe dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions de francs.
Aussi la CSB, qui rompt l'égalité entre des entreprises comparables d'un point de vue économique mais dont les choix en matière de structure juridique et d'organisation n'ont pas été les mêmes, entache-t-elle d'inconstitutionnalité l'article 6 de la loi de financement.
Ce risque de discrimination est d'autant plus important, en l'espèce, que la contribution ne revêt pas un caractère transitoire ou exceptionnel : son terme n'est pas fixé par la loi. Autrement dit, une forte augmentation de son taux dans les années à venir ne peut qu'être anticipée. Dans ce cas, la discrimination sera intenable. En instituant la CSB comme un prélèvement permanent sans limitation de durée, le Gouvernement a méconnu le principe constitutionnel d'annualité qui veut que les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année.

IV. - Sur la taxe générale
sur les activités polluantes
L'article 7 de la loi de financement étend la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à de nouvelles assiettes et l'affecte au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
Les dispositions de cet article soulèvent des difficultés constitutionnelles de deux ordres.

1. Tout d'abord, l'affectation de la TGAP
au fonds est juridiquement sujette à caution
Aux termes de l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, « l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances d'origine gouvernementale (...) ». Certes, votre jurisprudence admet dans certaines conditions l'affectation d'une recette. Vous avez notamment décidé que le principe de non-affectation des recettes ne s'opposait pas à l'affectation du produit d'une imposition à un établissement public industriel et commercial (décisions no 82-140 du 28 juin 1982 et no 82-152 du 14 janvier 1983).
Toutefois, l'affectation à laquelle procède l'article 7 de la loi du produit de la TGAP au financement du fonds créé à l'article 5 suscite des réserves très grandes. Elle porte, en effet, en germe un changement radical dans les objectifs poursuivis par cet impôt : instituée par l'article 45 de la loi de finances pour 1999, la TGAP était destinée à renforcer la lutte contre l'effet de serre et à promouvoir une meilleure maîtrise de l'énergie ; elle était « désaffectée » de l'ADEME pour avoir le caractère d'une recette générale du budget de l'Etat. Aussi l'affectation de la TGAP au financement de la réduction du temps de travail et de l'allégement des charges patronales inverse-t-elle d'une manière radicale la vocation de cette taxe - contribuer à l'amélioration de l'environnement. Adoptée comme un impôt environnemental à caractère dissuasif, la TGAP deviendrait un impôt de rendement : son niveau ne serait, dès lors, aucunement déterminé par la recherche de son efficacité intrinsèque.
L'affectation à laquelle procède l'article 7 de la loi est ainsi en contradiction avec l'objectif assigné à la TGAP. En effet, loin de souhaiter le succès de son effet dissuasif sur les comportement pollueurs, le Gouvernement n'aura aucun intérêt à voir l'assiette de cet impôt se réduire, car il sera destiné à financer des dépenses pérennes.
Aussi l'article 7 de la loi porte-t-il une atteinte sans nuances au principe du consentement à l'impôt garanti par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution.
C'est aussi au prix d'un erreur manifeste d'appréciation que l'article 7 de la loi a affecté au fonds créé par son article 5 la TGAP, impôt environnemental dont la pleine efficacité implique nécessairement qu'il ne soit pas mis au service d'objectifs différents et contradictoires. Or vous reconnaissez, depuis votre décision no 81-132 du 16 janvier 1982, qu'il vous appartient de censurer l'erreur manifeste d'appréciation dont le législateur aurait entaché certaines dispositions d'un texte de loi. A quatre reprises depuis, cette technique de contrôle désormais habituelle vous a conduit à déclarer inconstitutionnelles des dispositions de natures très diverses. L'erreur manifeste commise par le législateur dans l'appréciation des conséquences sur la TGAP de l'affectation à laquelle il procède dans l'article 7 a donc pour effet de rendre celui-ci non conforme à la Constitution.

2. Cet article est également entaché d'une incompétence
négative, à un double titre
Tout d'abord, le point 8 du paragraphe I, D, de cet article prévoit en effet que : « Le décret en Conseil d'Etat prévu au b du I de l'article 266 sexies fixe un coefficient multiplicateur compris entre un et dix pour chacune des activités exercées dans les installations classées, en fonction de sa nature et de son volume. Le produit de la taxe effectivement perçue chaque année est égal au produit du tarif de base fixé dans le tableau figurant au I ci-dessus et du coefficient multiplicateur. »
Cette disposition procède donc à un renvoi à un décret en Conseil d'Etat de la définition de l'assiette de la TGAP, sans que l'exercice du pouvoir réglementaire puisse être considéré comme encadré. Elle attribue donc au pouvoir réglementaire une compétence que l'article 34 de la Constitution attribue au pouvoir législatif en disposant que « la loi fixe les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Votre jurisprudence ne déduit pas de cet article que le législateur est tenu de fixer toutes les règles en matière fiscale. Cependant, vous jugez notamment d'une manière constante que la loi doit fixer les règles d'assiette avec une précision suffisante (voir notamment vos décisions no 85-191 du 10 juillet 1985 et no 87-239 du 30 décembre 1988). L'ampleur de la fourchette ouverte ici - de un à dix - laisse en réalité au Gouvernement un véritable pouvoir discrétionnaire, qui encourt votre censure.
Par ailleurs, le F du I de l'article 7 de la loi crée un article 266 terdecies au code des douanes, visant à prévoir des conditions spéciales de recouvrement pour la part de la TGAP assise sur la délivrance de l'autorisation et sur l'exploitation des installations classées. Ainsi, alors que les autres éléments de la TGAP sont recouvrés par la DGDDI selon les règles du code des douanes, ce sont les services chargés de l'inspection des installations classées qui contrôlent, liquident et recouvrent cette part de TGAP. L'article 7 encourt donc également votre censure en tant que les dispositions dérogatoires relatives au recouvrement d'une partie de la TGAP sont d'une précision insuffisante, qui ne permet pas d'apprécier si elles offrent toutes les garanties nécessaires. Votre jurisprudence sur ce point est très vigilante : vous déclarez ainsi inconstitutionnelles des dispositions fiscales d'une précision insuffisante et étant susceptibles d'au moins deux interprétations différentes (voir notamment votre décision du 10 juillet 1985 précitée).
L'article 7 de la loi de financement, doublement entaché d'incompétence négative, n'est donc pas conforme à la Constitution.

V. - Sur la sincérité des prévisions
et de la loi de financement
L'article 12 de la loi de financement présente, par catégorie, les ressources prévisionnelles pour 2000 de l'ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des organismes créés pour concourir à leur financement.
La sincérité des prévisions inscrites à cet article et, plus généralement, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 est douteuse, pour trois raisons.

1. La comptabilisation incomplète des ressources
de la loi de financement, tout d'abord
En effet, les ressources du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales ne sont pas comptées parmi les prévisions de recettes de la sécurité sociale présentées à l'article 12.

2. L'inadéquation entre certaines dépenses
et les recettes qui leurs sont affectées, par ailleurs
Contraint de renoncer à son projet initial de financement de la réduction du temps de travail, le Gouvernement a dû improviser dans l'urgence le financement du fonds. La loi lui affecte donc tout ou partie du produit de plusieurs taxes : CSB, TGAP, droits sur les alcools, contribution de 10 % sur les heures supplémentaires...
Les dépenses du fonds sont très lourdes (105 millions en 2000) et sont amenées à croître fortement si la réduction du temps de travail crée, comme l'affirme le Gouvernement, des emplois en grand nombre. Dans ce cas, en effet, les allègements de charges sociales concerneront un nombre croissant d'emplois. Or, parmi les recettes qui lui sont affectées, certaines, la TGAP et la contribution sur les heures supplémentaires, ont vocation à décroître sinon à disparaître. Le produit de la taxation des heures supplémentaires ira en diminuant à proportion de la conclusion d'accords collectifs de réduction du temps de travail. Il en va de même pour la TGAP créée comme instrument de dissuasion à l'égard de l'utilisation de techniques ou de produits polluants.
Il ne s'agit donc pas seulement pour vous de censurer ici des prévisions de recettes, par nature polémiques et incertaines, ce qui explique votre réserve habituelle en la matière. En l'espèce, l'affectation contre-nature de certaines contributions au financement de dépenses de politique de l'emploi aussi dynamiques que dépourvues de rapport avec l'objet et l'évolution prévisible du produit de ces contributions est le fruit d'une erreur manifeste d'appréciation, qu'il vous appartient de censurer.

3. Les incohérences entre la loi de finances
et la loi de financement, enfin
Les deux textes entretiennent des liens très étroits. Cependant, de grandes incohérences existent entre les deux projets de loi. Ainsi, la loi de finances prélève sur le produit de la C3S un milliard de francs pour financer des mesures nouvelles à la charge du BAPSA. Or, le solde de la C3S est normalement affecté à la première partie du fonds de solidarité vieillesse puis au fonds de réserve pour les retraites : priorité du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le fonds de réserve se voit dépourvu d'une partie de sa ressource en loi de finances. De même, le projet de loi de finances ne tient aucun compte des conséquences financières de mesures adoptées en loi de financement sur le BAPSA et qui ont pour résultat de dégrader le solde de celui-ci par une hausse de ses dépenses. Or le BAPSA est légalement en équilibre, ce qui imposera des mesures correctrices. Tel qu'il est présenté en loi de finances, le BAPSA ne peut être tenu pour sincère. La réforme de la CNRACL fournit un autre exemple des incertitudes dues aux liens entre ces deux textes. Elle aboutit en effet à une diminution de la surcompensation versée par cette caisse aux régimes de retraite de 3 milliards en deux ans. Si une somme équivalente n'est pas inscrite en loi de finances, la charge pèsera sur le dernier régime contribution au titre de la surcompensation, soit la CNAVTS. Les incohérences et les incertitudes sont donc aussi nombreuses qu'inquiétantes.
Or la réforme constitutionnelle visait la sincérité et la cohérence des prévisions financières dans le domaine de la sécurité sociale. L'objectif de clarté de la loi n'est donc pas rempli, puisque l'insincérité des prévisions des recettes fragilise l'équilibre des dépenses sociales et qu'il est impossible de savoir quels mouvements financiers sont opérés. Les prélèvements totaux sur la sécurité sociale ne sont pas chiffrés et leur montant net, une fois tous les mouvements d'affectation de taxes intégrés, n'apparaît pas. Aussi le Parlement n'est-il pas réellement à même d'exercer le droit de contrôle que vous lui avez reconnu en 1964 en matière budgétaire. La sincérité du budget de l'Etat est elle aussi altérée par les transferts de crédits considérables vers des organismes sociaux, notamment dans le but de financer les 35 heures. La loi de finances, qui ne comporte manifestement pas toutes les données qui devraient y figurer, viole les principes d'unité et d'universalité budgétaires, posés par l'article 18 de l'ordonnance de 1959.
Ce manque général de sincérité, résultat des surévaluations de recettes et des incohérences entre la loi de financement et la loi de finances, conduit à mettre en cause la constitutionnalité de la loi de finances dans son ensemble. Vous acceptez d'apprécier la sincérité de l'ensemble du texte d'une loi de finances, c'est-à-dire de vous faire juge du réalisme de la détermination des conditions générales de l'équilibre financier (voir notamment votre décision no 94-351 du 29 décembre 1994). En l'espèce, le manque de sincérité entache la crédibilité de la présentation de l'ensemble des prévisions de la loi de financement et en tout cas de son article 12.
Or l'équilibre financier de la sécurité sociale revêt le caractère d'une exigence constitutionnelle. Vous l'avez affirmé par votre décision no 97-393 du 18 décembre 1997, pour admettre que la loi de validation pouvait procéder à la validation de la fixation des bases mensuelles des allocations familiales lorsqu'une telle mesure était de nature à prévenir l'accroissement du déficit de la branche famille. Il n'y a dès lors aucune raison pour que vous n'exerciez pas en matière de loi de financement le contrôle de la sincérité budgétaire que vous pratiquez pour le budget de l'Etat.

VI. - Sur la garantie de ressources pour la branche Famille
L'article 15 de la loi prévoit que la Caisse nationale des allocations familiales bénéficie d'une garantie de ressources pour une période de cinq années courant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002. Il enfreint donc le principe de l'annualité budgétaire, qui a été institué pour permettre au Parlement d'exercer un contrôle régulier sur les finances publiques. A ce titre, il n'est pas conforme à la Constitution.

VII. - Sur les transferts de l'Etat vers la CNAMTS
Les articles 21 et 22 de la loi de financement de la sécurité sociale transfèrent de l'Etat vers la CNAMTS la charge du financement de trois mesures, pour un coût total estimé à 102,7 millions de francs : les dépenses liées aux cures de désintoxication des personnes toxicomanes, les dépenses relatives au dépistage et au traitement de certaines maladies réalisés par les consultations de dépistage anonymes et gratuites ainsi que par les centres de planification ou d'éducation familiale.
Dans votre décision du 29 décembre 1994 précitée, vous avez affirmé que les dépenses présentant par nature un caractère permanent doivent obligatoirement être prises en charge par le budget général ou, du moins, être financées par des ressources qu'il détermine. Vous avez reconnu que les principes d'unité et d'universalité budgétaires, posés par l'article 18 de l'ordonnance organique de 1959, fixent des limites à la pratique des débudgétisations. Il existe donc des dépenses obligatoires du budget général.
Le transfert de charges réalisé par les articles 21 et 22 est contraire à la Constitution puisque les dépenses de financement des centres de dépistage gratuit et plus encore celles relatives aux cures de désintoxication apparaissent comme étant au nombre de ces dépenses qui relèvent par nature du budget général. En effet, la lutte contre la toxicomanie ne peut être rattachée à un objectif de soins, et le financement des cures de désintoxication ne relève pas de l'assurance-maladie mais de la lutte contre l'exclusion, de la police sanitaire et de l'ordre public. Elle n'entre donc en aucune manière dans le champ des missions de la CNAMTS. Confier à l'assurance-maladie la prévention, l'éducation sanitaire et des missions qui se rattachent à la police sanitaire constitue donc une débudgétisation non conforme aux principes d'unité et d'universalité budgétaires, d'autant que ces missions ne seront pas financées par des recettes prévues au budget général.
Les articles 21 et 22 de la loi de financement sont donc inconstitutionnels en tant qu'ils organisent des débudgétisations contraires aux articles 1er et 16 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 et au principe de sincérité budgétaire.

VIII. - Sur les centres de santé
L'article 23 de la loi de financement intègre les centres de santé dans le code de la santé publique et précise le statut, les missions et le dispositif conventionnel applicable à ces centres. Cet article , entre autres imprécisions, ne comporte aucun mécanisme de régulation des dépenses auquel seraient soumis les centres de santé. Or ces centres représentaient 2,3 milliards de francs de dépenses remboursées en soins de ville. En conséquence, cet article 23 ne se rattache en aucune manière à l'objet financier qui est celui des lois de financement de la sécurité sociale.
Il serait en effet juridiquement inexact de considérer que toute mesure ayant un effet même minime sur l'équilibre financier de la sécurité sociale trouve sa place au sein des lois de financement de la sécurité sociale. Les dispositions de la Constitution et de la loi organique ont conféré à ces lois un caractère authentiquement financier.
Aussi, de même que les articles 5, 6 et 7 de la loi, cet article ne respecte-t-il pas les conditions de recevabilité posées par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Il s'agit d'un nouveau cavalier social, dont vous ne pourrez que déclarer l'inconstitutionnalité.

IX. - Sur le mécanisme de régulation
de l'évolution des dépenses de santé
Le paragraphe XII de l'article 24 de la loi dont vous êtes saisis établit uniformément pour toutes les professions de santé le dispositif de régulation tarifaire que l'assurance maladie devra faire respecter. Deux nouveaux articles sont introduits dans le code de la sécurité sociale, qui définissent le contenu des annexes annuelles aux conventions entre l'assurance maladie et les professionnels de santé.
L'article L. 162-15-2, paragraphe II, introduit une modification essentielle concernant la maîtrise de l'évolution des dépenses de santé, destinée à pallier les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du mécanisme de sanctions qu'instaurait la loi de financement pour 1999. Il impose en effet aux partenaires sociaux une seule méthode de régulation, celle des lettres clés flottantes : si l'objectif de dépenses n'est pas respecté, la CNAMTS peut décider, même sans l'accord des professionnels, de faire varier les tarifs et les cotations. Ces lettres clés flottantes constituent à l'évidence des sanctions collectives qui pénaliseront les médecins les plus vertueux.
Cet article méconnaît les règles et les principes constitutionnels dégagés et appliqués par votre jurisprudence. En effet :

1. Il est à l'origine d'une rupture de l'égalité devant la loi
Dans votre décision du 18 décembre 1999, vous avez déclaré non conforme à la Constitution le nouveau dispositif de régulation des dépenses médicales institué par les articles 26 et 27 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. En effet, vous avez considéré, ainsi que les députés vous y invitaient, qu'en mettant à la charge de tous les médecins une contribution assise sur leurs revenus professionnels, et ce, quel qu'ait été leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescription pendant l'année au cours de laquelle le dépassement a été constaté, le législateur n'avait pas « fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la modération des dépenses médicales ou qu'il s'était assigné ». En conséquence, le mécanisme institué était entaché d'une violation du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, que vous a affirmé à plusieurs reprises depuis sa décision 51 du 27 décembre 1973 relative à la loi de finances pour 1974.
Or le mécanisme institué par l'article 24 de la loi a la même inspiration et les mêmes effets que celui que vous avez censuré l'an passé. En effet, abaisser les tarifs en cas dépassement de l'enveloppe fixée par le Parlement ou imposer un reversement des honoraires revient strictement au même. Le travestissement élaboré est destiné à imposer subrepticement, sous un jour faussement nouveau, un mécanisme dont vous avez censuré l'inconstitutionnalité, et ce, sans ambiguïté possible. La disposition litigieuse de l'article 24 doit donc être déclarée non conforme à la Constitution en tant qu'elle méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

2. Il viole les principes de nécessité, de proportionnalité
et de personnalité des sanctions et des peines
Le mécanisme instauré par l'article 24 de la loi crée en effet des sanctions collectives automatiques, aveugles et non proportionnées aux manquements commis.
Il méconnaît donc le principe de nécessité des peines énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, ainsi que vous l'avez affirmé à maintes reprises : il « s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » (93-215 DC, 3 septembre 1986, paragraphe 3) et peut donc viser les sanctions prononcées par les autorités administratives ou par un établissement public comme la CNAMTS.
En outre, vous déduisez de la nécessité des peines deux autres principes. Tout d'abord, elle implique le principe de la responsabilité des peines et des sanctions, que vous avez récemment réaffirmé dans votre décision 99-411 du 16 juin 1999, à propos de la réforme de l'article L. 21-2 du code de la route. En vertu de ce principe fondamental, nul n'est punissable que de son propre fait. Un mécanisme qui aurait pour effet de sanctionner des médecins auxquels aucun manquement ne peut être imputé porterait donc une atteinte grave au principe de la personnalité des sanctions. Celui-ci requiert en effet l'individualisation de la peine et de son exécution, que vous avez presque reconnue comme figurant au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dans votre décision 80-127 des 19 et 20 janvier 1981 relative à la loi « sécurité et liberté ».
Vous tirez aussi du principe de la nécessité des peines l'interdiction des peines automatiques (voir, par exemple, en matière de sanctions administratives, votre décision 97-389 du 22 avril 1997, paragraphe 31), à laquelle les lettres clés flottantes, système aveugle déclenché mécaniquement par un dépassement de l'objectif de dépenses, contrevient directement.

3. Il méconnaît enfin la présomption d'innocence
En effet, le mécanisme des lettres clés flottantes aboutit à sanctionner des médecins pour des manquements non avérés. Or la présomption d'innocence bénéficie de protections constitutionnelles particulièrement solides, renforcée par le droit conventionnel. Elle résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux termes duquel : « Tout homme est présumé innocent » ; mais elle est également garantie par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Pour ces motifs, le mécanisme de régulation institué à l'article 24 est non conforme à la Constitution.

X. - Sur l'encadrement des dépenses
d'indemnités journalières et des frais de transport
L'article 25, paragraphe I, de la loi a pour objet et pour effet de rendre obligatoire la motivation médicale des prescriptions d'arrêt de travail et de transport sanitaire. Il introduit à cette fin dans le code de la sécurité sociale un article L. 162-4-1 qui prévoit que lorsque les médecins établissent une prescription de transport sanitaire ou d'arrêt de travail donnant lieu à indemnité journalière, ils doivent indiquer sur la feuille de soins les éléments justificatifs d'ordre médical. En outre, il leur est fait obligation d'indiquer, sur ces prescriptions, les éléments permettant leur identification par la caisse d'assurance maladie, ainsi que l'authentification de leur prescription.
Cette disposition, inspirée par le souci louable de contrôler plus strictement des dépenses en forte progression, paraît toutefois de nature à porter au secret médical une atteinte peu acceptable. En effet, les médecins devront indiquer précisément les motifs qui justifient leur prescription d'arrêt de travail ou de transport sanitaire.
Or votre jurisprudence a consacré un droit au respect de la vie privée, implicitement par votre décision 76-75 DC du 12 janvier 1977 et, par la suite, explicitement par de très nombreuses décisions et notamment celle du 22 avril 1997 (97-389 DC), qui indique clairement que les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter gravement atteinte à leur liberté individuelle (paragraphe 44).
Le secret médical est l'une des composantes à la fois les plus certaines et les plus sensibles de la vie privée puisqu'il touche directement à l'intimité physique voire psychologique de la personne. Aussi sa protection participe-t-elle pleinement de celle que vous garantissez au respect de la vie privée.
L'article 25 de la loi, qui porte atteinte au secret médical et au droit de chacun au respect de sa vie privée, n'est donc pas conforme à la Constitution.

XI. - Sur la fixation d'un objectif de dépenses
pour le médicament
L'article 29 de la loi définit, pour la contribution due au titre de l'an 2000 par les laboratoires pharmaceutiques non conventionnés avec le comité économique du médicament, un objectif national de dépenses pharmaceutiques de 2 %.
Ainsi que l'a souligné la commission des affaires sociales du Sénat, cet article est contraire aux dispositions de l'article LO 111-13 du code de la sécurité sociale. En effet, aux termes de cet article « chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale ; (...) 4o fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (...) ». La fixation à laquelle procède l'article 21 de la loi d'un objectif spécifique de dépenses est clairement contraire à ces dispositions. L'opportunité de la fixation d'éventuels taux sectoriels relève de la seule compétence du législateur organique et ne saurait être régulièrement fixée par la loi de financement, une année donnée et pour un seul secteur.
L'argument tiré de ce que la fixation d'un tel taux spécifique pour le seul secteur du médicament améliorerait l'information du Parlement ou aurait un impact sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale n'est pas recevable.
Ce n'est pas, par exemple, parce que la prévision de recettes par catégories pour chacun des régimes de base - au lieu de l'ensemble des régimes - améliorerait l'information du Parlement qu'elle serait conforme aux dispositions du 2o de l'article L. 111-13 précité, aux termes duquel la loi de financement « prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base (...) ».
De deux choses l'une : soit cet article est contraire aux dispositions de la loi organique, soit il méconnaît la compétence du législateur organique constitutionnellement protégée. En tout état de cause, l'article 29 de la loi dont vous êtes saisis encourt votre censure.
Ce n'est pas non plus parce qu'elle aurait un impact sur l'équilibre financier de la sécurité sociale que la fixation d'un objectif de dépenses par prestation plutôt que par branche serait conforme aux dispositions du 3o de l'article L. 111-13 qui se réfère aux « objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base (...) ».
Dans votre décision précitée du 18 décembre 1998 relative à la loi de financement pour 1999, vous avez ainsi relevé d'office et déclaré contraires à la Constitution deux dispositions en raison de leur nature organique. L'article 29 de la loi de financement qui vous est déférée par le présent recours doit de même être censuré au motif que le législateur financier a empiété sur la compétence du législateur organique.

XII. - Sur la contribution exceptionnelle
des entreprises pharmaceutiques
au titre des spécialités remboursables
L'article 30 de la loi institue une contribution exceptionnelle à la charge des laboratoires pharmaceutiques, destinée au financement de la CNAMTS. Il s'agit d'une taxe assise sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France en 1999, au titre des spécialités remboursables par l'assurance maladie.
L'ordonnance no 96-51 du 24 janvier 1996 avait institué, dans son article 30, une contribution assise sur le chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique. Cette taxe avait été recouvrée pour un montant total de 1,2 milliard de francs quand le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 15 octobre 1999, a annulé les dispositions de l'article 12-III précité, après que la CJCE les avait déclarées non conformes au droit communautaire le 8 juillet 1999. En conséquence de ces péripéties contentieuses, l'assurance maladie va être amenée à rembourser à l'industrie pharmaceutique 1,2 milliard de francs.
Dans votre décision précitée du 18 décembre 1998, vous avez déclaré non conforme à la Constitution l'article 10 de relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, qui modifiait rétroactivement le mode de calcul de l'imposition litigieuse pour pallier préventivement les conséquences de son annulation prévisible. Vous avez en effet estimé que « le souci de prévenir les conséquences financières d'une décision de justice censurant le mode de calcul de l'assiette de la contribution en cause ne constituait pas un motif d'intérêt général suffisant pour modifier rétroactivement l'assiette, le taux et les modalités de versement d'une imposition, alors que celle-ci avait un caractère exceptionnel, qu'elle a été recouvrée depuis deux ans (...) ».
Vous avez donc, avec cette décision, accru encore la précision et la rigueur de votre jurisprudence antérieure selon laquelle si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général qui doit être « suffisant ».
Or l'article 30 crée une nouvelle imposition qui a explicitement pour fonction de procurer à l'assurance maladie une ressource équivalente au montant qu'elle devra rembourser aux laboratoires. Ce faisant, il est contraire à la Constitution pour deux raisons.

1. Cet article 30 n'est en réalité rien d'autre
qu'une validation législative plus ou moins déguisée
Le seul but de cette contribution, but qui n'est, lui, aucunement déguisé, est de neutraliser les conséquences financières d'une décision de justice. La contribution créée par l'article 30 présente d'ailleurs des points communs fondamentaux avec la taxe annulée par le Conseil d'Etat : son bénéficiaire, la CNAMTS ; ses redevables, l'industrie pharmaceutique ; son assiette, le chiffre d'affaires des spécialités remboursables et agréées ; son montant, enfin : 1,2 milliard. Cette équivalence doit être si précise que le législateur ne prévoit, en ce qui concerne le taux, qu'une fourchette, et renvoie à l'autorité réglementaire le soin de déterminer un chiffre parfaitement précis aboutissant à une sorte de restitutio in integrum du mécanisme de 1996 qui est l'objectif fondamentalement poursuivi.
Il s'agit donc, sans doute possible, d'une mesure de validation, particulièrement critiquable en regard de votre jurisprudence, issue notamment de votre décision no 119 DC du 22 juillet 1980. C'est en effet une validation a posteriori, franche et brutale, qui aboutit, au prix d'un détour, à remettre en vigueur un acte annulé par le juge administratif ou du moins à restaurer toutes ses conséquences. En tant que telle, cette validation de fait du III de l'article 12 de l'ordonnance de 1996 est contraire aux principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance des juridictions. Par ailleurs, la volonté de neutraliser les conséquences financières de l'annulation sur les comptes de l'assurance maladie, à savoir le remboursement par celle-ci d'une somme de 1,2 milliard de francs, ne peut être considérée comme un motif d'intérêt général suffisant pour justifier cette mesure. Cette perte de recettes, pour n'être pas négligeable, n'était pas cependant exorbitante et n'imposait pas par son volume une solution rigide. Les recettes de la CNAMTS se sont en effet élevées à 648,6 milliards de francs en 1999 ! Or votre jurisprudence contrôle la proportionnalité de la mesure de validation par rapport à sa justification, qui est elle-même fonction des nécessités d'intérêt général.
Le mécanisme institué par l'article 30 témoigne de l'obstination avec laquelle les autorités responsables persévèrent dans la recherche d'une rétroactivité législative d'abord patente, puis larvée, mais dans les deux cas réelle. La disposition litigieuse tend, en effet, à produire en effet juridique équivalent à celui des dispositions rétroactives que vous avez censurées dans votre décision précitée du 18 décembre 1998, à méconnaître cette décision et à tenir en échec la décision du Conseil d'Etat du 15 octobre 1999 revêtue de l'autorité de la chose jugée.
L'article 30 est donc inconstitutionnel.

2. L'article 30 porte une atteinte importante à l'exigence de sécurité juridique et de confiance légitime des contribuables, dont l'aspiration naturelle et légitime est de savoir à quoi s'en tenir sur les règles du jeu fiscal. Elle viole aussi l'égalité devant l'impôt
En effet, certaines entreprises qui ont vu leur chiffre d'affaires augmenter sensiblement entre 1996 et 1999 verront le montant de leur contribution dépasser de façon substantielle celui du remboursement auquel elles pourront prétendre. De plus, certaines entreprises se retrouveront assujetties, qui n'avaient pas acquitté la première contribution, et d'autres ne le seront plus, alors qu'elles bénéficieront du remboursement. Or le principe de sécurité juridique est inscrit aux articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : s'il convient, bien entendu, de ne pas galvauder ce principe et d'en faire une application maîtrisée, il est cependant difficile de ne pas reconnaître sa valeur constitutionnelle.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
(Liste des signataires : voir décision no 99-422 DC.)