J.O. Numéro 16 du 20 Janvier 1999       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 01032

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 décembre 1998 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 98-407 DC


NOR : CSCL9803363X



LOI RELATIVE AU MODE D'ELECTION DES CONSEILLERS REGIONAUX ET DES CONSEILLERS A L'ASSEMBLEE DE CORSE ET AU FONCTIONNEMENT DES CONSEILS REGIONAUX
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, notamment ses articles 3 et 16, prévoyant, en cas d'égalité de suffrages, l'attribution de la prime majoritaire à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la moins élevée et l'attribution du dernier siège au moins âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus, les articles 4 et 17 imposant que chaque liste assure la parité des candidats féminins et masculins, les articles 20 et 21 modifiant la composition du collège électoral des sénateurs, l'article 22 établissant au profit de l'exécutif régional une procédure de vote bloqué pour l'adoption du budget, l'article 23 étendant la procédure d'adoption sans vote du budget de la région aux délibérations à caractère fiscal et à deux autres délibérations budgétaires, l'article 24 rendant obligatoirement publiques les réunions des commissions permanentes des conseils régionaux, l'article 27 fixant les conditions d'entrée en vigueur de la loi.

I. - Sur l'attribution, en cas d'égalité de suffrages, de la prime majoritaire à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la moins élevée et sur l'attribution du dernier siège au moins âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus
Les articles 3 et 16 de la loi déférée ont notamment pour effet d'accorder au deuxième tour, lorsque les deux listes arrivées en tête ont obtenu le même nombre de suffrages, une prime égale au quart des sièges arrondi à l'entier supérieur à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la moins élevée.
Ces articles ont aussi pour effet d'attribuer le dernier siège à pourvoir, en cas d'égalité de moyenne et de suffrages entre listes, au moins âgé des candidats susceptibles d'être élu.
Le troisième alinéa de l'article L. 338 du code électoral résultant de l'article 3 serait en effet ainsi rédigé :
« Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un second tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal au quart du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l'entier supérieur. En cas d'égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la moins élevée. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application du quatrième alinéa ci-après. »
Le sixième alinéa de l'article L. 338 du code électoral résultant de l'article 3 serait ainsi rédigé :
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué au moins âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus. »
L'article 16 de la loi est ainsi rédigé :
« L'article L. 366 du code électoral est ainsi modifié :
« 1o Dans l'avant-dernière phrase du deuxième alinéa, le mot : "plus" est remplacé par le mot : "moins" ;
« 2o Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les listes qui n'ont pas obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à la répartition des sièges ;
« Les dispositions des deux derniers alinéas de l'article L. 338 sont applicables à l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que les dispositions précitées sont contraires aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
L'attribution du bénéfice de l'âge au plus âgé des candidats, en cas d'égalité de suffrages, figure parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Le Préambule de la Constitution de 1958 a donné une valeur constitutionnelle « aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».
Dans son premier alinéa, le préambule de la Constitution de 1946 « réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».
Au nombre des lois de la République ayant fondé ces principes fondamentaux figurent sans aucun doute la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux, qui a fixé leur élection au scrutin uninominal à deux tours dans le cadre du canton et la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation municipale, qui a décidé de l'élection des conseillers municipaux au scrutin de liste à deux tours.
L'article 14 (2o) de la loi du 10 août 1871 tout comme l'article 30 de la loi du 5 avril 1884 prévoient, dans les mêmes termes, que « si plusieurs candidats obtiennent le même nombre de suffrages, l'élection est acquise au plus âgé ».
Ce faisant, les lois de 1871 et de 1884 précitées se bornaient à reprendre un principe non contredit depuis plus de deux siècles, puisque la Constitution du 24 juin 1793 énonce, dans son article 27 concernant l'élection des députés, que « en cas d'égalité des voix, le plus âgé a la préférence, soit pour être ballotté, soit pour être élu. En cas d'égalité d'âge, le sort décide ».
Les nombreuses modifications subies par le code électoral n'ont jamais remis en cause, à aucun moment, ce principe fondamental et qui concerne aussi bien les mandats électoraux que les fonctions électives.
Les dispositions contestées de l'article 3 et de l'article 16 méconnaissent donc un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

II. - Sur l'obligation pour chaque liste d'assurer
la parité entre les candidats féminins et masculins
Les articles 4 et 17 de la loi déférée font obligation à chaque liste de candidats à l'élection au conseil régional ou à l'Assemblée de Corse d'assurer la parité entre candidats féminins et masculins.
En effet, aux termes du troisième alinéa de l'article 4, le deuxième alinéa de l'article L. 346 du code électoral relatif aux conditions de recevabilité des candidatures pour l'élection des conseillers régionaux serait ainsi rédigé :
« Chaque liste assure la parité entre candidats féminins et masculins. »
L'article 17 complète l'article L. 370 du code électoral, concernant les conditions de recevabilité des candidatures pour l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse, par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque liste assure la parité entre candidats féminins et masculins. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que le troisième alinéa de l'article 4 et l'article 17 sont contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Dans votre décision no 82-146 DC du 18 novembre 1982, vous avez considéré « que la règle qui, pour l'établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe (était) contraire aux principes constitutionnels », que vous avez constatés à partir du rapprochement de l'article 3 de la Constitution et de la dernière phrase de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'article 3 de la Constitution est ainsi rédigé :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ;
« Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ;
« Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ;
« Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. »
La dernière phrase de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est ainsi rédigée :
« Tous les citoyens étant égaux (aux yeux de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Dans votre décision précitée, vous en avez conclu que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers municipaux ».
Les principes constitutionnels s'opposant à une distinction entre candidats en raison de leur sexe n'ont en rien été modifiés depuis votre décision du 18 novembre 1982 précitée.
Ils sont applicables à l'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse, comme vous les avez appliqués à celle des conseillers municipaux.
Les dispositions contestées de l'article 4 et l'article 17 de la loi violent donc l'article 3 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

III. - Sur la modification de la composition
du collège électoral sénatorial
Les articles 20 et 21 de la loi déférée ont pour effet de prévoir la participation au collège électoral des sénateurs, de conseillers régionaux désignés par le conseil régional, à la place des conseillers régionaux élus dans le département, et d'en fixer les modalités de désignation.
Aux termes de l'article 20, l'article L. 280 du code électoral serait ainsi modifié :
« 1o Le 2o est ainsi rédigé :
« 2o Des conseillers régionaux et des conseillers de l'Assemblée de Corse désignés dans les conditions prévues par le titre III bis du présent livre » ;
« 2o Le deuxième alinéa est supprimé. »
Aux termes de l'article 21, le titre III bis du livre II du code électoral serait ainsi rédigé :
« Art. L. 293-1. - Dans le mois qui suit leur élection, les conseils régionaux et l'Assemblée de Corse procèdent à la répartition de leurs membres entre les collèges chargés de l'élection des sénateurs dans les départements compris dans les limites de la région ou de la collectivité territoriale de Corse.
« Le nombre de membres de chaque conseil régional à désigner pour faire partie de chaque collège électoral sénatorial est fixé par le tableau no 7 annexé au présent code.
« Le nombre de membres de l'Assemblée de Corse à désigner pour faire partie des collèges électoraux sénatoriaux de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse est respectivement de 24 et de 27.
« Art. L. 293-2. - Le conseil régional ou l'Assemblée de Corse désigne d'abord ses membres appelés à représenter la région ou la collectivité territoriale au sein du collège électoral du département le moins peuplé.
« Chaque conseiller ou groupe de conseillers peut présenter avec l'accord des intéressés une liste de candidats en nombre au plus égal à celui des sièges à pourvoir.
« L'élection a lieu au scrutin de liste sans rature ni panachage. Les sièges sont répartis à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne.
« Il est ensuite procédé de même pour désigner les conseillers appelés à faire partie du collège électoral des autres départements, dans l'ordre croissant de la population de ces derniers : aucun conseiller déjà désigné pour faire partie du collège électoral d'un département ne peut être désigné pour faire partie d'un autre.
« Lorsque les opérations prévues aux alinéas précédents ont été achevées pour tous les départements sauf un, il n'y a pas lieu de procéder à une dernière élection : les conseillers non encore désignés font de droit partie du collège électoral sénatorial du département le plus peuplé.
« Celui qui devient membre du conseil régional ou de l'Assemblée de Corse entre deux renouvellements est réputé être désigné pour faire partie du collège électoral sénatorial du même département que le conseiller qu'il remplace.
« Art. L. 293-3. - Le représentant de l'Etat dans la région ou dans la collectivité territoriale de Corse notifie au représentant de l'Etat dans chaque département de la région ou de la collectivité territoriale les noms des conseillers désignés pour son département en vue de l'établissement du tableau des électeurs sénatoriaux mentionné à l'article L. 292. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que les articles 20 et 21 précités sont contraires aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Les dispositions en vigueur du titre III bis du livre II du code électoral (art. L. 293-1 à L. 293-3) prévoient des modalités de désignation particulières des délégués de l'Assemblée de Corse au collège électoral sénatorial, les membres de l'Assemblée de Corse étant élus dans la collectivité territoriale de Corse et non dans les deux départements de Corse.
L'article 21 étendrait, sous réserve de quelques adaptations, ces modalités à la désignation des délégués des conseils régionaux, que l'article 20 aurait fait figurer dans le collège électoral sénatorial.
Certes, vous avez estimé que les articles L. 293-1 à L. 293-3 du code électoral, issus de la loi no 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, n'étaient pas contraires à la Constitution (décision no 91-290 DC du 9 mai 1991).
Selon l'article 72 de la Constitution, « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi ».
L'article L. 4421-1 du code général des collectivités territoriales énonce que « la Corse constitue une collectivité territoriale de la République au sens de l'article 72 de la Constitution ».
La collectivité de Corse est régie par des règles spécifiques, aussi bien pour son organisation et son fonctionnement, le régime juridique de ses actes, ses compétences ou son régime financier, faisant l'objet du titre II du livre IV de la quatrième partie du code précité.
Le mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse est organisé selon des dispositions distinctes de celles applicables à l'élection des conseillers régionaux (titre II du livre IV du code électoral).
Il n'est donc pas contestable que la Corse constitue une collectivité territoriale dont le statut particulier ne peut être assimilé à celui d'une région.
Les principes applicables à sa représentation dans les collèges électoraux sénatoriaux des départements de Corse ne valent donc pas pour les régions.
De la sorte, votre décision précitée du 9 mai 1991 ne saurait trouver matière à s'appliquer dans les régions.
L'article LO 274 du code électoral implique que, sous réserve d'exceptions prévues par d'autres textes de valeur organique, les sénateurs soient élus dans le cadre du département et, donc, que leurs électeurs soient eux-mêmes élus dans le département dans lequel se déroule l'élection.
Les articles 20 et 21 de la loi contestée auraient pour conséquence de faire participer à l'élection des sénateurs certains conseillers régionaux qui ne seraient pas élus dans le département dans lequel se déroule l'élection des sénateurs, mais dans un autre département de la région, contrairement à la disposition de valeur organique précitée.
Seule une loi organique aurait pu apporter une exception à la règle fixée par l'article LO 274 du code précité, que les articles 20 et 21 de la loi méconnaissent donc.

IV. - Sur l'établissement au profit de l'exécutif régional
d'une procédure de vote bloqué pour l'adoption du budget
Le 2o de l'article 22 de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux établit au profit de l'exécutif régional une procédure de « vote bloqué » du budget de la région.
En effet, aux termes du 2o de l'article 22, l'avant-dernier alinéa de l'article L. 4311-1 du code général des collectivités territoriales serait ainsi rédigé :
« A l'issue de l'examen du budget primitif, le président du conseil régional peut soumettre à un vote d'ensemble du conseil régional le projet de budget initial, qu'il peut modifier après accord du bureau par un ou plusieurs des amendements soutenus ou adoptés au cours de la discussion. Cette procédure peut également s'appliquer à deux autres délibérations budgétaires relatives au même exercice hormis le compte administratif. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que le 2o de l'article 22 est contraire aux règles et principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Sont, en conséquence, également contraires aux mêmes règles et principes les dispositions du 1o de l'article 22 qui prévoient que l'adoption de l'ensemble des chapitres ou des articles vaut adoption du budget, sauf si le président du conseil régional met en oeuvre la procédure de « vote bloqué ».
1. Aboutissant à un véritable dessaisissement de l'assemblée délibérante de son pouvoir de modifier, si elle le souhaite, les recettes ainsi que les crédits inscrits dans les chapitres ou les articles du projet de budget, le 2o de l'article 22 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus.
S'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de libre administration, les règles qu'il édicte ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales.
Le Conseil constitutionnel a veillé à ce que de telles entraves ne puissent être édictées (par exemple, dans vos décisions no 90-274 DC du 29 mai 1990 et no 90-277 DC du 25 juillet 1990). Le principe de libre administration implique, en particulier, que l'organe délibérant soit doté d'attributions effectives (décision no 85-196 DC du 8 août 1985).
Le vote par l'organe délibérant du budget de la région constitue une attribution essentielle qui exprime dans toute sa plénitude la libre administration de la région par un conseil élu. Dans l'exercice de cette attribution majeure, l'organe délibérant doit pouvoir modifier, s'il le souhaite, les chapitres et articles du projet de budget qui lui est soumis.
Or l'article 22 précité aboutirait à ce que, quand bien même l'organe délibérant aurait adopté l'ensemble des chapitres et articles du projet soumis à sa délibération - ce qui, en vertu du 1o de l'article 22 précité, vaudra désormais adoption de l'ensemble du budget -, l'exécutif régional pourrait lui demander de se prononcer par un vote unique sans prendre en compte les amendements adoptés par l'organe délibérant au cours de la discussion budgétaire. Il pourrait également lui demander de se prononcer par un vote unique en prenant en compte des amendements expressément rejetés par l'assemblée délibérante au cours de l'examen du budget, l'article 22 autorisant le président du conseil régional à modifier le projet de budget initial par des amendements qui auraient été simplement « soutenus » au cours de la discussion budgétaire.
Cette procédure exorbitante du droit commun permettrait à l'exécutif de s'opposer aux options retenues par la majorité des conseillers régionaux dans l'exercice des pouvoirs qui leur sont conférés par les dispositions du code général des collectivités territoriales, lesquelles ne font que traduire au plan législatif le principe de libre administration de la région par un conseil élu.
Elle serait applicable non seulement à l'adoption du budget primitif mais aussi à celle de deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif) en fonction d'une décision prise par l'exécutif seul. Or, celui-ci, conformément au principe de libre administration, ne peut avoir pour mission que de préparer et d'exécuter les décisions de l'organe délibérant et non de lui imposer son propre point de vue.
En conséquence, les attributions de l'organe délibérant en matière budgétaire pourraient, selon le choix du seul exécutif, se limiter à voter ou à rejeter par un seul vote le projet de budget qui lui est présenté.
Dessaisissant l'organe délibérant de ses attributions essentielles en matière budgétaire, l'article 22 de la loi n'a en aucune façon pour objet d'assurer le respect du principe de continuité des services publics ou d'éviter un quelconque dessaisissement des organes délibérants de la région au profit du représentant de l'Etat, circonstances qui ont fondé au plan constitutionnel la procédure d'adoption sans vote du budget de la région issue de la loi no 98-135 du 7 mars 1998 (décision no 98-397 DC du 6 mars 1998), dont seul le défaut d'utilisation peut désormais entraîner le règlement du budget de la région par le représentant de l'Etat.
La procédure qu'il institue n'a donc nullement pour objet de remédier à une situation de blocage résultant du rejet du projet de budget ou d'un quelconque obstacle à son adoption avant la date du 20 mars ou du 30 avril, les années de renouvellement des conseils régionaux. Sa mise en oeuvre ne serait fondée que sur la seule volonté de l'exécutif de faire prévaloir son point de vue sur celui librement exprimé par l'organe délibérant au cours de l'examen des chapitres ou articles .
Au surplus, s'agissant des deux autres délibérations budgétaires auxquelles la procédure pourrait être appliquée, la continuité des services publics et l'éventuel dessaisissement de l'organe délibérant au profit du représentant de l'Etat ne sauraient être en cause puisqu'il s'agit de décisions modificatives. Or, seul le défaut d'adoption du budget primitif avant la date du 20 mars ou du 30 avril, les années de renouvellement des conseils régionaux, peut entraîner le règlement du budget de la région par le représentant de l'Etat et seulement si le dispositif dérogatoire issu de la loi du 7 mars 1998 n'est pas mis en oeuvre par le président du conseil régional.
Le principe de continuité des services publics n'est pas non plus en cause dès lors que ces délibérations ont pour objet de modifier le budget primitif dont les dispositions demeurent applicables tant qu'elles n'ont pas été modifiées.
2. En permettant l'exécution d'un budget sans que les votes émis par l'organe délibérant au cours de la discussion aient été pris en compte, le 2o de l'article 22 méconnaît les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789.
La procédure instituée par le 2o de l'article 22 de la loi aboutirait, en effet, à priver les citoyens du « droit de constater (...) par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement (...) et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
En effet, toutes les modifications votées librement par l'organe délibérant au cours de la discussion pourraient être ignorées de l'exécutif, le vote d'ensemble pouvant porter sur le projet initial, le cas échéant modifié par des amendements qui auraient été expressément rejetés par l'assemblée délibérante au cours de l'examen du budget.
Or une telle procédure exorbitante du droit commun ne peut se fonder sur aucune autre règle ou principe de valeur constitutionnelle. Par l'article 44 de la Constitution, le constituant doit, en effet, être regardé come ayant entendu réserver aux rapports entre le Gouvernement et le Parlement la procédure permettant l'adoption par un seul vote de tout ou partie d'un texte en ne retenant que certains amendements présentés au cours de la discussion.
La loi ordinaire ne peut donc pas - sans par là même priver les citoyens du « droit de constater (...) par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement (...) et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » - définir une procédure permettant l'exécution d'un budget sans que les votes émis au cours de la discussion aient été pris en considération.
Etablissant une telle procédure, le 2o de l'article 22 de la loi viole également l'article 13 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel la contribution commune indispensable pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses de l'administration « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette égale répartition ne pourra, en effet, être assurée dès lors que l'organe délibérant sera privé de tout pouvoir de modifier le projet de budget préparé par l'exécutif.

V. - Sur l'extension de la procédure d'adoption sans vote du budget de la région aux délibérations relatives aux taux de certaines taxes locales et à deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif)
L'article 23 de la loi étend le champ d'application de la procédure d'adoption sans vote du budget de la région - issue de la loi no 98-135 du 7 mars 1998 - aux délibérations à caractère fiscal et à deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif).
Aux termes de l'article 23 de la loi, l'article L. 4311-1-1 du code général des collectivités territoriales serait ainsi rédigé :
« Art. L. 4311-1-1. - Sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1612-2, si le budget a été rejeté au 20 mars de l'exercice auquel il s'applique ou au 30 avril de l'année de renouvellement des conseils régionaux, le président du conseil régional communique aux membres du conseil régional, dans un délai de dix jours à compter du vote de rejet, un nouveau projet sur la base du projet initial, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements soutenus lors de la discussion. Ce projet est accompagné de projets de délibérations relatives aux taux des taxes visées au 1o du a de l'article L. 4331-2 et au 1o de l'article L. 4414-2 ainsi que, le cas échéant, des taxes visées aux 2o, 3o et 4o du a de l'article L. 4331-2. Le nouveau projet et les projets de délibérations ne peuvent être communiqués aux membres du conseil régional que s'ils ont été approuvés par son bureau au cours du délai de dix jours susmentionné.
« Ce projet de budget et les projets de délibérations relatives aux taux sont considérés comme adoptés à moins qu'une motion de renvoi, présentée par la majorité absolue des membres du conseil régional, ne soit adoptée à la même majorité. La liste des signataires figure sur la motion de renvoi.
« La motion est déposée dans un délai de cinq jours à compter de la communication du nouveau projet du président aux membres du conseil régional et comporte un projet de budget et des projets de délibérations relatives aux taux des taxes visées au 1o du a de l'article L. 4331-2 et au 1o de l'article L. 4414-2 ainsi que, le cas échéant, des taxes visées aux 2o, 3o et 4o du a de l'article L. 4331-2, qui lui sont annexés. Elle mentionne le nom du candidat aux fonctions de président et comporte la déclaration écrite prévue par le dernier alinéa de l'article L. 4133-1.
« Le projet de budget annexé à la motion est établi conformément aux dispositions des articles L. 4311-1 à 4311-3. Il est transmis, un jour franc après le dépôt de la motion de renvoi, par le président du conseil régional au conseil économique et social régional, qui émet un avis sur ses orientations générales dans un délai de sept jours à compter de sa saisine. Le même jour, et par dérogation aux dispositions de l'article L. 4132-18, le président convoque le conseil régional pour le neuvième jour qui suit ou le premier jour ouvrable suivant. La convocation adressée aux conseillers régionaux est assortie de la mention de renvoi déposée et du projet de budget ainsi que des projets de délibérations relatives aux taux des taxes visées au 1o du a de l'article L. 4331-2 et au 1o de l'article L. 4414-2 et, le cas échéant, des taxes visées aux 2o, 3o et 4o du a de l'article L. 4331-2, qui lui sont annexés.
« Le vote sur la motion a lieu par scrutin secret au cours de la réunion prévue au quatrième alinéa.
« Si la motion est adoptée, le projet de budget et les projets de délibérations relatives aux taux sont considérés comme adoptés. Le candidat aux fonctions de président entre immédiatement en fonction et la commission permanente est renouvelée dans les conditions fixées par l'article L. 4133-5.
« Le budget est transmis au représentant de l'Etat au plus tard cinq jours après la date à partir de laquelle il peut être considéré comme adopté conformément au deuxième alinéa ou de la date de l'adoption ou du rejet de la motion de renvoi. A défaut, il est fait application des dispositions de l'article L. 1612-2.
« Les dispositions du présent article , à l'exception de celles de la dernière phrase des troisième, sixième et septième alinéas, sont également applicables à deux autres délibérations budgétaires relatives au même exercice, qui font l'objet d'un vote de rejet par le conseil régional, hormis le compte administratif. Dans ce cas, le président du conseil régional peut alors communiquer un nouveau projet de budget aux membres du conseil régional, dans un délai de dix jours, sur la base du projet initial, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements présentés ou adoptés lors de la discussion sur les propositions nouvelles ; ce projet ne peut être soumis au conseil régional que s'il a été approuvé par son bureau au cours du délai de dix jours susmentionné.
« Les dispositions du présent article ne sont applicables à la collectivité territoriale de Corse. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 23 précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
1. En étendant aux délibérations relatives aux taux des taxes locales la procédure d'adoption sans vote du budget de la région, l'article 23 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus ainsi que les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789.
S'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de libre administration, les règles qu'il édicte ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales.
Le Conseil constitutionnel a veillé à ce que de telles entraves ne puissent être édictées (par exemple, dans vos décisions no 90-274 DC du 29 mai 1990 et no 90-277 DC du 25 juillet 1990). Le principe de libre administration implique, en particulier, que l'organe délibérant soit doté d'attributions effectives (décision no 85-196 DC du 8 août 1985).
Or, dessaisissant l'organe délibérant de ses attributions essentielles en matière fiscale, l'extension de la procédure d'adoption sans vote aux délibérations relatives au vote du taux des taxes locales prévue par l'article 23 de la loi n'a en aucune façon pour objet d'assurer le respect du principe de continuité des services publics ou d'éviter un quelconque dessaisissement des organes délibérants de la région au profit du représentant de l'Etat, circonstances qui ont fondé au plan constitutionnel la procédure d'adoption sans vote du budget de la région issue de la loi 98-135 du 7 mars 1998 (décision no 98-397 DC du 6 mars 1998).
En effet, les délibérations relatives aux taux des taxes locales ne sont pas nécessairement adoptées avec le budget de la région. Seul le défaut d'adoption de la délibération budgétaire stricto sensu avant la date du 20 mars ou du 30 avril, les années de renouvellement des conseils régionaux, peut entraîner le règlement du budget de la région par le représentant de l'Etat.
En conséquence, l'extension proposée par l'article 23 de la loi n'a nullement pour objet d'éviter le dessaisissement de l'organe délibérant de la région au profit du représentant de l'Etat. Elle n'a pas non plus pour objet d'assurer le respect du principe de continuité des services publics. En effet, l'équilibre de la section de fonctionnement et de la section d'investissement doit être nécessairement établi dans le cadre de la délibération budgétaire, laquelle doit ainsi assurer le respect du principe de continuité des services publics. Il revient à l'assemblée délibérante d'en tirer les conséquences lors de la fixation des taux des taxes locales, soit directement dans la délibération budgétaire elle-même, soit ultérieurement. Cette circonstance ne saurait suffire à fonder le dessaisissement automatique de l'assemblée délibérante de son pouvoir de décision en matière fiscale dès lors que la procédure d'adoption sans vote du budget de la région serait mise en oeuvre.
Pour ces motifs, en étendant aux délibérations relatives aux taux des taxes locales la procédure d'adoption sans vote du budget de la région, l'article 23 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus.
Il méconnaît également l'article 14 de la Déclaration de 1789 qui reconnaît aux citoyens le « droit de constater (...) par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement (...) et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Enfin, il viole l'article 13 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel la contribution commune indispensable pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses de l'administration « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette égale répartition ne pourra, en effet, être assurée dès lors que l'organe délibérant sera privé de tout pouvoir de modifier les projets de délibérations à caractère fiscal préparés par l'exécutif.
2. En étendant la procédure d'adoption sans vote du budget de la région à deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif), l'article 23 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus ainsi que les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789.

Le souci d'assurer le respect du principe de continuité des services publics ou d'éviter le dessaisissement des organes délibérants de la région au profit du représentant de l'Etat ne saurait davantage fonder l'extension de la procédure d'adoption sans vote du budget de la région à deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif).
Seul le défaut d'adoption du budget primitif avant la date du 20 mars ou du 30 avril, les années de renouvellement des conseils régionaux, peut entraîner le règlement du budget de la région par le représentant de l'Etat.
Le respect du principe de continuité des services publics n'est pas en cause dès lors que ces délibérations ont pour objet de modifier le budget primitif dont les dispositions demeurent applicables tant qu'elles n'ont pas été modifiées.
Pour ces motifs, en étendant à deux autres délibérations budgétaires (hormis le compte administratif) la procédure d'adoption sans vote du budget de la région, l'article 23 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus.
En outre, pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, l'article 23 de la loi, par une telle extension, méconnaît également les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789 précités.

VI. - Sur l'obligation d'un déroulement public des séances
de la commission permanente du conseil régional
L'article 24 de la loi prévoit que les séances de la commission permanente du conseil régional seront obligatoirement publiques, certaines dérogations étant néanmoins admises.
Aux termes de l'article 24 de la loi, l'article L. 4133-4 du code général des collectivités territoriales serait ainsi rédigé :
« Les séances de la commission permanente sont publiques.
« Néanmoins, sur la demande de cinq membres ou du président du conseil régional, la commission peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu'elle se réunit à huis clos. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 24 précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
S'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de libre administration, les règles qu'il édicte ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales.
Le Conseil constitutionnel a veillé à ce que de telles entraves ne puissent être édictées (par exemple, dans vos décisions no 90-274 DC du 29 mai 1990 et no 90-277 DC du 25 juillet 1990). Le principe de libre administration implique, en particulier, que l'organe délibérant soit doté d'attributions effectives (décision no 85-196 DC du 8 août 1985).
Or le principe de libre administration des collectivités locales emporte notamment pour conséquence que les régions doivent pouvoir fixer librement les modalités de fonctionnement de leur commission permanente, en fonction des choix de l'assemblée délibérante et des circonstances locales. Il appartient ainsi à chaque conseil régional, lorsqu'il établit son règlement intérieur dans le mois qui a suit son renouvellement, de décider s'il entend que les séances de sa commission permanente soient publiques ou non.
Cette solution, qui donne toute sa portée au principe de libre administration, n'est en aucune façon en contradiction avec le principe qui inspire l'article 15 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Comme l'a fait observer le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1995, ce principe ne saurait être interprété comme « condamnant les responsables publics à une surveillance de tous les instants et au renoncement à l'indépendance d'esprit et à la liberté de manoeuvre qui sont au nombre des conditions d'exercice de la fonction ». (Conseil d'Etat, rapport public 1995, p. 138-139, La Documentation française.)
Depuis la grande loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux dont les dispositions ont été ultérieurement étendues aux conseils régionaux, il a été admis de manière constante que la commission départementale de même que les structures qui lui ont succédé, à savoir le bureau puis la commission permanente, étant des émanations de l'assemblée délibérante ne devaient compte de leurs décisions qu'à cette dernière.
Revenant sur cette solution ancrée dans notre dispositif légal depuis 1871, l'article 24 de la loi déférée méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus.

VII. - Sur l'entrée en vigueur de la loi
L'article 27 de la loi déférée comportant des dispositions relatives à l'application dans le temps de plusieurs de ses dispositions a notamment pour effet, dans le silence du texte sur la date d'entrée en vigueur du nouveau mode d'élection des conseillers régionaux et celle de la modification de la composition du collège électoral sénatorial, de rendre ces dernières dispositions applicables à la date de publication de la loi.
L'article 27 est ainsi rédigé :
« I. - Les dispositions de l'article 1er de la présente loi entreront en vigueur pour le premier renouvellement général des conseils régionaux qui suivra sa publication.
« II. - L'article 22 de la présente loi sera abrogé à compter de la date du prochain renouvellement général des conseils régionaux. Il cesse également d'être applicable à tout conseil régional renouvelé avant cette date. Il n'est pas applicable à la collectivité territoriale de Corse.
« III. - Les dispositions de l'article L. 4311-1-1 du code général des collectivités territoriales sont applicables dans les régions dont le budget ne peut être considéré comme adopté à la date de promulgation de la présente loi soit en application des deux premiers alinéas de l'article L. 4311-1-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction initiale, soit en application des quatre alinéas suivants.
« L'article L. 4311-1-1 du même code sera abrogé à compter de la date du prochain renouvellement général des conseils régionaux. Il cesse également d'être applicable à tout conseil régional renouvelé avant cette date. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 27 précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et que, par suite, les articles 2 à 14, l'article 26 et le titre II de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux sont contraires à ces principes de valeur constitutionnelle.
1. L'entrée en vigueur immédiate du nouveau mode de scrutin pour l'élection des conseillers régionaux porterait atteinte au caractère universel et égal du suffrage, en cas d'annulation des opérations électorales dans un département avant le prochain renouvellement général.
L'annulation éventuelle des opérations électorales de mars 1998 dans un département après la promulgation de la loi priverait ce département de toute représentation au conseil régional.
En effet, les dispositions de l'article L. 363 en vigueur du code électoral prévoyant que « en cas d'annulation de l'ensemble des opérations électorales dans un département, il est procédé à de nouvelles élections dans ce département, dans un délai de trois mois » seraient remplacées par une nouvelle rédaction de ce texte résultant de l'article 13 de la loi, applicable immédiatement, ne prévoyant de nouvelles élections qu'en « cas d'annulation de l'ensemble des opérations électorales dans une région. »
Au surplus, le nouveau scrutin ne pourrait plus être organisé dans le département dont l'élection aurait été annulée puisque l'article 3 de la loi, immédiatement applicable, établit une nouvelle rédaction de l'article L. 338 du code électoral selon laquelle « les conseillers régionaux sont élus dans chaque région. »
Il n'y aurait donc plus de cadre législatif pour l'élection de conseillers régionaux dans une circonscription départementale.
L'absence totale de représentation d'un département au conseil régional serait donc manifestement contraire aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage, établis par l'article 3 de la Constitution, puisqu'elle ne s'appliquerait pas à des situations différentes, ne serait pas motivée par des raisons d'intérêt général et ne serait pas en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
2. L'entrée en vigueur immédiate du nouveau mode de scrutin pour l'élection des conseillers régionaux porterait atteinte au caractère égal du suffrage, en cas de dissolution d'un conseil régional avant le prochain renouvellement général.
L'article L. 4132-3 du code général des collectivités territoriales permet la dissolution d'un conseil régional par décret en conseil des ministres.
Si un conseil régional était dissout avant le prochain renouvellement général des conseils régionaux, des élections se dérouleraient dans cette région selon le nouveau mode de scrutin, les dispositions de la loi relatives à ce mode de scrutin étant d'application immédiate.
Cette région se trouverait alors dotée d'un conseil régional élu selon un mode de scrutin différent de celui appliqué dans les autres régions lors du dernier renouvellement général.
Dès lors, coexisteraient au même moment plusieurs conseils régionaux élus selon des règles différentes.
La situation ainsi permise par l'application immédiate du mode de scrutin prévu par la loi serait contraire au principe d'égalité du suffrage, établi par l'article 3 de la Constitution, puisqu'elle ne s'appliquerait pas à des situations différentes, ne serait pas motivée par l'intérêt général et ne serait pas en rapport avec la loi qui l'établit.
3. L'entrée en vigueur immédiate de la modification de la composition du collège électoral sénatorial porterait atteinte au principe d'égalité.
Conformément à l'article LO 276 du code électoral, le Sénat est renouvelable par tiers. Son prochain renouvellement triennal interviendra en 2001.
Les conseillers régionaux élus en 1998 pour un mandat de six ans, selon l'article L. 336 du code électoral, feront l'objet d'un renouvellement général en 2004.
Les conseillers régionaux élus dans les départements dans lesquels se dérouleront des élections sénatoriales en 2001 ne seront plus membres de droit du collège électoral sénatorial, puisque l'article L. 280 (2o) du code électoral aurait été modifié par l'article 20 de la loi, qui serait d'application immédiate.
L'application de l'article 21 de la loi dès le prochain renouvellement sénatorial supposerait toutefois que sa première phrase selon laquelle les conseils régionaux procèdent à la répartition de leurs membres entre les collèges électoraux sénatoriaux du département « dans le mois qui suit leur élection » soit interprétée, pour ce qui concerne les conseils régionaux en fonction à la date de publication de la loi, comme devant s'effectuer « dans le mois qui suit la publication de la loi ».
Seraient, dans cette hypothèse, désormais membres du collège électoral sénatorial les conseillers régionaux désignés par le conseil régional dans les conditions fixées par les articles L. 293-1 à L. 293-3 du code électoral, dans leur rédaction qui résulterait de l'article 21 de la loi.
Rien n'empêcherait donc qu'un conseiller régional élu dans un département en 1998 soit délégué du conseil régional dans le collège d'un autre département de la région, en méconnaissance de l'article LO 274 du code électoral impliquant que les délégués sénatoriaux soient élus dans le département concerné.
Des délégués du conseil régional dans les collèges départementaux concernés par les élections sénatoriales de 2001 pourraient donc ne pas avoir été élus dans le département concerné, alors que dans les autres départements, non soumis au renouvellement sénatorial de 2001, les sénateurs ont tous été élus par un collège comprenant des conseillers régionaux nécessairement élus dans le département.
Ceci induirait une différence injustifiée dans le mode d'élection des sénateurs, suivant qu'ils appartiennent à la série renouvelable en 2001 ou à une autre série.
La situation ainsi permise par l'application immédiate de la modification de la composition du collège électoral sénatorial prévue par la loi serait contraire au principe d'égalité du suffrage, établi par l'article 3 de la Constitution, puisqu'elle ne s'appliquerait pas à des situations différentes, ne serait pas motivée par l'intérêt général et ne serait pas en rapport avec la loi qui l'établit.
Au surplus, dans l'hypothèse de la dissolution d'un conseil régional dans une région comprenant des départements concernés par le renouvellement sénatorial de 2001, l'inégalité serait plus flagrante encore puisque, l'élection régionale consécutive à cette annulation ayant eu lieu dans une circonscription régionale, le nombre de conseillers régionaux membres du collège sénatorial sans avoir été élus dans le département concerné serait probablement plus élevé.
4. En ne prévoyant pas de dispositions transitoires suffisamment précises et complètes pour permettre l'application du nouveau régime électoral dans de strictes conditions d'égalité sur l'ensemble du territoire, le législateur n'a pas épuisé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
L'abstention du législateur ne permettrait donc pas aux dispositions sur le mode d'élection des conseillers régionaux (art. 2 à 14 et art. 26) et à celles sur le collège électoral sénatorial (titre II) de recevoir une application conforme au principe constitutionnel d'égalité.
(Liste des signataires : voir décision no 98-407 DC.)