A la Une de Bakchich.info
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Immobilier

Fier d'être locataire (1)

16 décembre 2010 à 15h27
"Mais pourquoi tu n’achètes pas plutôt ?". Une simple question qui tranche la société en deux catégories : les propriétaires responsables et les locataires flambeurs. Voire.

Je suis parisien et je vis seul dans un 48m².

Quand mes amis me demandent le loyer de mon appartement, je leur réponds : 1100 €.

Nous sommes à Paris, c’est cher. Mais le montant du loyer importe peu dans ce que je vais vous dire aujourd’hui. Ce qui importe au fond, c’est le réflexe pavlovien propriétariste qui pousse les gens à réciter ce mantra dans une transe dont ils ne garderont plus aucun souvenir en sortant de chez moi : « Mais pourquoi tu n’achètes pas plutôt ? ».

Sans blague. Toute personne dans ma position connait cette phrase.

Elle tranche à elle seule la société en deux catégories : les propriétaires responsables et les locataires flambeurs. Les fourmis et les cigales.

Cette question, c’est tout l’héritage culturel collectif condensé en une baffe sèche.

Pour l’esquiver, je pense fort à Bouddha et tente de décrocher un rictus qui pourrait inciter mon interlocuteur à méditer sur l’harmonie intérieure que confère la location, parce que je me souviens que le lien social ne tient qu’à un fil et qu’exulter en fronçant les sourcils ne servirait à rien.

Sentant que le transfert de vérités transcendantales passe mal entre nos deux âmes, j’explique verbalement que je ne suis pas très sensible à cette idée de propriété, et que j’aime le sentiment de liberté que confère la location. Si un jour mes voisins (qui sont de vrais cons) m’énervent trop, (ce qui ne manquera pas d’arriver), je partirai sans demander mon reste.

Irrémédiablement, mon interlocuteur saisi une cacahuète de sur la table et me rétorque, sur un ton qui me laisse penser – ou bien qu’il n’a pas vraiment écouté mon précédent argument, ou bien qu’il a été engagé par mon banquier pour me faire souscrire un crédit sur 30 ans : « oui mais si tu achetais, tout cet argent ne partirait pas en fumée, à la fin, tu aurais ton appart, à toi. ».

C’est dans ces moments-là que le néant essaie de s’emparer de moi — je le sens parce qu’il y a des courants d’air qui glissent sur mes articulations et qui remontent à mon cerveau. Bon joueur, je la joue quand même piqué par la pertinence de la réplique et réponds sans mollir : « oui, mais je n’arrive pas à anticiper sur 30 ans. D’ici là, je trouverai cet endroit trop petit ou trop parisien. »

A cet instant, nos deux cerveaux sont complètement cramés d’avoir ahané des arguments rabâchés des millions de fois à d’autres interlocuteurs, et dans un dernier effort de sociabilité, sentant que je commence à le regarder avec les yeux d’un décérébré, il lance : «  oui mais tu peux très bien mettre ton appart en location pour rembourser ton prêt et vivre ailleurs. Tu reste libre. »

Explosion au napalm à l’intérieur. Rester calme à l’extérieur. Surtout, ne pas exposer l’entourage, le plus dur est passé. « Ah ouais, pas con » dis-je pour conclure l’accord et céder courtoisement la priorité, harassé par notre différence profonde de vision du monde…

La plupart du temps, je me dis qu’il faudrait que je développe ma pensée pour que mes amis entendent mon point de vue, quitte à plomber l’ambiance. Mais le plus souvent, je cède à la facilité de passer pour un benêt qui a bien de la chance qu’on lui explique la vie sans avoir à réfléchir.

Mais puisque vous êtes là et que vous avez envie de comprendre pourquoi la LOCATION est de loin le mode de vie le plus SAIN et le moins MORTIFÈRE dans ce qui existe actuellement, je vais développer.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à chaque fois que vous voulez posséder quelque chose qui dépasse la somme de vos revenus, vous devez passer par une banque.

Et cette banque vous consentira – si vous prenez la précaution pendant l’entretien de ne pas faire mention de votre dégoût à l’endroit du système financier et de ses agents de la mort – un prêt.

Et alors là, attention, tenez-vous bien, parce que c’est précisément ici que tout se joue. Figurez-vous que dans ce petit mot de 4 lettres réside un très redoutable abîme métonymique en Do majeur.

La subtilité sémantique qui réside dans la double interprétation possible de ce simple mot « prêt » est à mon avis insidieusement LA SEULE ET VRAIE origine de l’inégalité parmi les hommes.

N’en déplaise à Rousseau, nous verrons cela dans la suite de notre prochain billet…

-----

Fier d’être locataire (2) Sacré Général !
Mots clés : Argent immobilier

9 Messages de forum

  • Fier d’être locataire (1)

    16 décembre 2010 17:11, par Loko

    ok, bon, on se fait entuber par les banques au niveau des prêts, c’est clair.

    Je mange mon pain noir, et quand tout ceci sera fini mes enfants pourront en profiter et ils n’auront pas besoin de la banque, eux. Ni leurs enfants à eux (si la maison tient jusque là).

    A part ça, les mots d’énervements employés dans l’article me semble excessif, il y a des désaccords de points de vue bien plus importants que ce sujet là.

    • Fier d’être locataire (1) 16 décembre 2010 19:00, par Nico

      Oui il y a plus important comme débat, mais il est ici posé et profitons-en. Surtout quand on est locataire et qu’arrivé la trentaine on entend la fameuse phrase assez (trop) souvent.

      JDC, tant mieux si ca se passe comme ça pour vous et vos enfants, mais j’ai peur que le monde dans lequel on vit ne tienne pas qu’à votre sage décision de bon père de famille. En tout cas pas pour tout le monde. Bien souvent une fois les enfants partis et la retraite arrivée on revends son 5 pièces et on achète un T2 de plain pied proche de l’hosto sans escalier (danger, entretien, les enfants viennent plus, etc.) et on rembourse les dettes avec l’économie. Ils en font quoi de ça les enfants ?

      Mais en dehors des cas idéaux comme le vôtre (après tout, si vous avez les moyens, allez-y, là je n’ai pas d’objection) et au-delà des arguments de l’article, ce qu’on oublie c’est les frais que ça implique d’être propriétaire : taxe foncière, grosses réparations, remboursement du "prêt" qui coûte un œil (pour la même chose, un crédit long coûtera facilement 200 euros de plus par mois qu’un loyer).

      Entre nourrir mes gosses et payer ma maison, j’ai choisi. Mais beaucoup de foyers de la classe moyenne se ruent dans le piège et franchissent la marche de trop dans leur niveau de vie. Si seulement on ne mettais pas le sacrosaint "Posséder son logement" sur un tel piédestal…

      J’ajoute que l’argument "si tu veux changer tu mets en location et t’achètes autre chose" ne tient pas mieux que "ça aura pris de la valeur tu pourras revendre et acheter plus gros". La mise en location prend soit du temps, soit de l’argent, dans tous les cas de l’énergie, et n’est pas forcément rentable face à l’achat suivant.

      Quant à la revente, si on a acheté un logement destiné à la location sur un programme neuf "bon marché", on peut bien s’accrocher pour le revendre vu que l’appartement ou le pavillon ne ressemble que de loin à la belle plaquette du promoteur, en plus de l’usure prématurée d’un bien pareil. Et comme précisé dans l’article, on ne sait pas où on en sera dans 30 ans. Un divorce, du chômage, une maladie et c’est la descente (les assurances n’aident pas toujours ou bien on les a un peu truandées sur les questionnaires pour obtenir le prêt et on se retrouve le bec dans l’eau)…

      De plus, la pharaonique plus-value visée lors de la revente sera largement engloutie par le surcoût de l’achat d’un logement plus grand.

      Sans compter qu’habiter un quartier en location peut aider à se faire une idée sur les vraies ou les fausses économies générées par le changement de zone géographique (souvent motivé par le seul prix sans regarder le surcoût dû à l’éloignement des infrastructures).

      Bref, je préfère laisser ma situation se consolider, mes revenus augmenter et -pourquoi pas- me constituer un apport et emprunter sur 20 ans à 40 ans que sur 30 à 30 ans…

  • Fier d’être locataire (1)

    16 décembre 2010 18:47, par xla99

    Moi, j’ai deux articles à mon arsenal pour essayer de calmer les ardeurs de mes amis qui deviendraient presque violent quand je leur explique que je suis très content d’être locataire et qu’au final, c’est une question de choix de vie, pas un investissement :

    1/ Toutes les réponses claires et concises qui la coupe à tous les poncifs du genre "tu jette ton argent par la fenêtre, direct dans la poche du proprio" http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2010/10/locataire.html

    2/ La preuve par 1+1=2 que les 3/4 du temps, c’est plus payant d’épargner que d’acheter une maison http://www.majorblog.net/2010/12/16/investir-fonds-payant-immobilier/

    PS : Par contre, on peut aussi considérer qu’être proprio est une forme d’épargne forcée pour les indisciplinés qui n’arrivent pas à épargner mais ce n’est pas mon cas, vive la location et les vacances à se toucher le pompon !

    • Fier d’être locataire (1) 17 décembre 2010 09:21, par Loko

      A propos des articles sur la comparaison chiffrée locataire/proprio, je les trouve malhonnetes car ils prennent des exemples qui les arrangent. J’explique :

      - je suis propriétaire, et je n’ai pas emprunté 400 000€ sur 25 ans à 4% ! Loin de là. Du coup, meme si j’engraisse mon banquier, ce n’est pas du tout dans les proportions citées par l’article. Mon pret m’aura en tout couté 20 000€ d’intérets, cad 1 ou 2 ans de loyers, pas plus.

      - il faut comparer sur la durée moyenne d’une vie : le locataire loue tout sa vie, le proprio ne rembourse pas toute sa vie, rien ne l’empeche ensuite de placer son argent une fois le pret terminé, voire meme pendant.

  • Fier d’être locataire (1)

    16 décembre 2010 20:20, par toto
    euh, sinon y’a aussi, tu fais ta maison avec tes petites mains sans passer par une banque, du coup, t’as pas le prêt, mais t’as plus de dos certes (m’enfin au moins c’est pas un maçon qui se le pète), t’as pas de loyer non plus, et voili.
  • Fier d’être locataire (1)

    18 décembre 2010 12:16, par Bonzo

    Moi, ce qui me gène, à ce propos, ca va au delà des questions d’argent. J’y reste une minute, pour rappeler que l’obtention d’un prêt passe par la disponibilité d’un "certain capital" (l’"apport personnel"), le remboursement du prêt implique l’assurance de revenus suffisants pendant la durée du prêt, et l’ensemble ne tient que si le système financier global ne se casse pas violemment la gueule…

    Mais une fois que vous aurez balayés ces considérations de quelques revers d’arguments bien sentis (et tout à fait légitimes, j’en suis sur !), j’en reviendrais à ce que je disais, mon refus de devenir propriétaire se base sur autre chose :

    le refus de l’appropriation du sol.

    Je n’arrive tout simplement pas à me faire à l’idée que je serais légitime à revendiquer la propriété d’un lieu, d’un bout de terrain et des constructions qu’il y a dessus, même si elle sont dument enregistrées par les services compétents et validés par les règlements en vigueur lors de leur réalisation.

    Je n’ai pas ce que l’on pourrait appeler "l’âme du propriétaire", je ne me sens pas légitime à exiger ma part d’une terre qui n’appartient en fait à personne, et devrait être à la disposition de tous.

    Devenir propriétaire, dans le système social et économique actuel, c’est, outre les considérations "financières" exposées par vous et par moi, nécessairement devenir un défenseur du principe de propriété, et plus précisément de la sienne. C’est adhérer de facto à l’ensemble du système, aux spoliations organisées et légales, à la cupidité comme mode social, à la transmission patrimoniale…bref, à tout ce qui pour moi représente l’échec de la démocratie et de la vie sociale actuelle. C’est aussi de facto adhérer au "parti de la loi et de l’ordre", celui qui fait croire au petits propriétaires que la défense des grands intérêts entraîne de facto la leur. Ne le prenez pas à mal, mais devenir propriétaire, pour moi, c’est, sauf à manifester une foncière (désolé) hypocrisie, devenir réactionnaire, et empêcher tout progrès social. Un renoncement.

    Je suis contre la propriété en principe, j’admets la possession, au sens proudhonien du terme, je pourrais accepter une "propriété limitée" si elle était un système global et organisé, mais dans le contexte économique et social dans lequel nous vivons, elle me paraît comme la principale cause des maux dont souffrent une grande majorité de mes coreligionnaires.

    • Fier d’être locataire (1) 19 décembre 2010 09:20
      Tout à fait d’accord, et j’ajoute que de plus accepter ce principe de s’endetter pour un appartement ne fait que enrichir les banques et les dépositaires ( rentiers de différents types, Livret A compris, oui ) et conforte l’État dans son désengagement dans ce volet social fondamental. Car depuis quand qu’aucun "plan Marshall" n’a était décidé pour une construction massive et salutaire de logements de toutes catégories pour soulager la population, de cette plaie, et que l’Etat la laisse se faire abuser par des banques instinctives ( pas tout le monde a droit aux fameux crédits bancaires ) et sans scrupule ( taux marginal sans effort et zéro risque ou presque, l’argent ne leur coûte rien ou presque, elles payent 1% à peine à la banque de France ). Dernier point, si on veut une économie du travail et non pas de la spéculation financière, il faut commencer par soi même, c’est à dire ne pas faire des placements de petits rentiers ni jouer le petit actionnaire en "boursicotant" sur des entreprises devenues folles de finance, car ces rentes et rendements qui vous sont présentés "proprement" par votre "conseillère sexy" ou "conseiller charmant" proviennent à la base de l’argent fructifié, dans des sombres conditions et montages financiers, par des hedges fund, sans merci ni états d’âme, qui investissent dans les armes et financent des pouvoirs atroces pour atteindre diamant et matière première. Donc après il faut pas venir se plaindre des inégalités dans ce pays ni dans le monde ni d’une crise qui ne va qu’en s’aggravant ( nous vivons une phase historique du capitalisme, le travail a généré beaucoup d’argent, cet argent n’étant pas capturé ni par les masses qui l’ont produit ni par l’Etat, à cause des paradis fiscaux, donc s’est trouvé entre une poignée de mains de fortunes qui ne s’intéressent plus aujourd’hui à le ré investir dans une économie à leurs yeux "pas intéressante car pas rentable" il est clair que les chômeurs, 2 millions et demi en France, vont devoir attendre et espérer un petit "saut d’humeur positif" de ses fortunes pour qu’ils daignent ré investir dans l’économie et nos 2,5 millions de chômeurs re trouveront l’emploi et un petit sourire avec ).
  • Fier d’être locataire (1)

    18 décembre 2010 13:44
    Les raisonnements économiques ne permettent pas vraiment de remettre à plat les modes d’attachement/détachement qu’on établit avec son habitat. La dichotomie locataire/propriétaire peut être dépassée pour peu qu’on s’organise différemment : http://clip.ouvaton.org
  • Fier d’être locataire (1)

    8 janvier 09:02, par cassenoisette
    bravo Jeannot ! la bio super