(Last update : Wed, 8 Sep 1999)
[ Internet et PME ]

6.1.1.3 Une économie de Standards: les premiers arrivés prennent les places et sont ensuite indélogeables

Internet est davantage une économie de normes, de standards, que de technologie Plutôt que NTIC, Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, dont nous avons vu à quel point ces mots étaient trompeurs, il serait sans doute plus approprié de les nommer NST : Nouveaux Standards Transactionnels.

Le coût d'un logiciel est quasiment un coût fixe et ne dépend pratiquement pas du nombre de clients: si vous multipliez par 1000 le nombre de vos clients vous divisez pratiquement par ce même chiffre votre prix de revient unitaire...

Aussi le marché est-il au départ d'un nouveau produit extrêmement instable quand plusieurs compétiteurs s'affrontent: celui qui arrive à distancer ses concurrents se retrouve très rapidement en position dominante, inexpugnable, en devenant la référence dans son secteur tandis que le marché se concentre sur lui:

"il faut créer tout de suite un leader mondial. Car quelqu'un qui a une avance dispose d'une fenêtre de 6 ou 9 mois seulement pour en profiter" Maurice Tchénio patron d'Apax Partner

Yahoo!, AOL et Amazon.com ont par exemple atteint un taux de notoriété spontané supérieur à 50% ce qui donne à ces entreprises une valeur boursière sans commune mesure avec leur chiffre d'affaire et leurs résultats financiers:

AOL "vaut" 63 milliards de dollars, Yahoo! atteint 35 milliards de dollars pour à peine plus de 200M $ de CA , et Amazon 17 milliards de dollars bien qu'elle fasse encore des pertes.

Quant à Lucent et Nortel ils ont dû respectivement débourser 25,2 et 6,7 milliards de dollars - soit 15 M$ par ingénieur - pour racheter Ascend et Bay-Networks afin de rattraper le retard qu'ils avaient pris sur les technologies internet,


A son échelle, Alcatel dont les développements techniques étaient étroitement influencés par l'opérateur historique était lui aussi pris à contre-pied par l'effondrement du marché de la commutation traditionnelle et de ce fait sévèrement sanctionné par les marchés

A cette période les analystes de Merrill Lynch, malgré son leadership mondial dans l'ADSL, allaient jusqu'à dire fin 1998: " nous estimons que le manque d'expertise et de compétences intellectuelles d'Alcatel dans ce domaine mettent en péril l'avenir du groupe".

Pour rattraper les années perdues il a acheté, sur la base de 6M$ par ingénieurs Packet Engines (routeurs) pour 0,315 milliard de dollars et de Xylan (pour 2 Milliards) apportant la maîtrise de la fusion voix-données, indispensable pour aborder le marché des clients "non-historiques" et de DSC pour 4 Milliards) mais sa faible capitalisation lui interdit des achats par échange d'action et il est contraint de payer en cash

Ceux que l'on appelle les "day traders" qui liquident toutes leurs positions chaque soir avant la clôture de marché, vendent et achètent de 30 à 70 fois par jour (contre une fois par mois pour l'investisseur "normal"), tant et si bien qu'ils représentent 25 % des volumes échangés sur le Nasdaq

La prime aux entrants est déterminante : si la stratégie du " me too " connaît parfois des succès dans la pharmacie, même s'ils sont bien souvent relatifs, elle ne saurait ici être gagnante

Une exception cependant : cette stratégie peut être intéressante dans des pays encore peu ouverts à internet et qui ne sont pas encore un véritable enjeu pour les entreprises qui font la course en tête : l'objectif est alors, en s'inspirant d'un modèle marketing qui a fait ses preuves outre atlantique, de conquérir une part de marché dans le pays considéré, pour pouvoir la revendre dans un second temps à un leader, lui faisant ainsi gagner un temps précieux dans sa phase d'expansion.

Ce fut en particulier le cas des fournisseurs d'accès qui n'ont véritablement gagné d'argent que lors de la vente de leur "fonds de commerce" sur une base d'un ordre de grandeur de 1000$ par client (Iway, Calvacom, Imaginet,...)

Malgré les moyens considérables déployés par Barnes&Noble, le leader historique des libraires, malgré son alliance avec Bertelsmann et Hachette on voit ses difficultés à essayer, avec un succès jusqu'à présent non confirmé, de rattraper le temps perdu


Un argument que l'on entend souvent en effet dans notre pays paraît extrêmement pernicieux :

" toutes ces entreprises ne reposent en fait que sur une bonne idée en matière de marketing, elles ne bénéficient d'aucune protection technologique, laissons-les donc essuyer les plâtres, créer le marché et les nouveaux entrants bénéficieront de l'expérience et pourront "ramasser la mise" "

Mais ne peut-on pas tenir le même raisonnement sur Coca-Cola ? Des dizaines d'entreprises se sont mises depuis une dizaine d'années à fabriquer et vendre des colas en profitant d'une "éducation du goût" déjà faite. Et pourtant peu d'entre elles approchent la capitalisation boursière du leader historique

Les pionniers bénéficient en effet, grâce à leur situation de "référence", et au caractère innovateur des services qu'ils offrent d'une énorme publicité gratuite (sans même compter ce rapport) : il y a peu de journaux qui ne parlent chaque semaine, sinon chaque jour, d'Amazon.com et de Yahoo! avec des connotations "jeune", "dynamique", "conquérant" et "sympathique", alors qu'en contrepoint se dessine l'image de "lourdeur", de "vieux", de "manque d'imagination" des "Empereurs", l'image de Goliath contre David

Amazone et Yahoo! Ont atteint en trois ans un taux de notoriété spontanée de 50 % que les très grandes marques ont mis souvent des décennies à obtenir

Ceci est un premier atout
d'une valeur considérable que notre culture a tendance à sous-estimer

Deuxième atout : avec la mondialisation tout internaute se trouve placé en position de choisir entre des centaines sinon des milliers de références. Dans ce contexte deux éléments sont déterminants

- le prix car c'est un élément qui se prête à des comparaisons faciles notamment grâce aux agents intelligents

- la notoriété de la marque facteur de confiance qui offre un repère essentiel milieu de cette jungle

en termes de rentabilité pour le marchand le second est souvent considéré comme le plus important

Troisième atout: de plus en plus les sites marchands véritablement performants pratiquent le "softselling", c'est-à-dire qu'ils offrent aux visiteurs de très nombreux services gratuits afin de les fidéliser et de faire de leur site la référence de la profession :

Analyse financière pour E-trade, critique littéraire, club de lecteurs, moteur de recherche pour Amazone.com, banque de données géographiques pour allappartment.com,...


Cela représente de très lourds investissements, facilement amortis quand les clients se comptent par millions et, à l'inverse, extrêmement difficiles à financer pour le nouveau venu : rappelons que les logiciels ou les sites sont des coûts fixes et que, de ce fait, leur prix de revient est inversement proportionnel au nombre de clients.

Dans la net-économie il y a une prime considérable pour le leader car il peut vendre moins cher, voir même fournir ses services gratuitement, tirer des revenus substantiels de la publicité, et accumuler les moyens financiers pour creuser la différence en termes de qualité et pour racheter ses concurrents malheureux

Ceci est une des explications des cours de bourse actuels, totalement déconnectés des chiffres d'affaires et des bénéfices d'aujourd'hui

Attention : cela ne signifie pas qu'un leader est inexpugnable : il a peu à craindre d'un imitateur mais il a tout à redouter d'une idée neuve.

La bataille de l'Internet gratuit, encore fort indécise aujourd'hui mais qui a permis à Dixons d'obtenir en quelques mois trois fois plus de clients que des leaders comme Wanadoo illustre bien ce point.

Mais cela a nécessité une idée marketing neuve : couplage du portail de commerce électronique et de la fourniture d'accès gratuit, et en se rémunérant pour partie par un reversement de la marge réalisée par l'opérateur de la boucle locale

...et la création de nouvelles start-up comme Internet Télécom qui se propose de vendre des plates-formes d'internet gratuit personnalisé, clé en main (portail, plate-forme technique, centre d'appel, ...) aux grands distributeurs (ou aux Banques!) qui choisiraient comme Darty ou la Fnac cette voie pour développer leur commerce

"le succès et l'arrogance qu'il apporte empêche de voir arriver la révolution suivante et ses futurs concurrents. la route 128 qui entoure Boston où se trouve notre siège social est le premier cimetière d'entreprises High Tech des Etats Unis" Michael Ruettgers Pdg d'EMC entreprise spécialisée dans le stockage de données, nouveau métier qui se développe avec l'Internet commercial qui nécessite de stocker de gigantesques quantités d'information (50milliards de dollars de capitalisation, soit plus que Boeing ou Motorola)


Il est donc extrêmement important pour notre pays de faciliter l'émergence de telles start-up, et de créer un environnement qui ne les oblige pas à se vendre très vite à des entreprises étrangères. Le seul domaine aujourd'hui où ce sont des start-up françaises qui dominent le marché mondial est celui des cartes à puces, avec Gemplus

Dans les jeux [22] (infogrames, ubisoft) dans les industries de la Langue (Systran, Elan informatique), dans le multimédia grand public (Havas Interactive), dans les logiciels d'intelligence économique (Arisem)... et plus anecdotiquement dans les fleurs (Aquarelle.com, Jenny Fleurs, Interflora voir page 115) nous avons cependant des entreprises figurant parmi les leaders mondiaux.


Mais il est vrai que 1998 a été la première année de décollage d'internet en tant qu'outil grand public en France, avec aujourd'hui 6% environ de la population concernée, contre presque rien il y a 18 mois : ceci va nécessairement créer un marché et, par le fait même, susciter des vocations.

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