[ Yolin | 2001 | Sommaire ]

6.1.1.3 Pour l'innovation dont les plus radicales proviennent quasiment toujours d’entreprises nouvelles

Les innovations majeures ne viennent que rarement des structures établies (que l'on nomme communément par un terme popularisé par JM. Billaut les "Empereurs") car celles-ci sont souvent prisonnières de structures lourdes, de personnel mal préparé à une mutation radicale, d'un réseau de distribution qui paralyse les changements commerciaux rapides

Levi's a même du faire machine arrière en supprimant son site de vente en ligne fin 1999 pour ne pas s'aliéner ses distributeurs

Au début de cette révolution, elles sont plutôt prospères ce qui les amène à regarder d'un oeil condescendant les premières aventures, souvent imparfaites de leurs nouveaux concurrents ("seuls les bébés mouillés aiment le changement" rappelle la sagesse populaire...)

Bien souvent elles ne développent une activité Internet que de façon marginale

La prestigieuse Encyclopaedia universalis fondée en 1768 a manqué sombrer : la nouvelle direction a du revoir de fond en comble son business model: le coût de l'encyclopédie est passé de 9.400Fpour l'édition papier à 1.980F(CD-Rom + Internet) en 1998 et 360F en 1999 (la version électronique représentant néanmoins 64% du chiffre d'affaire). Son homologue française Encyclopedia Universalis est vendue sous cette forme à 1.497F

Le prochain pas, celui d'un accès gratuit sur le Web a été franchi début 2000 www.britannica.com avec l'ambition de devenir un site à fort trafic rémunéré pour une large proportion par la publicité

L'affaire est de nouveau bénéficiaire mais le nombre de courtiers est passé de 200 à 30. Par contre l'encyclopédie est maintenant réactualisée en profondeur tous les ans, contre un léger lifting tous les 5 ans précédemment

Ken Olsen, un précurseur dans le manque de vision, président de l'alors puissant Digital equipment déclarait au début des années 1970 "je n'arrive pas à trouver une seule raison pour laquelle quelqu'un voudrait avoir son propre ordinateur.."

La plupart des présidents des grands groupes (IBM, Hewlett-Packard, Ericsson, Compaq...) ont eux-mêmes récemment avoué que leur entreprise n'avait pas pris la mesure à temps de l'importance de cette évolution ou avaient reculé devant l'ampleur des remises en cause nécessaires

"ces dernières années nous n'avons pas tout fait pour devenir un leader dans ce domaine et nous avons eu tort" Lewis Platt Président de Hewlett-Packard

"vous n'imaginez pas la créativité qui est déployée pour résister au changement!" Nobuyuki Idei Pdg de Sony

Thomas Middelhoff nouveau président de Bertelsmann déclarait à l'été 1999 "l'Internet n'est pas une nouvelle activité comme je le pensais,...il va transformer radicalement notre manière de travailler, les règles du jeu changent, il nous faut une nouvelle culture" et en septembre 2000 Richard Mohn, le patriarche-fondateur "avec l'Internet Bertelsmann se trouve dans une situation comparable à celle qui existait à la fin de la guerre. Il faut tout rebâtir"

Le "100 days work-out blitz": Jack Welch patron de General Electric, (290 000 salariés) se vantait jusqu'il y a 4 ans de ne même pas savoir se servir d'un micro-ordinateur, sa prise de conscience s'est faite...sous l'influence de sa femme "Avoir une seconde femme 17 ans plus jeune que soi oblige à rester dans le jeu" déclarait-il à "fortune" . Après être passé de la première capitalisation mondiale à la troisième, la prise de conscience tardive (1999) mais fulgurante de ce patron énergique entraîne une réaction tout aussi brutale: les 500 principaux dirigeants du groupe qu'il convoque se voient donner un délai de 100 jours pour redéfinir leur stratégie chacun dans son domaine. Une équipe d'un millier de "e-business leaders" sont mis en place. Chacun des cadres dirigeants (lui compris) se voit désigner un tuteur de moins de 30 ans. Les groupes "destroyyourbusiness.com" ont pour objectif d'obliger chacun à imaginer comment une start-up ou un concurrent pourrait les évincer du marché grâce à une capacité de mieux servir le client, et dans la foulée de lancer de nouvelles initiatives

Un an après, 3 niveaux de management étaient supprimés dans la circulation de l'information et GE avait retrouvé la première capitalisation mondiale (530 milliards de dollars), "mais jamais cette révolution n'aurait pu avoir lieu si vite si le terrain n'avait été préparé par une démarche qualité (Six Sigma) ayant orienté toute l'énergie de l'entreprise vers la satisfaction du client"

Merrill Lynch n'a proposé qu'en juillet 1999 un service en ligne à ses 5 millions de client en divisant par 10 ses tarifs de courtage à 29,95$ au lieu de plusieurs centaines de dollars (selon le montant de la transaction) précédemment (et elle a du pour cela acquérir la start-up DE. Shaw pour 25 M$): son cours a aussitôt baissé car les analystes ont considéré que cette stratégie n'était pas crédible sans remise en cause profonde de la structure qui continue de s'appuyer sur ses 15.000 courtiers!

C'est également le cas des bourses : voir page 136

D'autres Grands Groupes, notamment dans notre pays, n'ont toujours pas compris:

Philippe Lemoine coprésident du directoire des Galeries Lafayette déclarait au Monde "des entreprises ne s'y sont lancées que pour ne pas arriver à la réunion des analystes financiers sans un projet Web quelconque sous le bras. Il y a des tas de gens qui y sont allés sans conviction et qui ont pris le risque de perdre de l'argent et de ne pas savoir pourquoi ils le perdaient. Du coup le retour de bâton est violent".

Malgré des résultats financiers remarquables ces groupes, dans le secteur bancaire par exemple ("qui restent en France dans une stratégie défensive" (Cambridge Technology), se trouvent avec des valorisation moitié moindre que celle de concurrents dont les investisseurs ont le sentiment qu'ils ont véritablement pris conscience des enjeux

C'est un euphémisme de dire que ni les grandes banques, ni les grandes bourses, ni les constructeurs automobiles, ni les grandes maisons de disque, ni les leaders de la distribution pharmaceutique n'ont été les visionnaires de leur domaine

"dip toe in the water strategy doesn't work" dit l'adage

L'an 2000 nous paraît avoir été celui de la prise de conscience de nos grandes entreprises:

Elles ont dépassé le stade du site institutionnel pour s'investir dans des projets majeurs touchant le coeur même de leur activité comme cela est ressorti clairement du congrès Net2001 www.mynet2001.net (réseau virtuel des entreprises du secteur automobile www.mynet2001.com/concours/publiste/63.html, réorganisation du processus d'achat autour du e-procurement chez Aventis www.mynet2001.com/concours/publiste/8.html, service client chez Snecma www.mynet2001.com/concours/publiste/51.html , création d'une base de donnée pour la maintenance des avions (SITA) www.mynet2001.com/concours/publiste/31.html , outil d'analyse stratégique pour les comités de direction du groupe Renault

De plus en plus de grands groupes, prenant la mesure du danger, après une première phase de condescendance pour ces jeunes étudiants, commencent à créer des fonds de "corporate venture", sur le modèle des entreprises américaines comme IBM, SUN, HP, Oracle,Microsoft, Merck, Intel ...(Intel dispose d'un portefeuille de 600 sociétés) pour être présents au capital de ces nouveaux venus et disposer ainsi d'un poste d'observation des évolutions en cours sans les étouffer prématurément dans leurs lourdes structures en les rachetant (Cisco considère que 30% de ses innovations proviennent de ses acquisitions, souvent préparées par des prises de participation)

"nous sommes les yeux et les oreilles d'Intel, nous observons les tendances" Stephen Nachstein VP d'Intel Capital)

En 2001d'après l'indicateur Leonardo/Digital Business Globe ils étaient présents dans le tiers des premiers tours de table, le quart des levées de fonds et ont apporté 10% des capitaux ainsi investis

Vivenditure (Vivendi associé à d'autres industriels européens et américains), Viventure Partners Jean-Pascal Tranié, Auriga (Rhône-Poulenc, Danone, AXA), Innovacom Denis Champenois, Technocom (France Télécom), Dassault développement Benoit Haber (Pdt) Luc Lechelle (500MF gérés), Thomson CSF Venture Jean-Michel Barbier, Thomson Multimédia Yves Stebe, Schneider Electric Ventures Jean Netter, EDF Capital Investissement Jean-Philippe Larramendy, Flavius investissement (LVMH), Club de développement (Pinault Printemps Redoute),Europ@web (groupe Arnault), @viso (Vivendi, et le groupe japonais Softbank de Masayochi Son, actuellement en sommeil), Air Liquide Partners Bertrand Girin,, Aventis Venture Capital Fund Michael Garrett, eBertelsmann (Bertelsmann doté de 1 Milliard de dollars),de même pour EDF, le CEA, Alcatel, Chrysalead (Daniel Pinto) incubateur de Danone, ETF Group Maurice Khawam, Bull Internet Incubator,...

D'autres comme Thomson, Hewlet Packard ou IBM, encouragent les "spin-off" et Toyota a créé une société totalement en marge des structures (VVC :Virtual Venture Company) avec une quarantaine de jeunes cadres (moyenne d'age 36 ans) pour créer éventuellement une nouvelle marque plus "jeune" échappant ainsi aux réseaux traditionnels et capable de mieux tirer parti des nouvelles possibilités offertes par l'internet

"nous encourageons également la filialisation de certaines découvertes, les start-up étant plus à même de lancer rapidement des produits commerciaux" Paul Horn, patron de la R&D d'IBM : au début des années 1990 une étude interne avait montré que moins de 5% des travaux de recherche débouchaient sur le marché

Même la CIA qui a créé le Fonds In-Q-it (en référence au major Boothroyd alias "Q"), doté de 28M$, adopte cette démarche (NY Times du 29 sept 99)

Certaines fonctions ne peuvent être assurées que de façon totalement intégrée à l'entreprise (relations client, approvisionnement, intelligence économique, ingénierie simultanée, intégration des ERP, ...) mais d'autres peuvent être traitées en "périphérie" de l'entreprise (places de marché, ventes sur internet,..) : Ils confient leurs propres développements Internet bien souvent à des filiales ad hoc vivant au rythme et selon les modalités de fonctionnement de la nouvelle économie ce sont soit des "start-up internes", soit de jeunes entreprises rachetées mais qui conservent leurs modes de gestion: l'effondrement des valeurs Internet a permis cette année aux entreprises traditionnelles de s'attacher des équipes expérimentées à bon compte (avec cependant le risque de retarder la nécessaire transformation en profondeur de l'entreprise elle-même)

"il est en effet extrêmement difficile de passer d'une organisation basée sur les "fonctions" à une autre basée sur les missions, à un mode de management où il faut donner du sens et pas seulement des directions, "il faut que le manager soit capable de fédérer au service des enjeux du client plutôt que toute autre condition de statut, de pouvoir ou de hiérarchie" (Bernard Dufau Pdg IBM France),

"l'entreprise n'est plus une forteresse mais un réseau ouvert, enchevêtré avec d'autres...les entreprises deviennent des structures molles à périmètre variable" Bernard Brunhes, les Echos:

Le handicap de notre culture profondément marquée par notre tradition paysanne avec un attachement très fort à la notion de territoire, de patrimoine et de frontières est dans ce domaine un fort handicap supplémentaire pour nos grands groupes

On peut effectivement constater que tous les leaders dans les secteurs nouveaux sont de jeunes entreprises "qui ne pensent qu'à ça" (les "barbares"). Elles n'ont pas d'inertie interne à vaincre, elles n'ont rien à perdre et elles bousculent allègrement les structures établies : Amazon.com, e-trade, Springstreet.com, Dell computer, Onsale, Autobytel, Yahoo! Worldcom, Qwest, Level3, Cisco, AOL, eBay, e-loan, EMC, Siebel, ariba...

...elles sont souvent dirigées par des jeunes ou des personnes venant, sans préjugés, d'horizons très différents :

Le créateur de Worldcom, Bernie Ebbers, qui a presque réussi sa 71ème prise de contrôle, la plus grosse (et de très loin) OPE mondiale avec 129 Milliards de dollars (il en a été empêché, après le succès en bourse par les autorités antitrust), a débuté comme entraîneur de basket puis dans l'hotellerie: il est dorénavant le premier opérateur mondial par sa capitalisation (290 Milliards de dollars) dépassant ATT (250 Milliards), et transporte la moitié du trafic Internet mondial

Celui de Qwest, Phil Anschutz, (créé il y a 2 ans elle atteint une capitalisation de 29 Milliards de dollars en janvier 99 et est en phase de prise de contrôle deUS West pour 35 Milliards) venait d'une entreprise de Chemin de fer

Léquipe de fondateurs de Level3, dirigée par James Crowe, vient du BTP (Groupe Peter Kiewit)...

Une expression avait vu le jour pour décrire ce phénomène :"to be Amazoned"

Elles ont l'esprit libre pour sortir des ornières "you must think and act outside the box"

On les appelle aussi les "Dot.com", car pour mieux marquer leur option totale pour l'Internet elles ont intégré le ".com" dans le nom même de leur marque : Amazon.com, springstreet.com , fromages.com, quote.com, boursier.com, Alafolie.com (industrie du mariage), Xoom.com, Moreover.com, promosdujour.com, startupfailure.com,...sans parler de la ville de Halfway dans l'Oregon qui a décidé de changer son nom pour celui de Half.com!

Certes, toutes ces entreprises ne survivront pas: comme lors des grandes révolutions industrielles des siècles passés (marine marchande, chemin de fer, électricité, automobile, micro-ordinateurs,...) d'innombrables initiatives ont permis une floraison d'innovations, d'intenses spéculations sur les nouvelles "start-up". Des faillites et des crises parfois dramatiques (1929) ont accompagné les phases de consolidation. Il n'en reste pas moins que toutes ces technologies ont façonné le paysage économique et que de nouveaux leaders sont apparus et que l'on est jamais revenu à la situation antérieure

Il semble que là comme ailleurs le "phénomène internet" se traduise par une accélération du temps, une accentuation de la hauteur de la vague, suivi, quasi mécaniquement, par une amplification du creux

La même semaine une PME de quatre ans d'âge, Excite, se vendait plus cher (6,7 milliards de dollars) qu'une grosse entreprise centenaire très convoitée, Volvo (6,3 milliards de dollars) et Yahoo!, après avoir absorbé Geocities, atteint la même valeur que BNP et Paribas réunis tandis que symboliquement AOL avec 63 milliards de dollars dépassait Disney (61 milliards malgré un chiffre d'affaires 10 fois plus élevé) et que Microsoft (261 milliards) prenait la tête du classement mondial devant General Motors ("seulement 257 milliards). En 1999 Microsoft a dépassé la barre des 600 milliards avant de redescendre en particulier lors de son procès pour abus de situation dominante

En juin 1999 Freeserve, fournisseur d'accès britannique gratuit, créé le 22 septembre 1998, vaut 9 mois après sa création presque aussi cher que le plus gros sidérurgiste européen né de la fusion de British Steel et de Hoogoven

Entre mars 2000 et octobre 2001 il n'est pas exceptionnel de voir les valorisations baisser de 95% alors même que le développement d'Internet continue à un rythme soutenu (de l'ordre du doublement des volumes)

Le e-krach ne doit pas nous faire baisser la garde: il reste toujours aussi important de favoriser la création de nouvelles entreprises technologiques, et cela étant plus difficile, l'effort des pouvoirs publics ne doit pas s'affaiblir, bien au contraire

Internet est davantage une économie de normes, de standards, que de technologie

Plutôt que NTIC, Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, dont nous avons vu à quel point ces mots étaient trompeurs, il serait sans doute plus approprié de les nommer NST : Nouveaux Standards Transactionnels.

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(Last update : Fri, 9 Feb 2007)