Titre : Président

Organisme : Observatoire des Usages de l’Internet

Pays : FRANCE

Adresse Postale : 894 avenue de Rouargues 34980 Saint Clément de Rivière

Téléphone : +334 67 66 78 79

Il est difficile de s'y retrouver dans la jungle des chiffres concernant l'internet : un ensemble homogène et public de chiffres caractéristiques, régulièrement maintenu au niveau national et international, comme en disposent des secteurs d'activité tels que les télécommunications ou la presse et les médias, manque cruellement.

Les chiffres cités sont trop souvent ponctuels, hors contexte, imprécis dans leur définition et dépourvus d'indication sur leur marge d'erreur. Les différences dans les méthodes utilisées pour les obtenir rend aléatoire une consolidation au niveau de régions ou de continents. Or ce sont ces chiffres de seconde main auquel le citoyen, l'utilisateur individuel ou la petite PME auront d'abord accès.

Ce document a pour but de contribuer à :

• exposer la situation actuelle, peu satisfaisante, et de mettre en garde contre une utilisation hâtive et abusive des chiffres
• aider le lecteur à avoir un esprit critique par rapport aux chiffres qu'on lui présente.
• inciter les médias à mieux expliquer les chiffres qu'ils citent
• montrer la variété des données associées aux différents aspects de l'internet
• contribuer à des définitions, des critères et des méthodes publiques et partagées en vue de disposer d'indicateurs statistiques de base de l'internet publics et pertinents et comparables dans le temps.

"Bonjour à toutes et à tous ; abonné depuis plusieurs mois à cette liste, ceci est ma première contribution... Je cherche les chiffres de l'internet pour 1996, 1997 et 1998 (nombre d'abonnés, d'internautes en France et dans le monde…). Je n'ai pas de continuité dans les chiffres que je possède, ceux-ci résultant d'études distinctes et parfois contradictoires." . "Si je puis me permettre", lui répond un autre abonné de la liste, "ce qui manque cruellement dans tout ça, c'est… un site qui évaluerait les sites qui diffusent des chiffres, tant ceux-ci varient du "tellement drôle" au "franchement comique"".

Cet extrait d'un récent débat à propos des "chiffres de l'internet", sur une liste de discussion concernant la veille économique sur l'internet (), traduit le désarroi du public devant l'opacité et l'incohérence des chiffres publiés sur l'internet et appelle à leur sujet à plus de rigueur et de transparence.

How many on line ?

Combien d'internautes actifs ? C'est la première question que tout le monde se pose : certains journaux et non des moindres n'ont-ils pas prétendu que 600 millions de personnes avaient regardé le site de la coupe du monde, alors qu'il s'agissait sans doute du nombre de consultations de la page d'accueil du site ?

Une société irlandaise, NUA, s'est construite une certaine réputation en rassemblant pour un grand nombre de pays un pot pourri de résultats d'études sur le nombre d'utilisateurs actifs ; une "personne en ligne" est définie comme une personne d'âge quelconque, qui s'est connectée au moins une fois à l'internet au cours des trois mois précédant l'enquête ; mais il est peu probable que les chiffres résultant d'enquêtes menées par des organismes différents correspondent à cette définition.

Chacun a sa propre définition de la population des "internautes" : parfois n'y sont comptabilisés que les "adultes" (pour certains les plus de 18 ans, pour d'autres les plus de 15 ans) ; la fréquence minimum de connexion peut être de un mois, deux mois, voire un an, la composition des échantillons et les méthodes de calcul devraient aussi être regardés de près…

Parfois on se renseigne auprès des fournisseurs d'accès sur le nombre de leurs abonnés ; mais, objecte le correspondant de la liste "veille" : " J'ai reçu hier soir le 3654789è CD d'AOL; si je me connecte avec le numéro imprimé sur la jaquette, suis-je un abonné d'AOL ? J'ai dans le même temps un compte chez Imaginet, un chez WorldNet et un chez Wanadoo… et j'ai également un compte perso ailleurs. Combien d'internautes suis-je ?"

En admettant que les fournisseurs d'accès communiquent les chiffres d'abonnements réels, ceux ci ne reflètent en outre qu'une partie de la population des utilisateurs. Les abonnements sont souvent partagés entre plusieurs personnes physiques ; NUA multiplie arbitrairement par trois le nombre des abonnements pour obtenir le nombre des utilisateurs, (indépendamment du pays et de l'environnement socio-économique) mais l'AFA considère que les 960000 abonnements qu'elle recense ne correspondent qu'à 1,3 millions d'utilisateurs…

Par ailleurs des utilisateurs se connectent à des services sans abonnement ou à partir de points d'accès publics et, bien sûr, une majorité d'utilisateurs à titre professionnel échappent à cette façon de compter. Enfin, personne ne dit comment sont comptabilisés les utilisateurs d'Intranets.

Un service gratuit, non sans arrière pensées

Même établis à des dates voisines, les chiffres sont souvent discordants comme le montre le tableau en annexe de résultats d'études effectuées, selon leurs auteurs en 1998 (par exemple de 0,40 à 1,12 millions d'utilisateurs belges pour quatre sondages datés de septembre à octobre 1998 ; pour la France les chiffres publiés dans le deuxième semestre 1998 vont de 1,5 millions à 6,1 millions ). La tentation est forte pour chacun de choisir les chiffres qui lui conviennent le mieux… Ce qui est vrai pour les évaluations du nombre d'utilisateurs l'est a fortiori pour beaucoup d'autres chiffres de l'internet, tels que ceux du commerce électronique dont les résultats varient de 1 à 10 selon les études .

NUA, qui laisse prudemment au lecteur le soin de choisir, n'en affirme pas moins, en appliquant sa propre "règle du pouce", qu'il y a, en décembre 1998, 151 millions d'utilisateurs dans le monde (dont 32,32 millions en Europe : quelle précision !).

Mais l'essentiel pour NUA, si l'on en croit un article de "Wired" () ne semble pas la rigueur scientifique : c'est que, selon l'un de ses dirigeants, "l'information gratuite rapporte" : la publication en libre accès de chiffres de l'internet glanés auprès des bureaux d'études et dépouillés de leur contexte aurait pour principal objectif d'attirer des clients pour les autres activités de cette entreprise : but d'ailleurs atteint dans le présent article où son nom est cité quatre fois…

Ce raisonnement n'est sans doute pas l'apanage de cette société irlandaise, mais contribue à la confusion actuelle et à l'incertitude sur les vrais chiffres de l'internet. Beaucoup pratiquent ainsi la publication de "chiffres d'appel", hors contexte, pour accroître l'audience de leur site ou comme appât pour l'achat de coûteuses études sensées dire tout le reste. Seulement beaucoup de lecteurs se contentent de ces chiffres, les rediffusent, assortis de leurs propres commentaires et contribuent ainsi à la chaîne de désinformation du public.

Le nombre de sites par domaines

Contrairement au nombre d'utilisateurs actifs, le nombre de sites actifs par domaine est une grandeur mesurée chaque semestre depuis 1990 par Network Wizard (), en utilisant des méthodes systématiques, publiques et peu contestées.

Ces chiffres sont fréquemment utilisés pour caractériser la pénétration de l'internet dans les différents pays.

Pourtant la notion de site est immatérielle et ne permet de déterminer de façon sûre ni un nombre d'utilisateurs, ni un nombre de machines, ni un taux d'utilisation, ni une localisation, même si le site dépend d'un domaine géographique : il s'agit donc alors de mesures sûres, comparables dans le temps (ce qui constitue leur principal mérite), d'une grandeur au contour flou.

Par ailleurs, les organismes d'enregistrement des noms de domaine publient des statistiques du nombre de noms de domaines enregistrés ; Netcraft publie la répartition par pays des sites appartenant aux domaines non géographiques (ainsi que l'AFNIC pour les domaines .com en Europe , dont la croissance rapide rend de moins en moins significative une cartographie des sites exclusivement fondée sur les domaines géographiques.

Toutefois, nom de domaine enregistré ne signifie pas site actif : de plus en plus d'utilisateurs "réservent" les noms de domaines qui pourraient leur servir, sans nécessairement les utiliser.

Les principaux écueils

Les écueils sont nombreux dans l'établissement et l'interprétation des chiffres et justifieraient une plus grande circonspection dans leur présentation. Ainsi, avec un taux de croissance souvent de l'ordre de 50 à 100% par an, la date effective de réalisation du sondage est primordiale. Or elle est souvent omise ou confondue avec la date de publication des résultats.

Une autre déviation méthodologique est la pratique des "enquêtes en ligne", bien moins coûteuses que des enquêtes par enquêteurs : mais n'y répondent que des volontaires suffisamment disponibles et à l’aise avec l’outil, qui ne constituent absolument pas un échantillon représentatif de l'ensemble des utilisateurs ou d'une catégorie d'entre eux…

Il arrive aussi fréquemment que des chiffres établis pour une population donnée (par exemple celle des Etats Unis) soient cités à propos d'une autre ; les sources américaines ne mentionnent d'ailleurs pas toujours explicitement que leurs chiffres sont établis pour les seuls Etats Unis.

Incertitude sur la définition des grandeurs mesurées, sur les méthodes employées, sur les marges d'erreur, sur la date effective des mesures, tout concourt à inciter à la plus grande prudence dans la lecture et l'utilisation des chiffres publiés sur l'internet.

Proposition de classement

L'internet est un outil complexe que l'on peut observer de différents points de vue, à différents niveaux d'abstraction, dans son fonctionnement et ses effets : depuis l'infrastructure physique du réseau jusqu'à ses utilisateurs, les usages qu'ils développent et l'impact de ces usages sur la société. Tout sur l'internet peut être instrumenté et mesuré, mais le problème est dans l'homogénéité des méthodes, la synthèse des chiffres et l'interprétation des résultats.

En partant du cœur du système technique, le "système Internet" peut être schématiquement représenté par les anneaux concentriques suivants concernant successivement :

• L'infrastructure physique
• L'infrastructure logique
• L'interface homme-machine
• Les contenus
• Les utilisateurs
• Les pratiques et usages
• Les environnements

Infrastructure physique

A l'infrastructure physique correspondent des chiffres associés aux liaisons physiques, nœuds du réseau, adresses IP, flux physiques…

L'OCDE a rassemblé dans un rapport public très complet et documenté les statistiques relatives aux "indicateurs de l'infrastructure de l'internet" qu'il propose pour les pays appartenant à cette organisation. Ces indicateurs portent aussi bien sur l'infrastructure logique que physique.

D'importants programmes de mesures des données relatives à l'infrastructure physique sont menés aux Etats Unis ()

Infrastructure logique

L'infrastructure logique recouvre des chiffres associés aux noms de domaine, sites, sites Web, contenus, flux logiques...

Les statistiques concernent le nombre total de sites Web et le nombre de sites Web sécurisés, c'est à dire disposant d'une couche SSL (Secure Socket Layer) et donc supposés aptes au paiement en ligne.

Elles doivent être complétées par des indications d'activité : fréquence de mise à jour, volume et qualité des contenus…

Interface homme-machine

L'interface homme-machine recouvre des chiffres associés aux postes de travail, adresses de boîte à lettre, outils logiciels d'accès aux services de l'internet (logiciels de messagerie, fureteurs…), outils de création de contenu…

Est équipé pour l'internet celui qui dispose du matériel nécessaire pour s'y connecter et en exploiter l'ensemble des services. C'est à dire un ordinateur équipé d'un modem, un "Network Computer" ou un "terminal Internet". Par contre un terminal Minitel n'est pas un équipement pour l'internet, bien qu'il permette d'accéder à la messagerie de l'internet, car il ne permet pas l'accès aux autres services.

La capacité des ménages et des organisations à accéder à l'internet est un indicateur significatif de la pénétration de l'internet, alors que le nombre d'adresses de boîtes à lettres ne l'est pas. En effet, beaucoup des utilisateurs intensifs de l'internet utilisent plusieurs adresses électroniques, par exemple pour délimiter des domaines d'activité ou des "personnalités" différentes, alors que les utilisateurs occasionnels, ceux pour qui l'adresse électronique est une ressource rare peuvent partager à plusieurs un abonnement et une même adresse (fréquent, par exemple, dans les pays en développement ou dans les entreprises).

Les contenus

Aux contenus sont associés des chiffres concernant leur volume, leur nature, les langues utilisées, les liens qui les raccordent. Par exemple :

• nombre total de pages Web disponibles sur l'internet : évalué mi-1998 à 300 millions de pages.
• utilisation de la langue française sur le Web : l'étude la plus récente publiée en novembre 1998 par l'association Funredes conclut à l'utilisation du français pour 2,8% des pages du Web.
• les 100 mots les plus utilisés sur le Web en juin 1998 seraient tous anglais, comprenant 37 mots à connotation sexuelle dont le seul mot français parmi les 100 .

Les utilisateurs

Les chiffres liés aux utilisateurs de l'internet sont très prisés des organismes de marketing : profils des utilisateurs : âge, sexe, goûts, comportement, profil de consommation…(les Américains parlent de caractéristiques "démographique")...

Audience des sites Web qui en détermine la valeur marchande. Les propriétaires de sites commerciaux recherchent tous les moyens d'attirer à eux des utilisateurs qui seront ainsi exposés à leurs messages publicitaires et à leurs produits, comme le décrivent bien E. Le Nagard, T. Sommer .

Les pratiques et usages

Les besoins des utilisateurs traduits en usages et pratiques sont les véritables sources des flux d'information. Dans la plupart des produits techniques, le producteur est aussi le prescripteur des usages. Avec l'internet c'est différent : les utilisateurs disposent d'outils qui leur permettent de transformer ou de créer leurs propres usages, individuels ou collectifs : c'est l'un des aspects révolutionnaires de l'internet.

L'observation des usages et des pratiques de l'internet permet de déceler des domaines de créativité alimentés par les utilisateurs. Le partage des descriptions d'usages permet en outre un apprentissage plus rapide d'un nouvel usage par des utilisateurs. Enfin l'usage (la coutume) est source de droit et la connaissance des usages est importante pour traiter des litiges les concernant.

L'Observatoire des Usages de l'Internet (OUI) s'emploie à promouvoir des méthodes d'observation et des réseaux de mutualisation des usages et pratiques de l'internet. et à étudier .

Les environnements

L'usage de l'internet a un impact sur les milieux qu'il touche directement à commencer par la psychologie des utilisateurs, l'organisation domestique, les organisations collectives et la société dans son ensemble. A partir de l'étude des usages et pratiques de l'internet, l'OUI cherche également à contribuer à l'étude de son impact sur la société de façon à aider le public à mieux comprendre et s'approprier l'internet

Comment mieux s'y retrouver ?

Améliorer la connaissance de l'internet

• du côté des utilisateurs

• du côté des organismes d'étude et de leurs relais médiatiques

Les médias au lieu de faire du copier-coller d'informations statistiques devraient remonter à la source de l'information et ne publier de chiffres qu'en précisant leur contexte d'obtention (comme y sont obligés les auteurs de sondages électoraux).

• du côté des pouvoirs publics

• du côté des "autorités de l'internet"

• Rôle des autres acteurs de l'internet

L'enjeu des chiffres

Les chiffres ne sont pas anodins : ils servent à forger les opinions, à identifier les forces et les faiblesses, à orienter les choix et les investissements, à prévoir les évolutions... Ils mesurent les résultats, font apparaître les déséquilibres, étayent les explications. Ils peuvent aussi déterminer la représentation des différents acteurs dans les instances de l'internet : par exemple est-il légitime que les Etats Unis y soient prédominants si les utilisateurs américains ne sont plus majoritaires ?

Les acteurs de l'internet et les pouvoirs publics doivent s'organiser pour fournir sur l'internet une information claire, publique et transparente, nécessaire à une réflexion sur le rôle et la prospective de l'internet, outil stratégique de la mondialisation.
 
 

Annexe 1 Tableau des estimations du nombre des utilisateurs actifs de l'internet