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Document 397D0084

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[ 08.20.20 - Accords autorisés, exemptions et attestations négatives ]


397D0084
97/84/CE: Décision de la Commission du 30 octobre 1996 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.503 - Compagnies de ferries - Surtaxes monétaires) (Les textes en langues anglaise, française et néerlandaise sont les seuls faisant foi.)
Journal officiel n° L 026 du 29/01/1997 p. 0023 - 0034



Texte:


DÉCISION DE LA COMMISSION du 30 octobre 1996 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.503 - Compagnies de ferries - Surtaxes monétaires) (Les textes en langues anglaise, française et néerlandaise sont les seuls faisant foi.) (97/84/CE)

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté européenne,
vu le règlement (CEE) n° 4056/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (1), modifié par l'acte d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, et notamment son article 19 paragraphe 2,
vu la décision de la Commission du 12 septembre 1994 d'engager une procédure dans cette affaire,
après avoir donné aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 23 du règlement (CEE) n° 4056/86 et aux dispositions du règlement (CEE) n° 4260/88 de la Commission, du 16 décembre 1988, relatif aux communications, aux plaintes, aux demandes et aux auditions visées au règlement (CEE) n° 4056/86 du Conseil, fixant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (2), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède,
après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes dans les transports maritimes,
considérant ce qui suit:

I. LES FAITS

A. LE CONTEXTE DE LA PRÉSENTE DÉCISION
(1) La présente décision fait suite à des enquêtes effectuées en avril 1993, en vertu de l'article 18 paragraphe 3 du règlement (CEE) n° 4056/86, dans les bureaux de quatre compagnies de ferries. Au cours de ces enquêtes, la Commission a découvert des documents montrant que plusieurs compagnies de ferries s'étaient mises d'accord pour imposer une surtaxe monétaire sur les opérations de fret à la suite de la dévaluation de la livre sterling en septembre 1992. Cinq compagnies, P& O European Ferries, Stena Sealink, la SNAT, Brittany Ferries et North Sea Ferries, ont annoncé l'application de surtaxes identiques au fret transporté entre le Royaume-Uni et le continent, à partir de la même date et selon une méthode de calcul commune.

B. LES ENTREPRISES
(2) Les entreprises concernées par la présente procédure sont des compagnies de roulage par ferry qui fournissent des services de fret sur un certain nombre de lignes entre l'Angleterre et l'Europe continentale.
- P& O European Ferries Ltd (P& OEF) est une filiale de la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company (P& OSNC). P& OEF assure des services de roulage de fret sur la ligne de courte distance entre Douvres et Calais, sur les lignes de la partie occidentale de la Manche entre Portsmouth et Le Havre ou Cherbourg et, au moment de l'infraction, sur une ligne de la mer du Nord entre Felixstowe et Zeebrugge ainsi que Rotterdam. En outre, au moment de l'infraction, elle avait signé un accord d'exploitation en commun avec la compagnie belge Regie Voor Maritiem Transport (RMT), aux termes duquel elle assurait les services entre Douvres et Ostende ainsi que Zeebrugge. P& OEF a informé la Commission que son chiffre d'affaires sur le marché concerné s'était élevé à [. . .] de livres sterling (3*) en 1992.
- Stena Line UK («Sealink» ou «SSL») est une filiale à 100 % de Stena Line AB, société suédoise qui a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 9,4 milliards de couronnes suédoises en 1994. Sous le nom de Stena Sealink Line, elle assurait des liaisons entre Douvres et Dunkerque, Newhaven et Dieppe ainsi qu'entre Cherbourg et Southampton. Elle assurait aussi précédemment des services sur la ligne transmanche de courte distance entre Douvres et Calais, dans le cadre d'un accord de mise en commun de ressources conclu avec la Société nouvelle d'armement transmanche (SNAT) (4). SSL a indiqué à la Commission que son chiffre d'affaires sur le marché du fret entre le Royaume-Uni et la France s'était élevé à [. . .] de livres sterling en 1993.
- Sea France (SNAT) est une filiale à 100 % de GIE Transmanche, elle-même détenue à 86,6 % par la SNCF, la Société nationale des chemins de fer français. Sous le nom de SNAT (voir ci-dessus), elle avait réalisé un chiffre d'affaires total de 1 112 637 867 francs français en 1991.
- Bretagne Angleterre Irlande SA (BAI) est une société française qui, sous le nom de Brittany Ferries, assure des services de roulage de fret sur les lignes de l'ouest de la Manche, entre Portsmouth et Plymouth, d'une part, et Caen, Saint-Malo et Roscoff, d'autre part. En outre, BAI (UK) Ltd, filiale britannique de BAI, assure également des services de fret sur une ligne de l'ouest de la Manche entre Poole et Cherbourg, par l'intermédiaire d'une autre filiale, Truckline Ferries. Le chiffre d'affaires réalisé par BAI en 1993 s'est élevé à 1,8 milliard de francs français.
- North Sea Ferries (NSF), co-entreprise détenue pour moitié par P& OSNC et Koninklijke Nedlloyd Groep NV., assure des services sur les lignes de la mer du Nord entre Hull, Ipswich et Teesport, d'une part, et Zeebrugge et Rotterdam, d'autre part. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 56 404 559 livres sterling en 1991.
(3) Les agissements de plusieurs autres compagnies de ferries ayant introduit des surtaxes monétaires sur le marché en cause ont été examinés par la Commission. Ces sociétés ne sont pas concernées par la présente procédure, mais elles seront citées à plusieurs reprises dans la suite du texte. Il s'agit des compagnies suivantes:
- Tor Line, filiale implantée aux Pays-Bas de la société suédoise Tor Line AB, elle-même filiale de la compagnie danoise DFDS, qui assure une liaison en mer du Nord entre Immingham et Rotterdam,
- Sally Line, société finlandaise assurant les liaisons entre Ramsgate, d'une part, et Dunkerque et Ostende, d'autre part,
- Olau Line, qui, jusqu'à il y a peu, assurait la liaison Sheerness-Flessingue,
- Stena Line BV, société soeur de Stena Sealink, qui assure la liaison Harwich-Hoek van Holland.
(4) La part de l'ensemble du marché en cause détenue globalement par les cinq compagnies concernées par la présente procédure est évaluée à plus de 60 % en 1992, sur la base des chiffres publiés dans Cruise & Ferry Info, une publication professionnelle annuelle, ainsi que des données publiées par le ministère britannique des transports et des chiffres communiqués par P& OEF.
Le marché
(5) Le marché en cause est celui des services de fret maritime entre le Royaume-Uni et la France, la Belgique et les Pays-Bas. Il comprend à la fois les liaisons vers et depuis le Royaume-Uni.
Géographiquement, ce marché comprend l'ensemble des services entre, d'une part, les ports situés sur les côtes est et sud de l'Angleterre et, d'autre part, les ports du nord de la France, de Belgique et des Pays-Bas. Il est possible de délimiter des secteurs plus restreints au sein de ce marché. Il peut notamment être subdivisé en trois grands secteurs: les lignes transmanche de courte distance, les lignes de l'ouest de la Manche et celles de la mer du Nord. Il existe une forte concurrence entre les lignes de l'ouest de la Manche et les lignes transmanche de courte distance, d'une part, et entre ces dernières et les lignes de la mer du Nord, d'autre part. Cette substituabilité est due au fait que les ports en question sont bien desservis de sorte qu'il est relativement facile et courant de poursuivre le transport vers diverses destinations finales au Royaume-Uni ou sur le continent.
Le transport de marchandises entre ces ports ne pouvait être effectué que par ferry à l'époque des faits car le tunnel sous la Manche n'était pas encore ouvert. Les services offerts étaient des services de roulage ou de manutention verticale couvrant, entre autres, le transport de camions de marchandises et de leur chauffeur, de remorques seules, de conteneurs, etc. Les compagnies concernées par la présente décision sont toutes des compagnies de roulage par ferry.
On estime que, en 1992, le marché global du fret entre le Royaume-Uni et le continent était d'environ 2,9 millions d'unités de fret, dont 59 % dans la mer du Nord, 30 % dans le pas de Calais (ligne transmanche de courte distance) et 11 % dans la partie occidentale de la Manche. Les parts de marché estimées des compagnies concernées par la présente décision étaient d'environ 49 % en mer du Nord, 83 % dans le pas de Calais et 100 % dans la partie occidentale de la Manche.
La pratique concertée
(6) La pratique concertée consiste en l'introduction simultanée, par certaines compagnies de ferries, de surtaxes monétaires identiques sur le coût du roulage libellé en livres sterling sur certaines lignes Royaume-Uni/continent en 1992.
(7) À la suite de la dévaluation d'environ 17 % de la livre sterling le 16 septembre 1992, les compagnies de ferries percevant leurs revenus en livres sterling et devant supporter des dépenses dans d'autres devises ont été obligées de décider comment elles réagiraient à l'éventualité d'une baisse de leurs revenus et d'un accroissement de leurs charges en termes réels. Les compagnies britanniques, par exemple, perçoivent une partie de leurs revenus en livres sterling alors qu'elles doivent supporter une partie de leurs frais, tels que le carburant et les pièces détachées, dans d'autres monnaies. Les compagnies du continent percevant une part importante de leurs revenus en livres sterling auraient également été touchées. Elles auraient en outre risqué de voir leurs clients opter pour des comptes en livres sterling ou se tourner vers d'autres compagnies pour profiter de la dévaluation. En revanche, les compagnies percevant une part importante de leurs revenus dans d'autres monnaies, alors que leurs coûts sont payables en livres sterling, auraient bénéficié de la dévaluation.
(8) Chaque compagnie de ferries s'est ainsi trouvée dans l'obligation de prendre une décision commerciale. Plusieurs options étaient possibles: une compagnie pouvait par exemple augmenter ses prix pour compenser la baisse de ses revenus ou tenter de prendre des clients à ses rivales en n'augmentant pas ses prix, voire en les baissant. En fait, toutes les considérations envisageables normalement dans une économie de marché se seraient appliquées à cette situation. La structure des coûts des différentes compagnies de ferries sur le marché en cause peut varier considérablement, selon leur taille, les liaisons assurées, les sources d'approvisionnement, le nombre de navires, le personnel, etc. Leur réaction à la dévaluation de la livre sterling n'aurait donc pas dû être uniforme.
(9) Fin septembre 1992, un certain nombre de transporteurs routiers internationaux ont annoncé qu'ils imposeraient des surtaxes monétaires sur les taux de fret payés en livres sterling. Cette mesure semble avoir influé sur la façon dont les compagnies de ferries ont elles-mêmes réagi à la dévaluation, puisque toutes les sociétés opérant sur le marché en cause ont ensuite introduit une surtaxe monétaire, sous une forme ou sous une autre. Les parties à l'infraction ont introduit des surtaxes à la même date, en l'occurrence le 1er novembre 1992, à des taux identiques, et selon la même méthode de calcul. Trois compagnies ont adressé à leurs clients des lettres dont le libellé était pratiquement identique. L'introduction d'une surtaxe monétaire ne constitue pas une mesure à laquelle la Commission est, en soi, opposée, puisqu'il s'agit d'une décision commerciale que chaque société, si elle agit de façon indépendante, est habilitée à prendre. Toutefois, les faits montrent clairement que la quasi-totalité des compagnies de ferries opérant sur le marché en cause ont directement contacté leurs concurrents et échangé des informations sur la façon dont elles entendaient réagir à la nouvelle situation.
(10) Les compagnies Stena Sealink, SNAT, P& OEF et Brittany/Truckline Ferries ont annoncé des surtaxes identiques sur les liaisons entre le Royaume-Uni et la France (pas de Calais et partie occidentale de la Manche). Leur part de marché sur ces liaisons était estimée à 88 % en 1992.
(11) P& OEF et NSF ont annoncé, pour les liaisons entre le Royaume-Uni et la Belgique (pas de Calais et mer du Nord), des surtaxes qui étaient identiques au barème MAT pour la Belgique (il s'agit du barème de surtaxes adopté par MAT Transport, un transporteur routier, en septembre 1992 et désigné ci-après par l'expression «barème MAT». Celui-ci fixait le niveau des surtaxes pour le transport vers et depuis treize pays européens, dont la France, la Belgique et les Pays-Bas. Le montant de la surtaxe à appliquer pour le transport à destination ou à partir d'un pays donné, pendant une semaine donnée, pouvait être calculé sur la base des taux de change publiés dans le Financial Times du vendredi précédent). On estime que ces compagnies détenaient plus de 50 % du marché sur ces liaisons.
(12) Sur les liaisons entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas (mer du Nord), NSF a annoncé des surtaxes identiques au barème MAT pour les Pays-Bas, et P& OEF des surtaxes presque identiques. Ces compagnies détenaient une part de marché estimée à plus de 30 % en 1992 sur ces liaisons.
(13) Toutes les compagnies ont introduit leurs surtaxes le 1er novembre 1992.

C. ENQUÊTES DE LA COMMISSION
(14) Les 6 et 7 avril 1993, des agents de la Commission, agissant conformément à l'article 18 du règlement (CEE) n° 4056/86, ont effectué des enquêtes sans notification préalable dans les bureaux de trois des compagnies auxquelles la présente décision est adressée: P& O European Ferries, Stena Sealink et Brittany Ferries. Une enquête a aussi été effectuée dans les locaux de Sally Line et de Truckline Ferries, une filiale de Brittany Ferries.
À la suite de ces visites, des demandes de renseignements ont été adressées, conformément à l'article 16 du règlement (CEE) n° 4056/86, aux entreprises désignées ci-dessus.

D. ÉLÉMENTS DE PREUVE
(15) La présente décision repose notamment sur les principaux éléments de preuve suivants:
a) des messages échangés, surtout par télécopie, entre les différentes compagnies et portant sur l'introduction et le calcul d'une surtaxe monétaire;
b) des mémorandums internes rédigés par des employés de P& OEF, Sealink et Brittany Ferries;
c) les déclarations faites par P& O European Ferries et Stena Sealink dans leurs réponses aux demandes de renseignements et à la communication des griefs de la Commission.
P& OEF et Stena Sealink
(16) Stena Sealink a indiqué à la Commission (5) que, le 29 septembre 1992, une réunion avait eu lieu à Paris entre Stena Sealink et la SNAT, au cours de laquelle les effets de la dévaluation de la livre sterling avaient été notamment discutés. Selon Sealink, la SNAT l'a informée, lors de cette réunion, qu'elle craignait de perdre des clients détenant des comptes en deux monnaies différentes auprès de concurrents, P& OEF en particulier (les clients libres d'opter pour un paiement en francs français ou en livres sterling choisiraient cette dernière possibilité). Sealink a déclaré qu'elle s'était auparavant mise d'accord avec le directeur du fret de P& OEF pour qu'il participe à la réunion et les effets de la dévaluation ont été discutés. D'après Sealink, la SNAT a fait savoir que si P& OEF ne prenait pas de mesures pour remédier aux distorsions suscitées par la dévaluation, elle serait contrainte de réduire ses taux en francs français. Le directeur du fret de P& OEF a accepté d'étudier le problème avec son directeur général.
(17) Une autre réunion entre Sealink, la SNAT et P& OEF a eu lieu le 2 octobre 1992, afin de discuter des propositions de rationalisation des services de ferries en vue de la concurrence avec Eurotunnel. La question des surtaxes monétaires a également été abordée. D'après P& OEF (6), «les parties sont parvenues à plusieurs conclusions fondamentales, à savoir a) qu'il était nécessaire d'imposer une surtaxe monétaire pour que les opérations demeurent viables, b) qu'il était nécessaire d'imposer une surtaxe monétaire afin de remettre de l'ordre sur le marché». P& OEF a déclaré que les trois compagnies se sont accordées sur la nécessité d'imposer une surtaxe selon un calendrier approprié afin de protéger les intérêts de chacune d'entre elles. P& OEF a aussi affirmé que les trois compagnies présentes étant les plus importantes sur ce marché, elles s'attendaient à ce que leur intention d'imposer une surtaxe soit accueillie favorablement par les plus petites compagnies, telles que Sally Line et Brittany Ferries.
(18) Stena Sealink a déclaré que, au cours de ces discussions, la SNAT a répété ce qu'elle avait déjà dit à la réunion de Paris, à savoir qu'elle serait dans l'obligation de réduire ses taux de fret en francs français pour rester concurrentielle, à moins que les compagnies britanniques n'augmentent leurs taux en livres sterling. Sealink a indiqué qu'elle avait informé la SNAT et P& OEF de son intention d'introduire une surtaxe monétaire, mais que P& OEF ne souhaitait pas en faire autant. P& OEF a toutefois fait savoir qu'elle se mettrait en rapport avec d'autres compagnies pour avoir leur avis sur les implications d'une surtaxe monétaire.
(19) Le 5 octobre 1992, P& OEF a envoyé un tableau de surtaxes à Stena Sealink. P& OEF affirme avoir envoyé ce tableau pour indiquer à Sealink le type de surtaxe qu'elle avait l'intention d'adopter, à la suite des discussions du 2 octobre. (Ce tableau de surtaxes avait en fait été envoyé à P& OEF par North Sea Ferries et il comprenait quatre barèmes dégressifs de surtaxes, basés respectivement sur les taux de change approximatifs des monnaies néerlandaise, belge, française et allemande au moment de la dévaluation de la livre sterling).
(20) En fait, selon P& OEF, les compagnies de ferries ont finalement choisi, d'un commun accord, des barèmes de surtaxes différents qui, en l'occurrence, étaient identiques au barème MAT (voir le point 11).
(21) Stena Sealink a déclaré avoir eu plusieurs conversations téléphoniques avec P& OEF au cours de la semaine qui a commencé le 5 octobre 1992. Lors de ces entretiens, les parties ont évoqué l'opportunité du choix des barèmes MAT, la date à laquelle chaque partie annoncerait l'introduction de surtaxes et leur date d'entrée en vigueur.
(22) Le 12 octobre 1992, Stena Sealink a envoyé une copie du barème de surtaxes de MAT Transport à la SNAT et à Stena Line BV.
(23) Le 14 octobre 1992, Stena Sealink a envoyé par télécopieur à P& OEF une copie de la lettre qu'elle se proposait d'adresser à ses clients le lendemain, annonçant l'application de surtaxes sur l'ensemble du fret payé en livres sterling sur toutes ses liaisons Angleterre-France à compter du 1er novembre 1992 (7). Le barème des surtaxes figurant dans ce projet de lettre était identique au barème MAT pour le transport vers et depuis la France. Il ressort d'une note manuscrite figurant au bas de ce document que la télécopie de Sealink a été suivie, le 14 octobre 1992, d'une conversation téléphonique entre P& OEF et Stena Sealink, au cours de laquelle P& OEF a signalé l'existence d'une erreur factuelle dans la lettre et Stena Sealink a indiqué qu'elle serait corrigée.
Selon P& OEF, les parties étaient convenues que Sealink prendrait l'initiative de l'introduction de la surtaxe et Sealink a envoyé ce projet de lettre à P& OEF afin de l'informer de la surtaxe qu'elle était sur le point d'adopter et de la date à laquelle elle le serait.
(24) Stena Sealink affirme que, vers le 15 octobre, P& OEF lui a téléphoné afin de l'informer que Sally Line n'appliquerait pas de surtaxe et afin de lui demander de contacter cette compagnie, ce que Sealink a fait. À cette occasion, Sally Line lui a fait savoir qu'elle ne souhaitait pas introduire de surtaxe.
P& OEF a contacté Sally Line le 16 octobre 1992 et lui a envoyé une copie de la lettre adressée la veille par Stena Sealink à ses clients pour annoncer l'introduction de surtaxes. P& OEF a indiqué à Sally Line qu'elle avait l'intention d'adopter le même barème de surtaxes. Selon P& OEF, Sally Line a admis la nécessité d'une surtaxe, mais n'a pas estimé que l'application du barème MAT était justifiée. Le 22 octobre, P& OEF a de nouveau contacté Sally Line en lui disant que, si elle appliquait des surtaxes différentes, cela susciterait de la «confusion et des difficultés sur le marché» (8).
Le 23 octobre, Sally Line a envoyé à ses clients une lettre pratiquement identique à celles de P& OEF et Brittany Ferries, mais le niveau de surtaxes n'était pas aussi élevé et ne correspondait pas au barème MAT. Les preuves manquant pour établir que les décisions de Sally Line concernant l'introduction de surtaxes et leur montant résultaient d'une collusion, cette compagnie n'est pas concernée par la présente décision.
(25) Stena Sealink affirme que, à partir du 19 octobre, elle a reçu plusieurs appels téléphoniques de P& OEF, au cours desquels les deux sociétés se sont entretenues des réactions négatives des clients à l'annonce des surtaxes. Le 22 octobre, P& OEF a demandé comment les deux compagnies pourraient percevoir la surtaxe si les clients refusaient de la payer. Sealink a répondu qu'il était nécessaire de faire clairement comprendre aux clients qu'elles étaient tout à fait résolues à appliquer la surtaxe et que Stena Sealink agissait en ce sens.
Le 29 ou le 30 octobre 1992, au cours d'une conversation téléphonique, P& OEF s'est plainte auprès de Stena Sealink du fait que la SNAT accordait une remise à certains de ses clients afin de compenser l'augmentation de la valeur du franc français par rapport à la livre sterling. Stena Sealink a déclaré que, après s'en être entretenue avec la SNAT, elle avait informé P& OEF à nouveau par téléphone que, bien que de tels accords existent, ils cesseraient d'exister dès l'entrée en vigueur des surtaxes le 1er novembre 1992.
Par la suite, le 5 novembre, P& OEF a téléphoné à Stena Sealink pour l'informer que, à la suite des mesures prises par la SNAT, elle avait décidé de ne pas appliquer les surtaxes à ses plus gros clients. Elle a ensuite donné à Stena Sealink, toujours par téléphone, une liste de 35 à 40 noms.
(26) Un document daté du 13 novembre 1992, trouvé dans ses bureaux, indique que P& OEF a été [. . .]. Un autre document interne indique que, à partir du 23 novembre 1992, P& OEF [. . .].
(27) Un document trouvé dans les bureaux de Stena Sealink, daté du 24 novembre 1992 et adressé à la SNAT, dit ceci: [. . .].
(28) Un autre document trouvé dans les bureaux de Stena Sealink dit que [. . .]
(29) P& OEF a déclaré avoir abandonné la surtaxe au profit d'une renégociation globale de ses tarifs pour 1993 avec ses plus gros clients, ce qui est confirmé par des documents trouvés dans ses bureaux. Toutefois, elle a continué à appliquer la surtaxe à d'autres clients et des documents trouvés dans les bureaux de Sally Line montrent que, le 20 novembre 1992, P& OEF a envoyé à ses clients de la ligne Felixstowe - Rotterdam/Zeebrugge une lettre par laquelle elle leur notifiait des hausses de taux de fret pour 1993 et dans laquelle elle déclarait ceci: «Afin d'éviter tout malentendu, les surtaxes monétaires continueront à être appliquées conformément au barème applicable à partir du 1er novembre 1992, comme nous l'avons annoncé dans notre lettre du 19 octobre 1992». Le 23 novembre 1992, elle a envoyé des lettres similaires à ses clients des lignes Douvres-Calais/Boulogne/Zeebrugge/Ostende.
(30) Un document du 24 novembre 1992, trouvé dans les bureaux de P& OEF, dit ceci: [. . .].
Brittany/Truckline Ferries
(31) P& OEF déclare avoir contacté Brittany Ferries, afin de l'informer qu'elle-même ainsi que d'autres compagnies avaient l'intention d'introduire une surtaxe monétaire, sur la base d'un barème dégressif commun. Selon P& OEF (9), «Brittany Ferries a approuvé cette initiative» et P& OEF a transmis à Truckline Ferries une copie de la lettre qu'elle avait l'intention d'envoyer à ses clients pour annoncer l'introduction de surtaxes, ainsi qu'une copie du barème dégressif de surtaxes proposé.
(32) Stena Sealink affirme que, entre le 12 et le 15 octobre 1992, Brittany Ferries a pris contact avec elle pour lui demander ce qu'elle comptait faire à propos de la dévaluation de la livre sterling. Sealink a répondu à Brittany Ferries qu'elle avait l'intention d'appliquer, à compter du 1er novembre 1992, une surtaxe sur la base du barème adopté par MAT Transport Ltd, et ce à tous ses clients, sans exception.
(33) Une note interne (10) de Brittany Ferries, du 16 octobre 1992, indique:
«Toutes les grandes compagnies, à savoir Sealink, P& O, Olau, Sally, etc., ont adressé le document ci-joint à tous leurs clients, tant sur le continent que, au Royaume-Uni, ou sont sur le point de le faire. À ma connaissance, cette mesure sera rigoureusement appliquée à tous les clients, sans exception; je suggérerais donc que nous publiions le document ci-joint lundi.» (19 octobre 1992)
À cette télécopie était joint un projet de lettre, presque identique à celui publié le 19 octobre 1992 par P& OEF, ainsi qu'un barème de surtaxes correspondant à celui de MAT.
(34) Le 21 octobre 1992, Brittany Ferries a envoyé à P& OEF une copie (11) de la lettre que Truckline Ferries avait envoyée à ses clients la veille, pour annoncer l'introduction d'une surtaxe monétaire à compter du 1er novembre 1992. P& OEF a déclaré que c'était afin de confirmer par écrit qu'elle avait bien introduit la surtaxe sur la base du barème MAT, ainsi qu'elle l'avait indiqué verbalement.
(35) Comme dans le cas de P& OEF et de Sealink, la Commission n'a trouvé aucune preuve, au cours de ses enquêtes, permettant d'affirmer que Brittany Ferries a jamais tenté de calculer ses risques de pertes liés à la dévaluation de la livre sterling avant de décider d'utiliser le barème de surtaxes MAT. Il ressort au contraire d'un document daté du 7 décembre 1992, découvert dans les bureaux de Brittany Ferries, que la société n'a jamais tenté de calculer les surtaxes directement liées à sa structure de coûts au moment où elles ont été annoncées. Ce document se réfère à une demande d'informations émanant de l'Office of Fair Trading du Royaume-Uni (qui avait également reçu une plainte relative aux agissements des compagnies de ferries) et il demande ceci: [. . .].
(36) Un document interne (12) de Brittany Ferries du 26 octobre 1992 dit, à propos de P& OEF et de Sealink: [. . .]. L'auteur du document estime que Brittany Ferries devrait faire preuve de souplesse dans l'application de ses surtaxes. La Commission considère que ce document prouve qu'il y a eu accord entre P& OEF, Sealink et Brittany Ferries sur l'introduction d'une surtaxe monétaire applicable à tous les clients.
North Sea Ferries
(37) D'après NSF, qui est une co-entreprise entre P& O et Nedlloyd et dont certains membres du conseil d'administration siègent également à celui de P& OEF, P& OEF et elle-même ont adopté une approche coordonnée quant à l'introduction d'une surtaxe monétaire, la date de cette introduction par NSF (1er novembre 1992) ayant été choisie par P& OEF (13). NSF déclare qu'elle a pris la décision d'imposer une surtaxe à la même date (mi-octobre 1992) que P& OEF.
(38) NSF a déclaré que Stena Line BV a pris contact avec elle le 12 ou le 13 octobre 1992 afin de l'informer de son projet d'introduire une surtaxe. Une copie du barème a été transmise. Cette information a été communiquée à P& OEF le même jour (14). NSF affirme ne pas avoir informé Stena BV de ce qu'elle comptait faire en matière de surtaxes, mais comme Stena Sealink connaissait les projets de P& OEF en mer du Nord, elle devait également être au courant de ce que NSF avait l'intention de faire.
(39) En réponse à la demande d'informations qui lui a été adressée par la Commission, Stena Line BV a déclaré que, le 12 octobre, Stena Sealink lui a envoyé une copie du barème MAT. Le jour même ou le lendemain, Stena BV a contacté NSF pour l'informer qu'elle introduirait une surtaxe selon un barème dégressif. Elle a également déclaré avoir discuté des effets de la dévaluation avec NSF, entre le 2 et le 14 octobre (15).
(40) NSF affirme avoir fait part à Tor Line, début octobre, de son intention d'introduire une surtaxe monétaire, en incitant cette dernière à faire de même. Tor Line n'a toutefois donné aucune assurance en ce sens.
Les arguments des parties
P& O
(41) P& O reconnaît que, en octobre 1992, elle a pris part à une pratique concertée avec SSL et la SNAT. Elle fait valoir, toutefois, que les surtaxes n'ont jamais été appliquées comme elles devaient l'être et qu'elles ont été abandonnées au début de novembre 1992, sans avoir eu d'effet sur le marché. Les tarifs de 1993 n'ont en outre pas été affectés. Elle soutient aussi qu'on ne peut pas vraiment dire que la pratique concertée à laquelle elle s'est livrée a impliqué Brittany Ferries, ni que la coordination qu'elle a effectuée avec NSF, qui fait partie d'une co-entreprise avec elle, constitue une infraction à l'article 85.
Sealink
(42) SSL reconnaît que, avec la SNAT, elle a pris part à une pratique concertée avec P& O et qu'elle a enfreint l'article 85 paragraphe 1. Elle estime toutefois injustifiée l'imposition d'une lourde amende du fait que les surtaxes n'ont pas été appliquées. Elle fait aussi valoir qu'elle était en droit de consulter la SNAT sur des questions de tarifs aux termes de l'accord de mise en commun de ressources qui les lie. SSL a appliqué une surtaxe unilatérale de 5 % le 5 novembre 1992, avec effet à partir du 1er novembre 1992. Elle soutient en outre qu'on ne peut considérer qu'elle a pris part à une pratique concertée avec Brittany Ferries, les contacts entre les deux sociétés s'étant limités à un appel téléphonique.
La SNAT
(43) La SNAT soutient, dans sa réponse à la communication des griefs de la Commission, qu'elle s'est contentée de suivre l'initiative de Stena Sealink, à laquelle elle est liée par un accord de mise en commun de ressources, et qu'elle n'a eu aucun contact avec une autre compagnie de ferries. Si un représentant de P& OEF a assisté à la réunion du 29 septembre 1992, c'est tout à fait exceptionnellement et à l'invitation de Stena Sealink. La SNAT indique qu'elle «a simplement déclaré avoir l'intention de prendre les mesures nécessaires pour préserver sa part de marché, y compris d'abaisser ses tarifs en francs français, si elle risquait de perdre sa compétitivité vis-à-vis de clients bénéficiant, auprès de concurrents, de la possibilité de payer en francs français ou en livres sterling». La deuxième réunion du 2 octobre 1992 a été organisée pour discuter la possibilité d'un «super accord de mise en commun de ressources» entre les trois compagnies et elle n'a abouti à aucune conclusion fondamentale sur les surtaxes monétaires. La SNAT soutient que ces réunions ne prouvent pas l'existence d'une pratique concertée entre P& O, SSL et elle-même et que, de toute façon, celle-ci n'aurait pas pu avoir pour objet de restreindre la concurrence et qu'elle n'aurait pas pu affecter les échanges entre les États membres. La SNAT déclare tout ignorer des échanges de barèmes entre SSL et P& O. SSL étant responsable des ventes et du marketing au Royaume-Uni aux termes de leur accord de mise en commun de ressources, la SNAT l'a laissée s'occuper des détails de l'application d'une surtaxe. Elle dément l'affirmation de SSL selon laquelle les surtaxes monétaires auraient été introduites pour répondre à ses souhaits.
(44) La SNAT soutient que le choix de la même date d'application et du même barème peut s'expliquer par la structure oligopolistique et la transparence du marché.
(45) La SNAT indique que des factures en livres sterling n'ont été établies que pour [. . .] seulement de ses [. . .] clients et que [. . .] d'entre eux n'ont pas payé les surtaxes tandis que [. . .] autres les ont acquittées mais ont été remboursés sous forme de rabais. Les surtaxes n'ont plus été appliquées après le 31 décembre 1992 et elles n'ont pas été incorporées dans les tarifs de 1993. Ces derniers ont été relevés dans l'ensemble de 5 %, mais les tarifs négociés séparément avec quelques gros clients ont en fait marqué une baisse.
Brittany Ferries
(46) Brittany Ferries a soutenu au cours de l'audition que le marché était oligopolistique et transparent. Elle a déclaré qu'il lui était indispensable de savoir ce que ses concurrents avaient l'intention de faire pour décider comment elle allait réagir à la dévaluation de la livre sterling et c'est pourquoi elle a cherché à connaître leur position sans toutefois conclure d'accord avec eux. Sealink a annoncé publiquement ses plans le 16 octobre 1992, tandis que Brittany Ferries a découvert par hasard ceux de P& O au cours d'une conversation téléphonique entre l'un de ses employés et un employé de P& O. Brittany Ferries soutient qu'il y avait convergence d'intérêts - elle souhaitait établir ce que ses concurrents allaient faire tandis que ces derniers, qui avaient déjà amorcé une pratique concertée entre eux, avaient intérêt à lui faire passer un message. Elle prétend que [. . .], le directeur du fret de Truckline Ferries qui ne travaille plus pour cette société, a pu recevoir à l'avance une copie de la lettre de P& O. C'est lui qui a préparé un projet de lettre pour [. . .], le directeur général de Brittany Ferries (UK), sans lui dire qu'il avait connaissance de la lettre de P& O. Si [. . .] a déclaré, en réponse à la demande d'informations de la Commission, qu'il avait lui-même rédigé la lettre, c'est peut-être parce qu'il se trouvait dans une position difficile vis-à-vis de ses supérieurs dans la mesure où l'un de ses employés avait mis la société dans une situation délicate.
(47) Brittany Ferries soutient aussi que, puisque le mémorandum interne du 16 octobre 1992, cité par la Commission dans sa communication des griefs, indiquait à tort que Olau Line et Sally Line avaient décidé d'introduire des surtaxes, cela prouve qu'elle n'était partie à aucun accord, sinon elle aurait su que Olau Line et Sally Line n'y participaient pas. Brittany Ferries déclare avoir appliqué les mêmes surtaxes que les autres pour «des raisons psychologiques». D'importants transporteurs routiers ayant introduit une surtaxe et la plupart des clients des compagnies de ferries étant des transporteurs routiers, il semblait probable que ceux-ci accepteraient l'idée que les compagnies de ferries introduisent des surtaxes.
(48) Dans sa réponse à la communication des griefs, P& O déclare que [. . .], son directeur général, a contacté [. . .] pour l'informer de l'initiative que P& O, SSL et la SNAT comptaient prendre. Elle affirme qu'elle a considéré la réponse de Brittany Ferries non pas comme un engagement contraignant mais comme une indication officieuse du fait que, pour des raisons commerciales qui lui étaient propres, Brittany Ferries était disposée à suivre l'initiative commerciale des principales compagnies. Bien que Truckline ait confirmé par la suite que cette approche devait être adoptée, P& O n'a pas considéré qu'elle avait obtenu un engagement préalable.
(49) Brittany Ferries affirme que la surtaxe n'a affecté que 10 % de ses clients camionneurs et qu'elle n'a été appliquée que jusqu'au 1er janvier 1993. Toutefois, le 30 novembre 1992, Brittany Ferries a adressé à ses clients une lettre (16) dans laquelle elle indiquait que la surtaxe monétaire serait incorporée dans sa structure tarifaire en sus d'un relèvement des taux pour 1993.
North Sea Ferries
(50) NSF reconnaît avoir coopéré avec P& OEF en octobre 1992 pour la préparation et l'introduction d'un barème de surtaxes monétaires, mais elle prétend que cela n'a pas constitué une pratique concertée. Elle estime que l'article 85 ne devrait pas être appliqué à la coordination qui a eu lieu du fait qu'elle a la même société-mère que P& OEF, à savoir P& OSNC.
(51) NSF soutient également que l'approche coordonnée a été abandonnée peu après l'introduction de surtaxes et qu'elle n'a eu aucun effet économique sur le marché.
Évaluation par la Commission des arguments des parties
(52) La Commission note que P& OEF et SSL reconnaissent avoir enfreint l'article 85 en prenant part à une pratique concertée entre elles et avec la SNAT. La Commission rejette l'argument de la SNAT qui affirme avoir ignoré l'existence de contacts avec une compagnie de ferries, quelle qu'elle soit, en dehors de SSL, son entreprise partenaire dans l'accord de mise en commun de ressources. Même si le principal objectif des réunions des 29 septembre et 2 octobre 1992 n'était pas de discuter des surtaxes monétaires, il est admis que cette question a été examinée en présence de représentants des trois compagnies. La Commission reconnaît que la SNAT et SSL étaient en droit de se consulter sur les surtaxes du fait qu'elles sont liées par un accord de mise en commun de ressources, mais les contacts établis avec P& OEF constituent une nette infraction à l'article 85 (voir points 55 à 59). Si la Commission peut accepter que la SNAT n'a peut-être pas eu de contact direct avec d'autres compagnies de ferries après le 2 octobre 1992, les éléments de preuve réunis indiquent qu'elle a eu des contacts indirects avec P& OEF au moins par l'intermédiaire de SSL, son partenaire dans l'accord de mise en commun de ressources.
(53) En ce qui concerne Brittany Ferries, les preuves disponibles établissent l'existence d'un contact entre à la fois P& OEF et SSL et Brittany Ferries. Les parties ont prétendu que, ces contacts étant minimes, ils ne peuvent constituer une pratique concertée. La Commission ne peut accepter cet argument. Si des compagnies souhaitent coopérer pour réagir à une situation donnée du marché, elles n'ont pas nécessairement besoin de procéder à de longues consultations. SSL soutient que son contact avec Brittany s'est limité à un appel téléphonique. Dans ce cas, un appel téléphonique a probablement suffi du fait que P& O avait aussi contacté Brittany et que cette dernière, comme elle le reconnaît elle-même, souhaitait vivement savoir ce que ses concurrents avaient l'intention de faire face à la dévaluation de la livre sterling.
La lettre de P& O à ses clients a évidemment été transmise à Brittany Ferries, qui a envoyé à P& O une copie de la lettre que Truckline Ferries avait envoyée la veille à ses clients pour leur annoncer l'imposition d'une surtaxe monétaire à compter du 1er novembre 1992. P& O déclare que c'était pour confirmer qu'une surtaxe avait bien été appliquée comme elle l'avait indiqué verbalement.
Brittany Ferries a prétendu que le mémorandum interne du 16 octobre 1992, que la Commission cite dans sa communication des griefs, indiquant à tort que Olau Line et Sally Line avaient décidé d'introduire des surtaxes, cela prouve qu'elle n'était pas partie à un accord. La Commission interprète ce document simplement comme une indication du fait que les parties supposaient que les autres compagnies accepteraient leur plan. P& O comme SSL étaient en contact avec Sally Line à l'époque.
Un document interne de Brittany Ferries, rédigé par un membre de son personnel de vente, dit à propos de P& OEF et de Sealink: [. . .]. L'auteur du document estime que Brittany Ferries devrait faire preuve de souplesse dans l'application de ses surtaxes. La Commission interprète ce document comme signifiant que Brittany Ferries avait fait savoir à son personnel de vente qu'il avait été convenu avec P& O et SSL d'appliquer les surtaxes sans exception à tous les clients.
(54) En ce qui concerne NSF, la Commission ne peut accepter l'argumentation de NSF et de P& O selon laquelle elles ne peuvent avoir enfreint l'article 85 en raison des relations qui existent entre elles. Les parties ont elles-mêmes déclaré que NSF peut déterminer sa politique commerciale courante indépendamment de ses sociétés mères, P& O et Nedlloyd (17). NSF ne fait donc pas partie de l'organisation P& O et doit donc être considérée comme un acteur distinct sur le marché. Les parties ne nient pas que, en l'occurrence, il y ait eu collusion.

II. APPRÉCIATION JURIDIQUE
Article 85
(55) L'article 85 paragraphe 1 du traité déclare incompatibles avec le marché commun et interdit tous les accords entre entreprises et toutes les pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction.
(56) Pour que l'existence d'une pratique concertée soit établie, il suffit que les entreprises substituent sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (18). Une pratique concertée suppose «une prise de contact directe ou indirecte entre les concurrents ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer leur comportement sur le marché, soit de dévoiler le comportement qu'ils sont décidés à, ou qu'ils envisagent d'adopter eux-mêmes sur le marché» (19). Les preuves disponibles montrent clairement que les parties ont entamé des discussions directes afin de définir une ligne d'action commune pour l'introduction de surtaxes monétaires. Il est tout aussi évident que ces discussions ont eu lieu au plus haut niveau, les directeurs généraux y ayant notamment directement pris part.
(57) Compte tenu du niveau auquel ont eu lieu les contacts entre les compagnies de ferries et des informations qu'elles ont échangées à propos de l'introduction d'une surtaxe, il est clair que les similitudes entre les surtaxes imposées par plusieurs d'entre elles ne sont pas dues à la transparence du marché en cause, comme certaines compagnies l'ont suggéré. En particulier, les informations que détenait chaque partie à l'infraction à propos des agissements des autres parties n'étaient pas le fruit de consultations avec des clients communs, mais d'échanges directs d'informations entre les sociétés concernées.
(58) Pour que l'article 85 soit applicable, il est nécessaire que l'accord ou la pratique concertée entre les parties ait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Or, l'objet manifeste de l'accord entre les parties était l'introduction d'une surtaxe monétaire commune prenant effet à la même date. Il ne fait pas de doute que cet accord constituait bien une pratique concertée ayant pour objet la fixation de conditions de transaction par les parties en cause.
(59) L'accord entre les compagnies de ferries tombe bien sous le coup de l'article 85, en dépit des difficultés qu'elles ont eues pour appliquer les surtaxes annoncées à leurs clients (20). Bien qu'il soit possible que les surtaxes n'aient pas été appliquées exactement sous la forme sous laquelle elles avaient été annoncées par les compagnies à la mi-octobre 1992, la collaboration entre les compagnies a néanmoins eu pour effet d'influer sur les conditions de transaction sur le marché en cause.
Effet sur le commerce entre États membres
(60) Compte tenu de l'importance des entreprises concernées sur le marché du roulage de fret entre le Royaume-Uni et le nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas, il ne fait aucun doute que l'accord a eu au moins un effet potentiel sur le commerce entre États membres.
(61) Une pratique concertée entre les principaux fournisseurs d'un service donné affectera, de par sa nature même, la structure du commerce entre les États membres qui se serait manifestée en son absence. C'est particulièrement le cas lorsqu'il s'agit d'un service de transport international. Dans le cas présent, les parties concernées représentent une forte proportion du marché du service en question et elles sont établies dans différents États membres. Une diminution de la concurrence entre elles a des chances de détourner la demande de l'une vers l'autre et donc de modifier la structure des échanges entre les États membres pour le service concerné. Il existe au moins un autre effet secondaire potentiel dans la mesure où une hausse du prix des services de transport risque de faire baisser la demande de ces services et donc de réduire le commerce de marchandises entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale.
Conclusion
(62) Compte tenu de ce qui précède, la Commission considère que P& O European Ferries, Stena Sealink, la SNAT et Brittany Ferries ont pris part à une pratique concertée contraire à l'article 85 du traité en se mettant d'accord sur le montant d'une surtaxe monétaire qui devait être appliquée aux services de roulage de fret entre le Royaume-Uni et la France.
(63) La Commission considère également que P& OEF et NSF ont pris part à une pratique concertée contraire à l'article 85 du traité en se mettant d'accord sur le montant d'une surtaxe monétaire qui devait être appliquée aux services de roulage de fret entre le Royaume-Uni et la Belgique ainsi que les Pays-Bas.

AMENDES
Article 19 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 4056/86
(64) Conformément à l'article 19 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 4056/86, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de 1 000 écus au moins et d'un million d'écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
Gravité
(65) Une pratique concertée ayant pour effet une augmentation uniforme des tarifs du roulage de fret par ferry pratiqués par les plus importantes compagnies sur le marché en cause constitue une infraction grave au droit communautaire. Les compagnies ont soutenu que l'introduction de surtaxes se justifiait parce qu'elles risquaient de subir de lourdes pertes si elles n'augmentaient pas leurs prix en livres sterling. La Commission ne nie pas qu'une compagnie agissant indépendamment était en droit d'introduire des surtaxes monétaires si elle l'estimait nécessaire. Cependant, les preuves disponibles montrent clairement que P& OEF, Stena Sealink, la SNAT, Brittany Ferries et NSF ont tenté d'éliminer les incertitudes entourant les initiatives de leurs concurrents en convenant d'introduire des surtaxes identiques ou presque. La plupart des compagnies ont fait valoir que les surtaxes n'ont pas été du tout appliquées ou qu'elles ne l'ont été que partiellement. La Commission peut accepter que l'introduction des surtaxes n'a été que partiellement réussie du fait, en grande partie, de la résistance que lui ont opposée les clients. Le fait qu'elle n'ait pas entièrement réussi ne réduit pas pour autant la gravité de l'infraction. Une infraction délibérée et manifeste à l'un des aspects les plus clairs de l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1 doit être considérée comme une infraction grave.
(66) La Commission estime que P& OEF et Stena Sealink sont clairement les principales instigatrices de la pratique concertée. Les autres compagnies n'ont joué qu'un rôle relativement mineur.
Durée
(67) La Commission estime que la pratique concertée a débuté le 2 octobre 1992 en ce qui concerne P& OEF, Sealink et la SNAT, du fait qu'elle semble avoir pris corps lors de la réunion qui s'est tenue à cette date, Brittany Ferries et NSF s'y associant à partir de la mi-octobre 1992. Les preuves réunies suggèrent que les surtaxes ont été appliquées aux petits clients ayant moins d'emprise sur le marché que leurs plus gros concurrents et qu'elles ont été maintenues jusqu'au 31 décembre 1992. Comme indiqué au point 28, un document trouvé dans les bureaux de Stena Sealink dit ceci: [. . .]. Un autre document trouvé dans les bureaux de Stena Sealink et adressé à la SNAT déclare: [. . .]. Des documents trouvés dans les bureaux de Sally Line montrent que, le 20 novembre 1992, P& OEF a envoyé à ses clients de la ligne Felixstowe - Rotterdam/Zeebrugge une lettre par laquelle elle leur notifiait des hausses de taux de fret pour 1993 et dans laquelle elle déclarait ceci: «Afin d'éviter tout malentendu, les surtaxes monétaires continueront à être appliquées conformément au barème applicable à partir du 1er novembre 1992, comme nous l'avons annoncé dans notre lettre du 19 octobre 1992.» Le 23 novembre 1992, elle a envoyé des lettres similaires à ses clients des lignes Douvres - Calais/Boulogne/Zeebrugge/Ostende. Un document interne de P& OEF indique que, à partir du 23 novembre 1992, P& OEF [. . .]. Un autre document interne trouvé dans les bureaux de P& OEF dit ceci: [. . .]. La SNAT reconnaît que [. . .] de ses [. . .] clients facturés en livres sterling ont acquitté la surtaxe et elle dit que les surtaxes n'ont plus été appliquées après le 31 décembre 1992, ce qui implique qu'elles ont été payées jusqu'à cette date. De même, Brittany Ferries déclare que la surtaxe a affecté 10 % de ses clients camionneurs et qu'elle a été appliquée jusqu'au 1er janvier 1993.
La Commission est disposée à admettre que l'infraction a cessé à la fin de 1992.
(68) La Commission ne considère pas que l'infraction dans cette affaire mérite de très lourdes amendes. Même si ce que les compagnies concernées ont tenté de faire a constitué une grave violation du droit communautaire, en pratique l'introduction simultanée de surtaxes monétaires n'a été qu'en partie réussie. Toutefois, l'imposition d'amendes purement symboliques ne serait pas non plus appropriée, en raison du caractère flagrant de l'infraction. Elle estime aussi que P& OEF et Stena Sealink doivent se voir infliger des amendes plus lourdes que les autres parties du fait qu'elles ont été les principales instigatrices de la pratique concertée.
(69) La Commission reconnaît que Stena Sealink en particulier a apporté une réponse complète et franche à la demande d'informations de la Commission faisant suite à son enquête surprise. Elle considère, toutefois, que, en l'espèce, une réduction du montant de l'amende ne serait pas appropriée étant donné qu'il n'y a eu coopération qu'à partir du moment où l'enquête de la Commission a mis en lumière l'infraction et que Stena Sealink est l'une des principales instigatrices de la pratique concertée. Ceci cadre avec la politique exposée dans une communication récente de la Commission concernant des réductions d'amendes dans des affaires d'ententes (21),
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:


Article premier
P& O European Ferries, Stena Line UK (Stena Sealink), Sea France (la SNAT), Brittany Ferries et North Sea Ferries ont enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité en prenant part, pendant la période commençant entre le début et la mi-octobre 1992 et se terminant le 31 décembre 1992, à une pratique concertée dans le cadre de laquelle les principales compagnies de roulage par ferry sur le marché du fret entre le Royaume-Uni et le continent ont pris secrètement contact l'une avec l'autre pour discuter et déterminer la façon dont elles allaient réagir à la dévaluation de la livre sterling en septembre 1992.

Article 2
Les amendes ci-après sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er:
i) P& O European Ferries: 400 000 écus;
ii) Stena Line UK (Stena Sealink): 100 000 écus;
iii) Sea France (la SNAT): 60 000 écus;
iv) Brittany Ferries: 60 000 écus;
v) North Sea Ferries: 25 000 écus.

Article 3
Les amendes imposées à l'article 2 doivent être versées dans un délai de trois mois à partir de la date de notification de la présente décision sur le compte suivant:
Compte n° 310-0933000-43
Commission des Communautés européennes
Banque Bruxelles-Lambert
Agence européenne
Rond-Point Schuman 5
B-1040 Bruxelles.
Après trois mois, des intérêts seront automatiquement appliqués sur la base du taux pratiqué par l'Institut monétaire européen pour ses opérations en écus au premier jour ouvrable du mois d'adoption de la présente décision, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 7,5 %.

Article 4
La présente décision est adressée à:
- P& O European Ferries, Channel House, Channel View Road, Dover, GB-Kent CT17 9TJ,
- Stena Line UK, Charter House, Park St Ashford, GB-Kent TN24 8EX,
- Sea France, 3, rue Ambroise-Paré, F-75475 Paris Cedex 10,
- Brittany Ferries SA, Port de Bloscon, F-29680 Roscoff,
- North Sea Ferries, Postbus 1123, NL-3180 AC Rozenburg ZH.
La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité.

Fait à Bruxelles, le 30 octobre 1996.
Par la Commission
Karel VAN MIERT
Membre de la Commission

(1) JO n° L 378 du 31. 12. 1986, p. 4.
(2) JO n° L 376 du 31. 12. 1988, p. 1.
(3*) Dans la version publiée de la décision, des informations entre crochets ont été omises conformément aux dispositions de l'article 24 du règlement (CEE) n° 4056/86 concernant le secret professionnel.
(4) JO n° C 82 du 19. 3. 1994, p. 7. Cet accord a été suspendu.
(5) Réponse de Stena Sealink à la demande de renseignements qui lui a été adressée en application de l'article 16.
(6) Réponse de P& OEF à la demande de renseignements qui lui a été adressée en application de l'article 16.
(7) Document trouvé dans les locaux de P& OEF.
(8) Document trouvé dans les bureaux de Sally Line au cours de l'enquête de la Commission.
(9) Réponse de P& OEF à la demande de renseignements qui lui a été adressée en vertu de l'article 16.
(10) Document trouvé dans les bureaux de Brittany Ferries.
(11) Document trouvé dans les bureaux de P& OEF.
(12) Document trouvé dans les bureaux de Truckline Ferries.
(13) Réponse de North Sea Ferries à la demande de renseignements qui lui a été adressée en vertu de l'article 16.
(14) Document trouvé dans les bureaux de P& OEF.
(15) Réponse de Stena Line BV à la demande de renseignements qui lui a été adressée en vertu de l'article 16.
(16) Document trouvé dans les bureaux de Truckline Ferries.
(17) Réponse de NSF à la communication des griefs, point 3.9; réponse de P& O à la communication des griefs, point 3.10.
(18) Arrêt de la Cour de justice du 14 juillet 1972, affaire 48/69: ICI contre Commission, Recueil 1972, p. 619, point 64 des motifs.
(19) Arrêt de la Cour de justice du 16 décembre 1975, affaires jointes 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73: Suiker Unie et autres contre Commission, Recueil 1975, p. 1663, point 174 des motifs.
(20) Voir la décision 86/398/CEE (décision «polypropylène») de la Commission (JO n° L 230 du 18. 8. 1986, p. 1), dans laquelle des actions ont été jugées contraires à l'article 85, bien que les prix cibles convenus entre les parties à l'infraction n'aient en fait jamais été atteints.
(21) JO n° C 207 du 18. 7. 1996, p. 4.


Fin du document


Structure analytique Document livré le: 11/03/1999


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