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Législation communautaire en vigueur

Structure analytique

Document 392D0553

Chapitres du répertoire où le document peut être trouvé:
[ 08.40 - Concentrations ]


392D0553
92/553/CEE: Décision de la Commission, du 22 juillet 1992, relative à une procédure au titre du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (Affaire n IV/M.190 - Nestlé/Perrier) (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi)
Journal officiel n° L 356 du 05/12/1992 p. 0001 - 0031



Texte:

DÉCISION DE LA COMMISSION du 22 juillet 1992 relative à une procédure au titre du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil (Affaire no IV/M.190 - Nestlé/Perrier) (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi.) (92/553/CEE)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne,
vu le règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises(1) , et notamment son article 8 paragraphe 2,
vu la décision prise par la Commission, le 25 mars 1992, d'engager la procédure dans la présente affaire,
ayant donné aux entreprises en cause l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission,
vu l'avis du comité consultatif en matière de concentrations(2) ,
considérant ce qui suit:
I. LES FAITS
(1) Le 25 février 1992, Nestlé SA a notifié une offre publique d'achat de 100 % des actions de Source Perrier SA lancée par Demilac, filiale commune de Nestlé et de la Banque Indosuez. Nestlé dispose d'une option d'achat sur les actions d'Indosuez dans Demilac et a annoncé son intention d'en faire usage. Le 30 janvier 1992, Nestlé et BSN ont conclu un accord en vertu duquel la source Volvic appartenant à Perrier serait transférée à BSN si la prise de contrôle de Perrier par Nestlé réussissait.
(2) Par décision du 17 mars 1992, la Commission a prorogé le sursis à la réalisation de la concentration conformément à l'article 7 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 (ci-après «règlement sur les concentrations»). Nestlé a acquis la majorité des actions de Perrier, mais s'est abstenue d'exercer les droits de vote qui leur sont attachés, conformément à l'article 7 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations.
(3) Par décision du 25 mars 1992, la Commission a déclaré que l'opération de concentration envisagée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a par conséquent engagé la procédure dans la présente affaire conformément à l'article 6 paragraphe 1 point c) du règlement sur les concentrations.
II. LA CONCENTRATION ET LA DIMENSION COMMUNAUTAIRE
(4) Nestlé a notifié une offre publique d'achat par laquelle elle a l'intention de prendre le contôle de Source Perrier SA et de ses filiales (ci-après «Perrier»). L'opération entraînerait donc une concentration au sens de l'article 3 du règlement sur les concentrations. Les entreprises concernées par l'opération de concentration, c'est-à-dire Perrier et Demilac, chiffre d'affaires de Nestlé inclus, dépassent tous les seuils prévus à l'article 1er paragraphe 2 du règlement sur les concentrations.
III. LES ENTREPRISES
NESTLÉ
(5) Nestlé est une société anonyme suisse qui exerce des activités dans de nombreux secteurs de l'industrie alimentaire. Le groupe Nestlé fabrique et vend des produits alimentaires dans le monde entier. La société exerce également certaines activités non alimentaires. Le chiffre d'affaires mondial consolidé de Nestlé est supérieur à 28 milliards d'écus.
PERRIER
(6) Perrier est une société française dont l'activité réside principalement dans la production et la distribution d'eau embouteillée. Elle exerce également certaines activités sur le marché du fromage. Son chiffre d'affaires mondial consolidé est supérieur à 2 milliards d'écus.
IV. MARCHÉS CONCERNÉS
(7) L'opération de concentration envisagée entre Nestlé et Perrier concerne principalement le marché de l'eau embouteillée provenant d'une source naturelle («eau de source»). Les eaux de source peuvent porter la mention «eau minérale» dans la mesure où elles remplissent certaines conditions légales relatives à leur composition et à leur qualité, et où elles obtiennent des autorités compétentes un agrément à cet effet. Les eaux de source qui ne sont pas des eaux minérales seront dénommées ci-après «eaux de source non minérales». La production et la commercialisation des eaux de source non minérales sont elles aussi soumises à un agrément accordé par les autorités compétentes.
Les activités d'embouteillage de Nestlé dans le secteur de l'eau de source se situent principalement en France, avec les marques Vittel et Hépar [chiffre d'affaires en 1991: 1,564 milliard de francs français (ci-après «FF») pour 916 millions de litres vendus] et en Allemagne (chiffre d'affaires en 1991: 196 millions de marks allemands pour 468 millions de litres vendus). Les activités d'embouteillage de Perrier dans le secteur de l'eau de source se situent principalement en France, avec les marques Contrex, Volvic, Perrier, Saint-Yorre et Vichy (chiffre d'affaires en 1991: 4,014 milliards de FF pour 1,885 milliard de litres vendus). En France, Nestlé exerce des activités presque exclusivement dans le segment de l'eau minérale plate, alors que Perrier est présente à la fois dans ce même segment et dans celui de l'eau minérale gazeuse. Les deux sociétés exportent de l'eau de leurs sources françaises vers d'autres pays. BSN est le troisième grand opérateur sur le marché français de l'eau embouteillée. Les ventes de Nestlé, de Perrier et de BSN dans la Communauté figurent à l'annexe 1.(3)
LE MARCHÉ DE PRODUITS DE RÉFÉRENCE
A. Distinction entre les eaux de source embouteillées et les boissons rafraîchissantes sans alcool
(8) Nestlé a estimé dans sa notification qu'il n'existe pas de marché séparé de l'eau source embouteillée et que le marché de référence à prendre en considération pour l'appréciation de l'opération de concentration envisagée est celui des boissons rafraîchissantes sans alcool, qui englobe l'eau de source embouteillée et les boissons aromatisées sans alcool. Cette définition du marché s'appuie sur l'argument que la fonction fondamentale de toutes les boissons est d'étancher la soif du consommateur.
(9) La Commission considère qu'une substituabilité limitée à la seule fonction du produit ne suffit pas à établir sa substituabilité en termes de concurrence. En l'espèce, si le seul critère nécessaire pour établir la substituabilité était «l'étanchement de la soif», de nombreux produits de nature très différente qui remplissent cette fonction devraient être considérés comme appartenant au même marché (thé, lait, bière, certains fruits, etc.). Toutefois, plusieurs facteurs indiquent l'existence d'un marché distinct pour les eaux de source embouteillées, sur lequel les opérateurs peuvent agir dans une large mesure sans se préoccuper des activités des sociétés vendant des boissons rafraîchissantes sans alcool, (ci-après «boissons rafraîchissantes»), en particulier en ce qui concerne les prix. Ces facteurs sont examinés ci-après.
a) Considérations relatives à la demande
i) Motivation des consommateurs finaux dans l'achat d'eau embouteillée provenant d'une source naturelle
(10) L'eau embouteillée à la source est achetée et régulièrement consommée, surtout en France, pour son image de produit naturel (eau provenant d'une source naturelle) et pour son association avec les notions de pureté, de propreté, d'absence de contamination et, de façon générale, de santé et de mode de vie sain.
Plusieurs enquêtes effectuées auprès des consommateurs confirment cette opinion. L'enquête réalisée par l'Institut français de démoscopie en octobre 1991 pour Évian en fournit un exemple. En effet, il en ressort que les principales raisons pour lesquelles les consommateurs boivent de l'eau plate embouteillée provenant d'une source naturelle tiennent à l'action positive qu'elle exerce sur le corps humain, et en particulier aux éléments suivants:
- elle permet d'éliminer les impuretés,
- elle apporte des sels minéraux à l'organisme
et
- elle a un effet positif sur la santé.
D'autres études, dans lesquelles on a posé d'autres types de questions aux consommateurs, tendent à confirmer cette opinion. Les conseillers économiques de Nestlé (voir Lexecon Report) ont eux-mêmes affirmé que: «Ce qui ressort clairement des enquêtes réalisées auprès des consommateurs en France, c'est que de nombreuses personnes boivent de l'eau embouteillée principalement parce qu'elles sont persuadées qu'elle est propre, pure et non contaminée.» En outre, l'étude de marché réalisée par la Sofres à la demande des conseillers économiques de Nestlé a donné le résultat suivant: «. . . point plus important, les personnes répondant à l'enquête ont également été interrogées sur la raison pour laquelle elles consomment de l'eau embouteillée de préférence à l'eau du robinet ordinaire, et la raison le plus souvent invoquée était la pureté de l'eau embouteillée, suivie de l'absence de goût désagréable, et en troisième place seulement la présence de sels minéraux» (c'est nous qui soulignons).
En outre, les campagnes publicitaires des trois producteurs Nestlé, Perrier et BSN visent toutes la promotion de ce type d'éléments dans l'esprit des consommateurs.
ii) Différences dans la composition des produits, leur goût et l'usage prévu
(11) Les boissons rafraîchissantes sont habituellement fabriquées avec de l'eau courante additionnée d'arômes et de sucre et ont par conséquent un goût différent de celui des eaux de source. Les boissons rafraîchissantes sont bues en plus petites quantités, non seulement pour étancher la soif, mais également afin de se procurer un plaisir gustatif particulier, souvent en société.
(12) Le consommateur final achète régulièrement des eaux de source pour un usage quotidien en grande quantité afin de satisfaire un besoin alimentaire fondamental, alors que les boissons rafraîchissantes sont consommées de manière plus occasionnelle. En ce qui concerne le volume de la demande, les marchés de ces deux produits sont très différents. Les niveaux de consommation par habitant en France en 1990 étaient les suivants: eau embouteillée 104,8 litres, boissons gazeuses 29,9 litres, boissons plates 9,6 litres, jus de fruits 8,6 litres (source: rapport Canadean, tableau 2.1.1). Ces différences de volume considérables montrent que les eaux et les boissons rafraîchissantes sont demandées pour la satisfaction de besoins très différents (faible substituabilité du point de vue de la demande); elles montrent également que les boissons rafraîchissantes ne constituent pas une solution de remplacement suffisante pour l'eau de source embouteillée.
iii) Faible élasticité de la demande par rapport aux modifications de prix
(13) Trois facteurs principaux indiquent qu'il est peu probable qu'une augmentation importante et non provisoire du prix des eaux de source par rapport à celui des boissons rafraîchissantes entraîne un glissement significatif de la demande des eaux de source vers les boissons rafraîchissantes pour cette seule raison.
1) En termes absolus, il existe une différence de prix considérable entre l'eau embouteillée et les boissons rafraîchissantes sans alcool
Une comparaison des prix courants départ usine des différents producteurs en 1991 donne l'éventail de prix suivant [voir annexes 2 à 7(4) ]:
- eaux de source non minérales plates (bouteilles «PVC» de 1,5 litre): entre 0,85 FF et 1,4 FF,
- eaux minérales plates (marques nationales en bouteilles «PVC» de 1,5 litre): entre 2,49 FF et 2,56 FF,
- eaux minérales gazeuses (marques nationales): entre 2,99 FF et 3,47 FF (bouteilles «PVC» de 1,25 litre), 2,98 FF (bouteilles «PVC» d'un litre) et 3,65 FF (bouteilles en verre d'un litre, non consignées),
- boissons rafraîchissantes: 6,1 FF pour le Coca-Cola (bouteilles «PET» de 1,5 litre), entre 6,1 FF et 9,4 FF pour les boissons gazeuses (bouteilles «PET» de 1,5 litre), entre 6,1 FF et 8,76 FF pour les boissons plates aromatisées à l'orange (bouteilles «PET» de 1,5 litre).
Si l'on prend comme référence les eaux minérales plates à diffusion nationale, qui représentent l'essentiel de la consommation en France (plus de 70 %), les boissons rafraîchissantes sont de l'ordre de deux à trois fois plus chères que les eaux de source au niveau du producteur.
Cette même différence se reflète dans les prix de détail (prix demandés au consommateur final). Le rapport Canadean, les statistiques Nielsen et Secodip, communiquées par les producteurs d'eaux de source et de boissons rafraîchissantes, ainsi que les informations fournies par les principales sociétés de distribution du secteur de l'alimentation le confirment [voir annexe 12(5) ].
Nestlé a nié l'existence de cette différence. Ses représentants ont affirmé que: «50 % environ de toutes les boissons rafraîchissantes sans alcool vendues en France sont des colas. Le prix normal demandé au consommateur par litre de Coca-Cola (bouteille «PVC» jetable de 1,5 litre) est de 3,73 FF, alors que le prix d'un litre de Perrier (bouteille en verre non consignée) s'élève à 4,10 FF et celui de la Vittelloise aromatisée atteint même 5,23 FF (bouteille «PET» jetable de 1,5 litre).»
Les prix cités par Nestlé proviennent du rapport Canadean, qui donne en effet un prix de 3,73 FF pour le Coca-Cola, appliqué en mars 1991 par le détaillant Casino. Les représentants de Nestlé n'ont donné aucune explication quant à la raison pour laquelle il devrait s'agir, en l'occurrence, du prix «consommateur normal» du Coca-Cola. Dans le même rapport sont également cités des prix beaucoup plus élevés pour un litre de Coca-Cola (par exemple, les prix appliqués par Euromarché au cours de la même période étaient de 4,23 FF et même de 4,83 FF pour le Coca-Cola Light).
En outre, si l'on peut admettre le choix du Coca-Cola (qui est l'une des boissons rafraîchissantes les moins chères) étant donné la part importante qu'il représente dans la consommation de ce type de boissons, le Perrier ou la Vittelloise aromatisée, quant à eux, ne sont pas représentatifs de l'eau de source embouteillée. La marque Perrier, avec 204 millions de litres vendus en 1991, représente quelque 3,8 % du marché de l'eau de source embouteillée en France. Or, l'ensemble des eaux aromatisées représente moins de 1 %. De plus, le conditionnement et le prix de ces deux produits, situés par les sociétés à la frontière entre l'eau de source et les boissons rafraîchissantes, sont l'exception plutôt que la règle sur le marché de l'eau embouteillée. Par conséquent, le Perrier et la Vittelloise aromatisée ne peuvent être considérés comme représentatifs du marché de l'eau de source, ni en ce qui concerne le volume des ventes ni en ce qui concerne la politique de commercialisation.
En outre, la comparaison de prix effectuée par Nestlé prend en considération les différences de volume des bouteilles de Coca-Cola et de Perrier, mais pas la différence entre les matériaux utilisés pour la fabrication de ces bouteilles. L'eau Perrier est vendue en bouteilles de verre, plus onéreuses que le conditionnement en plastique (PET) du Coca-Cola choisi pour la comparaison. Il va pourtant de soi que le prix au litre du même Coca-Cola vendu en bouteilles de verre serait plus élevé. À cet égard, la comparaison des prix tels que les constatent les consommateurs sur les rayons d'un commerce de détail pourrait donc être plus appropriée que la comparaison de prix de détail ajustés. Dans ce cas, en effet, les différence de prix sont plus importantes encore (voir annexe 12).
Eu égard aux considérations qui précèdent, la Commission conclut que les prix départ producteur et de détail des boissons rafraîchissantes sont, en règle générale, beaucoup plus élevés (entre 200 et 300 %) en France que ceux des eaux embouteillées. Un rapport de prix se situant entre 2 et 3 est tellement élevé qu'on ne saurait raisonnablement s'attendre à ce qu'une augmentation importante et non provisoire du prix des eaux de source entraîne un glissement significatif de la demande des eaux de source vers les boissons rafraîchissantes pour cette seule raison.
2) Le marché français de l'eau de source embouteillée se caractérise par une activité intensive de marketing et de promotion et par des budgets publicitaires élevés en ce qui concerne les trois principaux producteurs. L'image d'un produit «naturel«, «pur» et «sain» qui est associée aux eaux de source à la suite de cette publicité (voir considérant 10) a pour conséquence que les consommateurs ne considèrent pas les boissons rafraîchissantes comme un produit de substitution de l'eau de source embouteillée pour un usage quotidien à domicile. L'image générale que les consommateurs associent directement à l'eau de source de marque du fait de l'orientation commune de la publicité de chacune des marques, ainsi que la fidélité dont elles bénéficient de la part des consommateurs, réduisent l'importance du prix en tant que critère d'achat (faible élasticité de la demande). Par conséquent, une légère augmentation du prix des eaux de source n'est pas susceptible d'inciter les consommateurs à remplacer l'eau de source embouteillée par des boissons rafraîchissantes.
3) Évolution du prix
Les prix départ producteur de l'eau de source et des boissons rafraîchissantes ont évolué de manière très différente au cours des cinq dernières années (voir considérant 16). Les producteurs des eaux minérales nationales ont pu augmenter considérablement leurs prix tant nominaux que réels, malgré la tendance à la baisse observée pour les prix des boissons rafraîchissantes au cours de la même période. Dans les deux secteurs, les producteurs semblent ne pas prendre en considération, dans leur politique de prix, le fait que les consommateurs pourraient remplacer les eaux de source par des boissons rafraîchissantes. Cette évolution du prix semble indiquer que des réductions, même fortes et durables, des prix réels des boissons rafraîchissantes ne contraindraient pas les producteurs d'eau de source à diminuer le prix de leurs produits pas plus qu'elles ne les empêcheraient de les augmenter.
iv) Les opinions des détaillants
(14) La grande majorité des détaillants interrogés par la Commission considèrent que les eaux de source embouteillées forment un marché distinct sur lequel la demande repose principalement sur le choix conscient d'une marque précise et sur des préoccupations touchant à la santé. Ils considérent en outre que les eaux minérales, et en particulier les marques nationales, sont des produits qu'ils doivent proposer à leur clientèle afin de couvrir la totalité de l'assortiment des produits alimentaires de base. Eu égard à la régularité des achats d'eau embouteillée destinée à la consommation des ménages et l'attachement des consommateurs à une marque précise, les détaillants considèrent que les eaux minérales nationales sont des produits qu'ils doivent proposer à leur clientèle et pour lesquels il n'existe pas ou peu de produits de substitution. Ils ne sont par conséquent pas susceptibles de remplacer les eaux de source par des boissons rafraîchissantes en réaction à une modification des prix, étant donné qu'ils sont obligés de vendre les deux types de produits.
b) Considérations relatives à l'offre
i) Conditions de production et de commercialisation
(15) La production et la commercialisation sont soumises à des contraintes différentes sur le marché des boissons rafraîchissantes et sur celui de l'eau embouteillée à la source, en particulier en France:
1) Dispositions réglementaires
La production d'eau de source non minérale et d'eau minérale est soumise à un agrément (pour les eaux minérales, le délai d'obtention peut varier entre deux et cinq ans, voir rapport Goldman Sachs, p. 16). L'eau de source non minérale et l'eau minérale doivent être embouteillées à la source. La localisation des usines d'embouteillage est par conséquent soumise à une contrainte légale majeure qui n'existe pas pour les producteurs de boissons rafraîchissantes. En effet, ceux-ci peuvent implanter leurs usines d'embouteillage selon l'équilibre qui leur convient entre les économies d'échelle et les coûts de transport, raisonnement que ne peuvent pas suivre les producteurs d'eau.
2) Les producteurs de boissons rafraîchissantes ont la possibilité, dont ils font souvent usage, d'octroyer des licences sur leur marque à des embouteilleurs indépendants qui produisent la boisson concernée dans leurs propres installations et qui vendent le produit sous sa marque originale. Selon des sources de ce secteur, l'industrie des boissons rafraîchissantes avait traditionnellement recours à des franchises nationales pour l'embouteillage et la distribution de ses produits, bien que les principales sociétés aient de plus en plus tendance à acquérir des participations de contrôle dans les embouteilleurs indépendants. En revanche, l'eau provenant d'une source donnée ne peut être embouteillée qu'à la source. En outre, les eaux minérales (qui représentent plus de 75 % de la totalité du marché français de l'eau en volume) ne peuvent être commercialisées que sous la marque commerciale qui correspond à leur source, c'est-à-dire que l'eau minérale extraite d'une source doit, aux termes de la loi, être commercialisée sous la marque commerciale enregistrée pour la source en question et que seule l'eau provenant de ladite source peut être commercialisée sous la marque commerciale en cause.
3) Les opérateurs sont différents sur les deux marchés
En France, aucun gros producteur de boissons rafraîchissantes (Cadbury Schweppes, Coca-Cola, Pernod Ricard) n'a pu s'implanter sur le marché de l'eau embouteillée, malgré la croissance de la demande qui a caractérisé ce marché et l'augmentation des prix départ producteur de l'eau de source embouteillée. De même, les producteurs d'eau minérale ne sont pas très actifs sur le marché des boissons rafraîchissantes (Perrier a par exemple vendu à Schweppes ses boissons rafraîchissantes plates Oasis en 1990, dans le cadre d'une stratégie explicite de concentration de ses activités sur le marché de l'eau).
ii) La politique de prix appliquée par les producteurs
(16) Les politiques de prix appliquées sur le marché des boissons rafraîchissantes, d'une part, et sur le marché de l'eau de source embouteillée, d'autre part, semblent obéir à des logiques différentes, ce qui confirme également les différences sous-jacentes entre les contraintes de concurrence auxquelles doivent faire face les producteurs sur chacun de ces marchés.
Une comparaison des prix courants des producteurs (départ usine, hors TVA et sans remise) pour des conditionnements comparables (bouteilles en PVC ou en plastique PET de 1,5 litre) au cours des cinq dernières années permet de tirer certaines conclusions:
- en termes réels, les prix des boissons rafraîchissantes, après déduction de la part représentant l'inflation et calculée sur la base de l'indice mensuel des prix à la consommation en France, accusent une tendance à la baisse depuis 1987. La diminution des prix réels des boissons rafraîchissantes contraste avec l'évolution des prix réels des eaux minérales. Toutes les marques nationales d'eau minérale ont été en mesure d'augmenter de manière substantielle leurs prix réels au cours de la même période et d'augmenter simultanément leurs ventes en volume du fait de la croissance de la demande (voir annexes 2 à 7),
- les différences entre les politiques de prix sont également illustrées par l'analyse de la corrélation entre les prix réels. Le coefficient de corrélation entre les prix réels des différentes marques d'eau est compris entre un minimum de 0,85 (Badoit et Vitelloise) et un maximum de 1 (Hépar et Vittel). La corrélation entre les prix réels des boissons rafraîchissantes commercialisées par des sociétés différentes est souvent positive et relativement élevée [voir par exemple les coefficients de corrélation entre Coca-Cola, Indian Tonic (Schweppes) et Banga (Pernod Ricard)]. En revanche, la corrélation entre les boissons rafraîchissantes et les eaux embouteillées de chaque marque est, dans la plupart des cas, négative ou très faible lorsqu'elle est positive. Par conséquent, il apparaît que dans les politiques de prix qu'elles appliquent, les sociétés reconnaissent que les marchés de l'eau embouteillée et des boissons rafraîchissantes sont soumis à des contraintes différentes en matière de concurrence.
À cet égard, il est particulièrement révélateur que le produit Orange Passion de BSN ne soit quasiment pas corrélé avec les marques d'eau commercialisées par BSN, alors que c'est la même société qui décide du prix des deux produits.
(17) Un examen des remises consenties sur les prix courants par les producteurs n'altère pas la validité de ces conclusions pour les raisons suivantes:
- les prix courants constituent, particulièrement sur le marché de l'eau de source et sur celui des boissons rafraîchissantes, un bon indicateur des politiques de prix appliquées par les sociétés. Le niveau absolu de remises négociées avec chaque client (entre [...]%(6) et [...]% sur le marché de l'eau de source et entre [...]% et [...]% sur le marché des boissons rafraîchissantes, selon le fournisseur et le client) et leur évolution par le passé ne sont pas à ce point élevées ou variables qu'elles invalideraient la valeur représentative des prix courants en tant qu'indicateurs de la politique de prix de chaque société,
- une grande partie des remises consenties ne peuvent être considérées comme telles, en ce sens qu'elles ne peuvent être répercutées sur le consommateur final, mais qu'elles participent davantage des actions promotionnelles et publicitaires du fournisseur ou qu'elles représentent l'achat d'un service fourni par le distributeur. Par «remises», les producteurs d'eau minérale entendent des budgets de montants variables, liés par exemple à l'espace réservé aux produits du fournisseur concerné dans les commerces de détail, aux publipostages destinés au consommateur final, aux concours promotionnels, etc.,
- du point de vue du distributeur, les remises sont, dans une large mesure, compensées par les coûts de transport qu'il doit supporter lui-même. Ceux-ci ne sont pas identiques pour tous les distributeurs en France. Toutefois, étant donné que Nestlé les a estimés à environ [ . . . ] % du prix départ usine pour une distance de 300 kilomètres (voir page 16 de la notification), les prix courants constituent en outre une approximation relativement précise des prix réellement payés par les distributeurs.
iii) Substituabilité de l'offre
(18) La conjonction des contraintes de production et de commercialisation décrites au considérant 15 empêche les producteurs de boissons rafraîchissantes ou de bière d'utiliser leurs capacités existantes pour la production d'eau de source, minérale ou non. Même si les producteurs de boissons rafraîchissantes disposaient actuellement d'un excédent de capacité, l'obligation légale d'embouteiller l'eau de source non minérale et l'eau minérale à la source les empêcherait d'avoir recours à cet excédent pour l'embouteillage d'eau de source.
Nestlé a affirmé que les embouteilleurs de boissons rafraîchissantes et de bière pourraient utiliser leurs usines d'embouteillage pour la production d'eau de robinet purifiée et se présenter sur le marché de l'eau de source avec ce produit. Toutefois, cette affirmation n'a été étayée par aucune preuve de l'existence d'une capacité excédentaire chez ces producteurs.
Nestlé a en outre affirmé que l'eau de robinet purifiée était commercialisée dans certains pays (États-Unis d'Amérique, Danemark et Grèce) et commençait à apparaître sur le marché allemand, où elle représente 1,5 % de la consommation totale d'eau embouteillée. Toujours selon Nestlé, le fait que l'eau de robinet purifiée soit vendue dans certains pays constitue une preuve suffisante qu'elle pourrait l'être en France, bien qu'elle n'y soit pas commercialisée pour l'instant.
L'affirmation de Nestlé repose sur la supposition implicite selon laquelle l'eau de robinet purifiée serait considérée par les consommateurs comme un produit de substitution de l'eau de source. Or, aucune preuve n'est apportée à l'appui de cette supposition. Au contraire, les caractéristiques de la demande sur le marché géographique de référence indiquent que ce n'est pas le cas. Il est frappant, en outre, que malgré
- la forte croissance de la demande et le taux d'augmentation élevé des volumes commercialisés jusqu'en 1990,
- les augmentations de prix constantes (après rabais) sur le marché français de l'eau de source embouteillée, en termes tant nominaux que réels,
- la tendance à la baisse en termes réels des prix courants des principales marques de boissons rafraîchissantes (même en termes nominaux dans le cas de Coca-Cola), plus accentuée encore lorsqu'on prend les rabais en considération
et
- la capacité technique et industrielle des producteurs de boissons rafraîchissantes et de bière de mettre en bouteille de l'eau de robinet purifiée,
aucun producteur de boissons rafraîchissantes ou de bière ne s'est jamais présenté sur le marché de l'eau de source en France. Par conséquent, l'expérience laisse fortement supposer qu'une substitution sur le plan de l'offre n'a pas été considérée comme une solution commercialement viable par les sociétés concernées.
En outre, les producteurs de boissons rafraîchissantes consultés par la Commission ont confirmé qu'ils n'envisageaient pas, pour l'instant, de produire de l'eau de robinet purifiée pour le marché français, de même qu'ils n'ont pas indiqué qu'une telle possibilité était commercialement réalisable ou utile. Il convient de noter, dans ce contexte, que Coca-Cola s'est approvisionnée en eau minérale de Spa pour couvrir ses besoins en eau conditionnée en boîtes métalliques pour alimenter ses distributeurs automatiques en France. Elle n'a pas décidé d'utiliser sa propre marque d'eau de robinet purifiée (Bonaqa) vendue en Allemagne, ni d'avoir recours à ses installations disponibles en France pour produire une telle eau.
Pour ces raisons, les considérations relatives à la substituabilité de l'offre ne peuvent conduire, dans la présente affaire, à une conception différente du marché de produits de référence.
c) Conclusion
(19) On peut conclure de ce qui précède que le marché de produits de référence est celui de l'eau de source embouteillée.
B. Distinction entre les eaux de source plates et les eaux gazeuses et aromatisées
(20) L'exclusion ou la non-exclusion des eaux de source gazeuses et aromatisées du marché de référence ne modifierait pas essentiellement l'appréciation de l'opération de concentration envisagée. Plusieurs facteurs relatifs à la demande indiquent que les eaux gazeuses et aromatisées pourraient en effet être exclues dudit marché. Il existe plusieurs différences entre les eaux de source plates et les eaux gazeuses et aromatisées, en ce qui concerne les propriétés physiques, la saveur, l'utilisation prévue, les volumes consommés et les niveaux de prix. Dans certains cas exceptionnels, les sociétés concernées rapprochent les eaux gazeuses et aromatisées davantage des boissons rafraîchissantes en ce qui concerne le conditionnement, la politique de commercialisation et le prix. L'eau gazeuse Perrier (3,8 % du marché) et certaines eaux aromatisées (moins de 1 %) constituent des exemples de telles exceptions.
Sur le plan de la concurrence, il est toutefois impossible d'exclure toute interaction entre les eaux gazeuses et aromatisées et les eaux de source plates. La plupart des sociétés commercialisant des eaux de source plates proposent également des eaux de source gazeuses et, dans une moindre mesure, des eaux de source aromatisées. Du point de vue technique du moins, un embouteilleur d'eau de source plate peut aisément passer à la production d'eau de source gazeuse ou aromatisée.
Il pourrait s'avérer difficile, pour ces raisons, de justifier une exclusion totale de l'eau de source gazeuse et aromatisée du marché de produits de référence. Il est toutefois évident que les eaux plates, gazeuses et aromatisée constituent des catégories de produits ou des segments différents au sein du marché global de l'eau de source embouteillée. Dans le cas d'espèce, l'évaluation de la concentration proposée ne changerait pas fondamentalement, même si les eaux gazeuses et aromatisées étaient exclues.
LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE DE RÉFÉRENCE
(21) Eu égard aux considérations d'ordre structurel présentées ci-après, et après examen des conditions de concurrence sur les marchés de l'eau de source dans la Communauté, la Commission a conclu que le marché géographique de référence à l'intérieur duquel la puissance de la nouvelle entité doit être appréciée est la France. Plusieurs facteurs indiquent que les parties à la concentration sont actuellement et seront à l'avenir également, en mesure de déterminer leur comportement concurrentiel en France sans être soumis à des contraintes étrangères importantes en matière de concurrence.
(22) Les représentants de Nestlé ont invoqué l'argument selon lequel le niveau des exportations vers d'autres régions doit être pris en considération dans la définition du marché. Selon Nestlé, une discrimination en matière de prix entre la France et les zones géographiques dans lesquelles cette société vend ses produits à l'étranger n'est pas possible, du moins pour la Belgique et certains Laender allemands. C'est la raison pour laquelle, selon Nestlé, sa politique de prix en France serait soumise aux contraintes que lui imposent les conditions régnant sur les autres marchés cités sur lesquels Nestlé est présent, bien que les conditions de concurrence sur lesdits marchés soient considérablement différentes.
Sur cette base, et après avoir analysé les exportations françaises d'eau de source vers la Belgique et l'Allemagne, Nestlé a estimé que le marché géographique de référence devrait être étendu à la Belgique et à certains Laender allemands. Elle a en outre fait valoir que l'application de prix trop élevés sur le marché français donnerait lieu à des importations parallèles en France. Selon elle toujours, la simple possibilité d'importations parallèles compromettrait toute position dominante sur le marché français.
Toutefois, eu égard à la situation différente qui prévaut en matière de concurrence dans chaque État membre, à la quasi-impossibilité d'effectuer des importations parallèles et à l'absence de concurrents communautaires capables de franchir les importants obstacles à l'accès au marché français, la Commission conclut que le marché géographique de référence est la France.
A. Les conditions de concurrence dans la Communauté
(23) Les conditions de concurrence sur le marché de l'eau de source embouteillée sont très disparates dans la Communauté. La demande présente des caractéristiques différentes dans chaque État membre, les flux d'échange sont négligeables en ce qui concerne la consommation et l'offre est extrêmement morcelée dans la plupart des États membres.
(24) Selon les États membres, la demande est de nature très différente. Dans des pays tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, les Pays-Bas, le Danemark et le Portugal, la demande d'eau de source embouteillée est extrêmement faible, voire inexistante (très faible consommation par habitant), et le marché se trouve dans une phase de démarrage.
Dans d'autres États membres, la demande porte essentiellement sur les seules eaux gazeuses, qui représentent trois quarts du marché en Allemagne, plus de 60 % en Italie et 34 % en Belgique. Dans ces États membres, la consommation d'eau embouteillée par habitant est proche de celle de boissons rafraîchissantes gazeuses, ce qui montre à quel point les habitudes de consommation sont différentes.
(25) Les flux d'échange revêtent une importance mineure dans la Communauté. L'eau est un produit à faible valeur pour un volume élevé, qui ne tolère pas, en général, des frais de transport sur de longues distances. L'incidence importante de ces frais tend à régionaliser la majeure partie du marché. La société Nestlé a elle-même estimé cette incidence à 10 % pour une distance de 300 kilomètres, pour les eaux plates les plus chères. Dans le cas du conditionnement en verre, les frais de transport sont plus de deux fois plus élevés.
Sur le plan de la consommation, les importations des pays limitrophes de la France restent négligeables: elles représentent environ 5 % en Allemagne, et moins de 1 % en Italie et en Espagne. Il s'agit généralement d'importations d'eaux minérales françaises qui s'adressent à la frange supérieure de la demande disposée à payer un prix nettement plus élevé pour une marque renommée offrant l'avantage supplémentaire de posséder un parfum de cosmopolitisme. Les importations n'atteignent un niveau relativement élevé qu'en Belgique, eu égard au degré réduit de concentration de l'offre et à la taille relativement restreinte du marché. La consommation en Belgique représente environ 10 % de la production française en volume.
(26) L'offre est très morcelée en Allemagne, en Italie, en Espagne, et dans une moindre mesure, en Belgique. Ces pays sont les seuls de la Communauté où le développement du marché permettrait la présence d'un gros fournisseur.
En Allemagne, aucune des principales sociétés du marché [groupe Uberkinger, Gerolsteiner, Blaue Quellen (Nestlé) et Apollinaris] ne représente une part du marché supérieure à 10 %, même lorsque l'on additionne toutes les sources et marques d'un même producteur. Quelques marques seulement ont un statut national: Apollinaris (moins de 6 % du marché), Fachinger (représentant 7 % du marché) et peut-être Gerolsteiner et Hirschquelle pourraient être considérées comme des marques nationales.
En Italie, les sources sont réparties sur la totalité du territoire et plus de deux cents sociétés commercialisent de l'eau de source embouteillée. La marque la plus importante, Ferrarelle (qui appartient à BSN), représente exactement 10 % du marché italien. La situtation en Espagne est analogue: la marque la plus importante, Font Vella, est également détenue par BSN et représente 18 % du marché. Mis à part Grupo Vichy Catalán (12 % du marché), ce sont des dizaines d'autres petites sociétés aux ventes annuelles totales inférieures à 100 millions de litres qui approvisionnent le marché espagnol (source: Alimarket).
En Belgique, les deux principaux producteurs, Spadel et Chaudfontaine, détiennent des parts plus importantes du marché, en raison surtout de la petite taille de celui-ci. Le total des ventes d'eaux de source embouteillées en Belgique s'élève à 256,3 millions de litres (27 % du marché) pour Spadel et à 95 millions de litres (10 % du marché) pour Chaudfontaine. Aucune de ces deux sociétés n'effectue d'exportations importantes vers la France, malgré la situation géographique avantageuse de leurs sources.
(27) Plusieurs facteurs expliquent le morcellement de ces marchés et l'absence de grandes sociétés comparables aux producteurs français. En Allemagne, la quasi-totalité de l'eau de source est vendue en bouteilles de verre (habituellement consignées), dont l'utilisation amplifie considérablement l'incidence des frais de transport. En Italie, le verre représente presque la moitié du marché et est normalement utilisé par les marques les plus importantes.
En outre, en Italie, en Allemagne et en Espagne, les distributeurs d'eau embouteillée sont relativement nombreux. Les détaillants en alimentation dont les activités s'étendent à tout le pays sont beaucoup moins importants dans ces États membres qu'en France, ce qui restreint encore plus les possibilités pour les producteurs d'eau embouteillée de ces pays de s'assurer un marché intérieur étendu leur permettant d'envisager une expansion vers d'autres marchés. Actuellement, les exportations italiennes, espagnoles ou allemandes représentent moins de 1 % de la production de chacun de ces pays. Tout indique, par conséquent, que les efforts des sociétés de ces États membres pour dépasser les limites de leur région et atteindre au moins une dimension nationale se poursuivront dans un avenir prévisible.
B. Les exportations françaises et la menace d'importations parallèles
(28) L'eau de source embouteillée est une marchandise relativement peu onéreuse mais volumineuse, sur le prix de laquelle les frais de transport ont une grande incidence. Même si les marges bénéficiaires étaient élevées, il est peu probable qu'un importateur parallèle puisse transporter à travers plusieurs États membres les volumes importants nécessaires pour réaliser des recettes et des bénéfices élevés. Il convient de noter, en outre, que l'exportation des eaux minérales françaises s'effectue généralement par l'intermédiaire des filiales des principaux producteurs. Par exemple, toutes les activités d'exportation de Vittel vers la Belgique et l'Allemagne ont lieu par le biais des filiales de Vittel dans ces pays (respectivement Société Vittel Import et Vittel Mineralwasser GmbH). Ce système permet d'exercer un certain contrôle sur les quantités d'eau exportées vers ces deux pays.
Les prix en Belgique et en Allemagne (marchandise livrée aux consommateurs) sont considérablement plus élevés que les prix départ usine en France. Nestlé a cité des prix de 3,36 FF par bouteille de Vittel (bouteille «PVC» de 1,5 litre) en Belgique, et de 2,82 FF pour le même produit en Allemagne en avril 1991(7) . Ces prix doivent être comparés au prix départ usine en France à la même date, en l'occurrence 2,39 FF. Il résulte de cette comparaison que le prix auquel un hypothétique importateur parallèle pourrait acheter de la Vittel en Belgique ou en Allemagne est actuellement beaucoup plus élevé que le prix courant appliqué par Vittel en France (respectivement 40 et 18 % de plus). Après avoir payé ces prix plus élevés, le réexportateur éventuel devrait en outre supporter le coût
- du transport, pour réimporter la marchandise en France,
- du déballage des palettes, du réétiquetage de chaque bouteille et du réemballage,
- de sa propre marge bénéficiaire.
Les ristournes et rabais consentis à la fin de chaque exercice sur la base de la progression des volumes et des ventes ainsi que les rabais de gamme permettent également de limiter les importations parallèles en France. En effet, un importateur parallèle indépendant ne pourrait pas bénéficier de ces rabais. La nature même de ce type de rabais permet d'appliquer des conditions commerciales différentes à chaque client, même à l'intérieur du marché français.
En Allemagne, le conditionnement de l'eau de source est différent de celui utilisé en France: l'emballage typique sur le marché allemand de l'eau de source est la bouteille en verre de 75 centilitres, qui n'est pas utilisée en France. 89 % du total des ventes d'eau embouteillée en Allemagne sont emballés sous verre consigné, et la plus grande partie des exportations françaises vers l'Allemagne est également constituée de bouteilles en verre. Les exportations de Vittel vers l'Allemagne se composent principalement de bouteilles en verre de 1,25 litre et de un litre, qui représentent ensemble [. . .]% des exportations de cette société. Les frais de transport pour le verre sont considérablement plus élevés que pour le plastique (jusqu'à 200 % selon une estimation de Nestlé). En outre, les détaillants français ont confirmé que la distribution en France d'eau de source plate en bouteilles de verre créerait de nombreux problèmes (les consommateurs sont habitués à acheter de l'eau de source plate dans des récipients en plastique et les distributeurs auraient à supporter des frais plus élevés pour la manipulation de bouteilles en verre).
Pour ces raisons, la Commission considère que les conditions régnant sur le marché de l'eau de source montrent que les exportations des parties et la menace d'importations parallèles ne soumettent le comportement concurrentiel des parties sur le marché géographique de référence à aucun contrainte.
C. Barrières à l'entrée isolant le marché français
(29) Outre les différences entre les conditions de concurrence prévalant en France, d'une part, et dans le reste de la Communauté, d'autre part, il existe d'importantes barrières à l'entrée sur le marché français de l'eau de source embouteillée. Ces barrières en elles-mêmes (voir considérants 30 à 34) montrent clairement que la France constitue un marché géographique séparé sur lequel les producteurs français sont en mesure d'imposer des augmentations de prix importantes et non provisoires sans être soumis à aucune contrainte extérieure sur le plan de la concurrence.
(30) Absence d'importations
Malgré l'absence d'obstacles tarifaires et légaux aux échanges, les importations d'eau de source embouteillée en France sont négligeables (entre 1 et 2 % de la consommation française totale) et on ne constate aucune tendance à la hausse. Cette situation s'explique aisément par la structure du marché des autres États membres. Les importations en provenance de régions éloignées ou les importations de bouteilles en verre sont pratiquement exclues pour des raisons de prix. Il ne faut pas perdre de vue que les eaux minérales et les eaux de source non minérales doivent être embouteillées à la source, et qu'elles ne peuvent, par conséquent, être produites qu'à un endroit précis. Dans la mesure où des sources étrangères seraient situées près des frontières françaises, les frais de transport pourraient être absorbés. Toutefois, même dans cette éventualité, l'absence d'importations s'explique également par plusieurs autres facteurs.
(31) Logistique de la distribution
Les producteurs français d'eau minérale produisent des volumes suffisants pour transporter l'eau par chemin de fer, par wagons entiers. Leur logistique et celle de leurs principaux clients sont adaptées à ce moyen de transport compétitif. Même des sociétés situées près des frontières françaises (telles que Spa) seraient désavantagées sur le plan des frais de transport si elles exportaient vers la France, étant donné qu'elles devraient soit choisir le transport par camion, soit acquérir la logistique nécessaire et produire un volume suffisant pour rentabiliser un transport ferroviaire.
(32) Accès à la distribution
Le marché français est arrivé à maturité en ce qui concerne le nombre de marques et la gamme de produits proposés. Selon des sources du secteur, l'accès au marché français du commerce de détail est difficile pour une nouvelle marque d'eau de source venant s'ajouter aux marques nationales bien établies. Seules des marques renommées peuvent raisonnablement espérer survivre à moyen ou long terme, ce qui fait de l'entrée sur le marché une stratégie à haut risque. En outre, l'espace réservé à l'eau sur les rayons des commerces de détail est nécessairement limité, et dans certains cas, il pourrait être difficile de prendre la place d'une marque existante.
(33) Dépenses publicitaires (à fonds perdus)
Le marché français de l'eau se caractérise par la prédominance des marques. Le budget publicitaire cumulé des trois producteurs nationaux français - Nestlé, Perrier et BSN - s'est élevé à plus de 680 millions de FF en 1991. Les trois grands producteurs pratiquent une politique de publicité intensive depuis plusieurs années. L'établissement d'une nouvelle marque nécessiterait des investissements massifs et pourrait être une entreprise de longue haleine. En outre, la multiplicité des marques existantes rend l'établissement d'une nouvelle marque plus difficile (accès aux médias au moment opportun) et comporte un niveau de risque élevé, eu égard en particulier à l'image nationale associée aux marques appartenant à Nestlé, Perrier et BSN.
(34) Autres barrières à l'entrée
Le degré élevé de concentration du marché français des eaux de source, dont trois sociétés détiennent 82 % en valeur, constitue une barrière supplémentaire à l'entrée et aggrave les risques liés à l'entrée d'un nouveau produit sur le marché (voir considérant 98).
Les échecs patents par lesquels se sont soldées les tentatives passées d'accéder au marché français, conjugués à l'absence d'importations, confirment l'incidence économique réelle des barrières mentionnées ci-dessus. Selon Perrier, il y a eu, au cours des cinq dernières années, quinze tentatives d'entrée sur le marché. Sur ces quinze candidats, quatre seulement sont encore présents: Ferrarelle, qui appartient à BSN, San Pellegrino, dans laquelle Perrier détient une participation de 20 % et nomme trois des neuf membres du conseil de direction, et enfin, Apollinaris et San Benedetto, dont les ventes restent négligeables. Selon certains distributeurs du secteur de l'alimentation, si certaines marques nouvelles peuvent bénéficier, au début, d'un accueil favorable, les consommateurs français reviennent généralement aux marques nationales connues à court ou moyen terme. Le fait que la société belge Spadel oriente ses efforts à l'exportation vers le Royaume-Uni plutôt que vers la France malgré la situation géographique de sa source témoigne encore des difficultés liées à la pénétration sur le marché français.
V. COMPATIBILITÉ AVEC LE MARCHÉ COMMUN
(35) Pour les raisons exposées ci-dessus, la compatibilité de l'opération de concentration envisagée sera appréciée sur la base d'un marché français des eaux de source embouteillées (dénommées ci-après «eau embouteillée») distinct, comprenant les eaux plates et les eaux gazeuses. L'appréciation portera principalement sur le segment des eaux plates, étant donné qu'il représente approximativement 84 % de la totalité du marché de l'eau embouteillée en volume, et en raison également de l'absence de changements significatifs dans le segment des eaux gazeuses, dans lequel la société Nestlé n'exerce elle-même qu'une activité restreinte dans le domaine des eaux gazeuses aromatisées.
(36) Les eaux locales (eaux minérales et eaux de source) sont incluses dans le marché sur lequel porte l'appréciation, bien qu'elles se distinguent des eaux minérales nationales à maints égards. Ces différences seront présentées ci-après et seront prises en considération pour apprécier si les eaux locales (principalement des eaux de source non minérales) représentent une contrainte concurrentielle suffisante pour les eaux minérales distribuées au niveau national.
(37) L'accord conclu entre Nestlé et BSN le 30 janvier 1992 sera également pris en considération pour apprécier l'opération de concentration envisagée. Aux termes de cet accord, les deux parties ont convenu, sous réserve d'une prise de contrôle de Perrier par Nestlé, de céder Volvic, l'une des principales eaux de source minérales plates de Perrier, à BSN. Dans son appréciation, la Commission doit prendre en compte tout accord existant dont la mise en oeuvre aurait une incidence significative sur la structure future du marché. Un tel accord, comme tout autre élément lié au marché, peut conduire à la conclusion que le rachat de Perrier ne saurait être déclaré compatible avec le marché commun dans les conditions futures du marché mentionnées ci-dessus. Deux situations seront envisagées: l'une dans laquelle l'accord serait mis en oeuvre et l'autre dans laquelle les parties décideraient de ne pas exécuter cet accord.
A. Parts du marché
(38) Dans sa notification relative à l'opération de concentration envisagée, Nestlé a fourni des chiffres sur le volume total du marché et les parts du marché détenues par les différents participants, sur la base de ses propres données et de données collectées par la Chambre syndicale des eaux minérales et la Chambre syndicale des eaux de source. Les chiffres fournis par Nestlé portent sur les années 1986 à 1991. Nestlé a également communiqué des chiffres relatifs à la valeur totale du marché et aux parts du marché en valeur.
(39) Selon ces chiffres, la valeur totale et le volume total du marché en 1991, ainsi que les parts du marché détenues par les trois producteurs d'eau à diffusion nationale, c'est-à-dire Nestlé, Perrier et BSN, et par les producteurs d'eau à diffusion locale («autres»), étaient les suivants:

ValeurVolumeTotal
(5 250 M l)Eau plate
(4 394 M l)Eau gazeuse
(856 M l)19919 334 M FF1991toutes
eauxuniquement
minéraletoutes
eauxuniquement
minéraletoutes
eauxuniquement
minéraleNestlé[...]Nestlé[...][...][...][...][...][...]Perrier[...]Perrier[...][...][...][...][...][...]BSNBSNTotal 382,3Total 376,094,174,293,585,496,5Autres17,7Autres24,0 5,925,8 6,514,6 3,5
(40) Les parts du marché exprimées en valeur reflètent mieux la puissance réelle sur ce marché que les parts exprimées en volume, le marché français de l'eau étant composé de deux catégories de produits très distinctes en termes de prix, c'est-à-dire les eaux minérales nationales et les eaux locales, principalement des eaux de source. Il existe une différence de prix importante et en constante augmentation entre ces deux catégories d'eaux. En moyenne, le prix départ usine des eaux de source locales non minérales est d'environ 1 FF par bouteille «PVC» de 1,5 litre, alors que le prix départ usine des eaux minérales nationales varie généralement de 2,49 FF à 2,56 FF pour les mêmes quantités. Après déduction d'un rabais forfaitaire de 10 %, la différence de prix entre les eaux nationales et les eaux de source locales non minérales varie par conséquent de 1,24 FF à 1,30 FF. La différence de prix considérable existant entre ces deux catégories d'eau et l'importance des ressources financières consacrées sur ce marché à l'investissement dans la publicité et le marketing amènent la Commission à considérer qu'il est plus approprié de prendre en considération les parts du marché exprimées en valeur plutôt que celles exprimées en volume. Les parts du marché exprimées en valeur communiquées par Nestlé montrent que les trois producteurs nationaux détiennent une part de 82,3 % de la totalité du marché français de l'eau embouteillée et que la part des producteurs locaux ne s'élève qu'à 17,7 %.
(41) Dans les observations écrites et orales qu'elle a présentées à la suite de la communication des griefs conformément à l'article 18 du règlement sur les concentrations, la société Nestlé a substitué des chiffres extraits du rapport Canadean de 1990 aux chiffres relatifs au volume qu'elle avait initialement fournis dans sa notification et qui se fondaient sur des données communiquées par les deux associations professionnelles concernées. Selon le rapport Canadean, le volume total du marché s'élèverait non pas à 5,25 milliards de litres, mais à 5,9 milliards de litres, la différence provenant principalement du fait que les producteurs locaux détiendraient une part plus importante du marché des eaux plates s'élevant à 35,5 % et non à 25,8 %. BSN, qui avait également été entendue par la Commission, avait également fait état d'estimations figurant dans deux études de marché (Intercor et Secodip), selon lesquelles le volume serait supérieur à celui indiqué par Nestlé dans sa notification.
(42) Nestlé a laissé inchangés ses chiffres relatifs à la valeur du marché, c'est-à-dire 9 334 millions de FF. BSN a avancé une valeur totale du marché de 9,4 milliards de FF, chiffre remarquablement proche de celui communiqué par Nestlé dans sa notification et confirmant donc le chiffre donné par Nestlé. La discussion relative au volume du marché est moins importante, puisque la part du marché en valeur détenue par les trois producteurs nationaux reste au niveau de 82 % et celle des producteurs locaux au niveau de 17 à 18 %.
(43) En ce qui concerne le volume du marché, les chiffres avancés par le rapport Canadean 1990 et par les études de marché Intercor et Secodip ne sont que des estimations auxquelles il convient de ne pas accorder plus de crédit qu'aux chiffres initialement présentés par Nestlé et qui reposaient principalement sur les données communiquées par les associations professionelles des secteurs concernés. Dans la catégorie «autres», le rapport Canadean et les études Intercor et Secodip classent également les eaux minérales et les eaux de source non minérales locales détenues par Nestlé et Perrier. Celles-ci ont représenté, en 1991, un volume de 221 millions de litres. En outre, contrairement aux chiffres fournis par les associations professionnelles, lesdits rapport et études de marché se fondent uniquement sur des estimations basées sur des échantillons d'une partie seulement des ventes des détaillants ou des achats des consommateurs. Enfin, il est manifeste que ces documents se contredisent, étant donné qu'ils aboutissent à trois résultats entièrement différents concernant le volume du marché: 5 390 millions de litres pour Intercor, 5,90 milliards de litres pour Canadean et 6,69 milliards de litres pour Secodip.
(44) En 1991, la forte croissance de la demande enregistrée en 1989 et 1990 (due principalement à la chaleur exceptionnelle) s'est interrompue et le taux de croissance a été inférieur à 1 %. Les chiffres communiqués par Nestlé dans sa notification prennent en considération cette interruption de la croissance de la demande et donnent un volume total du marché en 1991 de 5,25 milliards de litres. Les volumes de vente calculés par la Commission sur la base de ses enquêtes et des données fournies par les associations professionnelles concernées figurent à l'annexe 2. Ce calcul se solde par un volume total du marché de 5,249 milliards de litres (eaux plates: 4,419 milliards de litres, eaux gazeuses: 830 millions de litres). Ces chiffres sont remarquablement proches de ceux fournis par Nestlé dans sa notification.
Les chiffres communiqués par la Chambre syndicale des eaux minérales et par la Chambre syndicale des eaux de source pour 1991 font état d'une diminution des ventes d'eaux minérales à diffusion locale par rapport à 1990 et d'une augmentation de 3,3 % seulement des ventes d'eaux de source locales non minérales. Ces données confirment la tendance générale du marché en 1991, qui n'a connu qu'une faible augmentation du volume total par rapport à 1990.
(45) Les considérations qui précèdent conduisent à la conclusion que les chiffres relatifs à la valeur et au volume du marché communiqués par Nestlé dans sa notification sont fiables et qu'ils peuvent être utilisés pour l'appréciation de l'opération de concentration envisagée. Ces chiffres sont également confirmés, dans une large mesure, par la part des eaux locales dans le total des ventes d'eaux (eaux plates et gazeuses) chez plusieurs grands détaillants et grossistes. La moyenne pondérée de ces ventes d'eaux locales se situe seulement à environ 22 % des ventes totales en volume. En valeur, cette part s'élève seulement à environ 16 ou 17 %.
(46) De 1986 à 1991, les parts de la totalité du marché français des eaux en valeur et en volume ont évolué de la manière suivante, selon les chiffres de Nestlé elle-même:

198619871988198919901991MoyenneDifférence part
minimale/maximale


En valeur
Nestlé[...][...][...][...][...][...][...]2,4 %Perrier[...][...][...][...][...][...][...]1,9 %BSN[...][...][...][...][...][...][...]2,1 %Autres[...][...][...][...][...][...][...]2,3 %En volume
Nestlé[...][...][...][...][...][...][...]3,2 %Perrier[...][...][...][...][...][...][...]1,4 %BSN[...][...][...][...][...][...][...]2,6 %Autres[...][...][...][...][...][...][...]4,7 %
Le tableau ci-dessus montre que les parts de marché des trois producteurs nationaux sont demeurées relativement stables au cours de la période considérée, avec une variation moyenne de 2,1 % en valeur et de 2,4 % en volume, alors que celles détenues par l'ensemble des autres producteurs variaient de 2,3 % en valeur et de 4,7 % en volume. Dans l'absolu, les ventes des trois producteurs nationaux ont constamment augmenté en valeur (augmentation moyenne de 9,4 %) et en volume (augmentation moyenne de 4,6 %). En 1991 seulement (fort tassement de la croissance de la demande), les trois producteurs nationaux ont enregistré une baisse de volume de 49 millions de litres (voir considérant 68), tout en augmentant la valeur de leurs ventes de 4,9 %. Dans la même année, les producteurs locaux d'eaux minérales ont également perdu en volume. Seuls les producteurs locaux d'eaux de source ont pu augmenter leur volume de 3,3 %.
Compte tenu du fait que l'accroissement de la demande est largement dû à des facteurs d'ordre écologique incitant les gens à remplacer l'eau de robinet par les eaux embouteillées les moins chères, qui sont les eaux de source non minérales (segment «remplacement de l'eau de robinet»), les variations des parts de marché indiquées ci-dessus sont relativement faibles. Elles ne traduisent pas une évolution fondamentale de la position respective des trois producteurs nationaux sur le marché, ni de leur position par rapport aux producteurs d'eaux locales.
(47) Sur la base des chiffres fournis par Nestlé lors de la notification, les parts sur le marché des eaux plates après la concentration, avec et sans la vente de Volvic à BSN, se répartissent ainsi:

Sans la vente de Volvic à BSN Uniquement
eau plate
1991ValeurVolumetoutes eauxtoutes eauxuniquement
minéraleNestlé[...][...][...]BSNTotal 282,474,293,5Autres17,625,8 6,5

Avec la vente de Volvic à BSN Uniquement
eau plate
1991ValeurVolumetoutes eauxtoutes eauxuniquement
minéraleNestlé[...][...][...]BSNTotal 282,474,293,5Autres17,625,8 6,5
(48) On peut conclure de ce qui précède que le marché français des eaux embouteillées est déjà fortement concentré et que la fusion ne ferait que renforcer cette concentration, puisque deux producteurs détiendraient à eux seuls 82 % du marché en valeur et environ 75 % en volume avec plus de 90 % de l'ensemble des eaux minérales plates.
B. Capacités et portefeuille de sources
(49) Nestlé a fait valoir que la plupart des grandes sources de Nestlé, Perrier et BSN atteignent pratiquement leur capacité de production maximale et qu'il leur sera donc impossible de conserver leurs parts sur un marché en forte expansion.
(50) Toutefois, Nestlé reconnaît que le taux de croissance du marché français des eaux embouteillées connaîtra probalement un ralentissement, et qu'il a d'ailleurs été inférieur à 1 % en 1991. Nestlé estime réaliste d'envisager un taux de croissance de 5 % pour les années à venir.
(51) Sur le marché des eaux plates, qui est au centre de la discussion dans le cas présent, Nestlé dispose des réserves de capacité suivantes en eaux miniérales (capacité de production de la source par an):
1) Vittel:
- capacité annuelle: [. . .] millions de litres,
- réserves de capacité: [. . .] millions de litres;
2) Hépar:
- capacité annuelle: [. . .] millions de litres,
- réserves de capacité: [. . .] millions de litres;
3) Abatilles:
- capacité annuelle: [. . .] millions de litres,
- réserves de capacité: [. . .] millions de litres.
Nestlé possède également l'eau de source non minérale Pierval dont la capacité est de [. . .] millions de litres et qui dispose de réserves de capacité de [. . .] millions de litres.
(52) Perrier possède deux grandes sources d'eau minérale plate disposant de réserves de capacité considérables: Contrex et Volvic. Les chiffres exacts ont été communiqués à la Commission, mais ils ne peuvent être divulgués pour des raisons de confidentialité. Les réserves de capacité réunies des deux sources dépassent le volume total du marché des eaux plates. En outre, Perrier possède d'autres sources d'eau minérale, en particulier Thonon qui a une capacité estimée à [. . .] millions de litres et une réserve de capacité d'environ [. . .] millions de litres (estimation de Nestlé).
Par ailleurs, Perrier possède plusieurs sources importantes d'eaux minérales gazeuses: Perrier, Saint-Yorre, Vichy et d'autres sources plus petites. Les deux premières sources ont une capacité totale et une réserve de capacité considérable.
Par ailleurs, Perrier possède un grand nombre de sources locales d'eaux de source, notamment Castel, Saint-Roch, Les Ormes, Carola, Saint-Lambert, Montegut, Regina et Sergentale.
(53) BSN possède une grande source d'eau minérale plate, Évian, dont les réserves de capacité sont estimées à environ [. . .] millions de litres. BSN possède également une grande source d'eau minérale gazeuse, Badoit, qui a atteint sa capacité maximale. BSN développe actuellement une nouvelle source d'eau minérale gazeuse, appelée Salvetat.
(54) Après la concentration et la vente de Volvic à BSN, les deux producteurs posséderaient un nombre considérable de sources, dont les réserves de capacité totales dépasseraient de loin le volume total du marché de l'eau (5,25 milliards de litres), et chacun d'entre eux posséderait au moins une grande source d'eau minérale plate disposant de réserves de capacité importantes par rapport au volume total du marché et à l'ensemble des autres producteurs d'eaux locales. Ils seraient donc en mesure de répondre à un accroissement de la demande sans aucune limitation de capacité, même avec un taux de croissance constant de la demande de 5 % par an. Bien qu'il ne soit pas possible de mélanger des eaux minérales provenant de sources différentes, Nestlé et BSN augmenteraient considérablement leurs portefeuilles respectifs de sources et de marques importantes et renommées, ce qui leur permettrait de mieux adapter leurs stratégies commerciales à l'accroissement de la demande.
(55) Aucun producteur d'eau locale ne possède de sources comparables, ni en nombre ni en taille, à celles dont Nestlé et BSN disposeront après la concentration. La plupart des sources locales ont une capacité inférieure à 200 millions de litres, souvent beaucoup moins encore. Même si des eaux non minérales provenant de sources différentes peuvent être commercialisées sous une seule marque (par exemple une marque de distribution), elles doivent malgré tout être embouteillées à la source et ne peuvent donc, en raison de leur faible prix, être transportées sur de longues distances (200 à 250 kilomètres). Cela signifie que, si une grande chaîne de distribution souhaite lancer une marque avec plusieurs eaux de source non minérales, elle ne peut le faire qu'avec des eaux provenant de sources différentes et possédant donc des goûts et des caractéristiques différents. Or, ces types d'eaux se situent au bas de la gamme des eaux de source non minérales locales et elles ne peuvent donc concurrencer sérieusement les eaux minérales nationales, qui sont connues pour leurs caractéristiques minérales, la stabilité de leur composition et leur origine géographique unique. Il s'agit là d'un fait confirmé par la plupart des détaillants [voir annexe 15(8) ].
(56) On peut en conclure que, après la concentration et la vente de Volvic à BSN, Nestlé et Perrier auront toutes deux d'importantes réserves de capacité qui leur permettront de répondre à un accroissement de la demande. L'acquisition de Perrier et la scission ultérieure de la société augmenteraient considérablement la capacité globale et les réserves de capacité de Nestlé et de BSN.
C. Prix
(57) Même avant la concentration, il existe déjà un oligopole étroit de trois producteurs entre lesquels la concurrence en matière de prix est très faible et qui opèrent sur un marché extrêmement transparent.
(58) Écarts de prix entre les eaux de source non minérales locales et les eaux minérales nationales
Les prix départ usine (avant rabais et TVA) de Nestlé, Perrier et BSN pour leurs cinq grandes eaux minérales plates se situent actuellement entre 2,49 FF et 2,56 FF par bouteille «PVC» de 1,5 litre: Contrex: 2,56 FF, Hépar: 2,55 FF, Évian: 2,51 FF, Vittel: 2,49 FF et Volvic: 2,49 FF. Après déduction d'un rabais forfaitaire de [. . .], ces prix dépassent les prix départ usine moyens des eaux de source non minérales locales de 1,24 FF à 1,30 FF par bouteille de 1,5 litre (voir considérant 40).
(59) Augmentations de prix et parallélisme des prix
Les prix départ usine (avant rabais et TVA) des cinq grandes eaux minérales plates des trois producteurs nationaux ont constamment augmenté de façon parallèle depuis 1987 au moins (voir annexes 5 et 6). L'augmentation annuelle moyenne des prix entre 1987 et 1992 a été la suivante: Contrex: 5,10 % (nominale), 1,69 % (réelle); Volvic: 4,83 % (nominale), 2,10 % (réelle); Vittel: 5,17 % (nominale), 1,41 % (réelle); Hépar: 5,70 % (nominale), 1,60 % (réelle); Évian: 5,82 % (nominale), 2,29 % (réelle). Quelle que soit la société qui augmentait ses prix la première, elle était systématiquement suivie par les deux autres producteurs. Il n'y a eu aucune diminution des prix au cours de la période considérée. Le leader en matière de prix semble toujours avoir été Perrier, qui a traditionnellement maintenu les prix les plus élevés pour la plupart de ses produits. Les rabais accordés par les trois producteurs étaient de l'ordre de [. . .] % à [. . .] %, selon les informations dont dispose la Commission.
(60) Élasticité de la demande
En ce qui concerne les eaux locales (principalement des eaux de source), l'élasticité croisée de la demande d'eaux minérales plates nationales par rapport aux prix est relativement faible. Les trois producteurs d'eau nationaux ont fortement fidélisé leur clientèle grâce à des campagnes de publicité massives et constantes en faveur des eaux minérales nationales. Cela est confirmé par le fait que les détaillants, qui ne font que refléter la demande des consommateurs, ne considèrent pas le prix comme le premier critère de choix des eaux minérales nationales [voir annexe 14(9) ] et qu'ils s'estiment dépendants des grandes marques d'eaux minérales nationales (voir annexe 15). Cette faible élasticité croisée de la demande par rapport aux prix vis-à-vis des eaux locales est illustrée par le fait que, depuis 1986 au moins, les trois producteurs nationaux ont vu leurs volumes de ventes absolus (qui représentent plus de 70 % du marché total des eaux) augmenter de façon constante, avec seulement une faible perte en 1991 quand la croissance de la demande totale a diminué fortement. Il existe dès lors une faible élasticité croisée de la demande par rapport aux prix qui facilite les augmentations de prix ou tout au moins le maintien de prix élevés, sans diminution importante du volume des ventes au profit des producteurs d'eaux locales.
(61) Marge sur coût de production
La marge sur coût de production des trois producteurs nationaux pour une bouteille «PVC» d'eau minérale plate de 1,5 litre est très élevée. Elle varie entre [. . .] FF et [. . .] FF environ. Le coût de production a été calculé sur la base des coûts de production variables et fixes ainsi que des coûts publicitaires. On peut conclure de cette marge sur coût de production très élevée ainsi que des différences de prix importantes par rapport aux eaux de source non minérales locales (qui sont vendues à des prix compétitifs) que les prix des eaux minérales nationales se situent probablement déjà à un niveau très élevé, supérieur au niveau qui résulterait d'une situation concurrentielle normale.
(62) Transparence du marché
Les trois producteurs nationaux publient leurs prix courants avec les rabais de quantité de base. Comme ils approvisionnent tous les mêmes clients, ceux-ci leur donnent également beaucoup d'informations en retour. En outre, les trois producteurs communiquent leurs volumes de ventes mensuelles à la Chambre syndicale des eaux minérales, et chacun d'entre eux reçoit les volumes des ventes mensuelles, ventilées par marque, des autres producteurs. Dans un oligopole étroit, une telle pratique ne fait qu'augmenter la transparence du marché et permet à chaque producteur de suivre l'évolution de la position des autres sur le marché.
D. Structure des coûts
(63) Nestlé reconnaît que les principales marques des trois producteurs nationaux ont une structure de coûts similaire (voir rapport Lexecon, p. 45). Le processus de production consiste essentiellement dans l'embouteillage. La nécessité d'embouteiller les eaux à la source et la multiplicité des installations d'embouteillage qui en découle réduisent les possibilités d'économies d'échelle. Ni Nestlé ni BSN ne possèdent donc en matière de coûts d'avantage majeur qui pourrait l'inciter à adopter une stratégie agressive envers l'autre. Il convient également de noter que les trois producteurs nationaux appliquent des prix départ usine, les coûts de transport étant supportés directement par les clients (détaillants et grossistes).
E. Concurrence des producteurs d'eaux locales
(64) Nestlé, soutenue en cela par BSN, a fait valoir que les eaux locales (essentiellement des eaux de source non minérales) constituent une contrainte, sur le plan de la concurrence, pour les trois producteurs nationaux. Dans les observations écrites qu'elle a adressées à la Commission au sujet de la communication conformément à l'article 18, Nestlé soutient que les producteurs locaux représentent 34 % (eaux plates: 35,5 %) du marché français de l'eau et que, dans certains hypermarchés, leurs parts atteindraient 50 %.
(65) Si l'on se base sur les chiffres fournis par Nestlé, les parts de marché détenues par les «autres» ne s'élevaient qu'à 17,7 % en valeur en 1991. Compte tenu des écarts de prix considérables entre les prix départ usine moyens des eaux de source non minérales locales et ceux des eaux minérales nationales, ce sont les parts de marché en valeur qui reflètent le mieux la puissance réelle des eaux locales sur l'ensemble du marché (voir considérant 40). Nestlé n'a pas remis en question le fait que, en termes de valeur, la part de marché des «autres» est généralement en dessous de 20 %.
(66) En ce qui concerne les ventes des «autres» en volume, leurs parts de marché se sont élevées en 1991, toujours selon les chiffres communiqués par Nestlé, à 24 % de l'ensemble des eaux et à 25,8 % du marché des eaux plates. Ces chiffres sont confirmés par la part que représentent les eaux locales dans les ventes totales d'un échantillon représentatif de détaillants et grossistes pour qui la moyenne pondérée des ventes d'eaux locales représente environ 22 % des ventes totales d'eaux.
(67) L'évolution des parts détenues par les «autres» sur l'ensemble du marché des eaux a été la suivante au cours des cinq dernières années: en valeur: 16 % en 1986, 17,7 % en 1991 (soit une augmentation de 1,7 %); en volume: 20,3 % en 1986, 24 % en 1991 (soit une augmentation de 3,7 %) (voir considérant 46).
Le tableau suivant montre l'évolution, en chiffres absolus, du montant et du volume des ventes (total eaux et eaux plates) des trois producteurs nationaux et des producteurs locaux («autres»):

19871988198919901991Total
1987-
1991Moyenne
1987-
1991Total
1989-
1991Moyenne
1989-
1991Total eaux en valeur (en millions de FF)
Nestlé/Perrier/BSN+289+520+833+781+364+2 787+557+1 978+659Autres+ 20+ 90+240+200+170+ 720+144+ 610+203Total eaux en volume (en millions de litres)
Nestlé/Perrier/BSN+ 80+186+301+285- 49+ 803+160+ 537+179Autres- 5+ 19+209+125+ 99+ 447+ 89+ 433+144Eaux plates en volume (en millions de litres)
19871988198919901991Total
1987-
1991Moyenne
1987-
1991Total
1990/
1991Moyenne
1990/
1991Nestlé/Perrier/BSNn.d.n.d.n.d.+261- 47n.d.n.d.+ 214+107Autresn.d.n.d.n.d.+113+ 90n.d.n.d.+ 203+101
(68) Ce tableau montre que, après deux ans de très forte croissance, due essentiellement à un temps exceptionnellement chaud, la croissance du marché s'est fortement ralentie, tombant de 8,5 % en 1990 à 0,9 % en 1991. En dépit de cette forte baisse de la croissance de la demande, la valeur du marché a augmenté de 534 millions de FF en 1991, dont 364 millions de FF (68 %) au profit des trois producteurs nationaux et 170 millions de FF (32 %) au profit des «autres». Tant au cours des cinq qu'au cours des trois dernières années, l'augmentation moyenne de la valeur des ventes des trois producteurs nationaux a toujours été plus de trois fois supérieure à celle des producteurs locaux. Ils ont constamment augmenté leur chiffre d'affaires, même en 1991, lorsque leur volume de ventes a baissé de 49 millions de litres.
(69) Le tableau ci-dessus montre également que, en termes de volume, l'augmentation des ventes tant des trois producteurs nationaux que des producteurs locaux s'est ralentie en 1990 et 1991. En dépit d'un ralentissement plus fort pour les trois producteurs nationaux en 1991, l'augmentation moyenne des ventes de ces derniers au cours des cinq et des trois dernières années a toujours été supérieure à celle des producteurs locaux.
(70) Les pertes de volume subies par les trois producteurs nationaux en 1991 ont été faibles: 47 millions de litres pour les eaux plates et 2 millions de litres pour les eaux gazeuses. Cela représente seulement 1 % du marché des eaux plates, dont les trois producteurs nationaux détiennent ensemble environ 75 %. Compte tenu de la forte réduction de la croissance de la demande en 1991, après deux années de croissance exceptionnelle, cette perte ne traduit pas un glissement véritable de la demande vers les eaux de source non minérales locales. De même, la baisse des ventes des producteurs nationaux en 1991 n'est pas nécessairement ou seulement due à la concurrence des eaux de source non minérales locales, puisque, avec une augmentation de prix de 7,11 % en 1991, Évian a malgré tout augmenté son volume de 20 millions de litres. Volvic et Hépar, qui ont elles aussi majoré leurs prix, ont également augmenté leur volume de vente, de 35 et 16 millions de litres respectivement. Seules Contrex et Vittel ont connu une baisse de leurs ventes. Enfin, il est indéniable qu'il existe un certain degré de concurrence entre les eaux minérales nationales et les eaux de source non minérales locales. Toutefois, ces modifications ne sont pas suffisantes pour prouver que les eaux de source minérales locales menacent réellement la position des trois producteurs nationaux. L'existence d'une concurrence, même vive, sur un marché donné, n'exclut pas celle d'une position dominante sur ce même marché, aussi longtemps que celle-ci ne contraint pas les entreprises détenant cette position à baisser leurs prix [voir arrêt de la Cour dans l'affaire 85/76 (Hoffmann-Laroche), points 70 et 71 des motifs, Recueil 1979, p. 461].
(71) Il faut toujours se rappeler que les prix des eaux minérales nationales sont déjà très élevés. Or, malgré cette situation, les trois producteurs nationaux ont réussi à les augmenter régulièrement, y compris en 1992 (Contrex: 3,64 %, Volvic: 4,18 %, Vittel: 4,18 %, Hépar: 5,80 % et Évian: 4,14 %). Il considèrent donc eux-mêmes qu'il est toujours dans leur intérêt d'augmenter leurs prix et que la pression des producteurs d'eaux locales n'est pas suffisante pour les empêcher soit de maintenir les prix élevés actuels, soit même de les augmenter. Cette possiblilité d'augmentation constante des prix, même en termes réels, constitue la meilleure preuve que la concurrence des producteurs d'eaux locales n'a pas été suffisante dans le passé, et qu'elle le sera sans doute encore moins après la concentration, pour limiter de manière significative la puissance des trois producteurs nationaux.
(72) Les producteurs d'eaux de source non minérales locales souffrent d'un certain nombre d'inconvénients structurels qui limitent les pressions qu'ils peuvent exercer sur les producteurs nationaux.
Les producteurs d'eaux de source sont de petites sociétés, qui sont à la fois nombreuses et dispersées géographiquement. Aucun producteur d'eau locale n'atteint 10 % du marché total ou du segment des eaux plates. En 1991, la famille Papillaud et le groupe CGES ont réalisé chacun un volume de ventes représentant environ 8 à 9 % du marché en volume et 3 à 4 % en valeur. La plupart des autres producteurs d'eaux locales détiennent des parts de marché inférieures à 5 % en volume, et beaucoup plus faibles en valeur.
(73) Les producteurs locaux sont tous des sociétés indépendantes dont les résultats ne peuvent sans doute pas être cumulés pour déterminer s'ils sont en mesure de limiter la puissance des deux producteurs nationaux qui resteraient. Leur puissance financière individuelle est très faible comparée à celle de Nestlé et de BSN. C'est pourquoi la part de marché combinée des «autres», qui est de 17,7 % en valeur et de 25,8 % en volume, ne donne pas une image réelle de la puissance des producteurs d'eaux locales, qui est en fait bien moindre. Même si quelques sources locales sont détenues ou financées par de gros détaillants, cette activité ne procure pas à ces derniers des bénéfices suffisants pour les inciter à investir massivement dans le développement de ces sources. En revanche, Nestlé et BSN disposent d'une puissance financière considérable qu'elles sont en mesure d'utiliser pour développer leur activité dans le secteur des eaux, qui constitue pour elles une activité importante et très profitable.
(74) Même si des marques de distribution peuvent recouvrir plusieurs eaux de source non minérales locales, elles ne constituent pas une solution de remplacement ni un contrepoids suffisant aux eaux minérales nationales; ce fait est largement confirmé par les détaillants eux-mêmes (voir annexe 15). Cette stratégie qui consiste à réunir plusieurs eaux de source non minérales sous une seule marque peut améliorer la position des eaux locales dans une mesure limitée, mais elle ne peut en rien modifier le fait qu'il existe une demande ancienne et bien établie pour les eaux minérales (plus de 70 % de la demande totale). En outre, les eaux non minérales provenant de sources différentes et vendues sous une marque de distribution se situent généralement au plus bas de la gamme des eaux plates locales. Ces eaux ont pour vocation non pas vraiment de concurrencer les grandes marques nationales, mais plutôt de les compléter. Ce sont elles qui ont le moins de chances d'être adoptées par les consommateurs qui boivent régulièrement des eaux minérales nationales pour remplacer ces dernières. Au mieux, les marques de distribution réussiront à s'imposer auprès des consommateurs qui cherchent simplement à remplacer l'eau de robinet par la boisson la moins chère ou par de l'eau de table [traitée et purifiée] (le segment «remplacement de l'eau de robinet»).
Selon les déclarations de Nestlé lors de l'audition orale, les marques de distribution représentent tout au plus 7 à 8 % du marché total des eaux plates en volume (beaucoup moins en valeur). Les détaillants faisant embouteiller ces eaux par les producteurs d'eaux locales, leur volume est, pour l'essentiel, déjà inclus dans la part de marché des «autres». Il est tout à fait exceptionnel qu'un détaillant possède une source et embouteille lui-même l'eau.
Les eaux minérales locales ne peuvent être commercialisées légalement sous une marque de distribution ni sous plusieurs dénominations commerciales différentes. Selon les chiffres fournis par Nestlé, les eaux minérales plates locales ne représentent que 6,5 % de l'ensemble des eaux minérales plates, contre 93,5 % pour les trois producteurs nationaux.
(75) En raison de leur faible prix de vente, la commercialisation de la plupart des eaux locales n'est rentable que dans un rayon de 200 à 250 kilomètres. Le producteur ne réalise pas une marge bénéficiaire suffisante pour absorber les coûts de transport sur de longues distances. En outre, la majorité des sources d'eaux locales ont des capacités inférieures (le plus souvent bien inférieures) à 200 millions de litres.
Les producteurs d'eaux locales ne réalisent donc pas de volumes de ventes ni de bénéfices suffisants pour justifier des investissements importants dans la promotion de leurs marques, dans des campagnes de publicité nationales ou dans un réseau de distribution national. Leurs eaux ne possèdent pas d'image de marque forte et sont seulement vendues au niveau régional.
Les trois producteurs nationaux, en revanche, possèdent des capacités considérables. Ils ont investi pendant des années dans leurs marques et dans des systèmes de distribution nationale. Ils ont fortement fidélisé les consommateurs, qui s'attendent à trouver ces marques nationales chez tous les détaillants. En 1991, ils ont dépensé plus de 400 millions de FF pour les cinq grandes marques, c'est-à-dire Contrex, Volvic, Vittel, Hépar et Évian, et au total plus de 680 millions de FF. Après la concentration, les ressources financières de Perrier seront encore accrues puisqu'elles seront réunies avec celles de Nestlé, qui sont énormes. Aucun producteur d'eau locale non minérale ne peut songer à rivaliser avec les deux producteurs qui resteront sur le marché, que ce soit sur le plan des investissements publicitaires ou de la création de réseaux de distribution nationaux. Dans sa lettre du 12 mars 1992, Nestlé reconnaît que pour les petites sources, il est difficile de devenir un acteur de quelque importance sur le marché français des eaux.
(76) Il faut conclure de ce qui précède que les producteurs d'eaux locales ne seraient pas en mesure, du moins à court terme, de limiter de manière significative la puissance des deux producteurs nationaux qui subsisteraient sur le marché. Nestlé et BSN possèdent des avantages évidents, sur le plan de la concurrence, par rapport aux producteurs locaux (meilleures sources, marques plus connues, meilleurs systèmes de distribution et de stockage), et disposent de ressources financières importantes qui leur permettront de continuer à investir massivement dans des campagnes nationales de publicité et de promotion. Une telle stratégie est de nature à accroître la fidélité des consommateurs envers leurs marques renommées et donc de réduire l'élasticité croisée de la demande par rapport aux prix pour leurs eaux, en particulier vis-à-vis des eaux de source locales. En outre, après la concentration, Nestlé elle-même détiendra un nombre considérable d'eaux de sources locales (voir considérants 51 et 52). Elle disposera ainsi d'une gamme complète de sources, comprenant des eaux minérales et non minérales, dont elle pourra user pour sa stratégie de ventes.
F. Pouvoir économique des acheteurs
(77) Nestlé, soutenue par BSN, a fait valoir que les trois producteurs nationaux subissaient la contrainte du pouvoir économique des gros détaillants. En effet, les dix plus gros clients de Nestlé représentent 67,3 % de son chiffre d'affaires total. Nestlé et BSN ont déclaré que quatre grands groupes de distribution, Intermarché, Leclerc, Carrefour et Promodes, représenteraient 50 % du volume de ventes total des trois producteurs nationaux. En outre, certains détaillants vendent des eaux locales sous leurs propres marques de distribution, ce qui en fait des concurrents des producteurs nationaux. Ce pouvoir économique serait notamment corroboré par le fait que des grandes marques ont été retirées du catalogue de certains détaillants et que le rabais moyen accordé par Vittel à ses détaillants a augmenté de 50 % entre 1988 et 1992 (voir rapport Lexecon, p. 33).
(78) En ce qui concerne la concentration des acheteurs, il est vrai que les dix plus gros acheteurs représentent une part importante (environ 70 %) du chiffre d'affaires des trois producteurs nationaux et qu'ils disposent donc d'un certain pouvoir. Toutefois, la concentration des acheteurs est beaucoup moins importante que celle des producteurs, en particulier après la concentration. Alors que 82 % en valeur et 75 % en volume (pour les eaux minérales plates, plus de 90 %) de l'offre seraient aux mains de deux producteurs seulement, qui pourraient facilement adopter un comportement parallèle anticoncurrentiel (voir considérants 108 et suivants), la demande est composée d'un nombre beaucoup plus grand de sociétés indépendantes, dont aucune n'intervient pour plus de 15 % dans le chiffre d'affaires total des trois et, après la concentration, des deux producteurs nationaux. Pour Nestlé, la part individuelle des dix plus gros acheteurs varie entre 1,9 % et 11,6 % de son chiffre d'affaires total. Sur dix acheteurs, quatre seulement atteignent entre 10 et 11 %, les six autres se situant entre 1,9 et 5,5 %. Si l'on se base sur les volumes achetés, ces acheteurs ne disposent pas tous du même pouvoir économique. Cela est confirmé par le fait que les rabais accordés à ces détaillants ne sont pas les mêmes, mais qu'ils sont au contraire adaptés à chaque acheteur. Tout cela montre que, face à une concentration extrême de l'offre, on trouve une demande composée d'un certain nombre d'acheteurs qui ne sont pas également puissants et que l'on ne peut agréger pour en conclure qu'ils sont susceptibles de limiter la puissance des trois et, après la concentration, des deux producteurs nationaux.
Dans l'application des règles de concurrence, la Commission doit aussi tenir compte de la protection des acheteurs plus faibles lorsque, comme dans le cas d'espèce, ils représentent une partie importante de l'ensemble des ventes. Même si certains acheteurs avaient un pouvoir d'achat, il n'est pas exclu que Nestlé et BSN appliqueraient des conditions de vente différentes à leurs acheteurs s'il n'existait pas une pression de concurrence suffisante sur le marché.
(79) Le pouvoir des détaillants et des grossistes est également très limité par le fait qu'ils ne peuvent se permettre de ne pas vendre, pendant une longue période, les marques renommées d'eaux minérales fournies par Nestlé, Perrier et BSN, parce qu'ils risqueraient de perdre des clients. Plus de 70 % de la consommation française totale et 90 % de la consommation totale d'eaux minérales seraient concentrés sur les deux producteurs nationaux restant sur le marché.
(80) Dans d'autres affaires ayant fait l'objet d'une décision de la Commission où le pouvoir d'achat a été retenu comme un des éléments créant un contrepoids, les produits concernés étaient généralement des produits intermédiaires ou des prouduits vendus dans la cadre de contrats à long terme ou de contrats de coopération pour le développement de ces produits. Dans ce cadre, les relations entre les vendeurs et les acheteurs peuvent être plus équilibrées pour autant que les acheteurs soient suffisamment concentrés. Ce n'est pas le cas pour l'eau embouteillée qui est un produit de large consommation où les distributeurs ne font que refléter la demande des consommateurs.
(81) Contrairement à ce qui est dit dans le rapport Lexecon (p. 48) à propos de la fidélité aux marques, il est indéniable que les producteurs nationaux ont suscité une très forte fidélité des consommateurs envers leurs marques respectives, grâce à des campagnes de publicité constantes et massives, qui font de leurs produits, dans une large mesure, des «produits prévendus». Ce fait est généralement admis par les professionnels du secteur et par les détaillants euxmêmes, qui ne font que refléter la demande des consommateurs.
(82) C'est ainis que la Chambre syndicale des eaux minérales écrit, dans sa lettre du 18 février 1992:
«. . . on trouve d'une part les grandes sources d'eaux minérales qui sont distribuées à l'échelon national et pratiquent une politique de notoriété de marque appuyée sur une forte publicité et autorisant des prix relativement élevés; d'autre part, des sources régionales, d'eaux de source ou d'eaux minérales, dont le dynamisme de commercialisation repose essentiellement sur des prix très bas.
Dans le premier groupe, qui fournit plus de 70 % des ventes intérieures, le marché est caractérisé par une forte identité de chaque source indépendamment de la société ou du groupe qui contrôle son exploitation et un attachement du consommateur habituel à ses marques préférées que l'on ne rencontre pas au même degré dans les autres pays . . .»
La Commission a interrogé un échantillon représentatif de détaillants et de grossistes sur l'ordre de priorité de leurs critères d'achat. Une majorité d'entre eux a mentionné comme premier critère la demande des consommateurs et la notoriété de la marque (voir annexe 14). La notoriété de la marque et la fidélité à la marque ont également été citées comme des caractéristiques importantes des eaux minérales nationales dans un certain nombre d'autres réponses (voir annexe 15).
(83) Après la concentration et la vente de Volvic à BSN, Nestlé et BSN posséderaient un portefeuille de marques connues encore plus important que celui que détient actuellement chacune d'elles. Elles élimineraient la concurrence de toutes les grandes marques d'eau plate et gazeuse de Perrier, notamment Perrier, Saint-Yorre, Contrex et Volvic, réduisant ainsi le choix des détaillants entre plusieurs marques actuellement indépendantes. Cela accroîtrait inévitablement la dépendance des détaillants et des grossistes envers les deux producteurs qui subsisteraient sur le marché. Par ailleurs, non seulement ils n'auraient plus le choix qu'entre deux producteurs au lieu de trois, mais le lien créé entre ces marques par chaque producteur (les rabais sont accordés en fonction des ventes de l'intégralité de la gamme de produits) couvrirait une gamme plus vaste de marques connues, et accroîtrait ainsi la dépendance des détaillants envers les deux producteurs qui subsisteraient.
(84) La majorité des détaillants et des grossistes mentionnés au considérant 82 ont déclaré qu'ils deviendraient plus dépendants des producteurs nationaux que jusqu'à présent, et que les eaux non minérales locales ne constituent pas une solution de remplacement suffisante des eaux minérales nationales. Ces déclarations sont reprises de façon exhaustive à l'annexe 15. Les détaillants et les grossistes concernés (de grandes comme de petites sociétés) expriment de sérieuses craintes concernant leur future marge de négociation avec Nestlé et BSN, et ils estiment qu'ils sont tenus de vendre les marques de ces deux producteurs. Ils considèrent aussi généralement que les eaux locales constituent plus un produit complémentaire qu'une réelle solution de remplacement pour les consommateurs d'eaux minérales nationales.
(85) La moyenne pondérée des ventes d'eaux de Nestlé, Perrier et BSN dans les ventes totales (eaux plates et gazeuses 1991) d'un échantillon représentatif de détaillants et grossistes s'élève à environ 78 % en volume et même plus en valeur. Cela montre le poids considérable des marques des deux producteurs qui subsisteraient après la concentration dans les ventes totales des principaux détaillants et grossistes.
(86) En ce qui concerne le retrait de marques des catalogues, Nestlé admet qu'il est peu probable que des détaillants suppriment l'ensemble des marques d'un producteur national de leur cataolgue en même temps. Cela confirme la dépendance globale des détaillants envers les grandes marques nationales.
Il et indéniable que même un retrait partiel du catalogue peut avoir un certain effet «disciplinaire» sur le producteur et que, dans cette mesure au moins, les plus gros détaillants ont un certain pouvoir. Toutefois, ce pouvoir n'est pas le même pour tous les détaillants, et plus le portefeuille de marques détenu par un producteur est important, plus ce pouvoir est limité, parce que chaque retrait du catalogue affecte immédiatement les rabais annuels «de gamme complète» consentis sur l'ensemble des produits (eaux plates, gazeuses, aromatisées, etc.). C'est pourquoi la concentration et la vente de Volvic à BSN accroîtraient le portefeuille détenu par les deux producteurs restants et rendraient le retrait de certains produits du catalogue plus difficile qu'il ne l'est actuellement. En outre, le retrait d'un produit provoque toujours le départ de certains clients vers d'autres magasins qui vendent leur marque préférée. Le nombre exact de tels départs dans chaque cas est imprévisible, et constitue donc un facteur de risque pour le détaillant (voir annexe 15, détaillant L) qui limite son pouvoir de négociation.
(87) Nestlé a également déclaré que le fait que les eaux embouteillées ne représentent qu'environ 1 % des ventes d'un détaillant, alors qu'elles représentent une part beaucoup plus élevée du chiffre d'affaires du producteur, crée un déséquilibre en faveur des détaillants. Or, cela ne reflète pas de façon exacte le pouvoir de négociation des détaillants. Selon les informations fournies par certains d'entre eux, il n'est pas exclu que le retrait d'une marque nationale de leur catalogue puisse se solder par la perte d'un consommateur sur dix qui, en raison de son attachement à la marque, change de détaillant afin de la trouver. Le retrait d'une seule grande marque peut ainsi avoir un impact beaucoup plus élevé sur les ventes du détaillant que ce chiffre de 1 % le laisserait supposer, car la perte d'un client implique la perte de tous les achats de ce client dans le point de vente concerné.
(88) Nestlé a enfin fait valoir que le pouvoir économique des acheteurs est corroboré par l'important accroissement des rabais consentis entre 1988 et 1992. Or, un tel argument n'est pas acceptable. Les augmentations importantes des prix, en termes tant nominaux que réels, ont plus que compensé l'augmentation des remises. Il en est résulté une augmentation nette des prix payés par les détaillants. En ce qui concerne l'eau de Vittel, le rabais le plus important accordé à un détaillant en 1987 a été de [. . .] % (calculé sur la base de l'ensemble des rabais en FF accordés au cours de l'année, y compris la coopération commerciale liée au chiffre d'affaires en FF réalisé avec ce client).
En 1992, le rabais le plus important accordé par Vittel à un détaillant a été de [. . .] % du chiffre d'affaires réalisé avec ce client. Le rabais a certes presque doublé au cours des cinq dernières années, ainsi que Nestlé l'a fait valoir. Toutefois, le prix catalogue de Vittel (1,5 litre «PVC») est passé de 1,92 FF (prix catalogue le plus favorable) en janvier 1987 à 2,49 FF en avril 1992. En admettant que tous les rabais puissent être considérés comme tels (y compris la coopération commerciale), le prix après remise a augmenté de [. . .] %. Les autres grandes marques, quant à elles, ont pu imposer une augmentation encore plus importante de leurs prix nets [voir annexe 13(10) ].
Ainsi, même avec trois grands producteurs sur le marché, les détaillants n'ont pas été en mesure de s'opposer à une forte augmentation des prix de Nestlé, Perrier et BSN au cours des cinq dernières années. Or, après la concentration, le pouvoir économique des détaillants sera sans doute encore plus faible.
(89) Il faut conclure de ce qui précède que le pouvoir économique des détaillants et des grossistes ne sera pas suffisant pour limiter de manière significative la puissance des deux producteurs nationaux qui subsisteraient sur le marché après la concentration. Celle-ci augmenterait le portefeuille de grandes marques connues détenues par Nestlé et BSN, qui doivent se trouver sur les rayons de chaque grand commerce de détail. La concentration réduirait également les sources d'approvisionnement des détaillants de trois à deux, ce qui ne ferait qu'augmenter leur dépendance vis-à-vis des deux principaux producteurs. Pour cette raison, les détaillants auraient encore plus de difficultés à faire jouer la concurrence entre producteurs. En outre, les eaux non minérales locales ne constituent pas une solution de remplacement réaliste, du moins à court terme.
G. Concurrence potentielle
(90) Nestlé a fait valoir que, compte tenu de la forte croissance du marché des eaux embouteillées, presque tous les grands producteurs de boissons et de produits alimentaires peuvent être considérés comme des concurrents potentiels susceptibles de limiter la puissance de Nestlé et de BSN après la concentration. Elle mentionne également le grand nombre de sources existant en France ainsi que l'arrivée sur le marché de producteurs français locaux et de producteurs étrangers. Elle cite notamment les importations en France de Spa et d'Apollinaris, ainsi que celles d'un certain nombre de producteurs italiens.
(91) Pour aborder le problème de la concurrence potentielle, il faut tout d'abord déterminer si de nouvelles sociétés, suffisamment puissantes sur le plan de la concurrence, pourraient effectivement pénétrer sur le marché français, en y limitant la puissance des deux producteurs nationaux qui subsisteraient après la concentration. La question n'est pas de savoir si de nouveaux producteurs d'eaux locales ou des sociétés étrangères peuvent simplement pénétrer sur ce marché en produisant et en vendant des eaux embouteillées, mais s'ils sont susceptibles de le faire, et ce avec des volumes et des prix qui pourraient limiter, rapidement et effectivement, une augmentation des prix ou empêcher le maintien d'un prix supérieur au niveau qui résulterait d'une situation concurrentielle normale. Cette arrivée sur le marché devrait se faire dans un délai suffisamment court pour empêcher la ou les sociétes concernées de faire usage de leur puissance sur le marché.
(92) La Commission estime qu'il existe des barrières et des risques importants à l'entrée sur le marché français des eaux embouteillées. Ces risques existent tout autant pour les nouveaux producteurs d'eaux locales que pour les sociétés venant de marchés géographiques voisins. Les raisons en sont exposées ci-après.
(93) Bien que le marché français de l'eau ait connu une croissance très rapide jusqu'en 1990, celle-ci s'est arrêtée en 1991, année où le taux de croissance annuel est tombé à moins de 1 %. La France a déjà l'une des plus fortes consommations d'eau par habitant de la Communauté et l'on s'attend donc à ce que le marché français croisse moins rapidement, à l'avenir, que les autres marchés de la Communauté, ainsi que Nestlé elle-même le reconnaît (voir rapport Lexecon, p. 47, ainsi que la lettre de M. Sedemund du 12 mars 1992, p. 16). La forte baisse de la croissance de la demande intervenue en 1991 n'est probablement pas durable, mais elle indique qu'il esiste certaines limites à la croissance de la demande en France.
(94) Le marché français de l'eau est un marché arrivé à maturité en termes de nombre de marques et de gamme de produits. Le marché comprend déjà un certain nombre de marques bien connues et bien établies, qui satisfont pleinement les détaillants et remplissent l'espace limité dont ils disposent pour la vente et le stockage. Sur le marché des eaux plates, il y a cinq grandes marques Évian, Contrex, Vittel, Volvic et Hépar) que l'on trouve dans pratiquement tous les points de vente. Il serait extrêmement difficile d'introduire une sixième marque à l'échelle nationale, ou même à grande échelle. En outre, de nouvelles marques peu ou pas connues ne pourraient être vendues qu'à des prix très inférieurs (cf. les eaux locales), et leurs producteurs devraient également offrir aux détaillants des rabais beaucoup plus importants afin de les inciter à inscrire à leur catalogue une nouvelle marque dont les volumes de vente seraient très inférieurs à ceux de n'importe laquelle des grandes marques connues.
(95) L'accès au marché français est également rendu difficile par le fait que les producteurs nationaux accordent aux détaillants et aux grossistes des rabais annuels qui établissent un lien entre leurs produits respectifs (rabais de quantité, rabais de gamme, rabais de progression, accords de coopération, etc.). Ces rabais et accords de coopération vont au-delà de simples rabais de quantité, car ils ont pour objectif de lier les acheteurs à toute la gamme de produits de chaque producteur. Ce type de rabais renforce la position des producteurs bien implantés et augmente les barrières à l'entrée de nouveaux arrivants. Tout nouvel arrivant devrait offrir des rabais proportionnellement beaucoup plus importants, compte tenu de ses volumes de vente plus faibles et de sa gamme de produits moins importante.
(96) L'un des principaux problèmes d'accès au marché français des eaux est la notoriété des marques bien implantées des trois producteurs nationaux, qui confère à Nestlé, Perrier et BSN un avantage durable sur tout producteur local ou nouvel arrivant.
Les trois producteurs nationaux ont investi pendant de nombreuses années, et continuent à investir, des sommes considérables dans la publicité et la promotion de leurs marques respectives (voir considérant 75). En 1991, Nestlé a dépensé [...] millions de FF pour la promotion de Vittel, ce qui représente environ 10 % du chiffre d'affaires qu'elle réalise avec cette marque. La même année, BSN a également dépensé près de 10 % de son chiffre d'affaires pour la promotion de sa marque Évian. Cela vaut également pour Perrier et sa marque Volvic. Des investissements élevés et constants dans la publicité ont entraîné une faible élasticité de la demande et, par là même, des barrières importantes à l'entrée sur le marché pour les eaux non minérales locales et les nouveaux arrivants potentiels, en accroissant constamment la fidélité des consommateurs envers les marques bien implantées. Après la concentration, Nestlé et BSN seront en mesure de poursuivre une publicité massive pour leurs marques respectives, ce qu'elles feront sans doute, parce qu'elles disposent des ressources financières nécessaires pour le faire et que cette stratégie contribue à décourager les entrants potentiels et à maintenir les écarts de prix ainsi qu'une faible élasticité de la demande vis-à-vis des producteurs d'eaux locales.
(97) La publicité et la promotion constituent des dépenses à fonds perdus qui sont irrécupérables en cas d'échec sur le marché. Pour les nouveaux arrivants, l'implantation d'une nouvelle marque est non seulement très coûteuse en termes d'argent et de temps (l'acceptation par les consommateurs peut prendre plusieurs années), mais elle est également extrêmement risquée car, en cas d'échec (non-acceptation de la marque par le consommateur), tous les investissements sont perdus. Ainsi qu'il est expliqué au considérant 96, l'implantation d'une nouvelle marque sur le marché français, désormais arrivé à maturité, serait extrêmement risquée. Sur le marché des eaux embouteillées, il faut faire de la publicité pour vendre le produit en grandes quantités. Or, les coûts publicitaires sont des coûts qui désavantagent beaucoup les nouveaux arrivants par rapport aux sociétés implantées, car ils ne peuvent les amortir par des volumes de ventes élevés.
(98) La forte concentration consitue en elle-même une barrière à l'entrée, car elle augmente la probabilité et l'efficacité d'une réaction commune ou concernée des sociétés en place vis-à-vis des nouveaux arrivants, en vue de défendre les positions acquises sur le marché et la rentabilité. L'action conjointe menée par Nestlé et BSN pour s'opposer à l'offre publique d'achat faite par Ifint (groupe Agnelli) sur Exor (Perrier) constitue un bon exemple de réaction brutale envers l'acquisition de Perrier par une société qui aurait pu perturber la structure actuelle du marché.
(99) Toutes ces difficultés ont été confirmées à la Commission par pratiquement toutes les sociétés interrogées sur les possibilités d'accès au marché français des eaux (voir extraits communiqués à Nestlé par lettre de la Commission du 14 mai 1992). Une réponse très significative à cet égard est présentée à l'annexe 16(11) .
(100) Contrairement aux affirmations de Nestlé, toutes les sociétés contactées par la Commission ont confirmé qu'elles n'avaient aucun projet concret de pénétration sur le marché français des eaux. Les réponses obtenues montrent que les sociétés éventuellement interessées considèrent cette entreprise comme trop risquée, notamment si la concentration Nestlé/Perrier devait avoir lieu. Quoi qu'il en soit, toute société souhaitant pénétrer ex novo sur le marché français devrait construire une usine, demander une autorisation d'exploitation d'une source, établir un réseau de distribution et créer une marque, opérations qui toutes demanderaient énormément de temps à un nouvel arrivant.
(101) Nestlé et BSN ont attiré l'attention de la Commission sur le fait qu'il existe en France un grand nombre de sources, minérales ou non, qui peuvent être exploitées, et elles ont évoqué l'arrivée d'un certain nombre de producteurs locaux sur le marché (voir, notamment, le rapport Lexecon, p. 58). Toutefois, aucune de ces sources n'est comparable, que ce soit du point de vue de la capacité ou des ventes, aux grandes sources détenues par Nestlé, Perrier et BSN. Rien ne permet de penser que ces sources seraient capables d'être développées rapidement à un point tel qu'elles pourraient limiter la puissance des deux producteurs nationaux qui subisteraient sur le marché. Dans sa lettre du 12 mars 1992, page 14, Nestlé reconnaît qu'il est difficile, pour les petits producteurs, de jouer un rôle important sur le marché français, en raison des investissements nécessaires tant dans le domaine du marketing que dans celui de la publicité. Il est certes indéniable que les producteurs locaux peuvent se développer, et qu'ils l'ont fait, mais ce développement concerne uniquement des régions et un segment particulier du marché qui ne limitent pas la puissance des producteurs nationaux et qui ne sont pas susceptibles de le faire à court terme. La meilleure preuve en est que les trois producteurs nationaux ont pu augmenter constamment leurs prix, en termes tant nominaux que réels, malgré l'augmentation des ventes des eaux de source locales.
(102) L'accord conclu entre Nestlé et BSN, aux termes duquel Nestlé accepte de vendre la source Volvic à BSN à un prix supérieur à [. . .] millions de FF, ne pourrait s'expliquer s'il était réellement facile de pénétrer sur le marché français des eaux en développant des sources et des marques nouvelles. Cet accord prouve que l'on ne peut pénétrer de manière significative ou s'étendre sur ce marché qu'en acquérant une grande source. Avec l'acquisition de Perrier, qui détient les capacités les plus importantes sur le marché, et l'accord de vente de Volvic à BSN, les deux producteurs qui subsisteraient sur le marché empêcheraient toute acquisition de grandes sources ou marques en France par un nouvel arrivant.
(103) Nestlé a également fait mention de certaines importations de Spa et d'Apollinaris ainsi que de certains producteurs italiens.
Tout d'abord, il convient de noter que, jusqu'à présent, aucune société étrangère de boissons ou de produits alimentaires d'une taille comparable à celle de Nestlé, Perrier ou BSN n'a acquis de source d'eau française d'une capacité équivalente à celle des grandes sources détenues par ces trois producteurs.
Ensuite, selon Perrier, un certain nombre de sociétés étrangères ont tenté d'importer et de vendre sur le marché français au cours des cinq dernières années. Quelques-unes seulement sont toujours présentes, mais aucune n'a réussi à réaliser un volume de ventes important, ni à créer une marque susceptible de rivaliser, à court terme, avec la vaste gamme de marques détenues par les trois producteurs nationaux.
(104) Les ventes de Spa en France (essentiellement de l'eau plate en boîte vendue dans des distributeurs de Coca-Cola) sont négligeables et elles n'ont pas augmenté depuis l'introduction du produit en France. Cela vaut également pour les ventes d'Apollinaris et celles des producteurs italiens San Pellegrino (détenu à 20 % par Perrier), Ferrarelle (qui appartient à BSN), Levissima et San Benedetto. Les importations de ces dernières sociétés ne se situent par sur le marché des eaux plates, mais sur celui des eaux gazeuses, et elles sont essentiellement destinées au secteur CHR (cafés, hôtels, restaurants). Ces produits sont désavantagés par des coûts de transport plus élevés, notamment du fait qu'ils sont essentiellement vendus dans des bouteilles de verre. En ce qui concerne les eaux allemandes et italiennes, elles sont vendues à un prix supérieur à celui des eaux gazeuses françaises et ne peuvent donc être considérées comme une contrainte de prix pour les eaux françaises.
(105) Nestlé a également fait valoir qu'il existe une forte substituabilité entre les boissons rafraîchissantes et les eaux embouteillées, et que ce facteur devrait au moins être pris en considération pour l'examen de la question de la position dominante.
Toutefois, cette substituabilité n'est possible que pour les eaux de table traitées et purifiées, qui peuvent facilement être produites par des fabricants de boissons rafraîchissantes. Or, ce type d'eau n'est pas commercialisé en France. Il ne constituerait pas un très bon moyen de pénétrer sur le marché français des eaux minérales et non minérales, et il impliquerait des coûts très élevés sur le plan de la commercialisation, ainsi que de très grands riques et des dépenses à fonds perdus importantes. Actuellement, il n'existe pas de demande d'eau de table traitée et purifiée en France, et rien ne permet de prévoir l'apparition d'une telle demande à l'avenir (voir considérant 18).
(106) Enfin, Nestlé, a fait valoir que les prix à la consommation de nombreuses boissons rafraîchissantes, notamment celles produites par Coca-Cola, sont similaires à ceux des eaux embouteillées et que Coca-Cola a confirmé à la Commission que ses prix étaient établis en fonction de ceux des eaux embouteillées. Il existerait donc un certain degré de substituabilité de la demande entre les boissons rafraîchissantes et les eaux, qui devrait être pris en considération lors de l'examen de la question de la position dominante. Un tel argument est inacceptable. En effet, les prix à la consommation des colas et des eaux minérales plates (qui sont les produits qui se trouvent au centre de la discussion dans le cas présent) sont nettement différents (voir considérant 13). Dans sa lettre du 12 mars 1992 (p. 5), Nestlé reconnaît que les eaux minérales plates semblent consituer une alternative plus économique pour le consommateur. En général, l'eau plate coûte environ la moitié d'un cola (voir également rapport Goldmann Sachs du 9 septembre 1991, p. 8).
(107) Il convient de conclure de ce qui précède qu'il n'existe aucune concurrence potentielle contraignante pour les prix susceptibles de limiter rapidement, et dans une mesure importante, la puissance des deux producteurs qui subsisteraient sur le marché français des eaux. Le risque lié à la pénétration sur ce marché se trouverait augmenté par l'opération de concentration prévue, du fait que les nouveaux arrivants devraient faire face à une puissance renforcée et que l'acquisition des grandes marques de Perrier leur serait désormais interdite.
H. Effet sur la préservation et le développement d'une concurrence effective
a) En cas de réalisation de la vente de Volvic à BSN: domination duopolistique
(108) Compte tenu des parts du marché et des capacités élevées de Nestlé et de BSN après la concentration et la vente de Volvic à BSN, du contrepoids concurrentiel insuffisant des eaux minérales et non minérales locales, de la dépendance accrue des revendeurs et grossistes vis-à-vis du portefeuille de marques de Nestlé et BSN, de l'absence de concurrence potentielle de nouveaux entrants de nature à exercer une contrainte sur les prix et des autres caractéristiques exposées ci-après, la Commission est obligée de conclure que la concentration envisagée entre Nestlé et Perrier créerait une position dominante duopolistique qui entraverait de manière significative la concurrence effective sur le marché français des eaux embouteillées. Ce marché consitue une partie substantielle du marché commun.
(109) Nestlé, soutenue par BSN, a fait valoir que l'article 2 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations ne s'applique pas à une domination oligopolistique et que, même si c'était le cas, la Commission n'a pas prouvé l'absence de concurrence effective entre les producteurs nationaux établis, ni l'absence de concurrence réelle ou potentielle extérieure à l'oligopole.
i) Application de l'article 2 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations aux oligopoles
(110) L'article 2 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations stipule que: «Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.»
La question est de savoir si cette disposition couvre uniquement les situations de marché dans lesquelles une concurrence effective est entravée de manière significative par une entreprise qui détient à elle seule le pouvoir d'agir dans une large mesure indépendamment de ses concurrents, de sa clientèle et des consommateurs, ou si elle couvre également les situations dans lesquelles la concurrence effective est entravée de manière significative par plusieurs entreprises qui, ensemble, ont le pouvoir d'agir dans une large mesure indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs.
(111) Nestlé n'a pas nié le fait que, d'un point de vue économique, tant la domination d'une seule entreprise que la domination oligopolistique peut entraver la concurrence effective de manière significative dans certaines conditions de structure du marché (voir conclusions de M. Sedemund du 19 mai 1992, p. 44 et suiv.; rapport Lexecon, pp. 61 et 62).
(112) La Commission considère que la distinction entre la domination d'une seule entreprise et la domination oligopolistique ne saurait être décisive pour appliquer ou non le règlement sur les concentrations, les deux situations étant susceptibles d'entraver la concurrence effective de manière significative dans certaines conditions de structure du marché. C'est le cas notamment lorsqu'il existe dès avant la concentration entre les membres de l'oligopole une concurrence affaiblie qui est susceptible de l'être encore plus par un accroissement significatif de la concentration et lorsqu'il n'existe pas de la part de concurrents réels ou potentiels extérieurs à l'oligopole une concurrence suffisante pour exercer une contrainte sur les prix.
(113) L'article 3 point f) du traité prévoit l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun. L'un des objectifs principaux du traité est donc la préservation d'une concurrence effective. La restriction de la concurrence effective qui est interdite lorsqu'elle est la conséquence d'une position dominante détenue par une seule entreprise ne saurait devenir admissible lorsqu'elle résulte de plusieurs entreprises. Lorsque, par exemple, à la suite d'une concentration, deux ou trois entreprises acquièrent une position dominante sur le marché et sont susceptibles d'appliquer des prix excessifs, il y a exploitation d'une position dominante collective sur le marché, ce que le règlement sur les concentrations vise à prévenir par la préservation d'une structure de marché concurrentielle. La position dominante est seulement le moyen par lequel une concurrence effective peut être entravée. Le fait que cette entrave résulte de la position dominante d'une seule entreprise ou d'une position dominante collective ne saurait être décisif pour appliquer ou non l'article 2 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations.
(114) L'absence d'exclusion explicite de la domination oligopolistique par l'article 2 paragraphe 3 précité ne permet pas de supposer que le législateur entendait autoriser qu'une concurrence effective soit entravée par deux ou plusieurs entreprises ayant le pouvoir d'agir ensemble dans une large mesure indépendamment sur le marché. Cela créerait une faille dans l'objectif fondamental du traité de préserver une concurrence effective et permanente afin de ne pas hypothéquer le bon fonctionnement du marché commun. Si, pour éviter l'application du règlement sur les concentrations, il suffisait de répartir la position dominante entre par exemple deux entreprises pour échapper à l'interdiction énoncée à l'article 2 paragraphe 3 dudit règlement, alors, en contradiction avec les principes fondamentaux du marché commun, la concurrence effective pourrait être entravée de manière significative. Une telle hypothèse irait à l'encontre de l'objectif de l'article 3 point f) du traité.
(115) Examiné à la lumière de ces considérations juridiques et économiques, l'article 2 paragraphe 3 susmentionné doit être interprété en ce sens qu'il couvre à la fois la domination d'une seule entreprise et la domination oligopolistique. Il importe également de noter que tous les autres grands régimes antitrusts comportant un système de contrôle des concentrations appliquent ou peuvent appliquer leurs règles tant à la domination d'une seule entreprise qu'à la domination oligopolistique [par exemple le système américain, la loi française (article 38 de la loi du 1er décembre 1986), la loi allemande (paragraphe 22 GWB) et la loi britannique (Fair Trading Act, section 6 paragraphe 2]. Dans la plupart de ces systèmes, le contrôle des concentrations soulevant un problème de dominance oligopolistique est une pratique bien établie. Il est exclu que, à la suite de l'adoption du règlement sur les concentrations, les concentrations qui étaient auparavant soumises à un tel contôle ne soient plus soumises désormais qu'au contrôle de la domination d'une seule entreprise. Non seulement le règlement sur les concentrations aurait transféré les pouvoirs nationaux en matière de contrôle des concentrations à la Communauté, mais les États membres qui possédaient un système de contrôle des cas de domination oligopolistique auraient en même temps tout à fait abandonné ce contrôle sans qu'il soit remplacé au niveau communautaire. En l'absence de toute disposition expresse à cet effet, on ne saurait présumer d'une telle cession du pouvoir de contrôle.
(116) On ne saurait accepter l'argument de BSN selon lequel la Commission voilerait le principe de la sécurité juridique parce que la présente affaire serait le premier cas d'application de la notion de domination oligopolistique. Comme expliqué plus haut, l'interprétation correcte du règlement sur les concentrations conduit à la conclusion que son article 2 paragraphe 3 a toujours couvert la domination qui entrave la concurrence effective de manière significative, que cette situation résulte de l'action d'une ou de plusieurs entreprises. En outre, si l'argument de BSN était correct, cela signifierait que la Commission ne pourrait jamais développer sa jurisprudence administrative dans aucun domaine. Il est vrai que l'argument de BSN pourrait, dans d'autres cas, avoir une certaine pertinence, en particulier dans le cas d'un contrôle a posteriori impliquant une interférence avec des droits acquis, mais le système de contrôle des concentrations est un système de contrôle a priori qui, par définition, n'autorise pas la réalisation de concentrations sans l'autorisation préalable de la Commission.
ii) Création d'une position dominante duopolistique
(117) Bien qu'elle ait déclaré que la Commission n'a pas prouvé l'absence de concurrence significative entre les producteurs, Nestlé n'a avancé aucun argument pour réfuter les indicateurs mentionnés par la Commission dans sa communication des objections au sens de l'article 18 du règlement sur les concentrations qui tendent à démontrer que, même avant la concentration, la concurrence par les prix entre ces producteurs était fortement affaiblie, et en particulier le degré élevé de parallélisme des prix sur une longue période, la marge bénéficiaire très élevée, et l'écart important existant entre les prix départ usine des eaux minérales nationales et des eaux non minérales locales.
(118) La Commission n'a pas affirmé que, déjà avant la concentration, Nestlé, Perrier et BSN exerçaient une domination oligopolistique. Les faits et la structure du marché montrent toutefois que le marché français des eaux embouteillées est déjà un marché fortement concentré sur lequel la concurrence par les prix est considérablement affaiblie. Par conséquent, la préservation ou le développement de la concurrence subsistant sur ce marché, quelle qu'elle soit, nécessite une protection particulière. Toute opération structurelle restreignant encore plus les possibilités de concurrence dans une telle situation doit être jugée sévèrement. La combinaison de la structure de marché résultant de la concentration et de certains facteurs additionnels (voir considérants 119 et 120) amène à conclure que la concentration envisagée aurait pour effet de créer une position dominante duopolistique qui permettrait à Nestlé et à BSN de maximiser conjointement leurs profits en évitant de se faire concurrence entre elles et en agissant dans une large mesure indépendamment de leur clientèle et de leurs concurrents.
(119) Après la concentration, le degré de concentration serait extrêmement élevé, Nestlé et BSN détenant plus de 82 % de l'ensemble du marché français des eaux en valeur et 75 % en volume (environ 95 % de toutes les eaux minérales plates). Il n'y aurait plus sur le marché français que deux producteurs nationaux d'eaux minérales plates et pétillantes. Ces deux producteurs opéreraient dans le segment le plus rentable des eaux embouteillées; ils auraient fortement intérêt et seraient fortement incités à défendre conjointement leur position.
Après la concentration, il n'y aurait plus dans la Communauté aucun concurrent dont la taille, la gamme de marques renommées et l'extension géographique approcheraient celles de Nestlé ou de BSN. La principale entreprise subsistante non liée à Nestlé ou à BSN serait Spa en Belgique, qui a réalisé en Belgique en 1989 un volume de ventes total de 256,3 millions de litres d'eau embouteillée et un chiffre d'affaires de 8,05 milliards de francs belges (185 millions d'écus), ce qui est plusieurs fois moins que Nestlé ou BSN. Les principaux embouteilleurs allemands sont eux aussi beaucoup plus petits. Les ventes d'Apollinaris en Allemagne se sont élevées en 1990 à environ 345 millions de litres. Gerolsteiner Brunnen (427 millions de litres) et Mineralbrunnen UEberkingen (490 millions de litres) ont elles aussi une taille nettement inférieure à celle de Nestlé ou de BSN.
(120) La réduction du nombre de producteurs de trois à deux (duopole) n'est pas une simple modification de pure forme de la structure du marché. La concentration entraînerait l'élimination d'un opérateur qui possède les plus grandes réserves de capacités et les volumes de ventes les plus élevés du marché. Les marques et sources de Perrier seraient réparties entre les deux producteurs restants. De plus, la réduction du nombre de producteurs nationaux de trois à deux seulement faciliterait nettement des comportements parallèles anticoncurrentiels conduisant à des abus collectifs.
(121) Les producteurs d'eaux minérales en France ont mis au point des instruments de transparence facilitant une coordination tacite des politiques de prix
Les prix de détail de l'eau embouteillée sont transparents. La taille des principaux produits et de leur emballage est la même sur tout le marché. Les prix de détail peuvent être aisément vérifiés, et des statistiques sont fournies périodiquement par les différentes entreprises.
De plus, Perrier, Vittel et BSN publient tous leurs prix, qui sont facilement comparables (prix départ usine, hors taxe, par bouteille et pour différents moyens de transport). Ces prix de base constituent une référence qui permet une coordination tacite des politiques de prix. Lorsque l'on analyse l'évolution de ces prix dans le temps (en termes réels, c'est-à-dire sans tenir compte de l'effet de l'inflation générale), on constate un degré élevé de parallélisme [voir annexes 5 à 8)(12) ].
(122) Les entreprises ont mis au point des instruments qui leur permettent de contrôler et de surveiller mutuellement leur comportement
L'homogénéité et la transparence des tarifs permettent une surveillance mutuelle des politiques de prix entre concurrents. De plus, Perrier, BSN et Vittel ont mis en oeuvre un mécanisme d'échange périodique d'informations sur les quantités vendues chaque mois, ventilées par grandes marques. Chacune peut ainsi suivre en permanence, sur une base mensuelle, le comportement et l'évolution des ventes des autres producteurs. De plus, cela permettrait également une détection immédiate de tout écart d'une grande marque par rapport à sa performance prévue.
Après la concentration, ces instruments deviendront peut-être moins indispensables en raison de la réduction du nombre de producteurs sur le marché et de la plus grande transparence du marché lui-même qui en résultera. Il ne faut pas perdre de vue non plus que ces producteurs réalisent l'essentiel de leurs ventes auprès de la même clientèle.
(123) Les deux acteurs restant sur le marché sont de taille et de nature similaires
Après la concentration, il resterait sur le marché deux producteurs nationaux qui auraient des capacités et des parts de marché similaires (duopole symétrique): dans le segment de l'eau plate, leurs parts de marché en volume seraient de [. . .] % pour Nestlé et de [. . .] % pour BSN pour toutes les eaux plates et de [. . .] % pour Nestlé et de [. . .] % pour BSN pour les eaux plates minérales. En valeur, leurs parts de marché seraient de [. . .] % pour Nestlé et de [. . .] % pour BSN pour toutes les eaux plates.
Compte tenu de l'importance similaire de leurs parts de marché et de leurs volumes de ventes élevés, tout acte de concurrence agressif de l'un des producteurs aurait un impact direct et significatif sur l'activité de l'autre et provoquerait très certainement une vive réaction, ce qui pourrait affecter gravement leur rentabilité à tous les deux sans augmenter le volume de leurs ventes. Leur dépendance réciproque crée ainsi un puissant intérêt commun et une puissante incitation commune à maximiser les profits en adoptant un comportement parallèle anticoncurrentiel. Cette situation d'intérêts communs est encore renforcée par le fait que Nestlé et BSN sont de taille et de nature similaires, qu'elles sont toutes deux actives dans le domaine de l'industrie alimentaire au sens large et qu'elles coopèrent déjà dans certains secteurs de cette industrie.
(124) L'élasticité de la demande par rapport au prix est relativement faible, les prix peuvent être majorés sans crainte d'entraîner des diminutions compensatoires en volume
En raison de la motivation des consommateurs qui souhaitent acheter et consommer de l'eau minérale quotidiennement, il n'existe pas de véritable produit de substitution de l'eau minérale. L'image générale de l'eau de marque et la fidélité à la marque accentuent le manque d'élasticité de la demande par rapport au prix.
Les majorations des prix réels ont donc un effet proportionnellement plus faible sur les quantités demandées; une majoration de prix entraîne une augmentation des recettes totales et des bénéfices. Il semble que dans le passé déjà, les entreprises avaient pris conscience de cette incitation et de cette possibilité de majorer conjointement les prix sur ce marché [voir annexes(13) montrant l'évolution des prix au cours des cinq dernières années, et en particulier des prix réels]. La concentration envisagée ne peut que faciliter et renforcer la probabilité que Nestlé et BSN adoptent tacitement une telle stratégie. Les deux entreprises partagent une longue expérience commune sur le marché de l'eau embouteillée en France.
(125) Les coûts sont similaires. Aucune entreprise ne semble jouir d'un avantage significatif en termes de coûts
On pourrait avancer l'argument que des entreprises ayant des coûts différents pourraient avoir des avis très divergents sur les prix qu'elles souhaiteraient appliquer sur le marché, ce qui rendrait extrêmement difficile une coordination des politiques des prix sans accord exprès et contraignant. On peut raisonnablement considérer que des différences de coûts significatives constituent un élément de nature à entraver la mise en oeuvre d'un comportement parallèle tacite.
Cet élément n'est pas présent sur ce marché. La matière première (l'eau de source) est gratuite. Le processus de production consiste essentiellement dans l'embouteillage, qui est une technique bien établie dans laquelle il serait difficile de s'assurer un grand avantage technologique. La nécessité d'embouteiller les eaux à la source et la multiplicité des installations d'embouteillage qui en résulte réduisent les possibilités d'économies d'échelles. Enfin, Nestlé a confirmé que les coûts des trois principaux producteurs ne sont pas très différents, ce que confirment les informations communiquées à la Commission à ce sujet.
(126) La technologie est arrivée à maturité. La recherche et le développement ne jouent pas de rôle majeur
Le processus de production des parties consiste essentiellement dans l'embouteillage, qui est une technique bien établie. Nestlé n'a donné aucune indication annonçant des changements importants dans ce domaine. De plus, le champ d'application de l'innovation en matière de produits sur le marché des eaux de source est réduit. L'industrie des eaux de source ne peut pas être considérée comme une industrie fondée sur la recherche dans laquelle de nouveaux développements technologiques pourraient éroder rapidement les positions acquises. Les activités de recherche et de développement sur ce marché sont en fait d'importance mineure. Dans ce domaine, les dépenses totales de Nestlé en ce qui concerne les eaux (1,5 % de son chiffre d'affaires annuel dans ce secteur) constituent une indication claire à cet égard. Ce chiffre est inférieur aux dépenses moyennes dans le secteur alimentaire (voir p. 33 de la notification). Il peut être comparé également aux 15 à 25 % du chiffre d'affaires que les industries typiquement innovatrices consacrent à ces activités.
(127) L'opération notifiée en elle-même rend moins probable le développement d'une concurrence entre Nestlé et BSN
Nestlé et BSN ont ensemble vivement réagi à la tentative d'un acteur extérieur (Ifint) de racheter Perrier. BSN et Vittel ayant une plus faible marge de capacités inutilisées que Perrier, la reprise de Perrier par un tiers extérieur au marché des eaux constituerait certainement un élément d'incertitude et de perturbation sur le marché. La réaction conjointe de Nestlé et de BSN à l'offre d'Ifint peut être considérée en ce sens comme une action conjointe visant à dissuader un nouveau concurrent de pénétrer sur le marché.
(128) L'accord ultérieur conclu entre Nestlé et BSN et visant à scinder Perrier (vente de Volvic) rend encore moins probable le développement d'une concurrence entre Nestlé et BSN. La concurrence entre les deux producteurs serait encore réduite par le fait que BSN détiendrait deux marques (Évian et Volvic) d'un faible degré de minéralisation (moins de 500 milligrammes par litre), alors que Nestlé en détiendrait trois (Contrex, Vittel et Hépar) d'un degré élevé de minéralisation (plus de 500 milligrammes par litre). Cette scission des marques accroîtrait la différenciation des produits entre les deux producteurs, avec pour résultat que la concurrence s'en trouverait encore affaiblie et que les acheteurs deviendraient encore plus dépendants vis-à-vis de chacun de ces deux producteurs. Enfin, le consommateur final subirait les conséquences de l'absence de concurrence sur ce marché en ce sens qu'il devrait payer des prix plus élevés.
(129) Les petits producteurs (eaux de source non minérales locales) et les petits revendeurs ne constituent pas une contrainte concurrentielle suffisante
Les eaux de source minérales et non minérales locales sont trop petites et trop dispersées pour constituer une solution de remplacement significative des eaux nationales. Comme on l'a vu aux considérants 64 et suivants, aucune de ces entreprises ne représente une concurrence suffisante de nature à exercer une contrainte sur les prix, qui pourrait restreindre la possibilité que la structure des marchés affectés offre à BSN et à Nestlé de maximiser conjointement leurs profits en évitant de se faire concurrence entre elles. Il en va de même en ce qui concerne le pouvoir économique dont disposeraient les revendeurs en leur qualité d'acheteurs (voir considérants 77 et suivants). Aucun de ces acteurs du marché n'a été en mesure dans le passé d'empêcher les producteurs nationaux d'eau minérales d'augmenter parallèlement leurs prix de manière constante en termes réels.
(130) Les barrières à l'entrée sont élevées
Les conditions d'entrée et l'effet de la concurrence potentielle sur le marché français de l'eau de source ont été examinées ci-dessus. On ne saurait raisonnablement s'attendre à ce que l'entrée effective ou la menace d'entrée probable de nouveaux concurrents mette en péril la capacité de Nestlé et de BSN d'augmenter conjointement leurs prix à l'avenir.
De plus, la concentration elle-même renforce encore plus les risques et les difficultés auxquels les nouveaux entrants devraient faire face.
iii) Conclusion
(131) Il faut conclure de tout ce qui précède que la structure du marché résultant de la concentration entre Nestlé et Perrier (suivie de la vente de la source Volvic à BSN) créerait sur le marché français des eaux embouteillées une position dominante duopolistique qui entraverait la concurrence effective de manière significative et qui causerait très probablement un grave préjudice aux consommateurs. Compte tenu de la valeur de l'ensemble du marché français des eaux (plus de 9 milliards de FF par an) et du volume d'eau acheté par les consommateurs français (qui se situe parmi les taux de consommation par habitant les plus élevés de la Communauté), le pouvoir de majorer les prix de l'eau embouteillée d'un pourcentage faible mais significatif (par exemple de 5 %) entraînerait des pertes considérables pour les consommateurs.
b) Sans la vente de Volvic à BSN: domination d'une seule entreprise
(132) Si l'accord de cession de Volvic n'était pas mis en oeuvre, la concentration envisagée entre Nestlé et Perrier créerait une position dominante pour la nouvelle entité en lui donnant le pouvoir d'agir seule dans une large mesure indépendamment de ses concurrents, de sa clientèle et finalement de ses consommateurs.
(133) Les éléments qui amènent la Commission à cette conclusion sont les suivants:
- la part élevée du marché français des eaux (approximativement 60 % en valeur et 53 % en volume), qui représente plus du double de celle du concurrent suivant par ordre d'importance,
- les capacités totales et non utilisées combinées de la nouvelle entité à la fois pour les eaux plates et pour les eaux pétillantes: ces capacités représentent un multiple de celles du concurrent suivant par ordre d'importance et dépassent de loin le volume total du marché des eaux,
- le portefeuille de sources d'eaux minérales que posséderait la nouvelle entité Nestlé/Perrier: huit sources d'eau minérale plate, dont trois grandes sources (Contrex, Volvic et Vittel) et sept sources d'eau minérale pétillante, dont deux grandes sources (Perrier et Saint-Yorre); ce portefeuille assurerait à la nouvelle entité un gros avantage sur ses concurrents,
- la nouvelle entité posséderait également un grand nombre de sources d'eau non minérale,
- au niveau national, il y aurait un seul autre concurrent, BSN, qui n'aurait qu'une grande source d'eau minérale plate (Évian) et une grande source d'eau minérale pétillante (Badoit); BSN possède une réserve d'eau minérale plate qui ne lui laisse qu'une marge de manoeuvre limité pour concurrencer la nouvelle entité à moyen et à long terme. Dans le segment de l'eau minérale pétillante, sa source Badoit a atteint sa pleine capacité de production et ne pourrait donc plus faire face à une augmentation de la demande,
- la concurrence des eaux non minérales locales serait insuffisante pour restreindre la marge de manoeuvre de la nouvelle entité,
- les revendeurs et les grossistes deviendraient encore plus dépendants vis-à-vis de marques renommées de la nouvelle entité et ne pourraient donc limiter effectivement la puissance de la nouvelle entité sur le marché,
- il n'existe aucun signe annonçant l'arrivée rapide et effective sur le marché français des eaux de concurrents capables d'exercer une contrainte sur les prix.
(134) Si, bien que ses capacités non utilisées d'Évian soient limitées, BSN conservait néanmoins une certaine marge de manoeuvre pour concurrencer la nouvelle entité, on ne peut pas s'attendre à ce qu'elle le fasse effectivement, étant donné que ces deux producteurs auraient un puissant intérêt commun et une puissante incitation commune à maximiser conjointement leurs profits.
Dans le segment de l'eau minérale plate, BSN ne possède qu'une grande marque, Évian, avec laquelle elle approvisionne à la fois le marché français et les marchés d'exportation. Il est très peu probable que BSN décide d'utiliser ses capacités disponibles pour enlever un volume important à la nouvelle entité, étant donné qu'elle voudra avoir sa part de l'augmentation de la demande totale et également maintenir et si possible augmenter ses exportations. Il est donc à prévoir que BSN ne pourrait pas ou ne voudrait pas concurrencer effectivement la nouvelle entité.
I. Conclusion
(135) Pour toutes les raisons susmentionnées, la Commission conclut que, avec ou sans la vente de Volvic à BSN, la concentration envisagée créerait une position dominante qui aurait comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans une partie substantielle du marché commun au sens de l'article 2 paragraphe 3 du règlement sur les concentrations.
VI. ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR NESTLÉ
(136) Nestlé a proposé de modifier le projet initial de concentration qu'elle avait notifié en y ajoutant les engagements suivants:
«Sans préjudice de la position adoptée dans ses réponses écrites et orales à la communication transmise conformément à l'article 18 du règlement (CEE) no 4064/89 et datée du 4 mai 1992, Nestlé déclare qu'elle est diposée à modifier l'effet de l'opération notifiée à la Commission le 25 février 1992 sur la base de l'engagement suivant:
Afin de faire face aux exigences imposées par la Commission demandant que soient facilitées l'entrée sur le marché des eaux embouteillées d'un concurrent viable disposant de ressources adéquates ou l'augmentation de capacité d'un concurrent existant, de sorte que, dans les deux cas, ce producteur puisse exercer une concurrence effective à Nestlé et BSN sur le marché français de l'eau embouteillée, Nestlé s'est engagée à vendre audit concurrent des marques et une capacité suffisante d'eau à embouteiller pour lui permettre de disposer d'une capacité d'au moins 3 milliards de litres d'eau par an.
Les marques et les sources que Nestlé vendra sont les suivantes:

SourceCapacité
(en millions de litres)
Vichy[...]Thonon[...]Pierval[...]Saint-Yorre[...]Un nombre d'autres eaux de source1 195
Les chiffres mentionnés ci-dessus correspondent aux informations les plus précises dont dispose Nestlé. Les chiffres relatifs à la capacité sont des approximations, mais ils seront certifiés par un expert.
Nestlé accepte en outre de ne fournir, directement ou indirectement, aucune donnée antérieure à un an sur ses volumes de vente à aucune association professionnelle ni aucune autre entité susceptible de transmettre ces informations à des sociétés concurrentes, sous une forme permettant à celle-ci de connaître, directement ou par déduction, les volumes de vente exacts de Nestlé. Nestlé accepte de ne pas fournir ces données aussi longtemps que la structure oligopolistique étroite actuelle persiste sur le marché français de l'eau embouteillée. Nestlé peut à tout moment demander à la Commission de modifier cet engagement, à condition qu'elle puisse montrer que les conditions et la structure du marché aient suffisamment changé.
Nestlé accepte de ne pas intégrer à ses propres opérations l'ensemble des actifs et des intérêts de Perrier tant qu'elle n'aura pas réalisé la vente des opérations mentionnées ci-dessus à une entité unique agréée par la Commission. L'acquéreur devra être une entité n'ayant aucun lien structurel, financier ou personnel avec Nestlé, Perrier et BSN, ni avec aucune de leurs sociétés mères ou de leurs filiales, ni avec aucun administrateur, directeur, employé ou agent de Nestlé, Perrier ou BSN qui serait de telle nature qu'il rendrait improbable une concurrence effective de l'acquéreur à l'égard de Nestlé et BSN.
Pendant toute cette période de non-intégration précédant la vente des actifs dont elle doit se séparer, Nestlé accepte également de ne procéder à aucune modification structurelle de Perrier, telles que la vente d'une marque déposée ou d'une marque, la vente d'une branche d'activité, la fermeture d'une unité de production ou toute autre vente d'actifs principaux similaires (y compris la location, le transfert ou la mise en gage d'actifs), sans l'accord préalable de la Commission. Cet accord sera considéré comme acquis si la Commission ne fait pas connaître par écrit sont opposition à Nestlé dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de réception de la notification de la modification structurelle proposée.
Tant que la cession exigée par la décision n'aura pas été réalisée, Nestlé:
a) prendra toutes les mesures requises pour assurer que les actifs du groupe Perrier demeurent des actifs distincts et vendables;
b) conservera les documents, livres et pièces comptables relatifs à Perrier.
Durant cette période de non-intégration, Nestlé s'engage à ne pas autoriser la direction de Perrier à communiquer des secrets commerciaux, des données relatives au savoir-faire, des informations commerciales, des informations industrielles ou des droits de propriété de nature confidentielle ou interne à la société obtenus de Perrier à une autre entité commerciale du groupe Nestlé, ni à utiliser ces informations au sein du groupe Nestlé dans un but autre que la vente des actifs faisant l'objet du présent engagement.
Nestlé accepte de vendre les actifs en question le [. . .]. Nestlé sera considérée comme ayant rempli cette obligation si, d'ici le [. . .], elle signe un contrat ferme pour la vente des actifs dont elle doit se séparer à un acquéreur agréé par la Commission, sous réserve que cette vente se fasse dans un délai approuvé par la Commission.
Nestlé s'efforcera de se séparer des actifs mentionnés ci-dessus d'ici le [. . .]. La Commission peut, à sa seule discrétion, sur demande dûment motivée de Nestlé, prolonger ladite période de trois mois, à n'importe quel moment avant le [. . .].
Nestlé reconnaît que l'agrément de l'acquéreur par la Commission est indispensable à l'acceptation de son engagement par celle-ci. L'implantation d'un concurrent effectif de Nestlé et BSN dépend de la capacité de cet acquéreur à développer les sources et les marques qui lui seront vendues. Il devra notamment posséder:
- des ressources financières suffisantes pour développer un réseau de distribution national et promouvoir des marques acquises de façon adéquate,
- une expérience suffisante dans le domaine des boissons ou des produits alimentaires de marque.
Ce sont là les deux critères essentiels. La Commission refusera son agrément uniquement si elle peut démontrer que l'acquéreur proposé ne sera pas un concurrent crédible susceptible de concurrencer effectivement Nestlé et BSN, même s'il répond à ces deux critères.
Nestlé reconnaît que la présente décision lui impose de ne pas vendre Volvic à BSN avant d'avoir mené à terme la vente des actifs dont elle doit se séparer, étant entendu que la vente de ces actifs constitue une condition préalable à la compatibilité avec le marché commun.
Il est interdit à Nestlé de racheter, directement ou indirectement, aucune des sources ou marques dont elle se séparera conformément au présent engagement, et ce pendant une période de dix ans à compter de la date de la décision de la Commission, sans l'accord écrit préalable de la Commission. Dans cette éventualité, la Commission prendra en considération toutes les modification structurelles qui seront intervenues sur le marché français des eaux embouteillées.
Sans préjudice des obligations qui lui incombent en matière de concentrations de dimensions communautaire, en vertu du règlement sur les concentrations, Nestlé s'engage également à informer la Commission par écrit de toute acquisition d'une société de production d'eau embouteillée implantée en France et détenant une part de marché supérieure à cinq pour cent (5 %), et ce pendant une période de cinq ans à compter de la date de la décision de la Commission.»
(137) La Commission s'est assurée que l'offre de Nestlé contient une gamme de sources d'eaux minérales et d'eaux de source qui permettrait à l'acquéreur de disposer de la capacité prévue d'environ 3 milliards de litres.
Nestlé s'est engagée à vendre ladite capacité et ledit portefeuille de marques d'eaux de source et d'eaux minérales qui devraient créer une concurrence effective susceptible de contrebalancer la position dominante duopolistique qui serait autrement créée par la concentration et la vente de Volvic à BSN.
Si l'acquéreur de l'ensemble des marques et des sources proposées est capable de développer rapidement les actifs que Nestlé lui cédera, les capacités proposées seraient, de l'avis de la Commission, suffisantes pour créer une nouvelle entité concurrentielle sur le marché français des eaux embouteillées, susceptible de limiter la puissance de Nestlé et de BSN.
La nouvelle entité aura à sa disposition, sur le marché français des eaux embouteillées, une capacité qui représentera environ 20 % de la capacité totale précédement détenue par les trois producteurs nationaux implantés sur ce marché et qui suffira à couvrir plus de la moitié de la demande globale actuelle. Bien que les ventes actuelles des marques à céder soient encore très faibles, leur potentiel de développement est considérable en raison des capacités et des caractéristiques que l'acheteur doit posséder.
Les sources qui seront vendues comprennent des sources d'eau minérale plate, d'eau de source plate et d'eau gazeuse. Elle comprennent également pour chacun des ces segments un certain nombre de marques déjà bien implantées ou de marques qui sont sur le point d'être distribuées à l'échelle nationale.
L'acquéreur de cet ensemble de sources pourra prendre pied dans d'importants commerces de détail, auxquels tout nouvel arrivant doit pouvoir accéder s'il veut promouvoir des marques moins connues ou lancer de nouvelles marques.
Toutefois, cela signifie que l'acquéreur devra avoir suffisamment d'expérience dans le développement de marques de produits alimentaires et suffisamment de ressources financières pour investir dans les actions publicitaires nécessaires pour soutenir ces marques.
Si tel est le cas, la nouvelle entité sera probablement en mesure d'offrir de nouvelle possibilités aux consommateurs en plaçant ses produits à un niveau de prix inférieurs aux prix élevés des eaux minérales nationales. Ce type de positionnement sur le marché peut faire contrepoids à la politique des prix pratiquée actuellement par les trois producteurs nationaux.
Pour ces raisons et sous réserve du respect des conditions et obligations énoncées dans l'engagement de Nestlé, la Commission est parvenue à la conclusion que la vente d'une capacité de 3 milliards de litres et d'un portefeuille de marques agréé par elle à un acquéreur puissant qui soit accepté par la Commission serait suffisante pour donner naissance à un concurrent viable capable d'entrer effectivement en concurrence avec Nestlé et BSN et de prévenir ainsi la position dominante collective qui résulterait autrement du projet de concentration et de la vente ultérieure de Volvic à BSN.
(138) Si la vente des actifs dont Nestlé doit se séparer n'est pas intervenue à l'expiration du délai prévu par l'engagement de Nestlé ou si Nestlé contrevient à une quelconque autre charge contenue dans son engagement, la Commission se réserve le droit, conformément à l'article 8 paragraphe 5 du règlement sur les concentrations, de révoquer sa décision d'accepter les modifications proposées dans la présente décision et d'exiger de Nestlé qu'elle se sépare de l'ensemble des actifs et intérêts acquis dans Perrier et, par conséquent, que Nestlé et Perrier soient entièrement séparées afin de rétablir une concurrence effective, conformément à l'article 8 paragraphe 4 du même règlement.
Ces mesures seront adoptées sans préjudice du droit de la Commission d'imposer des amendes conformément à l'article 14 paragraphe 2 dudit règlement,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier
Sous réserve de la réalisation de toutes les conditions et obligations contenues dans l'engagement pris par Nestlé à l'égard de la Commission tel qu'exposé au considérant 136 de la présente décision, l'opération de concentration notifiée par Nestlé SA le 25 février 1992, relative à l'acquisition du contrôle de Source Perrier SA, est déclarée compatible avec le marché commun.

Article 2
Nestlé SA,
55, avenue Nestlé,
CH-1800 Vevey
est destinataire de la présente décision.
Fait à Bruxelles, le 22 juillet 1992.
Par la Commission Leon BRITTAN Vice-président





(1) JO no L 395 du 30. 12. 1989, p. 1; version rectifiée: JO no L 257 du 21. 9. 1990, p. 13.
(2) JO no C 319 du 5. 12. 1992, p. 3.
(3) Annexe non publiée conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(4) Annexes non publiées conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(5) Annexe non publiée conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(6) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(7) Les prix ont été notifiés en monnaie nationale (francs belges et marks allemands). Ils ont été convertis en FF au taux de change moyen de 1991.
(8) Annexe non publiée, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(9) Annexe non publiée, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(10) Annexe non publiée, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(11) Annexe non publiée, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(12) Annexe non publiée, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(13) Annexes non publiées, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.

Fin du document


Structure analytique Document livré le: 11/03/1999


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