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Législation communautaire en vigueur
Document 391D0335
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391D0335
91/335/CEE: Décision de la Commission, du 15 mai 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/32.186 - Gosme/Martell-DMP) (Le texte en langue française est le seul faisant foi)
Journal officiel n° L 185 du 11/07/1991 p. 0023 - 0030
Texte:
DÉCISION DE LA COMMISSION du 15 mai 1991 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/32.186 - Gosme/Martell-DMP) (Le texte en langue française est le seul faisant foi.) (91/335/CEE) LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment son article 15 paragraphe 2, vu la demande présentée au titre de l'article 3 paragraphe 1 du règlement no 17 le 25 novembre 1986 par la société Vincent Gosme SA, vu la décision prise par la Commission le 26 avril 1989 d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement no 17 et au règlement no 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement no 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit: I. LES FAITS A. Introduction (1) La société Vincent Gosme, ci-après dénommée « Gosme », expose dans sa demande du 25 novembre 1986 qu'elle achète régulièrement et depuis de nombreuses années du cognac Martell à la société Distribution Martell Piper SA, ci-après dénommée «D MP ». En 1986, et encore en 1987, Gosme a commandé des bouteilles de cognac qui n'ont pas été livrées dans les délais demandés. De plus, Gosme fait grief à DMP de lui avoir refusé le bénéfice des remises auxquelles elle estime avoir droit en qualité de distributeur grossiste. B. Les parties (2) Gosme est une société de droit français exerçant les fonctions de distributeur grossiste de produits alimentaires et de vins et spiritueux dans la région de Nogent-le-Rotrou, en France. Lorsque les occasions se présentent, Gosme fournit des clients au-delà de cette région et dans d'autres pays du marché commun. (3) La société Martell et Cie, ci-après dénommée « Martell », est une société productrice de cognac sous la marque Martell. Elle est la deuxième productrice de cognac. Martell est une société de droit français et a fait l'objet d'un rachat par le groupe canadien Seagram. (4) DMP est une société de droit français et est une filiale commune de Martell et de Piper-Heidsieck. DMP a commencé son activité en 1979. Elle a cessé son activité commerciale en septembre 1988, mais n'a pas été dissoute. La société avait pour objet la commercialisation et la distribution de vins et spiritueux en France et à Monaco. Selon l'article 6 des statuts de DMP, son capital était détenu à concurrence de 50 % par chacune des sociétés mères, soit 12 375 actions de 100 francs français chacune. Le conseil de surveillance est obligatoirement composé, selon l'article 17 des statuts, de membres pris pour moitié parmi les actionnaires de Martell et pour moitié parmi ceux de Piper-Heidsieck. En cas de partage du conseil de surveillance, l'article 21 paragraphe 4 des statuts énonce que le président de séance dispose d'une voix prépondérante. Le président et le vice-président du conseil de surveillance sont élus par le conseil de surveillance et, selon l'article 20 paragraphe 1 des statuts, si le président est porteur d'actions comprises dans la moitié détenue par Martell, le vice-président doit être nommé parmi les personnes porteuses d'actions comprises dans la moitié détenue par Piper-Heidsieck et vice versa. Les membres du directoire sont nommés par le conseil de surveillance (article 12 des statuts). Les bénéfices sont distribués selon le libre choix de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires (article 30 des statuts). (5) À l'époque des faits, DMP commercialisait en France le cognac Martell, l'armagnac Janneau, le champagne Piper-Heidsieck ainsi qu'un certain nombre de marques de whisky, de porto, de vodka et de rhum n'appartenant pas aux sociétés mères. DMP était liée à la société Martell par un contrat de distribution exclusive. Les marques distribuées par DMP faisaient l'objet d'une livraison et d'une facturation unique de promotions liées et de ristournes de groupe. Les produits Martell et Piper étaient vendus sur la même facture et faisaient l'objet des mêmes conditions de vente. Piper et Martell conservaient l'initiative des grandes orientations commerciales et la politique publicitaire de leurs produits et marques respectives. Piper et Martell avaient la charge directe des budgets média et des relations publiques. L'article VI alinéa 5 du contrat de distribution entre Martell et DMP dispose que: « . . . la société Martell définira la politique de mercatique de sa marque ainsi que l'ensemble des moyens utilisés au niveau des consommateurs et ayant une incidence sur la notoriété des marques . . . ». DMP avait sa propre force de vente et négociait les conditions de ventes avec les centrales d'achat. Elle traitait avec sa clientèle française sans que Martell soit impliquée dans ces relations. C. Le produit (6) Il s'agit du cognac Martell. La société Martell est la deuxième société productrice de cognac et jouit d'une réputation mondiale, vendant environ 25 millions de bouteilles par an. L'activité de la société se répartit à raison de 3 % en France et 97 % sur les marchés d'exportation. (7) Les prix facturés aux agents et distributeurs en France et dans les autres États membres de la Communauté accusent des différences significatives. D'après les renseignements fournis par Martell, les prix en 1987 étaient comme suit: (caisse de 12 bouteilles d'un litre) France Allemagne Pays-Bas Belgique Italie 1. Cognac Martell VS en francs français - prix agent brut (1) [. . .] (2) [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] - prix agent net (3) [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] 2. Cognac Martell VSOP en francs français - prix agent brut [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] - prix agent net [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] [. . .] (1) Prix agent brut: avant déductions, remises et ristournes. (2) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement no 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires. (3) Prix agent net: après déductions, remises et ristournes. C'est ainsi qu'en 1987 le prix facturé en Italie au distributeur était de plus de 25 % plus élevé que le prix facturé à un niveau de distribution analogue en France. D. La distribution du cognac Martell a) En France (8) Martell a conclu avec DMP un contrat de distribution exclusive pour la France. L'article III de cet accord dispose: « L'activité du concessionnaire devra s'exercer uniquement dans un secteur composé de la France métropolitaine et de la principauté de Monaco désigné sous le vocable territoire. » (9) Martell s'interdit de distribuer directement elle-même dans le territoire (article III, alinéa 2). Selon l'article VI: « La société concédante d'engage à: 1) transmettre immédiatement à la société concessionnaire toute réception de commande ou sollicitation de tarif. » (10) DMP négocie des conditions de vente avec des centrales d'achat qui agissent pour le compte des grossistes. Ainsi, DMP a conclu des accords avec la centrale d'achat Socadip en France. Gosme est membre de façon indirecte de la centrale Socadip, car il est membre de la centrale Copaouest qui est elle-même membre de la centrale Hypergros. Cette dernière adhère à la centrale Socadip. Ainsi, via ces relations commerciales, qui ne font pas l'objet de la présente décision, Socadip négocie pour le compte de grossistes tels que Gosme avec DMP. (11) Socadip a négocié un certain nombre de remises et ristournes: 1) remise automatique [ . . . ] %: du fait d'adhérer à Socadip, Gosme bénéficie d'une remise de [ . . . ] % sur toutes ses commandes chez DMP. Cette remise est déduite sur facture; 2) remise d'entrepôt [ . . . ] %: s'ajoute cette remise qui est déduite sur facture. Elle s'applique si le grossiste commande [ . . . ] bouteilles en prenant livraison de [ . . . ] bouteilles à la fois et s'il stocke les marchandises dans ses locaux; 3) remise de quantité: cette remise s'ajoute aux deux précédentes et se calcule en × francs la bouteille et non en pourcentage; 4) remise d'enlèvement: si le grossiste lui-même enlève les marchandises de chez Martell, il bénéficie en plus d'une remise de [ . . . ] centimes la bouteille; 5) remise de promotion: en plus des remises permanentes décrites ci-dessus, le grossiste peut bénéficier d'une remise périodique dite de « promotion ». Si le grossiste commande ou fait livrer entre deux dates pré-établies, il bénéficie de × francs de remise par bouteille. 6) mise en avant: il s'agit d'une action spécifique dans un magasin négociée par le grossiste. Le produit est disposé sur l'étalage pour attirer l'attention du client. Cette facilité est vendue par le magasin au grossiste. Celui-ci facture son fournisseur a posteriori pour le coût de l'opération. Cette remise n'est donc pas déduite sur facture mais fait l'objet d'une facturation spécifique; 7) catalogue: chaque année, Gosme prépare un catalogue de ses produits. DMP verse une certaine somme en une seule fois pour la participation au catalogue; 8) ristournes: en plus de ces remises, DMP reverse chaque année à la centrale Socadip quatre types de ristournes: - une ristourne de [ . . . ] % si la centrale réalise un certain chiffre d'affaires, - une ristourne de [ . . . ] % de service de groupement lorsque les commandes sont groupées, - une ristourne d'augmentation de chiffre d'affaires à un taux progressif, - une ristourne de gamme: plus le grossiste achète de produits de la même marque, plus cette ristourne s'accroît. Le montant de ces ristournes est calculé en fin d'année et versé à la centrale qui se charge de répartir la somme entre les divers grossistes. b) En Italie (12) La société italienne Wax et Vitale était le distributeur exclusif de Martell en Italie à l'époque des faits. L'article 7 du contrat de distribution, qui ne fait pas l'objet de la présente décision, disposait que Martell pouvait vendre directement de façon passive en Italie avec l'accord préalable de Wax et Vitale et avec le paiement au distributeur d'une commission de 10 %. E. L'existence du commerce parallèle (13) La différence de prix de plus de 25 % décrite au point 7 explique l'existence d'un commerce parallèle. Ce commerce est surtout actif en Italie. La société Martell surveille le marché italien en envoyant sur place des employés chargés d'établir des rapports sur la situation commerciale de chaque région visitée. Il ressort de ces rapports que les employés de Martell tentent de déceler dans la mesure du possible la provenance des marchandises alimentant ce marché. Le plus souvent les bouteilles transitent par San Marino. Dans un rapport de réunion tenue à Gênes le 7 juillet 1986 entre la société Wax et Vitale et des employés de Martell, on peut lire que ces derniers ont trouvé des cartons en Italie en provenance de San Marino revendus en Italie à des prix inférieurs de 2 à 3 000 lires italiennes par bouteille par rapport aux prix du marché traditionnel. Il est clair que Martell s'est préoccupé de l'existence de ce commerce parallèle et de l'écart entre les prix en France et les prix dans les autres États membres de la Communauté économique européenne. De plus, cette préoccupation était partagée par tous les producteurs de cognac. F. Les entraves à l'exportation (14) Gosme a, de façon occasionnelle, exporté du cognac Martell en Italie. Elle a notamment passé les commandes suivantes: Date Quantité de bouteilles Livraison Avril-juin 1986 3 900 11 juillet 1986 en retard 4 septembre 1986 4 896 en retard Janvier-février 1987 3 360 Novembre 1987 1 800 a) Les remises (15) Le 11 septembre 1986, DMP a envoyé un télex à Gosme demandant la destination des marchandises. Gosme a répondu par télex du même jour que les marchandises étaient destinées à un État membre de la Communauté économique européenne. Le 15 septembre 1986, DMP a envoyé un télex à Martell précisant que: « En conséquence, les éventuelles livraisons que nous serions amenés à leur faire ne bénéficieront d'aucune des remises prévues dans le cadre des accords Socadip et Hypergros. Par ailleurs, aucune promotion ne pourra être appliquée . . . » Une note interne non datée de DMP propose également de retirer à Gosme le bénéfice des remises et de facturer de façon stricte au tarif [ . . . ] bouteilles. (16) Ces prescriptions ont été suivies d'effet. Le tableau ci-après résume les mesures prises. Date Quantité de bouteilles Remise octroyée Mars 1986 4 200 aucune (1) Avril-juin 1986 3 900 aucune (1) 4 septembre 1986 4 896 aucune (1) Janvier-février 1987 3 360 aucune (1) Novembre 1987 1 800 remises octroyées (2) (1) Gosme n'a pas bénéficié: 1) de la remise sur facture de [ . . . ] % - remise d'adhésion; 2) de la remise d'entrepôt de [ . . . ] %; 3) de la remise de quantité de [ . . . ] centimes correspondant à la quantité commandée. (2) Gosme a bénéficié: 1) de la remise sur facture de [ . . . ] % - remise d'adhésion; 2) de la remise d'entrepôt de [ . . . ] %; 3) de la remise promotionnelle de [ . . . ] francs français la bouteille; 4) de la remise de quantité de [ . . . ] centimes. (17) Les éléments dont dispose la Commission démontrent clairement que la politique de DMP quant aux remises a subi un revirement en novembre 1987, date de la première intervention de la Commission auprès de Martell. À partir de cette date, Gosme affirme avoir bénéficié des remises qui lui ont été refusées jusqu'alors et il est possible d'en conclure que les infractions ont cessé à ce moment-là. (18) Lors de la procédure administrative, DMP a soutenu que le refus d'octroyer les remises en cas d'exportation était justifié parce que Gosme, lorsqu'il exportait, sortait du cadre de l'accord avec les centrales d'achat et ne rendait pas des services réels et identifiables justifiant une rémunération par ces remises. Au cours de l'audition qui a eu lieu, DMP avait nuancé son affirmation selon laquelle l'accord avec les centrales interdisait toute livraison à des personnes qui n'étaient pas elles-mêmes adhérentes à la centrale d'achat. Cependant, aucune stipulation dans ces accords ne peut étayer une telle affirmation. De plus, toujours lors de l'audition, DMP a convenu que des livraisons à des clients non adhérents ont eu lieu en France. En tout état de cause, l'analyse faite par la Commission est confirmée par le comportement même de DMP qui a octroyé des remises, refusées jusqu'alors, à partir de novembre 1987, date de la première intervention de la Commission. (19) De plus, DMP et Martell ont soutenu pendant la procédure administrative que toute la politique relative aux remises doit s'analyser dans le contexte du blocage et ensuite du contrôle des prix en France à l'époque. Ainsi, les prix en France auraient été maintenus à des niveaux anormalement bas. Toutefois, il n'est pas question dans les relations entre Gosme et DMP à l'époque de relever les prix. Le seul différend qui a eu lieu portait sur l'octroi ou non de remises, c'est-à-dire d'une baisse du prix d'achat par rapport au prix indiqué dans les tarifs de DMP. De toute façon, le régime du blocage des prix n'était plus en vigueur en 1987. (20) Finalement, pendant la procédure administrative, DMP et Martell ont soutenu que Gosme aurait pu vendre des produits de marque Martell en italie avec profit sans le bénéfice des remises tant la différence entre les prix en France et en Italie était grande. Quoi qu'il en soit, le fait de refuser des remises en cas d'exportation rend cette opération moins attrayante pour l'exportateur. Gosme lui-même avait soutenu que l'exportation n'était pas viable sans remises. (21) Toutefois, Gosme a réglé les factures correspondant aux commandes faites de façons différentes. La commande de mars 1986 de 4 200 bouteilles a été payée intégralement, sous réserve de ses droits, et Gosme a envoyé une facture pour les remises avec la possibilité de compensation sur les factures postérieures. Les autres commandes ont été payées par billet à ordre après déduction des sommes représentant le montant des remises supprimées. Mais Gosme a émis chaque fois une note de crédit en faveur de DMP représentant ce montant. Ainsi, Gosme n'a pas refusé de payer les sommes qui seraient dues au titre des remises supprimées, mais a admis qu'il y avait lieu à contestation sur l'exigibilité du montant. (22) D'une part, cette contestation a été portée devant les juridictions consulaires françaises, d'abord en référé, ensuite au fond. Les parties ont transigé le 31 mars 1989 après remise d'un rapport d'expertise selon les formes requises par le droit français. Selon cette transaction, Gosme se désiste de son action devant le tribunal de commerce de Paris et DMP renonce à toute action reconventionnelle et verse une somme d'argent à Gosme à titre d'apurement du litige. D'autre part, Gosme a introduit une demande auprès de la Commission le 25 novembre 1986. b) Accords et concertation entre DMP et Martell en cas de commerce parallèle (23) Le télex du 15 septembre 1986, auquel il est fait référence au point 15, démontre que DMP et Martell se sont concertés sur les mesures à prendre en cas d'exportations parallèles. (24) Une note interne de Martell transmise à DMP par télécopieur le 28 mars 1984 concernant le marché français dit: « Arguments qui ont amené la société Martell à demander à son distributeur en France, la société DMP, d'augmenter ses prix à l'ensemble de la distribution: 1) l'afflux de nombreuses commandes émanant d'importants distributeurs français est destiné à l'exportation et ce, tant en *** qu'en VSOP ou en qualités supérieures. La société Martell a, dans tous les pays du marché commun, des distributeurs sous contrats. Ces contrats prévoient une distribution exclusive, ils ont été notifiés à la Commission et la société Martell se doit de respecter les termes de ces contrats . . . 2) La société Martell a donc demandé à la société DMP d'appliquer une augmentation de tarifs sur le marché français. » La note montre bien que Martell se préoccupe de l'accroissement du commerce parallèle qui résulte des prix en France plus avantageux qu'ailleurs. Surtout, Martell cherche à protéger l'exclusivité territoriale des distributeurs, et ce en demandant une hausse de prix à DMP. La collaboration entre Martell et DMP s'est étendue au codage des bouteilles. (25) Une note de Martell à DMP du 31 mars 1987 témoigne également de cette concertation. Il y est écrit: « En ce qui concerne les factures du 13 février et du 10 mars 1987 de Cognac Martell, grosses quantités destinées à l'exportation et pour lesquelles seule la remise volume [. . .] bouteilles doit s'appliquer, il convient de rejeter l'ensemble de la note de crédit faite par Vincent Gosme. » Cette note démontre également que DMP et Martell se concertent sur les mesures à prendre vis-à-vis de Gosme afin de décourager les exportations parallèles. (26) Pendant la procédure administrative, DMP et Martell ont soutenu que les échanges qui ont eu lieu entre eux n'étaient que le résultat des relations normales entre une société mère et sa filiale qui, de surcroît, avait des services communs avec la société mère. En revanche, dans sa correspondance avec les services de la Commission, DMP a toujours revendiqué son indépendance vis-à-vis de Martell en soulignant bien le danger de faire un amalgame entre les deux sociétés. D'autre part, les éléments dont dispose la Commission démontrent que la concertation est allée au-delà d'un échange de notes entre services communs. Il en est ainsi notamment du télex du 15 septembre 1986 mentionné au point 15 qui fait état d'un entretien téléphonique entre DMP et un directeur général de Martell qui n'exerçait aucune fonction chez DMP. c) Le codage des bouteilles (27) Dans une note interne de DMP adressée à son président, du 20 mars 1987, il est possible de voir que DMP envisageait de faire coder les bouteilles. Dans le processus de livraison et de fabrication seul Martell peut procéder à ce codage. DMP a envisagé de demander à Martell de coder les bouteilles. Toutefois, la Commission ne peut apporter la preuve concluante du codage effectif des bouteilles vendues à Gosme. d) La clause d'interdiction d'exportation (28) Sur les factures émises par DMP figurait une clause d'interdiction d'exportation: « Tout acheteur direct ou indirect des marchandises, objet de cet envoi, s'en interdit formellement l'exportation. » Cette clause figurait sur les factures depuis le début de l'activité de DMP en 1979 jusqu'à la fin de 1987. Or, DMP a effectivement éliminé la clause à cette date. II. APPRÉCIATION JURIDIQUE A. Article 85 paragraphe 1 (29) L'article 85 paragraphe 1 du traité interdit comme étant incompatibles avec le marché commun tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché. 1. Accords restrictifs entre entreprises a) Accord entre Martell et DMP (30) DMP et Martell sont des entreprises indépendantes au sens de l'article 85 paragraphe 1. En effet, à l'époque des faits, Martell n'était pas en mesure de contrôler l'activité commerciale de DMP, car: - le capital de DMP ainsi que les droits de vote étaient détenus à concurrence de 50 % par chacune des sociétés mères, - le conseil de surveillance était composé de membres pris pour moitié parmi les actionnaires représentant Martell et pour moitié parmi ceux représentant Piper-Heidsieck, - DMP distribuait également des marques n'appartenant pas à ses sociétés mères, - les produits Martell et les produits Piper-Heidsieck faisaient l'objet d'une facturation unique aux grossistes, - DMP avait sa propre force de vente et concluait seule les conditions de vente avec les centrales d'achat en France. D'ailleurs, ni DMP ni Martell n'ont contesté l'appréciation selon laquelle elles constituent des sociétés indépendantes l'une de l'autre et, bien au contraire, elles ont écrit à la Commission afin de souligner ce caractère indépendant. (31) L'accord entre DMP et Martell interdit par l'article 85 paragraphe 1 consistait en la coopération qui s'était établie entre ces deux sociétés pour déceler et pour empêcher les exportations parallèles. Cette coopération a pris la forme décrite aux points 23 à 26 ci-dessus, notamment: - pour demander des hausses de prix pour empêcher des exportations parallèles, - pour éliminer les remises en cas d'exportation. (32) Il est clair qu'un accord entre deux entreprises qui rend les exportations plus onéreuses et moins profitables est contraire à l'article 85 paragraphe 1, car l'objet et l'effet d'un tel accord est de protéger un niveau de prix plus élevé dans le pays de destination des marchandises. Il en est de même d'un accord entre deux parties qui découragerait un tiers d'exporter, car l'objet ou l'effet de l'accord est le même, peu importe aussi que les exportations ne soient pas formellement interdites par l'accord, mais seulement rendues moins profitables. b) La participation de Gosme (33) Gosme a payé les factures soit intégralement avec envoi de facture pour les remises supprimées, soit par billet à ordre avec émission d'une note de crédit en faveur de DMP. Dans cette mesure, Gosme, même en agissant sous réserve de ses droits, a participé à l'accord au sens de l'article 85 paragraphe 1 même si celui-ci semble contraire à ses intérêts. (34) Le fait de supprimer des remises et ristournes ne serait contraire à l'article 85 paragraphe 1 que dans la mesure où ces remises et ristournes ne sont pas la contrepartie d'un service qui ne serait pas rendu en cas d'exportation. On peut considérer contraire à l'article 85 paragraphe 1 le fait de supprimer les remises automatiques, déduites sur facture, c'est-à-dire: 1) la remise automatique de [. . .]; 2) la remise d'entrepôt de [. . .] dans la mesure où le grossiste prend livraison des marchandises avant réexpédition; 3) la remise de quantité; 4) la remise d'enlèvement quand le grossiste enlève les marchandises lui-même; 5) la remise de promotion quand le grossiste commande les bouteilles pendant la période fixée. Est également contraire à l'article 85 paragraphe 1 la suppression des ristournes de progression de chiffre d'affaires, de commandes groupées et de « gamme ». En revanche, la suppression de la remise de « mise en avant » est justifiée, car elle rémunère une action promotionnelle spécifique. La suppression des remises et ristournes décrites ci-dessus a pour objet et pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun. La restriction de la concurrence résulte clairement des efforts déployés par Martell et par DMP pour découvrir la source et la filière du commerce parallèle en Italie et avait pour objet et pour effet de protéger un niveau de prix plus élevé que dans l'État membre de départ des marchandises. Ce commerce parallèle était en concurrence directe avec le distributeur exclusif sur le marché italien, Wax et Vitale, marché sur lequel les prix étaient supérieurs à ceux pratiqués en France. c) La clause d'interdiction d'exportation (35) Jusqu'en décembre 1987, les factures émises par DMP contenaient une clause d'interdiction d'exportation à l'intérieur de la Communauté économique européenne. Cette clause interdisait les reventes directes et indirectes vers d'autres États membres. La Cour de justice, dans son arrêt du 11 janvier 1990 dans l'affaire C-277/87, Sandoz Prodotti Farmaceutici SpA contre Commission (3), a dit pour droit qu'une clause d'interdiction d'exportation, apposée de façon systématique sur les factures, a pour objet d'empêcher, de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. La Cour a ajouté que la circonstance selon laquelle une partie n'aurait pas pris d'initiatives pour faire respecter cette clause par ses clients ne suffit pas à soustraire la clause d'interdiction d'exportation apposée sur les factures à l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 du traité. 2) Incidence sur les échanges entre États membres (36) Toute interdiction d'exportation est, par sa nature même, susceptible d'affecter les échanges entre États membres. Une telle stipulation a pour objet d'empêcher les échanges entre États membres ou de les limiter aux canaux choisis par l'entreprise qui impose une telle interdiction. (37) De même, toute pratique ou accord décourageant ou rendant moins lucratives, de façon directe ou indirecte, les exportations est susceptible d'affecter les échanges entre États membres. Il en est, ainsi dans le cas d'espèce, notamment des échanges entre la France et l'Italie. (38) Étant donné la taille relativement importante de Martell ainsi que la renommée de sa marque, aussi bien en Italie que dans tous les États membres, et le volume de ses transactions, ces restrictions de la concurrence sont sensibles. L'importance du commerce parallèle est démontré par les efforts déployés par Martell et DMP pour enrayer ce commerce. B. Article 85 paragraphe 3 (39) L'accord de distribution exclusive conclu entre DMP et Martell ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement (CEE) no 1983/83 de la Commission (1). En vertu de l'article 3 point d), l'accord ne peut être exempté lorsque: « les parties ou l'une d'entre elles restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs d'acheter les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du marché commun . . . » (40) Les accords examinés ci-dessus ne peuvent bénéficier d'une exemption individuelle en vertu de l'article 85 paragraphe 3, car ils n'ont pas été notifiés à la Commission et ils n'entrent pas, pour ce qui concerne les accords empêchant les exportations, dans la catégorie des accords qui ne doivent pas être notifiés à la Commission en vertu de l'article 4 paragraphe 2 du règlement no 17. En outre, ces accords ne remplissent pas les conditions d'exemption énoncées à l'article 85 paragraphe 3. Les entraves à l'exportation en cause ne sont notamment pas suceptibles de contribuer à améliorer la distribution. C. Amendes (41) En vertu de l'article 15 du règlement no 17, les infractions à l'article 85 peuvent être sanctionnées par des amendes d'un million d'écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent. Il y a lieu de prendre en compte tous les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions, de leur durée ainsi que du comportement des entreprises au cours de la procédure administrative. Les éléments dont dispose la Commission démontrent que DMP et Martell se sont concertés pour refuser d'octroyer des remises constituant une entrave à l'exportation qui a duré depuis avril 1986 à la fin de 1987. Il est constant que toutes les infractions ont cessé à la fin de 1987. (42) Une amende doit être infligée à Martell, car la concertation qui a eu lieu avec DMP lui a profité en premier lieu. En cloisonnant les marchés des différents États membres, Martell peut vendre les mêmes produits dans certains États membres comme l'Italie à des prix supérieurs à ceux pratiqués dans d'autres États membres comme la France. Le montant de l'amende doit également tenir compte du fait que ce type de cloisonnement était particulièrement grave et susceptible de mettre en danger la réalisation du marché commun. (43) Une amende doit être infligée à DMP pour l'impression d'une clause d'interdiction d'exportation sur ses factures émises en France. Toutefois, à sa décharge, il est constant que, dès que l'attention de DMP fut attiré sur son existence, celle-ci a fait le nécessaire pour l'éliminer des factures émises. Est également à sa décharge, le fait qu'une telle politique de cloisonnement des marchés n'aurait pas bénéficié à elle mais à Martell. (44) Une amende doit être infligée également à DMP pour les accords conclus avec Gosme concernant la vente sans certaines remises. Cette amende doit être infligée à DMP seule car ces accords, d'ailleurs contraires à l'intérêt de Gosme, furent conclus à l'initiative de celle-ci. Toutefois, à sa décharge, ces infractions ont cessé à la fin de 1987 après la première intervention des services de la Commission et une telle politique de cloisonnement des marchés n'aurait pas bénéficié à elle mais à Martell. A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION: Article premier DMP et Martell ont enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE par les pratiques suivantes: 1) un accord conclu entre DMP et Martell pour décourager les exportations parallèles en n'accordant pas des remises en cas d'exportation; 2) la suppression dans le cadre de contrats conclus entre DMP et Gosme, en accord avec Martell, de remises et ristournes en cas d'exportation; 3) l'insertion par DMP d'une clause d'interdiction d'exportation dans ses factures émises auprès des grossistes. Article 2 Pour les infractions décrites à l'article 1er points 1 et 2, une amende d'un montant de 300 000 écus est infligée à Martell. Article 3 Pour les infractions décrites à l'article 1er, une amende d'un montant de 50 000 écus est infligée à DMP. Article 4 Lesdites amendes seront payées au compte: no 310-0933000-43, Banque Bruxelles Lambert, agence européenne, rond-point Schuman 5, B-1040 Bruxelles, dans les trois mois suivant la date de notification de la présente décision. À l'issue de ce délai, des intérêts seront automatiquement dus au taux pratiqué par le Fonds européen de coopération monétaire sur ses opérations en écus au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été arrêtée, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 13,5 %. Article 5 Distribution Martell Piper SA, BP 21, F-16101 Cognac Cedex et Martell et Cie SA, BP 21, F-16101 Cognac Cedex sont destinataires de la présente décision. La présente décision forme titre exécutoire conformément à l'article 192 du traité CEE. Fait à Bruxelles, le 15 mai 1991. Par la Commission Leon BRITTAN Vice-président (1) JO no 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62. (2) JO no 127 du 20. 8. 1963, p. 2268/63. (3) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1990, p. 45. (4) JO no L 173 du 30. 6. 1983, p. 1.
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Document livré le: 11/03/1999
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