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Document 391D0297

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391D0297
91/297/CEE: Décision de la Commission, du 19 décembre 1990, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.133-A: Carbonate de soude - Solvay, ICI) (Les textes en langues anglaise et française sont les seuls faisant foi)
Journal officiel n° L 152 du 15/06/1991 p. 0001 - 0015



Texte:

DÉCISION DE LA COMMISSION du 19 décembre 1990 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/33.133-A: Carbonate de soude - Solvay, ICI) (Les textes en langues anglaise et française sont les seuls faisant foi.) (91/297/CEE)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne,
vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 3 et 15,
vu la décision prise par la Commission, le 19 février 1990, d'engager dans cette affaire la procédure d'office, en vertu de l'article 3 du règlement n° 17,
après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et au règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2),
après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes,
Considérant ce qui suit:
PARTIE I LES FAITS A. Résumé de l'infraction (1) 1. La présente décision fait suite aux vérifications entreprises par la Commission en mars 1989, au titre de l'article 14 paragraphe 3 du règlement n° 17, auprès des producteurs de carbonate de soude de la Communauté. Lors de ces vérifications et des enquêtes réalisées ensuite conformément à l'article 11 du règlement n° 17, la Commission a découvert des documents prouvant qu'une infraction à l'article 85 du traité CEE avait été commise par les entreprises suivantes:
- Solvay et Cie, Bruxelles (Solvay) - Imperial Chemical Industries plc, Londres (ICI).
2. L'infraction peut être résumée comme suit:
Infraction à l'article 85 commise par Solvay et ICI (2) Depuis le 1er janvier 1973 au moins, Solvay et ICI, les deux principaux producteurs de soude de la Communauté, ont participé à une pratique concertée à l'article 85 du traité CEE en continuant sciemment à observer et à appliquer de concert et en complicité les conditions essentielles de l'accord «Page 1 000», un accord restrictif de partage des marchés datant de 1945 ou d'une date antérieure et auquel elles s'étaient engagées à mettre fin en 1972, en coordonnant leurs activités commerciales respectives, en évitant toute concurrence entre elles et en limitant leurs activités dans le domaine de la soude dans la Communauté à leurs marchés nationaux traditionnels, à savoir l'Europe continentale de l'Ouest pour Solvay et le Royaume-Uni pour ICI.
B. Marché de la soude 1. Produit (3) Le produit faisant l'objet de la présente procédure est la soude (carbonate de sodium), un produit chimique alcalin principalement utilisé comme matière première dans la production du verre. Le carbonate de soude est la matière de base d'où est tiré l'oxyde de sodium qui agit en tant que fluide dans le procédé de fusion du verre. La soude est également utilisée dans l'industrie chimique, pour la fabrication de détergents, et en métallurgie.
(4) En Europe, la soude est produite à partir de sel ordinaire et de calcaire par le procédé «ammoniaque-soude» inventé par Solvay en 1865. Le procédé Solvay produit d'abord de la soude légère qui exige une nouvelle étape de densification pour produire la forme dense. Les deux formes sont chimiquement identiques, mais la soude dense est la forme préférée pour la production du verre.
(5) Aux États-Unis d'Amérique, la soude «naturelle» est extraite de gisements de minerai de trona qui se trouvent essentiellement dans le Wyoming. Après son extraction, ce minerai de trona est purifié et calciné dans des raffineries. La soude naturelle n'est produite que sous forme dense. La soude naturelle se trouve également en Afrique et en Australie.
La totalité de la soude produite aux États-Unis d'Amérique est à présent obtenue naturellement (la dernière usine de production synthétique a été fermée en 1986), alors qu'en Europe, la production totale consiste en matériau synthétique. En raison de sa faible teneur en sel, la soude naturelle des États-Unis d'Amérique se prête particulièrement à la production de verre et certains producteurs de verre qui achètent principalement de la soude synthétique peuvent tenter de la mélanger à la soude naturelle américaine pour obtenir la concentration voulue.
2. Producteurs (6) Les six producteurs communautaires de soude synthétique sont les suivants:
- Solvay,
- ICI,
- Rhône-Poulenc,
- Akzo,
- Matthes & Weber (M & W),
- Chemische Fabrik Kalk (CFK).
Solvay est le premier producteur unique de soude synthétique dans le monde et dans la Communauté. Cette société exploite des usines en Autriche, en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal et, avec 60 % environ du marché, elle est sans conteste l'entreprise dominante de l'Europe occidentale.
Solvay a une direction nationale (DN) établie pour l'Autriche, la Belgique et le Luxembourg, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne et la Suisse qui doit gérer ses activités commerciales, le siège principal de Bruxelles exerçant un rôle de surveillance et de coordination.
ICI Soda Ash Products est gérée depuis 1987 comme une activité distincte à l'intérieur de la division des produits chimiques et de polymères de ICI. Elle faisait précédemment partie de la Mond Division de ICI.
ICI est le deuxième producteur de soude de la Communauté. Cette société possède deux usines de production à Northwich, Cheshire, mais limite ses ventes dans la Communauté presque exclusivement au Royaume-Uni et à l'Irlande et détient plus de 90 % du marché britannique.
La présente décision ne vise pas Rhône-Poulenc (France), Akzo (Pays-Bas), Chemische Fabrik Kalk ou Matthes & Weber (Allemagne).
3. Marché mondial (7) La demande mondiale de soude a augmenté d'environ 1 % par an au cours des années 80, encore que l'on observe des divergences régionales substantielles. Dans les pays développés, la demande a été généralement statique de 1980 jusqu'à 1987, année à partir de laquelle le marché a connu un redressement considérable. Plus de la moitié de la soude produite dans le monde est consommée par l'industrie verrière.
La capacité mondiale de production de soude (naturelle et synthétique) est actuellement d'environ 36 millions de tonnes par an, la part de la Communauté représentant environ 7,2 millions de tonnes. La capacité de Solvay et de ICI dans la Communauté est respectivement d'environ 4,3 millions et 1 million de tonnes. (La capacité pratique ou effective est probablement d'environ 85 à 90 % de la capacité nominale.) La consommation de soude dans la Communauté est actuellement d'environ 5,5 millions de tonnes par an, pour une valeur d'environ 900 millions d'écus.
(8) Les six producteurs américains de soude naturelle ont une capacité nominale totale de 9,5 millions de tonnes par an et une demande intérieure en 1989 d'environ 6,5 millions de tonnes. La production de soude aux États-Unis d'Amérique s'est élevée, en 1989, à environ 9 millions de tonnes. Les producteurs américains approvisionnent l'ensemble de leur marché intérieur et exportent le solde. Les coûts de production de la soude naturelle sont beaucoup plus bas que ceux du produit synthétique, mais les mines sont très éloignées de leurs principaux marchés, ce qui ne manque pas d'avoir une incidence sur les coûts de distribution.
La concurrence des producteurs américains de soude dense est considérée par les producteurs européens comme la principale menace sur leur marché intérieur. Aux taux de change actuels, ces producteurs peuvent vendre en Europe à des prix nettement inférieurs à ceux du marché local, sans dumping.
(9) Les producteurs de l'Europe de l'Est, avec une production d'environ 9 millions de tonnes par an, représentent quelque 30 % de la capacité mondiale de production de soude. L'Union soviétique consomme plus de la moitié de la production et est importateur net. La quasi-totalité de la production excédentaire exportée par les pays de l'Europe de l'Est est de la soude légère. En dépit des droits antidumping, les importations dans la Communauté de soude légère en provenance des pays du CAEM restent substantielles.
Ces dernières années, on a observé une augmentation sensible de la demande et la totalité de la production de soude a pu être écoulée dans le monde entier. Les unités de production travaillent actuellement à pleine capacité. Au cours de la période allant de 1990 à 1992, la capacité de production de la Chine devrait s'accroître d'environ 500 kilotonnes par an et la production au Botswana (pour l'Afrique du Sud) augmentera de 300 kilotonnes, ce qui devrait entraîner un déplacement des importations au détriment des autres régions de production.
4. Communauté (10) Solvay est le principal producteur, avec presque 60 % du marché total de la Communauté et des ventes dans tous les États membres, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande.
Après trois années de stagnation de la demande au milieu des années 80, les ventes de soude en Europe de l'Ouest ont commencé à se redresser substantiellement en 1987. En 1988 et 1989, les producteurs ont travaillé à pleine capacité.
(11) Le marché de la soude de l'Europe de l'Ouest reste caractérisé par une division selon les frontières nationales. Les producteurs ont tendance à concentrer leurs ventes sur les États membres où ils possèdent des capacités de production, encore que depuis 1981-1982, les petits producteurs - CFK, M & W et Akzo - aient accru leurs ventes hors de leur marché «intérieur».
Il n'y a pas de concurrence entre Solvay et ICI, chacune de ces entreprises limitant ses ventes dans la Communauté à sa «sphère d'influence» traditionnelle, l'Europe de l'Ouest continentale et le Royaume-Uni.
Tant ICI que Solvay ont des exportations substantielles vers les marchés étrangers non européens qui sont approvisionnés à partir de la Communauté. Une part importante des exportations de ICI consiste en fait en fournitures livrées par Solvay au nom de ICI.
Dans les États membres où Solvay est le seul producteur établi localement (Italie, Portugal et Espagne), cette société a un monopole quasi total.
La part de marché de Solvay est de plus de 80 % en Belgique, de (>50 %) en France, et de (>50 %) en Allemagne. ICI détient plus de 90 % du marché britannique, les seules autres sources d'approvisionnement étant les États-Unis et la Pologne.
(12) En ce qui concerne la demande, les principaux clients dans la Communauté sont les fabricants de verre. Quelques 65 à 70 % de la production des entreprises de l'Europe de l'Ouest sont utilisés dans la fabrication de verre plat et de verre creux (verre d'emballage). La soude est l'un des principaux composants de coût de la production verrière puisqu'il représente environ 60 % de la valeur des matières premières nécessaires. La plupart des producteurs de verre exploitent des usines en continu et ont besoin d'un approvisionnement sûr en soude. Dans la plupart des cas, ils ont un contrat à assez long terme avec un fournisseur important pour l'essentiel de leurs besoins et ont un autre fournisseur comme source secondaire. Ces dernières années, l'industrie du verre a fait l'objet, en Europe, d'un important mouvement de concentration, les grands groupes opérant sur une base paneuropéenne et disposant d'unités de production dans plusieurs États membres. La part de l'industrie chimique dans la consommation de soude est de 20 % et celle des applications métallurgiques, d'environ 5 %.
5. Soude naturelle américaine (13) Depuis le développement de l'exploitation de la soude naturelle dans les années 60, le marché des États-Unis d'Amérique accuse des surcapacités importantes par rapport à la demande intérieure; l'excédent disponible pour l'exportation est actuellement d'environ 2,5 millions de tonnes par an. Étant donné la surproduction et la présence d'un certain nombre de producteurs ayant des coûts similaires, le marché intérieur américain est caractérisé par une forte concurrence des prix. Le produit s'est vendu ces dernières années aux États-Unis d'Amérique avec une ristourne importante sur le «prix de liste» (93 dollars des États-Unis par «short ton» fob Wyoming), le prix net départ usine était, fin 1989, d'environ 73 dollars des États-Unis par «short ton», prix auquel il faut ajouter les coûts du transport jusqu'aux centres industriels de la côte est. La plupart des producteurs ont porté les prix de liste à 98 dollars des États-Unis «short ton» avec effet au 1er juillet 1990 et le prix effectif est passé à environ 85 dollars des États-Unis.
(14) Confrontés à la nécessité d'exporter, les producteurs américains se sont efforcés de pénétrer le marché européen et d'autres marchés. La soude naturelle a fait son apparition dans la Communauté à la fin des années 70, principalement au Royaume-Uni. En 1982, les importations américaines dans la Communauté se sont élevées à quelques 100 000 tonnes, dont un peu moins de 80 000 tonnes au Royaume-Uni. L'industrie européenne a demandé et obtenu la mise en place d'une protection antidumping contre les importations de soude dense américaine en 1982. (Des mesures antidumping sont également appliquées à l'encontre des importations de soude légère, mais non de soude dense, en provenance d'Europe de l'Est, depuis octobre 1982.) (15) Les mesures les plus récentes qui établissent une protection antidumping contre la soude dense des États-Unis d'Amérique prévoient ce qui suit:
a) pour les deux producteurs alors sur le marché, Allied (à présent General Chemical) et Texas Gulf, un engagement de prix minimal de 112,26 livres sterling par tonne départ entrepôt (règlement (CEE) n° 2253/84 de la Commission) (1);
b) pour les producteurs non présents sur le marché, Tenneco, KMG, FMC et Stauffer, un droit antidumping définitif de 67,49 écus par tonne (règlement (CEE) n° 3337/84 du Conseil) (2).
Les engagements de prix négociés prévoyaient la conversion en d'autres devises au taux de change alors en vigueur; avec la modification des parités depuis 1984, le prix d'engagement pour l'Allemagne, la France et d'autres marchés se situait nettement au-dessus du prix du marché, si bien que les ventes correspondant à l'engagement étaient commercialement impossibles en dehors du Royaume-Uni.
(16) Texas Gulf a subi une perte en volume à la suite de l'adoption des mesures antidumping et s'est retiré du marché britannique en 1985, de sorte que General Chemical est actuellement le seul producteur américain qui continue à livrer au Royaume-Uni, encore qu'à raison d'environ 30 000 tonnes seulement par an.
[. . .] (3). Texas Gulf a également vendu un certain tonnage en Belgique. Dans les deux cas, les importations ont été exonérées des droits antidumping dans le cadre du régime du trafic de «perfectionnement actif».
(17) Un certain nombre de grands consommateurs communautaires du secteur du verre ont indiqué leur intention de réduire de façon substantielle leurs achats auprès des producteurs de la Communauté et de s'approvisionner aux États-Unis d'Amérique. Jusqu'à présent, toutefois, les livraisons des producteurs américains à l'Europe de l'Ouest continentale (hors Royaume-Uni et Irlande) n'ont été que d'environ 40 000 tonnes au total, pour la quasi-totalité sous le régime du «perfectionnement actif».
Les mesures antidumping arrêtées par le règlement (CEE) n° 3337/84 ont expiré en novembre 1989. Un certain nombre de producteurs américains et des représentants de l'industrie verrière communautaire ont demandé en 1988 un réexamen de ces mesures. Le 7 septembre 1990, la procédure de réexamen s'est terminée sans que soient imposées des mesures de protection (décision 90/507/CEE de la Commission) (4).
(18) En 1982, un certain nombre de producteurs américains ont formé une association d'exportation (Export Association) en se prévalant du «Webb-Pommerene Act» de 1918, avec l'approbation du ministère du commerce des États-Unis d'Amérique. Initialement, les activités de cette association étaient limitées au Japon et trois producteurs seulement y prenaient part. En 1983, les six producteurs de soude naturelle se sont regroupés pour former l'«American Natural Soda Ash Corporation» (ANSAC).
La fonction de l'ANSAC est d'agir en tant que comptoir de vente pour assurer la commercialisation et la distribution des exportations de soude des producteurs américains hors des États-Unis d'Amérique. Ces ventes représentent environ 250 millions de dollars des États-Unis par an. En prévision de l'extension de ces activités au marché de l'Europe de l'Ouest (en remplacement des ventes par les différents producteurs), ANSAC a notifié ses accords à la Commission en sollicitant une attestation négative ou une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3.
La demande de ANSAC fait l'objet de la décision 91/301/CEE de la Commission (5), par laquelle l'exemption a été refusée.
C. Accord de division des marchés entre Solvay et ICI 1. Séparation des marchés (19) Solvay et ICI, les deux principaux producteurs d'Europe occidentale considérés traditionnellement comme les premières sociétés du secteur, restreignent leurs ventes à leurs marchés traditionnels respectifs et l'ont toujours fait.
Solvay possède actuellement neuf usines fabriquant de la soude, toutes situées en Europe de l'Ouest. Dans la Communauté, cette société possède des unités de production en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie, au Portugal et en Espagne. Sur ces trois derniers marchés, elle dispose d'un quasi-monopole. Pour l'ensemble de la Communauté, Solvay détient une part de marché de 60 %. Si l'on exclut le Royaume-Uni et l'Irlande, où Solvay n'a pas d'activités de vente, la part de marché de cette société passe à 70 %.
(20) ICI est le deuxième producteur européen de soude; il possède deux usines situées près de Northwich dans le Cheshire. (Une troisième unité a été fermée en 1985). Jusqu'à l'apparition du matériau en provenance d'Europe de l'Est au Royaume-Uni en 1978, ICI possédait la totalité du marché. En 1988, ICI détenait environ (>90 %) du marché de la soude au Royaume-Uni.
ICI possède également des usines de production de soude synthétique au Pakistan et (jusqu'en 1990) en Australie, ainsi qu'une capacité de production de soude naturelle de 300 000 tonnes par an au lac Magadi au Kenya. L'Europe n'importe pas à partir de ces sources d'approvisionnement.
Jusqu'en 1980 environ, le prix de liste de ICI au Royaume-Uni était inférieur à celui des marchés adjacents. Toutefois, depuis cette date, les prix au Royaume-Uni sont nettement plus élevés que ceux qui sont pratiqués sur le continent en Europe de l'Ouest, la différence atteignant parfois jusqu'à 20 % par rapport aux marchés voisins.
(21) En dépit de ces écarts de prix, il n'y a pas eu d'échanges importants de soude entre le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique en Europe de l'Ouest continentale, à la seule exception des livraisons effectuées par Solvay à ICI en tant que «coproducteur». Il n'y a pas eu de ventes de Solvay (ni d'aucun autre producteur de la Communauté) à des clients au Royaume-Uni, bien que les calculs de prix trouvés chez les producteurs indiquent que même compte tenu du coût relativement élevé du transport à partir d'usines situées en Europe de l'Ouest occidentale, le prix final à la livraison aux gros clients (en particulier dans le sud-est et l'est de l'Angleterre) aurait été comparable, voire inférieur à celui de ICI pour une période considérable.
Les seuls marchés de l'Europe de l'Ouest continentale sur lesquels ICI ait jamais fourni de quantité appréciable de soude sont les pays scandinaves, qui n'ont pas de producteur national. Il est significatif que, en dépit de coûts de transport exposés pour importer la totalité de la consommation de soude, les niveaux de prix sont très nettement inférieurs en Scandinavie à ceux qui sont pratiqués sur les marchés où il existe un producteur de soude bien établi.
2. Cartel «Alkali»
(22) Solvay et ICI entretiennent des relations commerciales étroites dans le secteur de la soude et d'autres produits à base de chlore depuis 1870, lorsque Brunner, Mond and Co., l'une des sociétés qui ont constitué ICI à l'origine, a obtenu la première licence sur le procédé Solvay «ammoniaque-soude» et développé les installations de production dans le Cheshire qui constituent actuellement ICI Soda Ash Products.
Dans le cadre de leurs relations, Solvay et Brunner, Mond ont passé un accord délimitant leurs sphères d'influence respectives. Le partage initial des marchés a été effectué au moyen d'un accord dit «Alkali Cartel» (le cartel Alkali) au sujet duquel les producteurs n'ont fourni aucune information. On ignore quels sont les accords exacts qui ont été conclus au moment où la technologie de Solvay a été concédée pour la première fois sous licence à Brunner, Mond. Il apparaît toutefois que de nouveaux accords internationaux de partage du marché dans le domaine des alcalis (y compris le carbonate de soude et la soude caustique) ont été conclus à l'échelle mondiale entre ICI et Solvay en 1928 (peu après, ICI était constituée à partir de Brunner, Mond et de trois autres sociétés) et en 1935 et en 1938, entre ICI, Solvay et I. G. Farben. D'autres accords de cartel ont été conclus en 1933 entre ICI et Alkasso (United States Alkali Export Association) et en 1936, entre ICI, Solvay et Alkasso. Ces accords comprenaient l'attribution des marchés exclusifs à l'une ou l'autre partie, l'attribution de quotas sur certains autres marchés et la fixation des prix à une échelle mondiale. Le marché national de chacun des membres du cartel était considéré comme dévolu au producteur national (Voir: US contre United States Alkali Export Association and Others, 86 F Suppp. 559; 1948-1949 Trade Cases n° 62.474).
3. Accord «Page 1000»
(23) Dans un nouvel accord ICI/Solvay conclu en 1945, dont les clauses figurent dans un document découvert chez ICI et intitulé «Page 1000», Solvay et ICI ont consigné par écrit leur conviction que «la coopération qu'elles avaient eue avant la guerre (et qui se poursuivait depuis près de 70 ans) dans le développement technique et commercial des activités dans le secteur de l'alcali s'était déroulée dans l'intérêt de chacune . . .».
Les parties convenaient que comme par le passé, chacune des parties continuerait à mener une politique commerciale visant à encourager une croissance continue de la consommation globale d'alcalis:
«Chaque partie a l'intention d'augmenter le volume de ses ventes par ce moyen, mais non aux dépens de l'autre partie».
Le document «Page 1000» relevait que l'organisation de production et de vente de Solvay avait essentiellement pour champ d'action le continent européen, tandis que celle de ICI englobait principalement le Commonwealth britannique et d'autres pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud.
Ce document réitère et incorpore pour une large part une déclaration des deux parties définissant leur politique commerciale mutuelle dans le secteur de l'alcali.
(24) ICI définissait sa politique comme suit:
«Reconnaissant ces politiques fondamentales communes ainsi que la répartition géographique de leurs organisations respectives, ICI se propose, jusqu'à résiliation de la présente déclaration de politique, de mener une politique commerciale fondée sur les principes suivants.
a) Dans les pays où la production locale de l'alcali est déjà bien développée, et où en conséquence, les importations ne couvrent qu'une faible partie de la demande, ICI considère (entre ICI et Solvay) que la responsabilité du développement de l'activité échoit entièrement à l'organisation déjà établie dans ce pays.
b) Dans les pays où la production locale d'alcali n'est pas bien développée et où les importations couvrent la plus grande partie des besoins, ICI considère (entre ICI et Solvay) que l'organisation déjà établie dans ce pays aura la responsabilité principale dans le développement de l'activité, mais, dans les cas où ICI est l'organisation déjà installée, celle-ci examinera favorablement toute demande de Solvay de participer aux importations ou au développement de la production locale.
c) Le point b) sera appliqué de façon à promouvoir la consommation de l'alcali dans toute la mesure du possible, en développant la production locale lorsqu'il est démontré que cela peut se faire dans des conditions normales et économiques aussi rapidement que les circonstances le permettent et en arrangeant des importations à partir des pays qui peuvent assurer les livraisons de la manière la plus adéquate.
d) Dans l'interprétation des points a), b) et c), ICI tiendra dûment compte des engagements antérieurs pris par Solvay à l'égard d'organisations autres que ICI.
ICI prend note du fait que Solvay mènera sa politique suivant des principes analogues».
La déclaration de politique de Solvay est rédigée dans les mêmes termes (mutatis mutandis) que celle de ICI.
(25) Dans la version de 1949 de leur déclaration de politique commerciale, chaque partie a déclaré que les accords «Page 1 000» ne s'appliqueraient pas à leurs activités aux États-Unis d'Amérique affectant le commerce national ou étranger des États-Unis d'Amérique.
Sauf cette exception, qui découle sans nul doute de l'arrêt rendu par la District Court des États-Unis d'Amérique dans l'affaire Alkasso, les parties avaient fixé d'un commun accord les grandes lignes d'une politique de coopération totale visant à éviter de se faire concurrence où que ce soit dans le monde.
(26) Lors de l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté, Solvay et ICI ont officiellement résilié l'accord «Page 1000» à compter du 31 décembre 1972. D'après les parties, un examen de leurs accords contractuels avait démontré que l'accord - qui, d'après elles, était déjà considéré comme dépassé en 1962 - n'avait jamais été officiellement annulé. Solvay a envoyé une lettre en ce sens à ICI le 12 octobre 1972. Lors d'une réunion du conseil d'administration de ICI tenue le 26 octobre 1972, il a été décidé d'annuler le compte rendu de 1949 confirmant l'accord «Page 1 000».
Il existe toutefois une certaine contradiction entre ce compte rendu, qui reproduit la déclaration figurant dans la lettre de Solvay selon laquelle l'accord était considéré comme «dépassé» depuis longtemps, et un procès-verbal ultérieur du conseil d'administration de ICI en date du 26 juillet 1973 qui précise que des lettres de résiliation avaient été adressées à Solvay «après que les conseillers juridiques des deux sociétés les eurent informées que leurs accords constituaient une infraction à l'article 85 du traité de Rome et devraient, s'ils restaient en application (1), être notifiés à la Commission de la Communauté économique européenne».
4. Maintien de la séparation des marchés de la soude entre Solvay et ICI (27) Le fait que l'accord «Page 1000» soit tombé en désuétude ne s'est toutefois pas traduit par une réforme notable de la politique commerciale, que ce soit de Solvay ou de ICI dans le secteur de la soude ni en 1962 ni à un stade ultérieur. Ni l'une ni l'autre des parties n'a jamais concurrencé l'autre sur son marché intérieur dans la Communauté. De même sur les marchés d'exportation étrangers, chacune a continué à respecter la sphère d'influence de l'autre. Depuis 1984, Solvay, à titre de coproducteur, a même fourni des tonnages substantiels à ICI afin de lui permettre de maintenir sa position en Afrique du Sud, qui est traditionnellement le principal marché extra-européen de ICI et celui où Solvay ne commercialise pas elle-même le produit (voir considérants 36 à 38). ICI a également maintenu Solvay informé de sa politique de vente et de ses intentions pour la Suède, le seul marché important où les deux producteurs étaient présents. Les politiques commerciales respectives des deux producteurs dans le secteur de la soude ont été maintenues à tous égards telles qu'elles étaient définies dans le document «Page 1000».
La stricte division des marchés de la soude peut être confrontée à celle qui est à présent en place dans le secteur de la soude caustique, laquelle était également visée dans l'accord «Page 1000». Il existe à présent un grand nombre de producteurs de soude caustique dans la Communauté et en dépit des risques de manutention, ce produit est librement transporté d'un pays à l'autre.
ICI produit actuellement de la soude caustique en Allemagne de même qu'au Royaume-Uni, et exploite des installations de stockage en France et aux Pays-Bas à partir desquels elle approvisionne des clients dans l'ensemble de la Communauté. Pour sa part, Solvay a une installation de stockage dans le Merseyside à partir de laquelle elle dessert ses clients au Royaume-Uni.
5. Principe du marché (28) Pendant de nombreuses années, tous les producteurs de soude européens ont accepté et suivi le principe du respect des marchés nationaux pour déterminer leurs opérations commerciales.
Conformément à ce principe, chaque producteur de soude a limité ses ventes aux: a) pays dans lesquels il avait des unités de production; b) marchés d'exportation où il n'y avait pas de producteur établi. Les autres producteurs ont mené une politique réciproque consistant à ne pas vendre sur le marché «national» de ce producteur. En cas d'incursion d'un producteur extérieur sur ce qu'un producteur considérait comme son marché intérieur, ce dernier avait le droit et le devoir, à titre de «représailles», de vendre une quantité équivalente sur le marché intérieur de l'envahisseur.
(29) Les documents saisis chez plusieurs producteurs révèlent que la protection des marchés intérieurs par ce moyen fait l'objet pendant de nombreuses années d'un consensus général dans l'industrie de la soude. La notion de «représailles» comme moyen de défendre le marché intérieur était même expressément prévue dans un accord de partage des marchés passé entre Solvay et Nederlandse Soda Industrie (à présent Akzo) en 1956 (qui n'a pas fait l'objet d'une procédure au titre de l'article 85).
La règle du «marché intérieur» a été respectée strictement par tous les producteurs jusqu'aux années 70, lorsque la baisse de la demande et l'apparition, en Europe de l'Ouest occidentale, de la soude naturelle des États-Unis d'Amérique et des matières premières d'Europe de l'Est ont introduit un certain élément de concurrence. Akzo a également commencé à vendre sur le marché allemand vers la fin des années 70 étant donné que les Pays-Bas représentaient un marché trop réduit pour sa capacité de production disponible.
Solvay avait apparemment indiqué à Akzo qu'elle acceptait ce développement sans obtenir d'abord l'accord des producteurs allemands plus petits. Par conséquent, l'un des producteurs affectés a signifié à Akzo qu'il commencerait à vendre aux Pays-Bas et le ferait aussi longtemps qu'Akzo poursuivrait ses ventes en Allemagne. En général, toutefois, les livraisons faites à certains clients d'un autre pays (par opposition aux ventes de coproducteurs) restent apparemment considérées par les producteurs comme exceptionnelles.
6. Maintien des relations Solvay-ICI (30) Solvay et ICI ont maintenu des relations commerciales étroites dans le secteur de la soude. Étant traditionnellement les premières entreprises de ce secteur en Europe, ces sociétés ont toutes deux intérêt à maintenir la stabilité du marché. Les deux producteurs ont entretenu des contacts fréquents et se rencontrent pour discuter de questions d'intérêt mutuel concernant le marché de la soude. Jusqu'au milieu des années 70, ils ont échangé des informations détaillées sur leurs coûts de production. On ignore quelles sont la régularité et la fréquence exactes de ces réunions, mais depuis 1985, elles semblent avoir eu lieu environ tous les deux mois.
(31) Au cours de la procédure administrative, les parties ont fait valoir qu'aucune discussion n'a eu lieu sur des questions importantes et sensibles sous l'angle commercial. ICI déclare que les points abordés au cours de ces réunions sont ceux sur lesquels il est légitime de discuter, à savoir:
a) les achats pour des accords de revente au Royaume-Uni et en Afrique du Sud;
b) les mesures antidumping prises par les producteurs européens contre les importations des États-Unis d'Amérique et d'Europe de l'Est;
c) les tendances générales du marché pour la demande;
d) l'échange d'informations sur le degré de substitution à la soude de la soude caustique et des débris de verre dans certaines industries.
(32) D'après ICI, les réunions avec Solvay ont été intégralement consignées dans des procès-verbaux et il n'y a pas eu de discussions «secrètes». Or, les comptes rendus détaillés de plusieurs de ces réunions prouvent effectivement que les deux producteurs ont, en fait, discuté de questions revêtant un intérêt crucial pour leur stratégie globale dans le secteur de la soude. Les deux producteurs considèrent manifestement qu'ils ont un intérêt commun à la stabilité des prix. Solvay a informé ICI des tendances générales des prix et des augmentations projetées des prix en Europe de l'Ouest continentale, autant d'éléments que ICI elle-même (dans un autre contexte) a déclaré au cours des auditions être d'une importance vitale pour sa politique commerciale au Royaume-Uni. Ces sociétés étaient également soucieuses d'éviter toute friction entre leurs activités respectives dans le domaine de la soude et se sont informées des domaines où leurs intérêts pourraient entrer en conflit. Ainsi, ICI a fait part à Solvay de son intention d'opérer une rentrée sur le marché scandinave au cours du second semestre de 1986. Il y a eu également des plaintes de ICI (transmises de son unité du lac Magadi, au Kenya) concernant les problèmes que Solvay lui avait causés en augmentant ses ventes en Indonésie. À une autre occasion, Solvay était «mécontente» parce que ICI avait acheté un certain tonnage (achat pour revente) à Akzo. Il est également révélateur qu'en juillet 1986, ICI ait jugé nécessaire d'expliquer à Solvay selon quels principes elle avait créé Soda Ash Products comme activité séparée à l'intérieur de la structure de ICI.
(33) La stratégie commerciale déclarée de ICI pour la soude est de maintenir sa position en tant que fournisseur dominant et exerçant un contrôle dans ce secteur au Royaume-Uni.
La relation de longue date avec Solvay revêt de toute évidence une importance vitale dans ce contexte. Il est bien précisé dans les documents de ICI que la base du maintien des relations avec Solvay est l'abstention mutuelle de concurrence. ICI était particulièrement soucieux de ne pas mettre cette solution en péril. Dans un autre document évoquant une modification éventuelle de la stratégie de ICI dans le secteur de la soude (une proposition qui aurait pu altérer le statu quo et qui en fait n'a pas été adoptée), on peut lire la question suivante: «Comment Solvay nous considérera-t-elle Continuera-t-elle à ne pas voir de concurrence du Royaume-Uni?». La politique suivie par Solvay au Royaume-Uni est qualifiée de «bénigne».
(34) Dans d'autres documents datant de 1988, ICI perçoit sa relation actuelle avec Solvay en fonction de valeurs historiques datant de l'époque «Brunner, Mond»:
«Nos relations avec Solvay sont cruciales en termes de volume et de prix et pour "~limiter l'intrusion de nouveaux venus sur notre marché", ces relations ou ce comportement sont largement déterminés par des valeurs historiques associées à l'ère Brunner, Mond».
Dans une autre note saisie chez ICI, on peut lire que Solvay «considére SAP (1) comme les héritiers de la position Brunner, Mond».
(35) D'autres documents de ICI soulignent spécifiquement que ICI devraient consulter Solvay avant de prendre toutes décisions commerciales qui pourraient modifier l'équilibre entre leurs opérations respectives dans le secteur de la soude. Une note indique qu'il est nécessaire de «sonder» la réaction de Solvay à une possible réforme structurelle des activités «à travers les canaux appropriès», une phrase qui indique que la possibilité d'un dialogue sur de tels sujets existait déjà. Une autre note sur le même sujet prévoit que Solvay pourrait «réagir de façon agressive» si la réforme était mise en oeuvre mais elle se poursuit de la manière suivante: «Parler avec Solvay. Les traiter gentiment. Les prévenir».
Il y est également question de la nécessité, dans le contexte des «relations de longue date» entretenues avec Solvay, de lui faire une «visite de courtoisie» avant d'entreprendre la démarche en question. Au cours de l'audition, le Business Manager (directeur commercial) de ICI Soda Ash Products, tout en affirmant qu'il n'avait jamais vu l'accord «Page 1000», a admis qu'il était au courant de son existence. Il a ajouté que «les traditions qui existaient dans le passé avec Brunner, Mond» étaient un élément que ICI devait prendre en considération et que Solvay, premier producteur européen, serait «préoccupé» si la structure de l'activité de ICI dans le secteur de la soude devait être modifiée, d'où la nécessité de prévenir Solvay.
7. Ventes «achat pour revente» de Solvay à ICI (36) L'un des aspects importants des relations étroites entre ICI et Solvay réside dans la pratique de ICI consistant à acheter un tonnage substantiel de soude à Solvay afin de satisfaire des engagements à moyen et long termes sur ses marchés traditionnels.
Ces accords - appelés «achat pour revente» -, ont fait suite à la fermeture par ICI de son usine de Wallerscote en 1984. En raison de cette réduction de capacité, ICI n'a plus été en mesure, pendant plusieurs années, de satisfaire la totalité de la demande intérieure au Royaume-Uni et en Irlande, sans parler de poursuivre l'approvisionnement de son marché exportateur principal en Afrique du Sud. L'un des éléments fondamentaux de la politique commerciale de ICI étant le maintien de son contrôle sur le marché britannique, cette société n'était disposée ni à voir un autre producteur reprendre à son compte le déficit sur son marché intérieur, ni à permettre aux clients d'importer directement eux-mêmes.
(37) Pendant plusieurs années, ICI a acheté des tonnages substantiels à Solvay pour les revendre à ses clients britanniques (qui apparemment en ignoraient l'origine). >TABLE POSITION>
Solvay est, en outre, la principale source d'approvisionnement de la soude vendue par ICI en Afrique du Sud, qui ne produit pas elle-même le produit qu'elle vend sur ce marché. >TABLE POSITION>
(38) L'importance vitale de ces accords d'achat pour revente pour le maintien de la division stricte entre les sphères d'influence respectives de Solvay et de ICI ressort d'un mémorandum de ICI daté du 17 septembre 1982. La réduction de capacité jusqu'au point où ICI ne pourrait plus répondre à la totalité de la demande britannique était considérée comme de nature à produire une impression différente auprès des clients comme des autres producteurs. Le souci de ICI était de maintenir son contrôle sur le marché britannique et de ne pas donner l'impression que sa «souveraineté» avait été affaiblie par la réduction de capacité projetée. Le mémorandum contient le passage suivant, sous le titre «contrôle du marché»:
«Des possibilités pourraient être développées pour "~gérer" la réduction de capacité de manière à maintenir le contrôle sur le marché. Ainsi, un accord d'achat pour revente pourrait être passé avec un coproducteur afin de combler le déficit, ou des marchés d'exportation comme celui de l'Afrique du Sud pourraient être échangés contre l'attente d'un bon comportement au Royaume-Uni».
À la lumière de ce document, l'importance des accords d'achat pour revente avec Solvay paraît évidente. Le statu quo (en particulier la domination de ICI sur son marché intérieur britannique et l'abstention de Solvay sur celui-ci) est maintenu alors qu'en contrepartie, Solvay tire l'avantage commercial de ventes (achat pour revente) substantielles à ICI à long terme.
(39) Pour sa part, Solvay semble, à la suite de la décision 85/74/CEE «Peroxydes» (1) prise à son encontre par la Commission, avoir été «extrêmement sensible à la réaction du marché à l'égard de toute relation commerciale entre producteurs chimiques», y compris les accords d'achat pour revente (note de ICI du 15 février 1985). D'après cette note, Solvay était généralement réticente à l'idée de fournir directement à ICI, soit sur les marchés où les deux producteurs étaient présents, soit là où le client en question constituait une division d'un groupe paneuropéen. Solvay était toutefois disposée à accepter un certain nombre de «compromis» ou d'«exceptions», en particulier en ce qui concerne l'Afrique du Sud, ou l'Irlande, où elle n'a pas de structure de vente.
Bien que ICI semble avoir d'abord présenté ces accords à Solvay comme devant simplement résoudre des problèmes de production à court terme, Solvay a dû rapidement s'apercevoir que leur objet était de soutenir la position à long terme de ICI sur certains marchés et ainsi de préserver la séparation des marchés existant entre les deux groupes.
8. Défense de Solvay et de ICI (40) Ni Solvay ni ICI ne contestent que: a) dans la Communauté, il n'y ait guère de concurrence entre elles ni que b) en tout cas, ce phénomène soit le résultat d'une décision bien pesée et consciente de la direction.
Les deux sociétés affirment toutefois que leur décision respective de ne pas se faire la concurrence a été prise indépendamment par chaque entreprise en raison de considérations purement commerciales et ne comportent aucun élément de collusion ou de concertation.
(41) D'après ICI et Solvay, l'annulation de l'accord «Page 1000» en 1972 a été faite de bonne foi et n'était en fait qu'une reconnaissance formelle de ce que les accords étaient lettre morte depuis 1962. Par conséquent, il n'était absolument pas question pour les parties de continuer à respecter en pratique l'esprit des anciens accords de répartition des marchés datant de l'ère Brunner, Mond. ICI affirme que la concurrence que Solvay et ICI se menaient dans le secteur de la soude caustique prouve que l'accord «Page 1000» n'était plus appliqué en aucune façon.
(42) Les parties déclarent que les raisons de maintenir la séparation des marchés entre Solvay et ICI pour la soude sont d'ordre purement commercial. Il est logique (d'après elles) que chaque producteur concentre ses ventes sur son «marché intérieur» naturel sur lequel il a un avantage de concurrence naturel. Les coûts de transport de la soude sont relativement élevés par rapport aux prix de vente final, et ce facteur, lié à la préférence du client pour une source locale d'approvisionnement présentant une sécurité à long terme, a entraîné une séparation naturelle des marchés suivant des critères géographiques. Dans le cas du Royaume-Uni en particulier, la nécessité de traverser la mer explique l'isolation du marché dans les deux sens.
Depuis 1980, le prix de la soude est plus élevé au Royaume-Uni que dans l'Europe de l'Ouest continentale. Il serait absurde (d'après ICI) qu'elle offre le produit au client sur les marchés de l'Europe de l'Ouest continentale, alors que non seulement le prix de marché y est inférieur, mais qu'elle devrait offrir des prix encore inférieurs à ceux du fournisseur qui y est établi. Les coûts de transport à partir du Royaume-Uni seraient prohibitifs: pour soutenir cet argument, ICI a fourni des barèmes de fret dans lesquels le coût du transport routier vers le nord de la France est estimé à 40 livres sterling par tonne, soit près de 40 % du prix de vente net. (Au cours de l'audition, ICI a toutefois reconnu que ce coût serait réduit de moitié si un dépôt était établi en France et approvisionné par caboteur.) (43) Par ailleurs, ICI et Solvay font valoir le risque de «représailles» dans le cas d'une incursion concurrente de l'une des parties sur le marché de l'autre. Si un producteur se substitue à l'autre chez un client déterminé, le fournisseur concerné n'aura d'autre choix que de s'efforcer de placer le tonnage perdu ailleurs, le marché le plus probable étant le marché intérieur de l'agresseur. En dernière analyse, chacune des parties finirait par vendre le même tonnage, mais les deux auraient à subir des coûts plus importants et en tireraient des profits moins élevés. La raison pour laquelle les deux producteurs n'opèrent pas de manière agressive sur leurs marchés intérieurs respectifs est par conséquent, d'après eux, qu'ils savent bien qu'il en résulterait une guerre sur les prix qui ne serait de l'avantage ni de l'un ni de l'autre.
D'après ICI et Solvay, il existe entre elles une relation de pleine concurrence. Si ICI affirme que leurs réunions ne portaient que sur des questions légitimes, Solvay reconnaît qu'à certaines occasions, les cadres des deux parties peuvent avoir été tentés d'aller plus loin et d'obtenir des informations plus confidentielles, mais, d'après les déclarations des intéressées, il ne s'agit pas pour autant d'une concertation.
9. Analyse économique produite par ICI (44) Un expert en matière économique, chargé par ICI de rédiger un rapport pour les besoins de la présente procédure, a conclu que, eu égard à la structure et à la situation du secteur de la soude, il était normal que les producteurs concentrent leurs activités sur leur marché intérieur et s'abstiennent de se faire la concurrence sans aucune collusion. Cet équilibre du marché est expliqué par référence au modèle «Cournot» qui se caractérise par le fait que les entreprises d'une industrie donnée s'attendent à ce que les autres maintiennent la production quelles que soient les modifications apportées à titre individuel (1). ICI s'est également efforcée d'expliquer son comportement oligopolistique dans l'industrie par la théorie des jeux (2). D'après ICI, la rigidité du marché résulte d'un «jeu de non-coopération» dans lequel chaque producteur reconnaît le risque de représailles et s'efforce, pour éviter que ce risque se réalise, de maintenir une position stable sur le marché. ICI rejette l'autre solution théorique selon laquelle les marges pourraient être encore améliorées si les entreprises agissaient ensemble comme dans une situation de monopole, pour le motif que: a) une telle pratique ne marcherait pas dans une industrie où les ventes sont en baisse; b) les avantages potentiels ne suffisent pas pour surmonter les difficultés de la coopération. Toutefois, l'utilité d'un modèle théorique n'a que l'utilité de l'information qu'il doit servir à analyser. L'économiste consultée a admis, au cours de l'audition, qu'elle n'avait même jamais vu les documents joints à la communication des griefs. Eu égard au libellé de l'accord «Page 1000», la séparation historique des marchés ne peut absolument pas être expliquée par un «jeu de non-coopération». L'expert n'avait pas non plus connaissance des preuves écrites de consultations entre ICI et Solvay qui devaient réduire l'incertitude quant à leur réponse au comportement de l'autre, ce qui ne cadre pas avec la théorie de la «non-coopération». La conclusion du rapport, selon laquelle la structure de l'industrie et la conduite des producteurs étaient le résultat d'une stratégie de non-collaboration, a donc été tirée sans que soient prises en considération toutes les preuves en la matière.
10. Appréciation des faits (45) Sur la base des faits précités et des preuves d'ordre économique, la Commission n'admet pas que la division stricte des marchés entre Solvay et ICI, qui est l'une des caractéristiques du secteur de la soude dans la Communauté, résulte du jeu des forces naturelles du marché ou du jugement commercial indépendant des deux producteurs.
Elle considère au contraire que la séparation des marchés fait l'objet d'une entente continue entre les deux producteurs et se fonde sur la reconnaissance mutuelle de la sphère d'influence exclusive ou zone d'opération de chacun.
(46) L'argument selon lequel leur politique d'abstension mutuelle sur le marché est le résultat de leur «jugement commercial individuel» serait plus plausible s'il n'y avait jamais eu d'accord entre eux. Dans cette affaire, il ne s'agit pas de deux concurrents importants qui se sont combattus sans vainqueur ni vaincu et ont décidé, sans prendre aucun contact, qu'une rivalité intense n'était de l'intérêt ni de l'un ni de l'autre.
Aucune explication satisfaisante n'a été fournie pour le fait que, si la division des marchés résulte entièrement de la géographie et d'une concurrence naturelle, les deux producteurs aient toujours jugé nécessaire de conclure des accords comme «Alkali Cartel» et «Page 1000».
(47) En ce qui concerne la soude, les déclarations de politique commerciale que Solvay et ICI ont échangées en 1945 dans l'accord «Page 1000» restent une description exacte de la politique qu'elles ont menée jusqu'à la date de la présente procédure. Chacune s'abstient de faire concurrence sur le «marché intérieur» de l'autre et chacune le fait dans l'attente que l'autre appliquera la même politique. Les termes utilisés par ICI pour décrire la relation actuelle de non-concurrence, par référence «aux valeurs historiques d'association de l'ère Brunner, Mond», indiquent nettement qu'il existe toujours une entente de longue date entre les deux producteurs. Solvay ou ICI sont incapables de démontrer une modification quelconque de leur politique commerciale en ce qui concerne la soude (contrairement à la soude caustique) à l'appui de leur affirmation selon laquelle l'accord «Page 1 000» serait lettre morte depuis 1962. L'annulation formelle de l'accord dix ans plus tard n'a pas non plus entraîné de changement.
Dans cette affaire, on ne peut dire non plus que les deux producteurs en cause n'aient pas de contacts. Les contacts fréquents qui ont eu lieu, même si leurs buts immédiats étaient de discuter les accords d'«achat pour revente», n'ont pas été de nature à créer une atmosphère de rivalité commerciale. De fait, contrairement à ce qu'affirme ICI, les thèmes discutés ne se limitaient pas aux questions techniques, mais consistaient aussi en échanges d'informations sur la stratégie commerciale globale et sur des points considérés comme d'une importance cruciale pour le maintien du contrôle exercé par ICI sur le marché britannique. Il est inconcevable que deux entreprises aient eu des discussions de cette nature s'il n'avait pas été clairement entendu entre elles qu'elles n'étaient pas concurrents potentiels. De toute évidence, il était également prévu que les deux producteurs se contacteraient et se consulteraient afin d'éliminer toute incertitude quant à leur réaction au comportement de l'autre.
(48) L'utilisation de longue date, par les deux premiers producteurs communautaires, des accords d'achat pour revente est également révélatrice d'un même intérêt et d'une même intention de maintenir le statu quo, en particulier la séparation géographique de leurs sphères d'influence respectives. Les documents de ICI soulignent que ses relations avec Solvay sont «critiques en termes de volume, de prix et pour limiter l'intrusion de nouveaux venus sur notre marché». Des accords ICI-Solvay concernant l'Afrique du Sud sont aussi importants dans ce contexte que les livraisons directes de Solvay au Royaume-Uni. Si l'on se rappelle la «compensation» évoquée dans les documents de ICI (voir considérant 38), on ne peut contester sérieusement qu'en contrepartie, Solvay devait toujours s'abstenir d'opérer sur le marché britannique.
(49) Le fait que ICI ait tenté apparemment pendant un certain temps de dissimuler à Solvay toute l'étendue de ses difficultés de production au Royaume-Uni n'infirme pas, comme le fait valoir ICI, l'existence d'une collusion entre eux. Leur entente quant à leurs sphères d'influence respectives, au Royaume-Uni et en Europe de l'Ouest continentale, n'était pas l'expression d'un altruisme de la part de Solvay, mais bien le produit d'un jeu complexe d'intérêts. Si Solvay s'était aperçue d'une incapacité à long terme de ICI de maintenir l'équilibre entre la production et la demande britannique, on ne pouvait s'attendre à ce que cette société reste dans l'expectative alors que d'autres producteurs européens en auraient tiré profit.
Tout l'objet de l'accord était de maintenir le statu quo dans l'intérêt des deux producteurs. Étant donné en outre que tout accord collusoire ne pourrait être mis en oeuvre et ne serait respecté qu'aussi longtemps qu'il serait de l'intérêt des deux parties, ICI a peut-être été prudente en ne faisant pas totalement confiance à Solvay à cette occasion.
De même, la possibilité de «représailles» que Solvay et ICI avancent pour justifier leur abstention du marché intérieur de l'autre n'exclut en aucune façon l'existence d'une entente entre elles. Au contraire, l'industrie admettait d'une manière générale que les «représailles» étaient la sanction normale de tout manquement au principe du marché intérieur: la menace de représailles a donc servi à encourager le maintien de la coopération.
Pour résumer, les documents saisis chez les producteurs révèlent que loin de se voir comme des rivaux commerciaux, Solvay et ICI se considéraient comme des partenaires étroitement associés.
(50) La Commission rejette l'argument selon lequel des coûts de transport élevés et la préférence du consommateur pour un fournisseur local sont des raisons qui justifient l'absence totale de commerce entre le Royaume-Uni et le continent.
Avant 1980, le prix au Royaume-Uni était inférieur à ce qu'il était en Europe de l'Ouest continentale, mais ICI ne vendait pas le produit à d'autres États membres. Même si les prix britanniques ont augmenté à partir de ce moment-là, ICI aurait normalement eu toutes les raisons de développer ses ventes en Europe de l'Ouest afin de maintenir l'exportation de son usine à plein rendement. En tout état de cause, ICI a exagéré le coût de transport à partir du Royaume-Uni vers les États membres voisins en produisant des estimations du coût du transport par camion-citerne. Tout programme de commercialisation réaliste en Europe de l'Ouest continentale aurait comporté l'établissement d'un dépôt, approvisionné par voie maritime, qui aurait sans doute réduit de moitié les coûts de livraison indiqués par ICI.
(51) En ce qui concerne la possibilité de faire commerce dans la direction opposée, les principaux producteurs de verre creux au Royaume-Uni ont une localisation relativement favorable en ce qui concerne l'accès de l'Europe de l'Ouest continentale. Les comparaisons de prix saisies chez les producteurs révèlent que Solvay aurait parfaitement pu approvisionner des clients, en particulier dans l'est et le sud-est de l'Angleterre.
L'absence de commerce de la soude présente un contraste évident avec l'environnement concurrentiel actuel de la soude caustique, produit comparable sur le plan du prix, mais dont le transport est plus onéreux et plus risqué.
L'argument concernant la préférence du client pour un fournisseur local n'est pas non plus convaincant. Il est également difficile d'admettre que les producteurs de verre du Royaume-Uni aient «préféré» payer 15 à 20 % de plus pour leur matière première principale que leurs concurrents de l'Europe de l'Ouest continentale. Il existe des preuves abondantes montrant que ICI craignait que ses clients, producteurs de verre creux du Royaume-Uni, pourraient être amenés à rechercher des sources de soude bon marché en Europe de l'Ouest continentale.
Il est significatif que depuis l'engagement de la procédure dans la présente affaire, Solvay ait commencé à faire offre aux clients pour des fournitures au Royaume-Uni à partir de l'Allemagne à des prix compétitifs par rapport à ceux de ICI.
PARTIE II APPRÉCIATION JURIDIQUE A. Article 85 du traité CEE 1. Article 85 paragraphe 1 (52) L'article 85 paragraphe 1 du traité CEE interdit comme étant incompatibles avec le marché commun tous accords entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou d'autres conditions de transaction et à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
2. Accord/pratique concertée (53) La principale question aux fins de la présente décision est de savoir si le cloisonnement rigide des marchés et l'absence de concurrence entre Solvay et ICI sont le résultat d'une collusion expresse ou tacite entre eux, ou si elles sont le résultat de leur jugement unilatéral en tant qu'entreprises indépendantes.
Le cloisonnement des marchés trouve son origine dans un accord exprès («Alkali cartel», «Page 1 000», etc.). Bien que cet accord ait officiellement été résilié, la séparation de fait prévue par celui-ci a continué jusqu'à ce jour: Solvay et ICI ne se font pas concurrence sur quelque marché de la Communauté que ce soit.
(54) La Cour de justice a déclaré ce qui suit (affaire 51/75: EMI Records conte CBS United Kingdom (1):
«Attendu que dans un cas, tel que celui de l'espèce, d'ententes qui ont cessé d'être en vigueur, il suffit, pour que l'article 85 soit applicable, qu'elles poursuivent leurs effets au-delà de la cessation formelle de leur vigueur.» (Point 30 des motifs).
Toutefois, la Cour a ajouté au point 31:
«Une entente n'est réputée poursuivre ses effets que si le comportement des intéressés laisse implicitement ressortir l'existence des éléments de concertation et de coordination propres à l'entente et aboutit au même résultat que celui visé par l'entente.»
(55) La Commission admet tout à fait qu'il n'y a pas de preuve directe d'un accord exprès entre Solvay et ICI de continuer à respecter l'accord «Page 1000» dans la pratique.
Toutefois, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un accord exprès pour que l'article 85 soit applicable. Un accord tacite tomberait également sous le coup des règles de concurrence du droit communautaire. Eu égard à l'interdiction expresse des pratiques concertées formulée dans l'article 85, il est toutefois superflu en l'espèce de déterminer s'il y avait un quelconque «accord» véritable, exprès ou tacite. L'objet du traité, en établissant une notion distincte de pratique concertée, est de prévenir toute possibilité pour les entreprises d'échapper à l'application de l'article 85 paragraphe 1 par des pratiques collusoires anticoncurrentielles ne se concrétisant pas par un accord bien précis et consistant (par exemple) à s'informer d'avance de l'attitude que chacune a l'intention d'adopter, de façon à ce que chacune puisse adapter son comportement commercial en sachant que ses concurrents agiront de la même façon (Arrêt de la Cour de justice, du 14 juillet 1972, dans l'affaire 48/69 Imperial Chemical Industries Ltd contre Commission) (2).
(56) Dans l'arrêt qu'elle a rendu ultérieurement, dans l'affaire du cartel européen du sucre - Suiker Unie et autres contre Commission, affaires jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111, 113 et 114/73 (3), la Cour de justice, développant la définition précitée de pratique concertée, a établi que les critères de coordination et de coopération établis par la jurisprudence de la Cour, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable plan, doivent être compris à la lumière de la conception, inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché.
S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des entreprises de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre celles-ci, ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l'on envisage de mener.
(57) Ni l'un ni l'autre des deux principaux producteurs communautaires ne conteste avoir suivi une politique délibérée de non-concurrence en ne commercialisant pas la soude sur le territoire de l'autre. Ils ne nient pas davantage que pour l'un comme pour l'autre, cette politique dépend totalement d'une décision identique de l'autre producteur. La seule question est de savoir si la politique délibérée - et réciproque - d'abstention découle d'une concertation illégale ou est le résultat du jugement commercial autonome des deux producteurs.
Dans ce contexte, il n'est pas nécessaire - contrairement à ce qu'affirme ICI -, que pour constater une infraction, il doive être prouvé que sans la collusion alléguée, il y aurait eu un commerce substantiel entre le Royaume-Uni et les États membres où Solvay est établie. Ce qui doit être démontré, c'est que les deux producteurs ont en fait substitué une coopération pratique aux risques de la concurrence qui pourrait sinon se développer. Si toute appréciation du volume du commerce qui aurait pu avoir lieu est hypothétique, il est démontré que ce commerce était parfaitement possible dans les deux sens.
(58) En l'espèce, la Commission considère que les documents découverts prouvent ce qui suit:
a) la répartition initiale des marchés entre Solvay et ICI était le résultat d'un accord ancien et exprès entre celles-ci, dont la dernière version connue était l'accord «Page 1 000»;
b) la résiliation formelle de l'accord «Page 1 000» en 1972 n'a pas produit ou traduit de changement de la pratique de la stricte répartition des marchés entre Solvay et ICI;
c) Solvay et ICI étaient l'une comme l'autre conscientes du fait que l'autre continuait à poursuivre une politique commerciale délibérée d'abstention réciproque, politique d'où résultait pour chacune des entreprises un avantage découlant de l'effet restrictif de concurrence, à savoir position dominante et contrôle de leurs marchés respectifs;
d) la politique de chaque producteur consistant à s'abstenir des marchés de l'autre dépendait du respect, par l'autre, de la même politique;
e) Solvay et ICI ont continué à avoir des relations de complète coopération (1) qui tiennent davantage du partenariat que de la concurrence;
f) il y a eu de fréquents contacts entre les deux producteurs en vue de coordonner leur stratégie globale dans le secteur de la soude et d'éviter tout conflit;
g) la base de ces relations continues a été en fait la conception partagée que la politique commerciale datant de l'ère Brunner, Mond, c'est-à-dire la reconnaissance réciproque de sphères d'activité exclusives, devait être maintenue.
(59) Il est en effet extrêmement peu probable, eu égard aux risques juridiques bien connus, qu'une résolution écrite serait faite à l'heure actuelle pour consigner les détails d'une telle entente. La collusion peut prendre de nombreuses formes et atteindre des degrés divers et cela ne requiert pas la conclusion d'un accord formel. Il peut y avoir infraction à l'article 85 lorsque les parties, sans avoir établi d'accord exprès, déduisent un engagement de l'autre sur la base de son comportement.
La définition donnée par la Cour de justice d'une pratique concertée dans son arrêt Suiker Unie correspond donc parfaitement au comportement commercial de ICI et de Solvay.
Par conséquent, la Commission estime que le maintien de la division des marchés nationaux entre Solvay et ICI découle et résulte d'une pratique concertée.
3. Restriction de la concurrence/Effets sur le commerce entre États membres (60) Des accords entre producteurs qui ont pour objet ou pour effet de protéger des marchés nationaux sont expressément interdits par l'article 85 paragraphe 1 point c). Une telle protection est absolument contraire à l'un des objectifs fondamentaux du traité, à savoir la création d'un marché commun. Eu égard à la taille des deux entreprises concernées et à leur importance sur le marché de la soude, il ne peut y avoir aucun doute que l'accord ait eu un effet appréciable sur le commerce entre États membres.
B. Remèdes et sanctions 1. Article 3 du règlement n° 17 (61) Si la Commission constate une infraction à l'article 85, elle peut obliger les entreprises intéressées à y mettre fin conformément à l'article 3 du règlement n° 17.
En l'espèce, les accords ont été conçus et mis en oeuvre en secret et les deux entreprises n'ont cessé de contester l'existence d'une infraction à l'article 85. Par conséquent, on ignore si elles ont définitivement mis fin à la collusion. Il importe donc, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, d'obliger ICI et Solvay à mettre fin immédiatement à l'infraction.
Il y a lieu, en outre, de leur enjoindre de s'abstenir de tout accord ou pratique concertée ayant un effet équivalent.
2. Article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 (62) Aux termes de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de 1 000 à 1 million d'écus, pouvant être portées à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibérés ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 ou de l'article 86. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
a) Gravité (63) En l'espèce, la Commission considère que l'infraction est d'une gravité particulière. Pendant une longue période, les deux principaux producteurs de soude de la Communauté ont sciemment accordé leur politique commerciale de façon à éviter toute concurrence entre elles pour un produit industriel important et un marché représentant 900 millions d'écus par an. Si la Commission n'avait pas découvert les preuves à cet effet, tout indique qu'elles auraient poursuivi leur coopération anticoncurrentielle sous une forme ou une autre indéfiniment.
(64) La division des marchés suivant des critères nationaux par des accords collusoires constitue une infraction contraire aux objectifs les plus fondamentaux du traité instituant la Communauté économique européenne, à savoir la création d'un marché unique entre les États membres.
La protection des marchés nationaux permet aux producteurs en cause de poursuivre une politique commerciale sur leur propre marché qui est isolé de la concurrence d'autres États membres. L'absence totale d'importations vers le Royaume-Uni à partir d'autres États membres a sans nul doute contribué à maintenir la position dominante de ICI (plus de 90 % du marché). Solvay était également protégée de toute concurrence du deuxième producteur communautaire. L'absence de concurrence entre les deux producteurs de la Communauté a assuré, dans une large mesure, que le marché de la soude était cloisonné suivant les frontières nationales. Elle doit aussi avoir été un facteur important expliquant les écarts de prix substantiels qui existent entre le Royaume-Uni et les États membres de l'Europe de l'Ouest continentale pour ce produit.
(65) L'infraction a été commise de propos délibéré et les deux parties étaient pleinement conscientes de l'incompatibilité évidente de leurs accords avec le droit communautaire.
Tant Solvay que ICI se sont déjà vu infliger à divers occasions des amendes substantielles par la Commission pour fait de collusion dans l'industrie chimique: décision 69/243/CEE «colorants» (ICI) (1); décision 85/74/CEE «peroxydes» (Solvay) (2); décision 86/398/CEE «polypropylène» (Solvay, ICI) (3); décision 89/190/CEE «PVC» (Solvay, ICI) (4); décision 89/191/CEE «PEBD» (ICI) (5).
(66) En outre, les activités des deux producteurs dans le secteur de la soude ont retenu l'attention de la Commission (1980-1982). Bien qu'à cette date la Commission se soit plus particulièrement préoccupée des accords de fourniture exclusive passés par le producteur avec les consommateurs, les responsables des activités dans le domaine de la soude ne peuvent avoir été ignorants de la nécessité de se conformer au droit communautaire.
b) Durée (67) L'accord ICI-Solvay date d'avant l'établissement du marché commun. La Commission aurait pu légitimement déterminer une amende en considérant que l'infraction a été commise depuis au moins la date d'entrée en vigueur du règlement n° 17, à savoir le 6 février 1962: le fait que ICI ait son siège en dehors de la Communauté n'empêcherait pas l'application de l'article 85 si le commerce entre États membres avait été affecté. Pour les besoins de la présente affaire, la Commission déterminera toutefois les amendes en considérant que l'infraction a commencé à compter de l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés le 1er janvier 1973 et s'est poursuivie au moins jusqu'à l'engagement de la procédure dans la présente affaire.
(68) Par conséquent la Commission considère que des amendes substantielles doivent être infligées à Solvay comme à ICI pour cette infraction. Les ventes de soude de Solvay dans la Communauté ont représenté [. . .] millions d'écus en 1988, celles de ICI étant de [. . .] millions d'écus. Toutefois, la Commission considère qu'il ne convient pas en l'espèce de faire une distinction entre les deux producteurs pour fixer le montant de l'amende. Chaque producteur a largement tiré profit de l'infraction. Tous deux sont de grands groupes internationaux et si les ventes de soude de ICI représentent moins du tiers de celles de Solvay, son chiffre d'affaires pour tous ces produits est trois fois supérieur à celui de Solvay,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:


Article premier
Solvay et Cie SA (Solvay) et Imperial Chemical Industries plc (ICI) ont enfreint les dispositions de l'article 85 du traité CEE en participant, depuis le 1er janvier 1973 jusqu'à au moins l'engagement de la présente procédure, à une pratique concertée par laquelle elles ont limité leurs ventes de soude dans la Communauté à leurs marchés intérieurs respectifs, à savoir l'Europe de l'Ouest continentale pour Solvay et le Royaume-Uni et l'Irlande pour ICI.

Article 2
Solvay et ICI mettent fin immédiatement à l'infraction précitée (si elles ne l'ont pas déjà fait) et s'abstiennent à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet équivalent.

Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées par la présente décision, en raison de l'infraction constatée à l'article 1er:
a) Solvay et Cie SA, Bruxelles, une amende de 7 millions d'écus;
b) Imperial Chemical Industries plc, Londres, une amende de 7 millions d'écus.

Article 4
Les amendes infligées à l'article 3 sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, au compte bancaire suivant:
N° 310-0933000-43 Banque Bruxelles Lambert Agence européenne Rond-point Schuman 5 B-1040 Bruxelles.
L'amende porte intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité. Le taux d'intérêt correspond au taux d'intérêt, majoré de 3,5 points de pourcentage, à savoir 14 %, appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision est arrêtée.
En cas de paiement dans la monnaie nationale de l'État membre où est établie la banque désignée pour le paiement, le taux de change applicable est celui du jour précédant le paiement.

Article 5
Les entreprises ci-après sont destinataires de la présente décision:
- Solvay et Cie SA, rue du Prince Albert 33, B-1050 Bruxelles,
- Imperial Chemical Industries plc, Millbank, UK-London SW1P 3JF.

La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité CEE.
Fait à Bruxelles, le 19 décembre 1990.
Par la Commission Leon BRITTAN Vice-président
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204.
(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268.
(1) JO n° L 206 du 2. 8. 1984, p. 15.
(2) JO n° L 311 du 29. 11. 1984, p. 26.
(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la nondivulgation des secrets d'affaires.
(4) JO n° L 283 du 16. 10. 1990, p. 38.
(5) Voir page 54 du présent Journal officiel.
(1) Souligné par la Commission.
(1) «SAP» = ICI Soda Ash Products.
(1) JO n° L 35 du 7. 2. 1985, p. 1.
(1) A. Cournot, Researches into the Mathematical Principles of the Theory of Wealth (1838).
(2) J. von Neumann and O. Morgenstern, Theory of Games and Economic Behaviour (1944).
(1) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1976, p. 949.
(2) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1972, p. 619.
(3) Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1975, p. 1663.
(1) Aux fins de la présente affaire, la Commission estime que les accords d'achat pour revente entre Solvay et ICI ne constituent pas en eux-mêmes des infractions distinctes à l'article 85; ils sont plutôt révélateurs: a) des relations commerciales étroites entre les deux Producteurs dans le secteur de la soude; b) d'un souci partagé de maintenir le statu quo et font partie d'un concertation plus large pour éliminer la concurrence entre eux (par exemple, Suiker Unie contre Commission, point 182; ses affaires jointes 29/73 et 30/83 Cram et Rheinzink contre Commission. Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1984, p. 1679.
(1) JO n° L 195 du 7. 8. 1969, p. 11.
(2) JO n° L 35 du 7. 2. 1985, p. 1.
(3) JO n° L 230 du 18. 8. 1986, p. 1.
(4) JO n° L 74 du 17. 3. 1989, p. 1.
(5) JO n° L 74 du 17. 3. 1989, p. 21.

Fin du document


Structure analytique Document livré le: 11/03/1999


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