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Une Leçon De Journalisme D'Elisabeth Chavelèche

7 mai 2008 à 15h26

Certaines fois, le mercredi, je succombe à une pénible (com)pulsion, qui me fait acheter "Paris Match".

Ca m’est arrivé ce matin, et c’est comme ça que je suis tombé, choc des mots, sur deux pages si indécentes, qu’elles me font penser qu’il manque décidément à la presse une signalétique du genre : "Eloignez vos enfants, ça traumatise velu".

Il s’agit des pages 58 et 59, où une certaine Elisabeth Chavelet passe.

Puis repasse.

Puis repasse encore, et encore.

Au verso de "Carla Sarkozy".

Une langue si démesurément chargée de flagornerie, que même F****-O****** G*******, que ces choses-là n’effraient pas, en a me dit-on eu "le cul assez troué".

Elisabeth Chavelèche a passé "une heure trente", samedi matin, "en compagnie d’une Carla Sarkozy décontractée", pour "faire le choix très personnel des photos dont elle, la Première dame de France, juge qu’elles ont marqué la première année du quinquennat de son époux (…), qu’elle n’appelle, de sa voix joliment rauque, que "mon amour"".

C’était dans le "nouveau bureau" de Carla Sarkozy : "Une grande pièce claire, dépouillée, classique, égayée par deux canapés de cuir blanc", qui donne sur un "jardin" qui n’est pas seulement un jardin, mais bien plutôt "un bijou de verdure qui embaume la lavande et où dansent des rosiers, des tulipes roses et blanches, de généreuses grappes mauves de glycine".

(La danse de la (généreuse) glycine est comme tu sais un spectacle rare, que Grappemauve Travolta réserve aux journalistes qui ont su faire la preuve de leur absolue soumission aux (dures) lois du léchage total.)

Elisabeth Chavelèche, après avoir ainsi planté un décor où nul(le) ne s’offusquerait trop de voir débouler soudain Oui-Oui dans sa jolie petite voiture jaune, (t’)annonce que, tiens-toi bien : "Carla arrive démaquillée".

Mais c’est, rassure-toi : "Exactement comme si elle était déjà fardée", car, même sans maquillage, "Carla" est d’une rare jolie beauté.

Elisabeth Chavelèche dit ça comme ça : "On songe à cet instant que c’est cela aussi une top model, aussi belle au naturel".

(On songe également que c’est cela aussi, une salariée de "Paris Match", aussi indécemment flatteuse.)

Bon, Carla S. déboule, pas maquillée mais belle au naturel, et là, devine quoi ?

"Elle commence à se maquiller seule".

Seule, rends-toi compte !

(Alors qu’Elisabeth Chavelèche aurait tellement aimé lui venir en aide.)

Seule, et : "Tranquillement’.

Et d’autant plus tranquillement, dirais-je, qu’elle n’a : "Nul besoin de glace".

Lors : "Sa poudre, elle l’étale de gestes lents, précis, longuement sur son visage puis son cou".

Elisabeth Chavelèche en est toute retournée : "Comme cela semble simple !"

(N’est-ce pas ?)

Il suffit après ça de "trois petites notes de Rimmel puis un grand coup de sa brosse dorée sur sa fine chevelure", et, hop : "Le tour est joué".

A ce moment-là, ça fait à peine 90 secondes que tu as commencé ta lecture, et tu as déjà retenu que la "Première dame de France" est "belle au naturel", avec sa voix "joliment rauque" et sa "fine chevelure" - cependant que des tulipes roses dansent dans son écrin de verdure.

Naturellement, tu t’inquiètes : à tant allonger sa langue dès le commencement de ses deux pages, Elisabeth Chavelèche va-t-elle tenir toute la distance ?

Pas de panique : elle en a sous le pied.

Elle a commencé doucement, et la voilà qui d’un seul coup te balance du lourd : le chef de l’Etat français himself lui "confie" que "si Carla est devenue une des plus grandes tops mondiales, ce n’est pas simplement parce qu’elle est belle" (au naturel).

Mais parce qu’aussi : "Elle est très intelligente".

Parole d’expert : "C’est une cérébrale qui pense et travaille tous les détails".

Elisabeth Chavelèche, qui a refait sa réserve de salive à la vanille (des îles) pendant que le chef de l’Etat français lui faisait l’article, trouve que c’est : "Bien vu".

Ca dure comme ça pas mal de temps : je te fais grâce, par exemple, du "voyage d’Etat en Angleterre" et de "cette révérence à la Reine qui a fait le tour du monde".

Ce n’est que vers la fin du papier d’Elisabeth Chavelèche que l’impudeur bascule dans l’obscénité absolue, quand la salariée de "Paris Match" observe qu’"en se mariant la belle Italienne a acquis la nationalité française".

Pas "tout de suite", hein ?

Carla S., nonobstant sa fine chevelure, a été, elle aussi, une (presque) sans-papiers.

Elle-même se le rappelle avec un peu d’angoisse : "Cela prend du temps (d’acquérir la nationalité française), même quand on connaît du monde, dit-elle avec malice".

(Hhhhh…)

Tout s’est bien passé, nonobstant - et du coup, accroche-toi : "Désormais, elle n’a plus à aller faire des heures la queue à la Cité - la dernière fois, elle portait son fils Aurélien en kangourou - pour renouveler sa carte de séjour".

Oui.

Je sais.

Je suis comme toi.

Quand je lis ça : je pense, évidemment, aux "clandestin(e)s" que persécute le type que la belle (au naturel) Carla S. "n’appelle, de sa voix joliment rauque, que "mon amour"".

Quand je lis ça : je pense à Baba Traoré, qui lui non plus n’aura plus à faire des heures la queue pour quémander quelque papier, maintenant qu’il est mort dans sa tentative d’échapper aux keufs du régime haineux et revanchard qui traque les "clandestin(e)s".

Quand je lis ça : je sens monter la rage.

(Patience, patience…)

Mais quant à elle, Elisabeth Chavelèche a d’autres préoccupations.

Elle regarde Carla S. qui n’a-plus-à-aller-faire-des-heures-la-queue-à-la-Cité-pour-renouveler-sa-carte-de-séjour, et ça lui inspire cette réflexion : "On a envie de lui demander comment elle garde une ligne aussi impeccable".

(On a envie aussi de lui demander, à Elisabeth Chavelèche, comment elle fait pour lécher de si près sans se luxer le palais mou.)

La conclusion de cette extraordinaire leçon de journalisme est que "la Première de France" aurait "pu devenir une enfant gâtée" - mais que, fort heureusement, "sa sensibilité à fleur de neurones lui donne au contraire la conscience de ses privilèges, et, donc, de ses responsabilités".

Ainsi : "Elle a déjà prévu de verser toutes les royalties de son prochain disque à des associations, dont Les Restos du coeur".

Au fond, Carla et son "amour" se partagent équitablement le boulot : pendant qu’il va chercher au fond des poches des pauvres de quoi mieux gaver ses pansus commanditaires, elle donne la pièce aux crevards que son époux harasse.

L’important est, comme le feule pour finir Elisabeth Chavelèche, "de s’occuper", comme Carla S., "de la misère en France"…

La Mort N’Eblouit Pas Les Yeux Des Partisans