C’est par un entretien constant de leurs plus bas instincts, et de leurs phobies les plus viles, que la droite, on le sait, affermit son règne sur les faibles d’esprit - sur les sot(te)s à front bas qui, recroquevillé(e)s dans leurs cocarderies consanguines, tiennent, depuis la nuit des temps, que si que leurs vies sont des petites vies de merde, c’est la faute à "l’Autre", la faute à celles-et-ceux-qui-ne-sont-pas-comme-nous-m’a-t-on-dit, genre les Maghrébins.
(Ces temps-ci, m’est avis, ça serait plutôt les Maghrébins, mais ça peut encore évoluer, puis dans tous les cas les ressorts conspiratifs du sacrifice de "l’Autre" à la vindicte publique nous sont depuis longtemps connus.)
C’est par l’obsessive désignation de boucs émissaires que la droite maintient son emprise, en épargnant à ses clients hypo-neuronaux l’effort d’une réflexion un peu contrastée, qui par définition est biiiiien au-dessus de leurs tout petits moyens.
Pour le vérifier : lire Le Figaro du vendredi, où un prêcheur de haines recuites, semaine après semaine, exhibe dans son "bloc-notes" ses tristissimes passions.
Aujourd’hui, notamment : il juge (sans rire, car ce gars-là ne rit certes jamais quand il écrit dans Le Figaro) que la crise "détrône les idéologies", et ça le ravit, évidemment, parce que lui, n’est-ce pas, "les idéologies" ?
C’est quelque chose qu’il n’aime pas du tout, du tout, du tout : il exècre, en particulier, celles "de l’Egalité", ou "de la Fraternité".
Lui, naturellement, n’est absolument pas le fidèle servant d’une quelconque idéologie (très) largement dominante, quand il passe au recoin de son homélie hebdomadaire une langue chargée de langoureuse vénération au verso de Sarko, et dit, je cite, que "c’est grâce à la détermination de Nicolas Sarkozy, président de l’Union européenne, qu’un krach boursier semble avoir été évité".
(Considération qui a dû procurer de l’émotion (voire, un début d’érection) à l’homme qui possède Le Figaro, et qui est comme tu sais du même parti que Sarkozy : ainsi est-ce (également) par son insolence que s’authentifie l’iconoclaste.)
Oooooh ben non, alors : de l’idéologie, mais fi, quel vilain mot - non, moi, tu vois, je suis plutôt un Résistant, avec un (très) grand "R", une espèce de héros façon Forces Libres, teuma, c’est moi que je tiens le maquis des Glières de la-pensée-qui-ose contre "l’anticapitalisme", qui est comme tu sais au(x) pouvoir(s) depuis tant de longues décennies et nous impose le joug de son atroce tyrannie, oh non, foutredieu, c’est pas moi que tu verras lové au creux du manche, occupé à lancer de grotesques sermons du fond des pages vendrediques du canard d’un élu régimaire.
Entre ici, Jean Moulin, je te fais une petite place.
Bon, ayant célébré (comme font tous les deux ans les colporteurs libéraux) la fin des "idéologies", le bloc-noteur du Figaro en arrive, tu l’aurais deviné, à la ""Marseillaise" sifflée", qui forcément lui met un gros urticaire aux ergots.
(Tu auras compris qu’au temps que la crise nous fait voir (plutôt que la fin imaginaire des "idéologies") que le capitalisme sent décidément très fort la monumentale enculerie (et que par conséquent les tristes camelots qui depuis des années, de la rue La Boétie à la rue de Solférino, rivalisent dans la promotion du libéralisme nous prennent pour des con(ne)s de catégorie 9) : rien ne vaut, comme dérivatif, pour mieux détourner l’attention de la plèbe harassée de la vilenie de la finance, un bon défoulement collectif à la Dupont Lajoie - et que rien ne vaut, là, de rappeler qu’il y a tout de même bien de la difficulté à vivre dans un monde où vit aussi le Maghrébin "d’origine tunisienne" - fût-il franc(h)isé de quelques générations.
C’est à cette aune, évidemment, que doit se mesurer la démence qui s’est emparée, au lendemain d’une classique soirée de foot professionnel, de la droite régimaire, de la "gauche" des renégats (qui n’en finit plus de compisser la mémoire de Jaurès [1]), et, il va de soi, de leurs médiatiques larbins : tu imagines bien que tous ces fervents laquais du marché, impuissants désormais à dissimuler que la Bourse est une bauge infecte, ont tout de suite vu dans les sifflets du Stade de France l’occasion de jouer à peu de frais aux rodomonts de cour de récré, genre c’est vrai que je suis le paillasson où le trader moyen essuie la merde qu’il a aux pieds, mais vois comment que je soumets le supporteur qui a des origines d’outre-Méditerranée.)
Le prédicateur halluciné du Figaro énonce comme ça que : "Sil faut poursuivre les auteurs du chaos financier, comme le suggère Nicolas Sarkozy, (…) il faut s’intéresser également, dans la foulée, aux errements de l’idéologie immigrationniste, qui est en train de fracturer la nation au nom de la diversité, et, plus prosaïquement, de la pérennité du financement des retraites par répartition".
Le gars, tu l’observes, nous dit là (sans le dire tout à fait, on est quand même précautionneux dans la décomplexion) que des salauds d’immigrés viennent jusque dans nos bras voler, en laids bâtards, l’argent de nos retraites - et cela fait une première salve d’applaudissement du parti pénique, où-on-ne-cesse-de-répéter-que-l’étranger-nous-est-coûteux.
Mais il nous glisse également que tant qu’à y être, mâme Dupont, est-ce qu’on ne pourrait pas envisager aussi d’ester contre les hideux promoteurs des "idéologies (…) de la Fraternité", qui ont fait venir chez nous ces braqueurs basanés ?
Applaudissements, rechef - et du coup, enhardi par ce beau succès d’estime, voilà que pour finir le bloc-noteur brise encore un pesant tabou-de-la-bien-pensance, et demande, haut et fort : "Au fait : pourquoi ne pas retirer la nationalité à ceux qui la rejettent" en sifflant au stade notre bel hymne national ?
(Acclamations frénétiques, hurlements d’hystérie : "Qu’on les jette à la mer !")
Et quant à moi, j’ai une proposition alternative, mais qui en même temps, c’est mon côté consensuel, va bien dans le sens de ce que préconise (pour la survie de notre gloire patriotique) notre si crâne salarié de chez Dassault : je propose qu’on ôte leur nationalité, manifestement usurpée, aux imprécateurs qui, semaine après semaine, salissent de leurs crachats notre fière devise nationale - j’en ai marre de la haine de soi qu’ils nous distillent, comme un poison.
[1] "Je dis que La Marseillaise, la grande Marseillaise de 1792, est toute pleine des idées qu’on dénonce le plus violemment dans L’Internationale. Que signifie, je vous prie, le fameux refrain du "sang impur" ? "Qu’un sang impur abreuve nos sillons !", l’expression est atroce. C’est l’écho d’une parole bien étourdiment cruelle de Barnave. On sait qu’à propos de quelques aristocrates massacrés par le peuple, il s’écria : "Après tout, le sang qui coule est-il donc si pur ?" Propos abominable, car dès que les partis commencent à dire que le sang est impur qui coule dans les veines de leurs adversaires, ils se mettent à le répandre à flots et les révolutions deviennent des boucheries. Mais de quel droit la Révolution flétrissait-elle de ce mot avilissant et barbare tous les peuples, tous les hommes qui combattaient contre elle ?" Jean Jaurès.