Intervention de M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire déconométrie de lÉcole polytechnique.
La question de la fiscalité énergétique pose en filigrane celle du rôle des pouvoirs publics dans léconomie. Quels objectifs est-il légitime de poursuivre à travers une politique de lénergie ? Lesquels sont redevables dune approche fiscale ? Quelle place faut-il accorder à la fonction économique incitative de la fiscalité, en particulier pour internaliser des effets externes ? Historiquement la fiscalité de lénergie sest construite sur des bases assez arbitraires dans le simple but de collecter une ressource fiscale. Il sagissait de trouver une base fiscale régulière et prévisible, dun bon rendement. Aussi, a-t-on abouti, par effet de " sédimentation ", à un ensemble hétérogène et assez complexe. Depuis lors, les rapports de lÉtat avec la société civile se sont modifiés. Le fait du Prince nest plus accepté. On observe une extension des raisonnements économiques appliqués à la fiscalité en termes de contreparties : par exemple, la fiscalité du tabac et de lalcool tend de plus en plus à être justifiée en termes de dépenses collectives et de coûts sociaux à financer. Il y a là un phénomène important qui modifie linterprétation économique des mesures fiscales, notamment au regard des distorsions quon leur attribue. Les contribuables sont devenus plus sensibles aux effets économiques de limpôt. Ils perçoivent mieux que des exemptions discrétionnaires nont pas que des effets distributifs, mais peuvent distordre les signaux économiques ; que la modification arbitraire et imprévue de taux dimposition a des effets économiques néfastes.
Cest dans ce contexte que les objectifs denvironnement, avec le problème de leffet de serre et de la pollution urbaine, sont récemment apparus au nombre des objectifs de la politique énergétique française, à côté de la sécurité dapprovisionnement / indépendance énergétique et de la compétitivité économique. Il y a là un tournant car la nouvelle contrainte environnementale peut conduire à modifier de façon importante les équilibres en place et les bases de calcul de la fiscalité de lénergie.
Des taxes incitatives ?
Lidée de recourir à la taxation pour modifier les comportements est parfois mal comprise. Pourtant la théorie dune taxation incitative, visant à internaliser des effets externes, remonte aux années 20 avec Pigou. Elle repose sur lidée que les comportements des agents sont orientés par les prix, toutes taxes incluses, des biens offerts. La modification de la composante fiscale représente alors une variable daction pour transmettre une information sur les externalités de façon à modifier les comportements des pollueurs dans le sens de lintérêt général. Cette conception bute, dans le domaine de lénergie, sur un paradoxe apparent : si la fiscalité énergétique a été développée, cest en partie parce que la demande dénergie est plus inélastique aux variations de prix que la demande de la plupart des autres biens. Linstrument est-il alors condamné pour modifier les comportements de consommation énergétique ? Le paradoxe nest quapparent car les raisons qui font obstacle à un ajustement de la demande aux variations de prix opposeront des obstacles de force équivalente à dautres modes daction, sans que ces derniers bénéficient des propriétés defficacité de la taxe.
En effet, en fournissant un même repère économique pour une classe dagents (le montant unitaire dune taxe de x francs par tonne de polluants), cet instrument est un levier puissant defficacité économique en induisant de façon décentralisée légalisation des coûts marginaux de réduction des émissions auxquels sont exposés ces agents. Alors quune norme homogène (une réduction des émissions de y% pour tout le monde) impose des coûts très hétérogènes selon les agents et un coût total inutilement élevé pour la collectivité, une taxe permet idéalement de minimiser le coût de contrôle de leffet externe pour la collectivité (voir la figure 1). Cette efficacité est dautant plus appréciable que les agents décentralisés se trouvent dans des situations économiques et technologiques très diverses et que ladministration de tutelle soufre dinsuffisances et dasymétries dinformation, ce qui lempêche de prétendre atteindre loptimum collectif par une démarche administrée.

Avec t = taxe ; Qit, la quantité de dépollution réalisée par lusine i avec la taxe t ; QiN, la quantité de dépollution réalisée par lusine i sous leffet dune norme homogène de réduction N, par exemple 70%, et CMEi le coût marginal dépuration de lusine i.
Figure 1 : Taxe et minimisation du coût total de dépollution
Tous les instruments de politiques, quil sagisse de réglementation ou dinstruments économiques, ont deux grands types deffets : des effets dallocation des biens, qui déterminent lefficacité ou linefficacité économique dune action publique ; des effets distributifs qui touchent à la répartition des revenus. Le débat public sur la fiscalité sintéresse souvent davantage aux effets redistributifs, sources de nombreux blocages politiques, quaux effets allocatifs. Les mesures dexemption et de différentiation des taux, utilisées pour résoudre les problèmes distributifs, peuvent altérer sévèrement les signaux dont dépend lefficacité économique. En fait cest un régime de taxation dans son ensemble quil faut considérer : pas seulement le niveau instantané des taxes mais leur évolution, et la prévisibilité de cette évolution aux yeux des agents ; lincitation à la marge ajustée aux possibilités daction des agents, et pas seulement la recherche de léquilibre des masses financières dans la prise en charge des coûts collectifs, comme lillustrent les insuffisances incitatives de la fiscalité locale relative à la collecte des ordures ménagères ; la remise en cause des dispositions existantes (subventions, exonérations) qui ont un effet inverse à celui visé ; ladoption de mesures complémentaires susceptibles daméliorer la réponse aux prix (R & D, information, réformes réglementaires, investissements publics).
Les économistes utilisent des indicateurs délasticité pour caractériser la réponse de la demande aux prix. Ces élasticités ne sont pas des données immuables, elles dépendent des contextes de concurrence et de la variété de loffre pour satisfaire certaines classes de besoins. On distingue aussi les élasticités de court terme (1 à 3 ans), à équipement donné, et les élasticités de long terme (à 10 ans) qui intègrent le renouvellement de léquipement et le jeu sur le progrès technique (les voitures, les chaudières, ). La demande dénergie est-elle donc totalement insensible aux prix ? Les comparaisons internationales montrent que non. La figure 2 établie à partir de données de lAIE, fait clairement apparaître une corrélation entre le prix des combustibles fossiles et les émissions de gaz carbonique par point de PIB.
Dun point de vue dynamique, la situation nest pas non plus celle dune insensibilité aux prix, même si cette réponse aux prix est plus élevée à long terme quà court terme. Pour les carburants utilisés dans les transports, un survey dune centaine détudes donne pour valeurs centrales une élasticité de -0,3 à court terme, -0,5 à moyen terme (5ans), et -0,8 à long terme (10 ans) (Dahl and Sterner, 1991). Laugmentation des prix des carburants a donc bien un effet sur les flux de transports. Pour lélectricité, on trouve une élasticité comprise entre -0,1 et -0,3 ; la demande y est plus inélastique, ce qui est en phase avec lidée quil sagit dun service public de base.
Lutilisation dun nouvel outil fiscal dans un but incitatif présente a priori un coût économique. Il est utile den clarifier lanalyse économique. Il y a deux composantes. Dun côté, il y a la ressource fiscale prélevée. Lappréciation de cette amputation des revenus dépend des contreparties obtenues par les agents. Les premières sont laccès à des services publics, et dépendent donc de lefficacité de lorganisation de lÉtat pour les fournir. Les secondes prennent la forme dune diminution dautres impôts ou charges collectives, lorsque le nouvel impôt est introduit sous lhypothèse de neutralité budgétaire. Lintérêt dun remaniement de la fiscalité dépend alors du bilan net de lopération du point de vue des distorsions économiques engendrées respectivement par la fiscalité existante et par le nouvel instrument fiscal. Cest dans ce cadre quest apparu le concept de " double dividende " : au dividende " environnemental " dû à leffet incitatif de la nouvelle taxe, sajoute la possibilité de réduire des impôts et prélèvements obligatoires existants qui sont les plus distorsifs économiquement, comme par exemple les charges patronales sur les bas salaires dans un contexte de chômage structurel. Il y a en fait plusieurs dividendes à escompter et pas seulement deux : lamélioration de lenvironnement ; la minimisation du coût direct pour atteindre une performance environnementale donnée ; la réduction de la demande de biens publics complémentaires de lusage de lénergie, demande quil aurait fallu satisfaire au moyen de financements additionnels qui seraient la source de nouvelles distorsions ; la capacité de nettoyage de la fiscalité par une réduction des impôts et charges les plus distorsifs pour léquilibre économique et social du pays. Il convient donc de préciser cette notion de coût de distorsion.
Note : La relation entre l'intensité d'émission de carbone et les prix est ajustée en fonction de la contribution moyenne de l'hydro-électricité et de l'énergie nucléaire à l'énergie primaire totale (HN). Cet ajustement vaut en particulier pour la France, la Norvège, la Suède et la Suisse. La signification de certains codes de pays pouvant paraître obscurs est donnée ci-après : ASL : Australie, OST : Autriche, IRE : Irlande, UKNI : Royaume-Uni, NET Pays-Bas, DEN: Danemark, SWE: Suède, GER: Allemagne, SWI: Suisse, SPA:Espagne.
Source: Estimations fondées sur les données de l'Al E.
Figure 2 : Prix par tonne démissions et intensité démission (en
dollars 1988)
(extrait de Hoeller et Coppel, 1992)
Le coût économique de distorsion dun accroissement de la fiscalité de lénergie
On appelle " coût de distorsion " la perte de bien-être économique engendrée par linstrument fiscal lorsque, au-delà du prélèvement de revenu, il induit de façon non voulue une modification des choix des agents par rapport à ce que seraient leurs arbitrages entre différents biens si les prix reflétaient seulement les raretés relatives. Cela tient au fait que, établis sur une certaine base (la consommation, la valeur ajoutée, la consommation de tel ou tel bien énergétique, etc.), les impôts ne sont pas économiquement neutres. Lévaluation du coût de distorsion dune augmentation de la fiscalité dun bien déjà taxé est très sensible aux hypothèses faites sur lélasticité prix de la demande, et sur le statut économique et la justification de la fiscalité existante.
La figure 3 représente deux fonctions de demande D1 et D2, qui correspondent à deux hypothèses délasticité prix : -0,62 et -0,18, supposant lune une demande élastique et lautre une demande très peu élastique. Le coût économique de distorsion (deadweigh loss cost) induit par la taxation dun bien apparaît quand la taxe est introduite pour des raisons fiscales ou budgétaires générales, et non pour des raisons incitatives ou de couverture dun coût de mise à disposition dun service donné. Le coût en distorsion est a priori mesuré par laire du triangle délimitée par ladaptation de la demande à laugmentation du prix. Partant dun prix Po, la taxe t induit un coût de distorsion égal à laire ABC ou DEC, selon que la fonction de demande est élastique ou peu élastique. On voit que plus la demande est élastique, plus le coût de distorsion dun taux de taxe donné est élevé. Si lon augmente la taxe, en passant de t à t, le coût de distorsion avec la fonction D2 saccroît de façon importante en passant de laire DEC à FBC : une augmentation de taxe dun facteur 3 induit, dans le cas représenté, un accroissement du coût de distorsion dun facteur 9.
Figure 3 : Coût de distorsion en fonction de lélasticité prix
Ce résultat souligne le caractère multiplicatif, et non additif, du coût de distorsion de la fiscalité : plus un bien est déjà taxé, plus lélévation de la taxe induit un coût de distorsion élevé par rapport à ce que seraient les choix des consommateurs si ces derniers étaient exposés aux " vrais " (hors fiscalité à finalité budgétaire) prix des biens.
En revanche si la fiscalité existante est conçue comme le moyen de faire payer aux usagers le coût du service rendu par un accès gratuit à des infrastructures routières urbaines et interurbaines (le carburant étant un bien complémentaire du service rendu, taxer ce bien est en moyenne équivalent à tarifer le service, dès lors que lon délaisse les différences localisées, dans lespace et le temps, du coût de mise à disposition du service), elle ne peut plus être vue comme une source de distorsions mais au contraire comme un moyen de réduire les distorsions que créerait une mise à disposition gratuite dun service qui serait coûteux à offrir : une fiscalité assise sur les carburants fait payer dautant plus lusager quil utilise de façon fréquente le service. Dans ce cas, le coût de distorsion dune nouvelle augmentation de la fiscalité se trouve considérablement réduit par rapport au cas précédent. On trouvera en annexe une illustration chiffrée de ce point sur le cas des carburants dans le secteur des transports en France.
Des difficultés de chiffrage du coût dune taxe sur le carbone
La prise en compte des coûts économiques des distorsions fiscales pèse beaucoup sur lévaluation des coûts des politiques de leffet de serre, comme le montre la valse-hésitation dune évaluation faite en 1992 par deux auteurs américains qui ont acquis une grande influence sur la scène de lexpertise internationale des politiques de leffet de serre, Alan Manne (Stanford University) et Richard Richels (EPRI). Ces deux auteurs avaient entrepris dévaluer les coûts pour les États-Unis de lapplication par leur pays dune mesure de taxation du carbone et de lénergie alors proposée par la Commission européenne aux autres pays de lOCDE. Entre le draft de février 1992 (dans la période de négociation qui a précédé le sommet de Rio), et la version publiée en janvier 1993 (après que le projet décotaxe a été écarté par les Américains et les Japonais), lévaluation du coût pour lEurope a été multipliée par quatre, et limpact sur la compétitivité relative des USA et de lEurope sest trouvé complètement inversé au bénéfice des USA (voir les figures 4 et 5). La différence tient uniquement à lintroduction des coûts de distorsion liés à la fiscalité existante, en supposant que cette fiscalité navait quun but fiscal, et était donc distorsive dès le premier franc. Avec cette hypothèse le coût de distorsion est infiniment plus élevé pour lEurope où lénergie est déjà fortement taxée que pour les USA où elle ne lest pas.
Les pertes en pourcentage du PIB

Figure 4. Le graphe présenté dans le draft de larticle de Manne and Richels de février 1992
Les pertes en pourcentage du PIB
Figure 5. Le graphe présenté dans larticle de Energy Policy de janvier 1993
Les estimations du coût économique de distorsion de la fiscalité donnent une évaluation de la perte de bien-être (variation de surplus) des consommateurs lorsque laccès à un bien devient plus coûteux. Elles nintègrent pas en tant que tels les effets externes négatifs croissants entraînés par le recours accru à des biens responsables datteintes à lenvironnement.
Dès lors que la prise en compte du problème de leffet de serre fait apparaître un nouveau " risque externe ", celui-ci doit être pris en compte par les agents économiques pour rétablir un état économiquement efficace. Cela peut prendre la forme, par exemple, de la détermination dun " prix de précaution " accepté par la collectivité, ce prix servant à déterminer le montant dune nouvelle taxe ou de laugmentation dune taxe existante qui pourrait évoluer en fonction du contenu en émissions de gaz à effet de serre des biens énergétiques. La taxe carbone supplémentaire correspondante viserait à ajuster les comportements de façon à atteindre une allocation efficace de leffort de maîtrise des émissions en rapport avec ce prix de précaution (600 F/tC par exemple).
Il existe deux raisonnements pour déterminer la valeur de la taxe à retenir. Dans un univers stabilisé et non contraint par des engagements politiques particuliers, où il serait possible de procéder à une analyse détaillée des dommages à éviter, ce prix doit rendre égaux le dommage marginal et le coût marginal dévitement du dommage à loptimum. Si ces dommages ne peuvent être évalués que de façon assez incertaine, lévaluation doit en outre prendre en compte lincertitude au moment du choix (coefficient daversion au risque) ainsi que les perspectives damélioration de linformation (valeur doption) compte tenu de linertie des trajectoires démission et des facteurs de réversibilité faible ou forte des déterminants de ces émissions. Dans un univers encore très incertain et scientifiquement peu stabilisé, ayant cependant débouché sur des engagements politiques comprenant un rationnement quantitatif, ce qui est le cas du protocole de Kyoto pour les pays industriels, la méthode de détermination de la valeur de la taxe doit être différente, si les autorités nentendent pas faire un large recours aux mécanismes déchange international de quotas prévus par ce protocole : en fonction du théorème de dualité, la taxe doit être telle quelle induise le respect de la contrainte quantifiée fixée. Si, en plus, les pouvoirs publics entendent mener des politiques sectorielles spécifiques sur la base des évolutions anticipées pour les émissions de chaque grand secteur, les valeurs de taxation permettant datteindre des objectifs quantitatifs sectoriels peuvent être différenciées dun secteur à lautre en fonction dune part de lobjectif sectoriel retenu (par exemple +5 ou -5 % par rapport aux émissions du secteur en 1990, ou -10 à 20 % des émissions dune trajectoire non contrainte en 2020), et dautre part de lélasticité prix de la demande caractéristique des différents secteurs.
Si lon prend comme référence le scénario S2 de lexercice de prospective " Énergie 2010-2020 " du CGP, les émissions de CO2 du transport augmentent de 36 % de 1990 à 2010 (voir le tableau 1). Si lon veut que ces émissions naugmentent finalement que de 0 % dans ce secteur pour respecter de façon absolue le quota attribué à la France, et quon retient une valeur de lélasticité prix plutôt haute (-0,62), et que lessentiel de ladaptation est attendu de leffet prix, cest alors une augmentation de 58 % du prix TTC des carburants pour les usagers finals quil faudrait envisager. Cest donc de façon pertinente que lexercice de simulation présenté en annexe considère une hypothèse daugmentation de ce prix de 50 % pour les carburants. Lalternative serait de fonder laugmentation de la fiscalité sur une valeur de la tonne de carbone calculée en fonction du " prix de précaution " pour la France. Cette solution induirait une augmentation beaucoup plus modeste du prix des carburants (une cinquantaine de centimes ?), mais ne permettrait pas de contenir les émissions dans lenveloppe physique postulée. Il serait alors économiquement rationnel de recourir aux échanges internationaux de quotas démission pour le solde à couvrir, puisquon éviterait ainsi que le coût marginal de la tonne de carbone non émise en France soit par trop éloigné de la valeur internationale du permis démission de la même tonne.
Tableau 1 : Les émissions de CO2 dorigine énergétique en France en 2010 et 2020
| Année | Secteurs en % sauf total |
Émissions de CO2 | |||||
| 1990 | Industrie | 30,8 % | |||||
| Résid./tertiaire | 28,7 % | ||||||
| Transports | 38 % | ||||||
| Total (MtC) | 104,5 | ||||||
| 2010 | Scénarios | Société de marché (S1) | État industriel (S2) |
État protecteur de lenvironnement (S3) | |||
| Industrie | 25,4 % | 24,9 % | 21,2 % | ||||
| Résid./tertiaire | 28,7 % | 27,5 % | 30,6 % | ||||
| Transports | 43,9 % | 45,4 % | 45,6 % | ||||
| Total (MtC) | 131,1 | 119 | 101,4 | ||||
| 2020 | V40 | V30 | V40 | V30 | V40 | V30 | |
| Industrie | 23,2 % | 24,6 % | 23,2 % | 23,1 % | 21,8 % | 23,3 % | |
| Résid./tertiaire | 28,8 % | 35,5 % | 27,4 % | 27,6 % | 29,6 % | 30,1 % | |
| Transports | 46,1 % | 38,4 % | 47,3 % | 47,2 % | 46,1 % | 44,1 % | |
| Total (MtC) | 150,2 | 180,7 | 131,5 | 131,8 | 106,1 | 111,0 | |
Source : Commissariat général du Plan (1998)
Total des émissions directes et indirectes, après imputation des émissions de la production primaire au prorata des consommations délectricité et de produits pétroliers raffinés
Les scénarios " Société de marché S1 ", " État industriel S2 ", " État protecteur de lenvironnement S3 " correspondent à trois évolutions possibles de la société française à lintérieur desquelles les évolutions et choix énergétiques prennent place. Les variantes V40 et V30 correspondent à deux hypothèses de durée de vie des centrales nucléaires du parc existant : quarante ou trente ans. Dans S1-V30 les centrales nucléaires sont remplacées par des turbines à gaz à cycle combiné, même pour la production délectricité en base, doù une forte croissance des émissions de CO
2. Seul le scénario S3, non tendanciel, apparaît compatible avec une stabilisation en 2010 des émissions de CO2 sur le seul territoire français. Il continue à reposer principalement sur la filière nucléaire pour la production électrique dans les deux variantes V30 et V40.Conclusion
La fiscalité énergétique peut jouer un rôle majeur, au côté dautres instruments, dans une politique de leffet de serre. Plus généralement elle peut être un puissant levier defficacité économique dans lemploi de lénergie dans le cadre des grands objectifs de la collectivité. Encore faut-il réexaminer nombre de dispositions existantes, qui nont pas ou plus de justifications économiques.
Ainsi, tous les experts saccordent pour ne trouver aucune justification sanitaire ou économique valable au différentiel de taxation du gazole par rapport au supercarburant qui persiste en France. De même labsence de taxation du gaz naturel pour lusage domestique, alors que le gaz est taxé pour les usages industriels et lélectricité pour lusage domestique, ou labsence totale de taxation du charbon, malgré leurs émissions de CO2 ne sont guère justifiables. Quant à la taxation des produits pétroliers, FOL et FOD, elle devrait être multipliée au moins par 3 pour prendre en compte le seul aspect CO2 et par 8 si lon voulait internaliser tous les effets environnementaux.
De telles augmentations ne peuvent pas être introduites du jour au lendemain et posent de façon générale le problème de la méthode à recommander aux pouvoirs publics pour lintroduction de changements significatifs dans les instruments de leur politique. Très peu dacteurs qui participent au processus délaboration dune politique portent un intérêt à lefficacité économique per se. La plupart sont amenés à vouloir ou refuser une réforme en fonction de la capacité ou de lincapacité quils attribuent à cette réforme de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés ou dont ils ont la perception. Plaider en faveur dune réforme à partir du seul argument de lefficacité économique aura généralement un faible pouvoir dentraînement. Pour avoir quelque chance de succès, il faut donc aller au-delà : concevoir la réforme de telle manière quelle permette à une majorité dacteurs stratégiques de pouvoir améliorer la gestion des problèmes qui sont les leurs. Telle est ainsi la signification politique des stratégies de " double dividende " que de permettre détablir un lien entre des préoccupations à très long terme (le climat planétaire) et des préoccupations beaucoup plus immédiates (lutte contre le chômage, soutien de la croissance) de notre société.
Références bibliographiques
Commissariat général du Plan (1998), Rapport final de lAtelier " Trois scénarios énergétiques pour la France ", septembre.
Dahl, C. and Sterner, T. (1991).- " Analysing gasoline demand elasticities : a survey ", Energy Economics, July, pp. 203-210.
Hoeller, P. et Coppel, J. (1992), " La fiscalité de lénergie et les distorsions de prix sur les marchés des combustibles fossiles : conséquences possibles sur les politiques concernant le changement climatique ", in OCDE.- Le changement climatique : concevoir un système pratique de taxes.
Manne, A. and Richels, R. (1992).- The E.C. Proposal for Combining Carbon and Energy Taxes The implications for Future CO2 Emissions. Draft. EPRI & Stanford University, February 24.
Manne, A. and Richels, R. (1993).- " The E.C. Proposal for Combining Carbon and Energy Taxes. The implications for Future CO2 Emissions ", Energy Policy, January, pp. 5-12.
Une illustration du coût de distorsion fiscale dune augmentation de la taxation des carburants en France
Il sagit ici dune simulation à caractère illustratif et, quoique les chiffres utilisés en entrée soient globalement réalistes par rapport aux prix et quantités de carburants en France, ils ne peuvent pas être pris pour une véritable évaluation. La formule utilisée est théoriquement valide pour une fonction de " demande compensée ", qui suppose la neutralisation de leffet revenu résultant de laugmentation de la taxe, pour des changements au voisinage des valeurs observables, et non pas a priori pour des changements amples comme ceux qui sont simulés ici. Une telle application ne serait rigoureusement valide que pour une hypothèse, discutable, délasticité prix constante pour lensemble des valeurs possibles de la taxe.
Formule : q = (t/p)²*ed*p*q/2
t : montant de la taxe, p : prix hors taxes
ed : élasticité prix de la demande
q : quantité déquilibre avant taxe
Hypothèses communes :
Scénarios :
q 11 = (0,5)² * 0,62 * 6 *
11,25 Mds = 10,46 Mds F.
q 12 = (0,5)² * 0,18 * 6 * 11,25 Mds = 3
Mds F.
a) Coût de distorsion de la fiscalité existante
q e21 = (4,8/1,2)² * 0,62 * 1,2 * 16,9 Mds = 201,18 Mds F.
q e22 = (4,8/1,2)² * 0,18 * 1,2 * 12,85 Mds = 44,4 Mds F.b) Coût de distorsion totale de la fiscalité après augmentation
q t21 = (7,8/1,2)² * 0,62 * 1,2 * 16,9 Mds = 531,23 Mds F.
q t22 = (7,8/1,2)² * 0,18 * 1,2 * 12,85 Mds = 117,26 Mds F.c) Coût de distorsion additionnelle nette
q n21 = q t21 - q e21 = 531,23 201,18 = 330,05 Mds F.
q n22 = q t22 - q e22 = 117,26 44,40 = 72,86 Mds F.
Gain fiscal de laugmentation de la fiscalité :
1°) Avec une demande élastique (ed 1 = -0,62)
G1 = 22,5[7,8 (1- 0,62 * 0,5) 4,8] = 22,5 (0,582) = 13,09 Mds F.
2°) Avec une demande peu élastique (ed 2 = -0,18)
G2 = 22,5[7,8 (1- 0,18 * 0,5) 4,8] = 22,5 (2,298) = 51,7 Mds F.
Tableau récapitulatif :
| En Mds de F | GAIN FISCAL | COÛT DE DISTORSION NETTE SCÉNARIO 1 |
COÛT DE DISTORSION NETTE SCÉNARIO 2 |
| Demande élastique |
13,09 | 10,46 | 330,05 |
| Demande peu élastique |
51,70 | 3 | 72,86 |
Ainsi, le coût de distorsion entraîné par une augmentation de 50 % du prix TTC des carburants, soit 62,5 % de la fiscalité existante, peut aller dans un rapport de 1 à 3,5 et 4,5 respectivement selon que la demande est élastique ou inélastique. Surtout, si la fiscalité existante est jugée non distorsive, car reflétant le coût économique de mise à disposition des infrastructures de transport routier, le coût de distorsion dune nouvelle taxe sen trouve réduit dans une proportion absolument considérable : dun facteur 30 pour une demande élastique et dun facteur 25 pour une demande peu élastique. On comprend lintérêt économique quil y a à concevoir la fiscalité comme la contrepartie économique de coûts collectifs attachés à certains services et à recalibrer les impôts existants sur lénergie en fonction de raisonnements économiques et non plus seulement fiscaux.
Intervention de M. Dominique Bureau, Conseiller scientifique au Conseil d'analyse
économique, Services du Premier ministre.
M. Bureau indique tout dabord que le Conseil dAnalyse Économique est un " panel " pluraliste. Il ne sexprime donc quà titre personnel.
En introduction, il rappelle que la fiscalité de lénergie représente une ressource de 150 milliards de francs, soit environ 10 % des recettes de lÉtat ou la moitié de limpôt sur le revenu. La fiscalité des carburants constitue donc un enjeu considérable. Dans le passé, on la utilisée pour poursuivre un très grand nombre dobjectifs : rentrées fiscales, encouragement de certaines formes dénergie, découragement dautres jugées polluantes, sécurité dapprovisionnement, compétitivité économique, allégement la contrainte extérieure. Lobjet de ce commentaire est de préciser larticulation et de hiérarchiser ces objectifs dans le cadre actuel.
Lorientation proposée ci-après valide lapproche dOlivier Godard, qui a mis au premier plan " linternalisation " des dommages associés à lutilisation des combustibles fossiles. La seconde partie de lexposé revient sur larticulation entre cet objectif principal et dautres aspects : effets redistributifs et budgétaires ; enjeux de concurrence et pour la compétitivité.
1 - Fiscalité énergétique et externalités
Celles-ci sont de deux ordres :
La fiscalité doit être incitative grâce à un bon signal prix et responsabiliser les acteurs tout en leur laissant toute marge de manuvre pour sadapter. Comme la bien expliqué Olivier Godard, la fiscalité utilisée à des fins environnementales constitue un moyen dobtenir un objectif de protection donné à un moindre coût, contrairement aux normes. En particulier, on est sûr en effet que les coûts de protection à la marge ne dépasseront pas le montant de la taxe. Cet élément est essentiel en matière de protection vis à vis de leffet de serre, car la France étant un pays où leffort de protection est initialement élevé, il importe que les coûts des efforts nouveaux soit contenu. Ce nest donc pas une logique daffectation ou de rationnement. Par ailleurs, M. Bureau est en accord avec Olivier Godard sur les élasticités de -0,3 à -0,8 pour les carburants en France.
La taxation des carburants en France reste supérieure aux minima communautaires. Si, pour les transports interurbains, le coût du super sans plomb paraît acceptable, le différentiel gazole/supercarburant est injustifié. Plus précisément, on trouve dans la documentation sur ces questions la répartition suivante des coûts et recettes des effets associés aux transports interurbains, en milliards de francs 1990 (estimations de M. Cohen de Lara, sur la base des conventions du rapport Boiteux) :
Coûts :
| Catégorie | Infrastructure | Insécurité | Pollution locale | Effet de serre | Total |
| Poids lourds | 25,3 | 3,8 | 10,9 | 2,5 | 42,2 |
| Véhicules routiers | 41,4 | 45,4 | 25,9 | 9,9 | 122,6 |
Recettes :
| Catégorie | Péages | TIPP | Taxes assurance | Taxe à lessieu | Vignette | Total |
| Poids lourds | 3,9 | 11,6 | 0,4 | 0,5 | 0,3 | 16,7 |
| Véhicules routiers | 9,7 | 78,3 | 3,8 | - | 9,4 | 101,2 |
Avant prise en compte des engagements pris récemment en matière de changement climatique, on pouvait penser que le niveau de la fiscalité pour le super sans plomb était satisfaisant. Laccord de Kyoto change la donne car il manifeste un engagement à véritablement mettre en uvre un approche de précaution en ce domaine.
Sous réserve dun prix du pétrole pas trop bas, les évolutions tendancielles de la structure productive, notamment sa tertiairisation, conduisent en effet à retenir une baisse de 1 % par an de lintensité énergétique. De manière grossière, la stabilisation des émissions de GES suppose donc de combler lécart entre ce chiffre et la croissance économique, sachant quà lhorizon 2010, loffre nucléaire demeurera essentiellement déterminée par le parc existant. La maîtrise des consommations industrielles peut y contribuer, mais ce sont progressivement les transports qui deviennent lélément critique, ceux-ci constituant la partie la plus dynamique de lévolution des émissions. Dans le mesure où leur élasticité prix est bien documentée, la fiscalité a ici un rôle essentiel à jouer. Elle na pas véritablement de substitut, car les normes sur les consommations unitaires des automobiles engendrent des surcoûts et ont des limites. Il faut agir aussi sur lutilisation des véhicules. On ne peut donc plus en rester à lidée quen ce domaine cest seulement le différentiel gazole-super quil faut corriger.
Dès lors il faut envisager un accroissement progressif de la fiscalité sur les tous les combustibles fossiles. Suivant les modèles " lécotaxe " correspondante pourrait être de 500 F/t à lhorizon 2005. A cet égard, M. Bureau partage linsistance mise par Olivier Godard sur le fait que ce montant sera dautant plus faible que le France utilisera bien les mécanismes de flexibilité. Il juge en revanche quil ne faut pas exagérer le montant de relèvement des accises nécessaire. Lexpérience du marché des permis pour le SO2 aux États-Unis et celle des écotaxes nordiques suggèrent que lon sous estime toujours les élasticités.
2 - Articulation avec les autres objectifs
Selon lancienne théorie fiscale (Ramsay, Boiteux,...), il faudrait dautant plus taxer un produit que sa demande est inélastique. Ce principe peut sembler avoir été appliqué pour les carburants. Il faut toutefois observer quen théorie ceci doit être pondéré par les enjeux redistributifs, un bien de première nécessité devant être naturellement moins taxé. Si lon adopte cette approche le problème devient complexe car lobservation de la part des consommations énergétiques dans la consommation suggère une régressivité de cette fiscalité ; plus forte pour les usages résidentiels (chauffage) que pour les carburants.
Heureusement la théorie moderne simplifie le problème en soulignant que la fiscalité différenciée sur les biens nest justifiée à des fins de financement et de redistribution que si elle permet datteindre des objectifs que lon ne peut réaliser avec les instruments généraux, taxation du revenu (et transferts) notamment. En première approximation, le seul argument véritablement pertinent pour justifier les accises est donc celui des externalités évoqué ci-dessus. Comme il justifie les niveaux actuels, et un certain relèvement de ceux-ci, il apparaît inutile de compliquer le problème en évoquant des objectifs dont lanalyse est en fait très délicate.
Dans le passé, la taxation de lénergie a obéi à des objectifs macro-économiques stratégiques : améliorer les termes de léchange et diminuer la rente pétrolière après les chocs pétroliers. La réflexion sur limpact de la fiscalité énergétique en termes de compétitivité évolue cependant. Trois éléments sont ici à considérer :
3 - En conclusion
Dans le cadre de la lutte contre leffet de serre, il apparaît que la France a tout intérêt à taxer lénergie puisque cest linstrument qui minimise les coûts. Dans la présentation il faut éviter de faire penser aux autres pays européens que la France ne cherche toujours quà protéger ses exportations délectricité dorigine nucléaire. Finalement lintroduction dune taxe CO2 ou CO2-énergie devrait être entreprise avec le souci de refléter les externalités et de ne pas créer de distorsion concurrentielle. Une approche fiscale pour la France consisterait ainsi, à relever de façon générale mais modérément et progressivement la fiscalité sur les combustibles fossiles avec en contrepartie, une baisse des charges salariales sur les bas salaires. Cest lidée du double dividende. Mais il ny a là pas de miracle si ce nest :
le constat de deux distorsions concomitantes dans notre fiscalité : besoin dintégrer la politique de précaution vis à vis du changement climatique dun côté ; taxation excessive du travail non qualifié de lautre, alors même que la tendance de la demande pour celui-ci est défavorable et quelle dépend fortement de son coût pour les entreprises.
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, 19/05/1999