Les nouveaux maîtres du monde |
La première révolution industrielle, celle liée aux biens d'équipement qui ont offert le soubassement nécessaire à la prospérité des pays industriels, devait beaucoup à l'acier, et à l'énergie. C'est ainsi que le comité des forges a été longtemps le symbole de la puissance, que les grands pays mesuraient leur puissance en tonnes d'acier et de charbon, que la CECA, faite pour éviter les conflits fratricides intra-européens, mettait en commun la gestion de tels biens, que l'UIMM reste la première fédération patronale avec un rôle majeur au sein de l'industrie française. On l'avait un peu oublié, jusqu'à ce que surgisse, venant des pays d'Asie qui en sont à s'équiper, la Chine et l'Inde, le boom sur la demande d'acier. Celui-ci a gonflé les ressources des principaux groupes, et relancé, à côté d'une croissance endogène portée par l'innovation, dont Arcelor est un des modèles importants, la croissance par fusions et acquisitions.
La compétition entre Arcelor et Thyssen, 2è et 10è groupes mondiaux, pour Dofasco, vient de conduire à un rebond inattendu, avec la tentative d'OPA du groupe Mittal, devenu premier mondial en 2005. Construit par son dirigeant à marches forcées, au prix de fusions et acquisitions dont les plus récentes n'ont pas montré une très grande douceur quant aux restructurations qui s'ensuivaient (annonce de 45.000 emplois supprimés d'ici 2010 à la suite de l'achat américain), c'est un groupe très différent par sa stratégie et son patrimoine de ce à quoi sont habitués les Européens : 88% du capital est détenu par son dirigeant, la troisième fortune du monde. Et le produit qui pourrait résulter de sa démarche, portant simultanément sur un partenariat chinois, et européen, conduirait à un empire représentant 12% de la production mondiale (10% hors partenariat chinois), très loin devant Nippon Steel.
Cette opération, illustration du retour des grandes OPA, va mettre en compétition plusieurs systèmes de valeur : une décision autonome ou plus collégiale, une répartition du capital associant un grand nombre de partenaires et de salariés, ou au contraire très concentrée, une croissance plus fondée sur l'endogène, l'innovation, ou davantage sur la croissance externe. Elle va aussi mettre en jeu des intérêts stratégiques majeurs : si l'Europe, et la France, ont un solde commercial majeur dans l'automobile, dans l'aérospatial, dans le nucléaire, (y compris dans des domaines de souveraineté) et disposent de techniques de forage d'excellence mondiale, c'est lié pour partie à sa compétence sidérurgique, dans un cadre fortement concurrentiel. L'évolution de pôles de décision vers l'Asie pourrait avoir des impacts qui excèdent la seule sidérurgie.
C'est dans ce cadre que la tentative d'OPA a fait l'objet hier d'un rejet unanime du conseil d'Arcelor. Elle ouvre une période qui sera nécessairement mouvementée, et où la cohésion européenne jouera un rôle majeur dans l'issue.
G.