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Intervention du Premier ministre lors des secondes Assises parlementaires de l'internet - Assemblée nationale, 10 octobre 2000 -
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de participer cet après-midi à ces secondes Assises parlementaires de l'internet. Je tiens à remercier chaleureusement pour son invitation le Président de l'Assemblée nationale, Raymond FORNI, qui a accueilli votre rencontre et introduit vos débats. Je voudrais également témoigner ma reconnaissance aux organisateurs de ces Assises, au premier rang desquels Christian PAUL, depuis peu secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, et Patrick BLOCHE, député de Paris, que je remercie pour sa synthèse. Ces Assises soulignent une nouvelle fois l'intérêt de la Représentation nationale pour les technologies de l'information et pour leurs conséquences sur notre société. Vos débats ont été riches et fructueux. Vous allez les poursuivre. Ils continueront à éclairer la politique du Gouvernement qui, depuis trois ans, a cherché de façon volontariste à promouvoir le développement de la société de l'information. Ce développement, nous le voulons puissant et libre, mais également respectueux de règles. Dans cet esprit, j'évoquerai devant vous trois valeurs essentielles qui sont aussi trois questions importantes pour l'avenir du réseau : la sécurité, la solidarité et la démocratie.
La première priorité du Gouvernement consiste à garantir la sécurité du fonctionnement de l'internet.Nous avons réalisé plusieurs avancées importantes concernant la sécurité des échanges sur les réseaux d'information. Nous devons par exemple faire face au risque que constitue l'espionnage électronique, une menace qui ne cesse de progresser. Dès janvier 1999, nous avons décidé la liberté d'utilisation de la cryptologie : elle s'est déjà traduite par un relèvement du seuil d'utilisation de 40 à 128 bits et sera prochainement complétée par une disposition législative
supprimant toute limitation en la matière. Par ailleurs, la loi du 13 mars 2000 a permis de franchir une étape significative dans l'adaptation de notre droit en inscrivant, au sein de notre code civil, la reconnaissance de l'écrit et de la signature électroniques.
D'autres textes sont en préparation. Le projet de loi transposant la directive de 1995 relative aux données personnelles a été transmis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Celles-ci viennent d'adresser leur avis au Gouvernement. Enfin, le projet de loi sur la société de l'information, actuellement en fin de préparation, sera transmis au Parlement au début de 2001.
Pour mettre en oeuvre une politique de prévention et de répression efficaces de la " cybercriminalité ", nous devons adapter les moyens d'action des services de l'Etat. Le décret instaurant l'Office central de lutte contre la criminalité aux technologies de l'information a été publié le 16 mai 2000. Nous avons également créé, au sein du Secrétariat général de la défense nationale, un centre de réaction qui devra faire face aux attaques contre les réseaux informatiques des administrations.
En adaptant notre droit aux nouvelles technologies, nous cherchons à réguler de façon sûre le fonctionnement du réseau. Mais cet objectif important n'épuise pas notre ambition.
Nous voulons en effet construire une société de l'information solidaire.
L'internet peut jouer un rôle important dans le partage des connaissances. La condition pour qu'il remplisse ce rôle, c'est que son accès soit aussi large et aisé que possible. Trop nombreux sont nos concitoyens qui ne disposent pas encore d'un accès aux nouvelles technologies. Si rien n'était fait pour corriger cette tendance, l'internet risquerait de renforcer certaines inégalités culturelles et sociales alors qu'il pourrait devenir l'instrument d'une meilleure
diffusion du savoir. C'est pourquoi le Gouvernement s'attache à démocratiser l'accès au réseau et à rendre son fonctionnement plus solidaire. Cette démocratisation représente aujourd'hui l'une des formes de la justice sociale.
Nous devons d'abord veiller, au plan mondial, à cette exigence de solidarité. L'internet ne doit pas aggraver le fossé qui sépare déjà le Nord du Sud, les régions industrialisées des régions en retard de développement. Celles-ci sont trop souvent privées d'accès aux réseaux d'information. Je pense aux milliards d'individus —quatre êtres humains sur cinq— qui ne disposent toujours pas des moyens de télécommunication de base. Parce qu'elle est soucieuse de réduire
ces inégalités, la France a décidé de contribuer, en 2001, à hauteur de 23 millions de francs, au fonds francophone des inforoutes qui permet de soutenir de nombreux projets dans des pays en développement.
Mais l'Europe tout entière aussi doit se montrer plus solidaire. Au niveau communautaire, nous devrons envisager des mesures concrètes afin d'intégrer cette priorité dans la dynamique du plan d'action e-europe, lancé sous notre Présidence. Par l'intermédiaire de M. Charles JOSSELIN, ministre délégué à la Coopération, la France proposera prochainement à la Commission européenne d'inscrire la lutte contre les inégalités entre le Nord et le Sud parmi les priorités de
l'aide au développement, à laquelle l'Union européenne consacre des moyens importants.
Ces déséquilibres mondiaux ne doivent pas pour autant nous faire oublier le risque de voir se creuser le " fossé numérique " dans notre pays même. L'un des champs dans lequel il est urgent de réduire ce fossé est celui de la lutte contre le chômage. C'est dans cet esprit que le Gouvernement entend généraliser, à tous les niveaux de la formation professionnelle, l'initiation à l'informatique, au multimédia et à l'internet. Ce programme doit notamment aider
les chômeurs à retrouver un emploi. Nous voulons que d'ici à la fin de 2002, 1,2 million de demandeurs d'emploi puissent bénéficier, au sein des stages qui leur sont proposés, de modules de formation leur permettant de se familiariser avec ces nouveaux outils.
La lutte contre ces disparités constitue l'objectif essentiel des mesures prises depuis trois ans par le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information.
Ces mesures destinées à favoriser l'accès au réseau impliquent que priorité soit donnée à l'éducation. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé un important ensemble de mesures. Outre la création d'un " brevet internet et multimédia " à l'école, l'Etat consacrera 365 millions de francs sur trois ans à l'équipement et au raccordement des écoles primaires. Plus généralement, l'internet doit contribuer à l'insertion professionnelle des jeunes. Le Gouvernement allouera ainsi 10 millions de francs aux Centres de Formation des Apprentis des Chambres de métiers et contribuera à hauteur de 50 % à l'achat de 10 micro-ordinateurs par Centre. Enfin, dans le cadre de la réhabilitation des locaux que prévoit le programme " Universités du troisième millénaire ", les 150.000 chambres d'étudiants des cités universitaires seront équipées d'un accès à haut débit.
De plus, et toujours dans le souci de démocratiser l'accès au réseau, plus de 7.000 lieux publics permettront d'ici 2003 un accès à l'internet, en particulier dans les bibliothèques publiques, les bureaux de poste, les agences pour l'emploi et les centres d'information destinés à la jeunesse. Parmi ces 7.000 lieux publics, 2.500 espaces publics numériques permettront d'ajouter à la découverte de l'outil une initiation gratuite au multimédia, sous la forme d'un " passeport pour l'internet et le multimédia ", grâce à la mobilisation de 4.000 emplois-jeunes. Le mouvement associatif bénéficiera également d'un soutien spécifique pour son équipement.Il y a moins d'un mois, le 12 septembre dernier, une autre avancée est intervenue avec la publication du décret sur le " dégroupage " de la boucle locale. Ce texte, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2001, permettra aux opérateurs de proposer à un moindre coût un accès de meilleur débit à l'internet.
En se généralisant, l'internet ouvre aussi de nouvelles perspectives pour notre démocratie.
Récemment, un débat s'est engagé sur l'apport des technologies de l'information à l'organisation des élections. En témoigne notamment l'intérêt suscité par le vote électronique à distance que permettrait l'internet. Les enjeux démocratiques sous-jacents à ce débat ne manquent pas : comment garantir l'intégrité du processus électoral et le secret du vote ? Et comment, alors que la grande majorité de nos concitoyens n'ont pas encore accès à l'internet, accepter que soit remise en cause l'égalité devant le suffrage ?
Cette nécessaire prudence n'implique pas pour autant que l'organisation administrative et matérielle des élections soit immuable. En amont et en aval du scrutin, grâce à la gestion informatique des fichiers d'électeurs et à l'utilisation des réseaux électroniques qui transmettent les résultats, l'évolution technologique du processus électoral est déjà une réalité. Le Gouvernement a décidé l'inscription automatique des jeunes sur les listes électorales, et cette mesure, effective depuis 1998, s'est appuyée sur l'informatique. Les machines électroniques à voter, disposées dans l'isoloir, nous offrent de nouvelles possibilités pour accélérer la disponibilité des résultats et supprimer les erreurs qui surviennent parfois lors du dépouillement. Néanmoins, la mise en oeuvre de ces auxiliaires techniques soulève des difficultés réelles. En ce moment même, plusieurs expérimentations sont en cours dans notre pays. C'est pourquoi je voudrais réaffirmer ici mon intérêt pour la proposition, formulée il y a quelques jours, d'une mission d'étude parlementaire qui permette d'examiner globalement la question du vote électronique.
Une démocratie vivante s'appuie sur un débat public vigoureux et sur une participation collective à l'élaboration de nos projets communs. Désormais, grâce à l'internet, chacun a, potentiellement, les moyens de publier ses opinions sans aucun intermédiaire. C'est l'une des ruptures les plus importantes que cet outil technologique a introduites dans notre vie de tous les jours. De nouveaux champs s'ouvrent à " la libre communication des pensées et des opinions ", l'" un des droits les plus précieux de l'Homme ", comme le proclame depuis 1789 la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est même possible de mesurer cette rupture : le nombre de sites internet français dits " personnels ", c'est-à-dire ne relevant ni d'un organisme public ni d'une entreprise, est passé de 500.000 en 1999 à plus de 750.000 cette année. Le fait que ce chiffre soit le plus élevé d'Europe témoigne, s'il en était besoin, de la vitalité de l'internet citoyen dans notre pays.
L'internet —de nombreux exemples récents nous l'ont montré— peut faciliter l'activité des associations et des organisations politiques et syndicales. Lorsqu'on l'utilise pour instaurer un dialogue entre les citoyens et les institutions, il contribue à l'émergence d'une démocratie plus participative. Ces consultations de citoyens, qui ont suscité un vif intérêt, ont porté sur l'élaboration de rapports publics, sur la préparation du projet de loi pour la société de l'information ou, dernièrement, sur un projet de décret. Ces consultations ont aussi concouru de manière concrète à la modernisation du service public, à l'exemple du nouveau portail internet de l'administration " service-public.fr ", qui sera lancé à la fin du mois d'octobre et dont l'élaboration s'est appuyée sur plus de 2.400 contributions d'usagers en ligne. De leur côté, les parlementaires ont souhaité à de nombreuses reprises s'appuyer sur l'internet afin d'élargir leurs consultations. Grâce à elles, le processus délibératif qui précède toute décision publique a été incontestablement amélioré.
D'autres démarches particulièrement adaptées aux spécificités de l'internet peuvent également s'envisager. C'est le sens des propositions contenues dans le rapport que le député Christian PAUL m'a remis au début de l'été. Il propose la création d'une association qu'il a baptisée " forum des droits sur l'internet ". Le Gouvernement a décidé de donner suite à sa proposition. Cette association sera destinée à améliorer l'information du public et ouvrira un espace de dialogue et de réflexion pour tous les acteurs de l'internet. Plusieurs points devront être précisés, en particulier pour ce qui concerne la désignation des membres de cette association ou son mode de fonctionnement. Elle devra en particulier associer étroitement les trois autorités administratives indépendantes concernées au premier chef par l'internet, c'est-à-dire le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'Autorité de régulation des télécommunications et la CNIL.
Toutes ces avancées permettent de prendre la mesure de la réflexion engagée par le Gouvernement. Pourtant, nous devons encore étendre le recours à l'internet pour en faire un véritable outil au service de la démocratie. L'internet doit contribuer aux exigences de transparence d'une démocratie adulte. Il peut le faire principalement en facilitant l'accès à l'information publique. L'expérience d'une consultation en ligne, sur le projet de décret d'application de la loi du 13 mars 2000 relative à la signature électronique, s'est révélée très positive. Elle nous conduit à envisager la multiplication d'opérations analogues, en particulier sur les textes présentant des difficultés techniques pour lesquels l'administration peut avoir du mal à rassembler tous les éléments d'information nécessaires. Dans le cas précis de ce décret, les documents mis en ligne ont été consultés plus de 15.000 fois et les 120 contributions électroniques que nous avons reçues (contre moins d'une dizaine sur papier) ont permis d'améliorer notablement la qualité du texte.
Nous devons surtout utiliser l'internet afin d'améliorer la consultation des citoyens, avant même que les décisions soient prises. C'est ainsi que d'ici le milieu de 2001, les enquêtes publiques de l'Etat seront publiées par voie numérique. Les dossiers de consultation publique seront également mis en ligne chaque fois que ce sera techniquement possible. Les citoyens, eux, pourront communiquer leurs observations au commissaire enquêteur par courrier électronique.
La diffusion gratuite des données publiques essentielles sur l'internet, que nous avons décidée lors du lancement du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, permet un enrichissement du débat public. Cette diffusion gratuite progresse régulièrement : elle concerne déjà, par exemple, le Journal officiel, les annonces de marchés publics et les rapports publics. Nous avons décidé de la renforcer. La diffusion gratuite des données juridiques sera étendue dès la fin de cette année à toutes les lois et à tous les décrets en vigueur, sous forme consolidée, au Journal officiel lois et décrets depuis janvier 1990, au lieu de janvier 1998 actuellement, et aux conventions collectives ayant fait l'objet d'un arrêté d'extension au plan national. Ensuite, nous mettrons en place un service public de la diffusion gratuite et exhaustive des bases de données juridiques, y compris la jurisprudence. L'actuel régime concessif sur lequel repose la diffusion de ces données ne sera pas reconduit et pourra prendre fin par anticipation en 2002. Comme l'a souligné le rapport du Plan présidé par M. Dieudonné MANDELKERN, c'est au nom de la transparence, de la nécessaire modernisation du service public de la Justice, et du rayonnement international de notre législation que le Gouvernement doit concrétiser toutes ces mesures.
Je voudrais, pour conclure, affirmer solennellement ce nouveau droit à l'information publique sous forme numérique. Dans le cadre du projet de loi sur la société de l'information que nous transmettrons au Parlement au début 2001, nous proposerons d'inscrire dans notre législation un ensemble de principes. Ils porteront notamment sur l'obligation de diffusion des données publiques sous forme numérique, sur l'obligation de mettre en ligne gratuitement les données essentielles, et sur l'adaptation de la loi de 1978, relative à l'accès aux documents administratifs, aux communications par voie électronique.
Mesdames et Messieurs,
Dès 1997, le Gouvernement a engagé une politique ambitieuse au service de sa vision de la société de l'information : une société de l'information pour tous. La puissance publique doit accompagner et soutenir l'action des collectivités locales, des associations, des entreprises et aussi des citoyens. L'Etat lui-même doit continuer de s'adapter à cette nouvelle donne. Le comité interministériel pour la réforme de l'Etat qui se tiendra après-demain sera ainsi l'occasion de prendre de nouvelles décisions afin de concrétiser le chantier de l'administration électronique. Au début de l'année prochaine, le Gouvernement présentera au Parlement un projet de loi sur la société de l'information. Ce sera, j'en suis certain, un moment important dans le débat démocratique autour des enjeux de la société de l'information.