J.O. 117 du 21 mai 2003
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Texte paru au JORF/LD page 08694
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Observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives de juin 2002
NOR : CSCX0306644S
Chargé, en application de l'article 59 de la Constitution, de statuer sur la régularité de l'élection des députés, le Conseil constitutionnel a été saisi de 162 réclamations électorales formées par des candidats ou des électeurs, ainsi que de 601 décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP) rejetant le compte d'un candidat.
Il a procédé à l'annulation de cinq élections. Les cinq députés invalidés ont été réélus à l'issue des élections partielles organisées à la suite des décisions du Conseil constitutionnel.
En outre, sur saisine de la CCFP, il a prononcé la cessation de fonctions et l'inéligibilité de deux élus pour des motifs tirés d'irrégularités affectant leurs comptes de campagne.
Au total, ce sont donc sept mandats de députés qui ont été invalidés.
Comme pour les élections législatives de 1997, le Conseil a constaté un allongement des délais d'examen du contentieux. Cette évolution découle du nombre croissant des candidats, des conséquences de la législation sur les comptes de campagne et de la multiplication des écritures des parties.
Les mesures récemment prises par le législateur en ce qui concerne l'aide financière de l'Etat aux formations politiques devraient, en dissuadant certaines candidatures intéressées, agir sur l'un des facteurs au moins de ce phénomène.
Ayant achevé l'examen du contentieux des dernières élections législatives, le Conseil est conduit à faire les observations suivantes, en indiquant les modifications qui lui paraîtraient souhaitables dans quatre domaines.
I. - En ce qui concerne les conditions générales
dans lesquelles s'est déroulé le scrutin
L'expérience des élections de 2002 laisse à penser que des améliorations législatives devraient intervenir.
Il s'agit d'abord du découpage des circonscriptions électorales. Le découpage actuel résulte de la loi no 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution. Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage, comme il se prépare, semble-t-il, à le faire pour les élections sénatoriales.
Il s'agit ensuite de la date et de l'horaire du scrutin. Il conviendrait de retenir (comme cela est déjà le cas pour la Polynésie française) un dispositif évitant aux électeurs d'outre-mer de connaître les résultats de métropole alors que les opérations électorales ne sont pas encore closes sur place. La situation actuelle a suscité en 2002 un important et légitime mécontentement. Les dispositions prévues pour les élections européennes et régionales par la loi no 2003-327 du 11 avril 2003, qui constituent un progrès, pourraient être étendues aux élections législatives.
Enfin, la liste des fonctions officielles entraînant l'inéligibilité, dressée par l'article LO 133 du code électoral, mériterait d'être revue compte tenu des évolutions ayant affecté, au cours des trente dernières années, l'organisation administrative, juridictionnelle et politique de la France au niveau local. Cette liste devrait attacher moins d'importance aux titres qu'à la réalité des fonctions exercées.
II. - En ce qui concerne la propagande électorale
Comme en 1997, le Conseil a constaté que certaines commissions de propagande outrepassaient leur rôle en refusant, pour des motifs erronés en droit ou en fait, d'assurer l'acheminement du matériel électoral de candidats.
Il a constaté aussi que les bulletins de vote comportaient trop souvent toutes sortes de mentions (slogans, messages publicitaires, etc.) tournant l'interdiction de propagande le jour de l'élection et non nécessaires à l'identification du candidat, de son suppléant ou de la formation politique dont il a pu recevoir l'investiture. Afin de mettre un terme à ces excès, il conviendrait de donner un caractère limitatif aux indications prévues à l'article R. 103 du code électoral.
En sens inverse, devraient être abrogées les dispositions inutilement restrictives, désuètes et, dans les faits, non respectées du troisième alinéa de l'article L. 165 du même code, qui interdisent toute propagande imprimée en dehors du matériel électoral relevant de la propagande dite « officielle ».
Dans un tout autre ordre d'idées, le Conseil a relevé que le conflit israélo-palestinien a été évoqué dans des tracts distribués dans quelques circonscriptions en des termes parfois inacceptables. Si ces faits n'ont pas entraîné l'annulation de l'élection, le candidat élu n'étant pas à leur origine et l'écart des voix étant important, ils n'en sont pas moins symptomatiques de tensions préoccupantes au sein de la population.
III. - En ce qui concerne la législation sur les comptes
de campagne et les financements politiques
La législation en vigueur, initiée par les lois du 11 mars 1988, avait pour objectif de limiter le rôle de l'argent dans les campagnes électorales. Pour ce faire, ont été institués un plafonnement des dépenses électorales, la prohibition de certaines aides, un remboursement forfaitaire par l'Etat, la tenue d'un compte unique de campagne et des procédures permettant de s'assurer de sa sincérité.
S'il a indiscutablement atteint son but premier, le droit du financement des campagnes électorales est devenu complexe au fil des modifications législatives successives et des décisions jurisprudentielles.
On peut s'interroger sur d'éventuelles simplifications :
- Il convient tout d'abord d'observer qu'aucun cas de dépassement du plafond légal des dépenses électorales n'a été relevé. La législation démontre donc son efficacité sur ce point crucial. Le fait mérite d'autant plus d'être souligné que les élections législatives de 2002 n'ont pas été anticipées, contrairement à celles de 1997.
Pour autant, le Conseil a dû examiner un nombre très élevé de comptes de campagne rejetés par la CCFP. Le nombre de ces saisines traduit la méconnaissance persistante par certains candidats de la législation sur le financement des campagnes électorales et singulièrement de la règle selon laquelle toutes les dépenses de caractère électoral doivent être réglées non par le candidat mais par son mandataire financier, dès lors que celui-ci a été désigné.
A ce sujet, et pour éviter toute confusion dans l'esprit des candidats, le Conseil considère que la désignation d'un mandataire financier devrait être rendue obligatoire dans tous les cas, intervenir avant le paiement des premières dépenses de campagne et ne plus être liée, comme aujourd'hui, à l'acceptation de dons de personnes physiques.
Les autres motifs de rejet présentent le plus souvent un caractère formel : non-dépôt, dépôt tardif, absence de présentation par un expert comptable, défaut de justification de recettes ou de dépenses, dons tardifs de personnes physiques...
Si elles sont pour l'essentiel nécessaires, les exigences que fait peser la législation sur le financement des campagnes électorales peuvent gêner beaucoup de candidats indépendants. S'agissant de la nécessité de recourir à un expert comptable, qui constitue un sérieux obstacle financier et quelquefois matériel (outre-mer par exemple) pour certaines candidatures, le législateur pourrait prévoir une formule moins pénalisante afin d'assurer la sincérité du compte de campagne, notamment quand le montant des dépenses est très inférieur au plafond légal.
En tout état de cause, l'obligation de recourir à un expert-comptable devrait avoir pour contrepartie, ce qui n'est pas toujours le cas, la fourniture d'une véritable assistance technique au candidat.
- Sur le fond même de cette question du financement des campagnes, le Conseil tient à appeler de nouveau l'attention du législateur sur les problèmes posés par l'aide apportée à un candidat par une représentation locale d'un parti politique qui ne peut être regardée elle-même comme un parti ou groupement politique au sens de l'article L. 52-8 du code électoral. A défaut de dispositions le prohibant explicitement et à l'opposé de la position constante de la CCFP, le Conseil a admis qu'une représentation locale d'un parti politique relevant des articles 8 et 9 de la loi du 11 mars 1988 puisse apporter une aide au candidat, alors même qu'elle n'était pas comprise dans le « périmètre comptable » de ce parti. Toutefois, pour ne pas ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s'introduire des aides illicites, il serait souhaitable que le législateur intervienne de nouveau, soit en limitant aux fédérations départementales des partis nationaux la possibilité d'apporter une aide financière à leurs candidats, soit en imposant une stricte consolidation des comptes des différentes composantes d'une formation politique, soit en prévoyant des formalités permettant à la CCFP d'exercer sa surveillance sur toutes les structures d'un parti.
- Le Conseil estime que la législation pourrait être rendue plus rigoureuse sur un autre point : en encadrant plus strictement les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent fournir des biens et services aux candidats. La même solution pourrait s'appliquer aux formations politiques, sauf évidemment si la prestation est gratuite.
- Par ailleurs, dans un souci de simplification, le Conseil constitutionnel recommande que les frais de la campagne officielle soient désormais compris dans les dépenses électorales et que soient adaptés à cet effet le régime de leur paiement et de leur remboursement, ainsi que le plafond des dépenses.
Le Conseil recommande également l'adaptation de la législation en vue de permettre au mandataire financier et au donateur d'utiliser les moyens de paiement modernes (carte bancaire par exemple).
- L'examen par le Conseil constitutionnel lui-même des comptes de campagne des candidats à faible audience, ayant commis des erreurs banales dans la tenue de leurs comptes, paraît inutile. Il encombre l'ordre du jour du Conseil à une période où il est particulièrement chargé du fait de la succession de l'élection présidentielle et des élections législatives.
Il pourrait être envisagé à cet égard de dispenser du dépôt de leur compte de campagne les candidats qui, ayant recueilli moins de 1 % des suffrages exprimés, ne sont ni directement ni indirectement à l'origine de charges pour les finances publiques, puisqu'ils n'ont pas droit au remboursement de leurs frais de campagne et que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 avril 2003, ils ne sont pas pris en compte pour le calcul du financement public des partis politiques. Cette dispense n'entraînerait aucune conséquence pour les finances publiques et améliorerait considérablement le contrôle tant de la CCFP que du Conseil constitutionnel en leur permettant de concentrer leur attention sur des cas plus importants.
Sauf à rompre le principe d'égalité entre candidats, une telle réforme impliquerait cependant de revenir, comme le propose par ailleurs le Conseil, sur l'automaticité de l'inéligibilité en cas de rejet du compte d'un candidat ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés.
Resteraient évidemment applicables à tous les candidats les sanctions pénales prévues par l'article L. 113-1 du code électoral en cas de méconnaissance de la législation sur le financement des campagnes électorales.
- Il convient en outre de souligner quelques difficultés de fonctionnement rencontrées par la CCFP et qu'elle-même a signalées. Si, en dépit de sa charge de travail considérable - plus de 8 400 comptes - la Commission s'est fort bien acquittée de sa tâche (comme en témoigne la proportion élevée des cas où le Conseil constitutionnel a confirmé le rejet du compte), quelques dysfonctionnements doivent être relevés qui tiennent principalement à l'insuffisance et à l'hétérogénéité de ses moyens.
Il importe que ceux-ci soient mis au niveau des missions de la Commission et que cette dernière, comme elle en a exprimé le voeu, dispose d'une souplesse suffisante pour gérer ses ressources humaines. Il importe également qu'en cas de doute sur l'irrégularité d'un compte, la CCFP en fasse bénéficier le candidat en cause.
Enfin, afin d'éviter toute difficulté lors de la liquidation du remboursement des frais de campagne, il conviendrait que la CCFP arrête elle-même cette somme dans sa décision, à l'instar de ce que fait le Conseil constitutionnel pour l'élection présidentielle.
IV. - En ce qui concerne la sanction d'inéligibilité
Outre le dépassement du plafond des dépenses électorales, situation qui n'est pas apparue lors des élections législatives de 2002, seul le vice tenant à un don de personne morale autre qu'un parti politique constitue, sur le fond, un motif de rejet directement commandé par l'esprit de la législation sur le financement des campagnes électorales. Encore peut-il s'agir, et c'est le cas le plus fréquent, d'un concours en nature dont le candidat n'a pas eu une conscience précise ou dont il n'a pas mesuré la portée.
Pour autant, la législation en vigueur oblige le Conseil constitutionnel à déclarer l'inéligibilité du candidat, ce qui entraîne pour celui qui est élu la déchéance de son mandat et l'impossibilité de se représenter à l'élection partielle consécutive, alors que la faculté en est laissée au candidat dont l'élection a été annulée à la suite d'une fraude ou d'une manoeuvre plus condamnable, mais ne portant pas sur les aspects financiers de la campagne.
Le Conseil constitutionnel doit donc constater que l'inéligibilité peut revêtir un caractère disproportionné, surtout lorsqu'elle touche des candidats élus dont la bonne foi ne paraît pas en cause.
Le législateur devrait mettre fin au déséquilibre entre la sanction frappant l'irrégularité du compte (fin des fonctions et inéligibilité) et la seule annulation de l'élection qui, dans le contentieux électoral non financier, sanctionne des fautes du candidat qui peuvent être autrement plus graves. Dans la généralité des cas, la privation du remboursement forfaitaire des frais de campagne et l'exclusion du candidat du rattachement prévu pour l'aide financière aux partis politiques semblent suffisantes.
Il conviendrait donc, à tout le moins, d'étendre, par une disposition organique, aux élections législatives les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral qui permettent au juge, pour les élections locales, de ne pas prononcer l'inéligibilité du candidat dont la bonne foi est établie ou de relever le candidat de cette inéligibilité. Une telle disposition aurait en effet permis d'éviter au Conseil de prononcer l'inéligibilité d'un grand nombre de candidats ayant commis des erreurs banales dans la tenue de leur compte et dont la bonne foi était patente.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 mai 2003, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.