J.O. 18 du 22 janvier 2003
J.O. disponibles
Alerte par mail
Lois,décrets
codes
AdmiNet
Ce document peut également être consulté sur le site officiel Legifrance
Décision du 12 décembre 2002 sur un différend qui oppose la société PEM abrasif-réfractaires (PEMAR) à Réseau de transport d'électricité (RTE), en tant que gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, relatif à la tarification d'utilisation des réseaux publics applicable aux consommateurs raccordés en tension 42 kV
NOR : CREX0206228S
La Commission de régulation de l'électricité,
Vu la demande de règlement d'un différend, enregistrée sous le numéro 02-38-05, le 28 novembre 2002, présentée par la société PEM abrasif-réfractaires (PEMAR), dont le siège est tour Manhattan, 6, place de l'Iris, La Défense-2, 92400 Courbevoie, représentée par son avocat, Me Clarenc, l'opposant à Réseau de transport d'électricité (RTE).
La société PEMAR, filiale du groupe Pechiney, expose qu'elle exploite une usine sur le site de La Bâthie. Ce site est raccordé au réseau de transport d'électricité au niveau de tension 42 kV au point de raccordement « Arbine 42 kV ». La société PEMAR a souhaité conclure pour ce site un contrat d'accès au réseau et estime devoir bénéficier de la tarification d'utilisation applicable aux consommateurs raccordés en HTB 1 selon le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002.
RTE a adressé à PEMAR une proposition de contrat d'accès au réseau de transport (CART) le 20 novembre 2002, suite à l'entrée en vigueur le 1er novembre 2002 du décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002. Cette proposition reposait sur le classement du site de La Bâthie dans le niveau de tension HTA.
Par courrier en date du 25 novembre 2002, PEMAR a indiqué à RTE contester le contrat proposé, en affirmant que son site relève du domaine de tension HTB et du tarif correspondant, conformément à la proposition tarifaire de la CRE.
RTE a refusé de faire droit à la demande de la société PEMAR et a répondu que la proposition de contrat est fondée sur la stricte application du décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002, et que le domaine de tension applicable pour la tarification est donc la HTA.
Sur la recevabilité de sa demande, PEMAR se fonde sur le premier paragraphe de l'article 38 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 pour qualifier de différend le désaccord intervenu entre les parties concernant la conclusion d'un contrat d'accès au réseau public de transport.
Sur le fond, PEMAR précise que la proposition tarifaire du 10 janvier 2002 de la CRE fait expressément et complètement référence aux classes de tension physique HTA, HTB, 225 kV ou 400 kV et que les limites de tension définissant celles-ci sont fixées dans le décret du 23 décembre 1994 approuvant le cahier des charges type de la concession à Electricité de France du réseau d'alimentation générale en énergie électrique (cahier des charges du RAG).
PEMAR soutient que le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 a apporté des modifications aux classes de tension HTB et HTA, de sorte que « les sites de consommation dont le niveau de tension de raccordement est compris entre 40 et 50 kV se trouvent ainsi "déclassés de la classe de fourniture HTB (renommée HTB 1 dans le décret du 19 juillet 2002) dans la classe HTA ». PEMAR estime que cette modification entraînerait une augmentation de 44 % de sa facture d'accès au réseau pour 2003.
PEMAR soutient que cette modification est irrégulière, puisque toute modification substantielle de la proposition tarifaire de la CRE introduite par le décret méconnaît l'article 4-III de la loi no 2000-108 selon lequel les tarifs sont fixés « sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité ». Ainsi, PEMAR précise que les ministres concernés n'ont d'autre alternative que d'accepter ou de refuser ladite proposition.
En outre, PEMAR écrit que la CRE est soumise au régime de droit commun qui gouverne l'action de l'administration, et donc que non seulement elle peut, mais doit ne pas faire application des règlements illégaux. Par conséquent, PEMAR soutient que la CRE doit écarter l'application au site de La Bâthie de la modification des tensions comprises entre 40 et 50 kV introduite irrégulièrement par le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002.
PEMAR demande à la CRE :
- de dire que le nouveau contrat d'accès pour le site de La Bâthie devra être conclu sur la base des domaines et plages de tension établis par décret du 23 décembre 1994, et repris dans sa proposition tarifaire du 10 janvier 2002 ;
- d'enjoindre à RTE, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de la décision de règlement du présent différend, d'adresser à PEMAR, pour son site de La Bâthie, une proposition de contrat d'accès modifiée prévoyant, dans son article 3.2, le classement dudit site dans le domaine de tension HTB 1 ou, en tout état de cause, prévoyant d'appliquer à ce site les nouveaux tarifs de transport associés à ce domaine de tension ;
*
* *
Vu les observations en réponse, enregistrées le 5 décembre 2002, présentées par Réseau de transport d'électricité, dont le siège social est situé immeuble Ampère, 34-40, rue Henri-Régnault, 92400 Courbevoie, service d'Electricité de France, établissement public de caractère industriel et commercial, représenté par le directeur du service grands contrats, M. Olivier Lavoine.
RTE estime avoir fait une stricte application des dispositions du décret du 19 juillet 2002, lequel définit le domaine de tension HTA comme la plage de tension comprise entre 1 kV et 50 kV.
RTE considère que le tableau qui définit les domaines de tension introduit par le décret du 19 juillet 2002 n'apporte pas de modification à la proposition tarifaire de la CRE, mais constitue un simple complément venant préciser la proposition tarifaire. De plus, RTE indique que lesdits tarifs sont fixés « nonobstant toute disposition contraire des cahiers des charges des concessions ».
RTE soutient que la jurisprudence administrative n'a jamais eu à se prononcer sur la portée d'une proposition de texte sur la base de laquelle un acte réglementaire doit être pris, mais uniquement sur des propositions de nomination.
En outre, quand bien même la modification introduite par le décret du 19 juillet 2002 serait irrégulière, RTE estime ne pas devoir se faire juge de la légalité des décisions réglementaires qui s'imposent à lui.
Par ailleurs, RTE indique que l'application du tarif HTB1 aux utilisateurs raccordés à une tension comprise en 40 kV et 50 kV conduirait à augmenter le montant de la prime fixe facturée pour l'utilisation des lignes de secours-substitution de tension 42 kV ou 45 kV ;
*
* *
Vu l'ensemble des dossiers remis par les deux parties ;
Vu la décision du 28 novembre 2002 du président de la Commission de régulation de l'électricité relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction d'une demande de règlement de différend ;
Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu le décret du 23 décembre 1994 approuvant le cahier des charges type de la concession à Electricité de France du réseau d'alimentation générale en énergie électrique ;
Vu l'avenant du 10 avril 1995 à la convention du 27 novembre 1958 pour la concession à Electricité de France, service national, du réseau d'alimentation générale en énergie électrique ;
Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'électricité ;
Vu le décret no 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Vu le décret no 2002-1014 du 19 juillet 2002 fixant les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité en application de l'article 4 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu la décision du 15 février 2001 de la Commission de régulation de l'électricité relative au règlement intérieur de la Commission ;
Vu la délibération du 10 janvier 2002 de la Commission de régulation de l'électricité adoptant une proposition tarifaire pour l'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Après avoir entendu, le 12 décembre 2002, lors de l'audience publique devant la Commission :
En présence de :
M. Jean Syrota, président, MM. Raphaël Hadas-Lebel, Bruno Lechevin, François Morin, Jacques-André Troesch, commissaires ;
MM. Thierry Tuot, directeur général, Marc de Monsembernard, directeur juridique, Manuel Baritaud, rapporteur ;
Me Clarenc et M. Philippe Lejay, pour la société PEMAR ;
M. Olivier Lavoine pour RTE,
- le rapport de M. Manuel Baritaud, rapporteur présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Clarenc et M. Philippe Lejay pour la société PEM abrasif-réfractaires ;
- les observations de M. Olivier Lavoine pour RTE,
la Commission en ayant délibéré le 12 décembre 2002, après que les parties, le rapporteur, le public et les agents de la CRE se sont retirés,
I. - Sur les faits :
Le différend oppose PEM abrasif-réfractaires (PEMAR) à Réseau de transport d'électricité (RTE). Il porte sur la conclusion de dispositions contractuelles d'accès au réseau et, plus particulièrement, sur la définition des domaines de tension du raccordement de l'usine du site de La Bâthie en vue de l'application de la tarification correspondante.
Le projet de contrat envoyé par RTE à la société PEMAR classe le site de La Bâthie dans le domaine de tension HTA. PEMAR demande à RTE pour l'application du décret du 19 juillet 2002 de classer le site de La Bâthie dans le domaine de tension HTB1. RTE refuse de modifier le projet de contrat.
II. - Sur la légalité du décret du 19 juillet 2002 en tant qu'il définit les niveaux de tension :
Aux termes du II de l'article 4 de la loi du 10 février 2000, « les décisions sur les tarifs (...) sont prises conjointement par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité pour les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution (...) ». L'article 8 du décret du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, dispose que « les premiers tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont fixés par décret en Conseil d'Etat, sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité (...) ».
En application de ces dispositions, la CRE a adopté, le 10 janvier 2002, une proposition de tarif qui a été approuvée par le décret du 19 juillet 2002.
La proposition de la CRE, conformément à l'article 4 du décret du 26 avril 2001 aux termes duquel « [les tarifs] sont fonction de la tension de raccordement », distinguait quatre « niveaux de tension ». La définition de ces niveaux de tension n'était pas précisée. L'intention de la CRE, comme le principe de légalité conduisaient à se référer, pour en déterminer les limites, au seul acte réglementaire pertinent en vigueur définissant les classes de tension, c'est-à-dire au cahier des charges de la concession du réseau d'alimentation générale, approuvé par le décret du 23 décembre 1994, et notamment à l'annexe I de son article 8-1.2, aux termes de laquelle les classes de tension dénommées dans la proposition de la CRE sont ainsi définies :
Vous pouvez consulter le tableau dans le JO
n° 18 du 22/01/2003 page 1325 à 1327
Le 1er paragraphe de l'annexe au décret du 19 juillet 2002 approuvant cette proposition précise, quant à lui, que pour l'application de ce décret, les domaines de tension des réseaux publics de transport et de distribution sont définis par le tableau ci-dessous :
Vous pouvez consulter le tableau dans le JO
n° 18 du 22/01/2003 page 1325 à 1327
Il résulte donc de la confrontation de la proposition de la CRE, d'une part, et de l'annexe au décret du 19 juillet 2002, d'autre part, que la classification des domaines de tension déterminant le tarif applicable à un client n'est pas la même. Cette modification substantielle a pour effet, comme l'illustrent les faits de l'espèce, d'entraîner l'application à certains clients d'un tarif différent de celui qui aurait résulté de la proposition de la CRE.
Les auteurs du décret ne disposaient d'aucun pouvoir de modification de cette proposition. Le régime légal de fixation des tarifs d'utilisation des réseaux, prévu par l'article 4 de la loi du 10 février 2000, ne permet en effet aux ministres que d'approuver ou de refuser d'approuver la proposition qui leur est transmise. Toute modification, qu'elle retranche, ajoute ou substitue des dispositions, à laquelle ils prendraient l'initiative de procéder aboutit à mettre en vigueur des dispositions qui, par nature, n'ont pas fait l'objet, en violation de la loi, d'une proposition de la CRE.
Il serait loisible de soutenir que, par la modification opérée, les auteurs du décret du 19 juillet 2002 ont entendu, en l'espèce, implicitement, mais nécessairement, opérer une modification du cahier des charges du RAG, approuvé par un décret de même valeur. Telle n'était clairement pas leur intention, la définition des classes de tension n'étant donnée que « pour l'application du présent décret » (du 19 juillet 2002), au demeurant adopté au terme d'une procédure différente de celle exigée pour modifier le cahier des charges, qui comporte, notamment, des consultations auxquelles il n'a pas été procédé ici.
Ayant ainsi procédé à une modification substantielle de la proposition formulée par la CRE, les auteurs du décret du 19 juillet 2002 ont commis une erreur de droit qui entache d'illégalité ce décret en tant qu'il définit les classes de tension.
Autorité administrative indépendante soumise au principe de légalité, la CRE est dans l'obligation, dans l'exercice de ses pouvoirs décisionnels, et notamment lorsqu'elle règle un différend par application de l'article 38 de la loi du 10 février 2000, de ne pas faire application de dispositions illégales. A défaut, elle entacherait sa décision elle-même d'une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
III. - Sur les conclusions de la société PEMAR tendant à ce qu'il lui soit fait application du décret du 19 juillet 2002 sur la base du niveau de tension HTB1 :
Aux termes de l'article 38 de la loi du 10 février 2000, la CRE, lorsqu'elle est saisie d'un différend, doit « préciser les conditions d'ordre technique et financier du règlement du différend dans lesquelles l'accès aux réseaux publics ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés ».
Il incombe donc à la CRE, par la présente décision, de déterminer le tarif que RTE devra appliquer au demandeur. En effet, jusqu'à la modification du décret du 19 juillet 2002, à laquelle les auteurs du décret sont légalement tenus de procéder, sans qu'il soit besoin que la CRE formule une proposition à cette fin, afin de rétablir la légalité, RTE ne peut, même en ayant connaissance de l'erreur de droit entachant le décret, cesser de l'appliquer, n'étant pas tenu par le même devoir d'écarter l'application d'un texte illégal que les autorités administratives. Seule une modification du décret du 19 juillet 2002 par un autre décret aurait pu lui permettre, avant l'introduction de la demande de règlement de différend de la société PEMAR, de faire droit à son souhait.
Il résulte clairement de l'adoption du décret du 19 juillet 2002 et de son contenu que les intentions de ses auteurs étaient d'approuver intégralement la proposition de la CRE. L'approbation régulière de la proposition n'aurait pu reposer que sur la définition des niveaux de tension, telle que conçue par la CRE par référence à celle du cahier des charges du RAG, à laquelle il convient donc de recourir pour régler le présent différend. Aux termes de l'annexe I de l'article 8-1.2 du décret du 23 décembre 1994, une installation raccordée à une tension de 42 kV relève de la classe de tension HTB définie par une tension physique de raccordement comprise entre 40 kV et 130 kV exclu. Or, le décret du 19 juillet 2002 a non seulement renommé les classes de tensions, mais a illégalement modifié la tarification applicable aux installations raccordées à un niveau de tension compris entre 40 kV et 50 kV. La conformité du décret à la proposition de la CRE implique que le domaine de tension HTB1 soit défini de même manière que la classe de tension HTB mentionnée par le cahier des charges du RAG. La société PEMAR est donc fondée à demander, et RTE est tenu de faire droit à cette demande, que le tarif lui soit appliqué, pour son site de La Bâthie au point de raccordement « Arbine 42 kV », sur la base du domaine de tension HTB1 du décret du 19 juillet 2002, à compter de la date à laquelle devait entrer en vigueur le contrat d'accès au réseau, objet de la présente demande de règlement de différend. En conséquence, RTE proposera, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de la présente décision, à la société PEMAR, pour son site de La Bâthie, un contrat d'accès au réseau faisant application de ces principes, Décide :
Article 1
RTE appliquera au site de La Bâthie de la société PEM abrasif-réfractaires, raccordé en 42 kV, la tarification du domaine de tension HTB1, défini de la même manière que la classe de tension HTB mentionnée par le cahier des charges du RAG, à compter de la date à laquelle le contrat dont la conclusion était demandée devait entrer en vigueur.Article 2
RTE proposera, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de la présente décision, à la société PEM abrasif-réfractaires, pour son site de La Bâthie, un contrat d'accès conforme à l'article 1er de la présente décision.Article 3
La présente décision sera notifiée à la société PEM abrasif-réfractaires, à RTE et publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 12 décembre 2002.
Pour la commission :
Le président,
J. Syrota