J.O. Numéro 299 du 26 Décembre 2001       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 20592

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 7 décembre 2001 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision 2001-453 DC


NOR : CSCL0105244X



LOI DE FINANCEMENT
DE LA SECURITE SOCIALE POUR 2002

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2001.

I. - Sur l'ensemble de la loi de financement
de la sécurité sociale pour 2002

Les sénateurs soussignés estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 est contraire à l'objectif constitutionnel d'équilibre de la sécurité sociale, découlant de l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution, et au principe de sincérité des comptes sociaux.
Le financement des allégements de charges consentis aux entreprises dans le cadre de la réduction du temps de travail a été inscrit dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, qui a créé le « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale » (FOREC). Ce dernier est un « organisme concourant au financement des régimes de base », au sens du 2o de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
Un tel transfert n'appelle pas en lui-même, sur le plan constitutionnel, de remarque particulière ; il en est différemment s'il a pour conséquence de fragiliser la situation financière de la sécurité sociale : en effet, la lettre et l'esprit de la réforme constitutionnelle du 19 février 1996, créant les lois de financement de la sécurité sociale, visaient à distinguer de manière claire les comptes des régimes de base de la sécurité sociale des comptes de l'Etat. L'objectif poursuivi par le pouvoir constituant était d'éviter que l'Etat ne « puise » dans les recettes de la sécurité sociale, destinées exclusivement au financement des branches famille, maladie, accidents du travail et vieillesse.
Les lois de financement de la sécurité sociale pour 1997, 1998 et 1999 avaient eu pour objectif de redresser la situation des comptes sociaux, en comprenant des mesures tendant à assurer l'équilibre financier de la sécurité sociale : les déficits tendanciels étaient réduits.
A l'inverse, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, confirmant les craintes qu'avaient pu susciter les lois de financement pour 2000 et 2001, porte désormais directement atteinte à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Ainsi, les comptes tendanciels du régime général, présentés lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001, et en supposant une compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales conformément à la loi, font apparaître un excédent de 13,7 milliards de francs pour 2001 et de 17,3 milliards de francs pour 2002 (cf. annexe c, p. 30 : il suffit d'ajouter au montant inscrit à la ligne « résultat net 2002 avant mesures nouvelles » le montant inscrit à la ligne « prise en charge de cotisations FOREC »). Ces excédents seraient ramenés respectivement à 3,7 milliards et 4,2 milliards de francs à l'issue de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 (cf. rapport Sénat de nouvelle lecture, no 100 2001-2002, p. 9).
En raison de la croissance économique et des mesures de redressement précitées, la sécurité sociale est désormais dans une situation tendanciellement excédentaire ; mais les branches bénéficiaires sont privées du bénéfice de leurs excédents, tandis que la situation financière de la branche maladie, qui reste lourdement déficitaire, est systématiquement aggravée.
Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 a pour principal effet, sinon pour objet, de dégrader considérablement les comptes des régimes de base pour les exercices 2000, 2001 et 2002, afin d'éviter de faire supporter au budget de l'Etat les conséquences financières des politiques décidées par le Gouvernement :
- l'article 12 fait supporter aux comptes du régime général et du régime agricole une charge de 16 milliards de francs au titre de l'exercice 2000, puisque ces régimes ne seront pas compensés de l'intégralité des exonérations de cotisations sociales relevant du « champ » du FOREC : le régime général devient ainsi déficitaire de plus de 10 milliards de francs pour cet exercice ;
- la branche maladie du régime général, déjà structurellement déficitaire, voit ce déficit accru par les dispositions de l'article 13, qui procède à l'affectation au FOREC de 45 % des droits sur les alcools visés à l'article 403 du code général des impôts, à compter du 1er janvier 2001, et à l'affectation à compter du 1er janvier 2002 du produit de la contribution sur les contrats d'assurance en matière de circulation des véhicules terrestres à moteurs. Le total des recettes ainsi « détournées » est de 5,9 milliards de francs en 2001 et de 11,8 milliards de francs en 2002 : le déficit de la CNAMTS s'élèverait à - 13,3 milliards de francs en 2001 et à - 13,9 milliards de francs en 2002 ;
- le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), devenu structurellement déficitaire en raison des mesures adoptées par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2000 et 2001 et la loi no 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, ne fait face à ses engagements que par un prélèvement sur son fonds de roulement : or, le V de l'article 13 affecte au FOREC la totalité du produit de la taxe sur les contributions des employeurs au bénéfice de leurs salariés pour les prestations complémentaires de prévoyance (2,9 milliards de francs), tandis que l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2001, coordonné en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale à l'article 16 de la loi de financement pour 2002, présente pour conséquence indirecte de diminuer la fraction de C3S affectée au FSV de plus de 700 millions de francs, et d'accroître encore davantage son déficit pour l'exercice 2002 (de - 4 à - 4,7 milliards de francs). Dans sa décision no 2001-447 DC du 18 juillet 2001, le Conseil constitutionnel avait pourtant prévenu qu'il appartiendrait « à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 de tirer les conséquences des nouvelles dispositions » de la loi « APA » sur l'équilibre du FSV (affectation au fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie d'une fraction de la contribution sociale généralisée). Non seulement la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 n'a pas tiré les conséquences du déficit du FSV créé notamment par la loi précitée du 20 juillet 2001, mais elle aggrave encore davantage ce déficit.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 prévoit certes d'augmenter la fraction d'une partie des droits de consommation sur les tabacs affectée à la CNAMTS, au détriment du FOREC. Mais cette augmentation (3,6 milliards de francs) est nettement insuffisante pour compenser à la CNAMTS ses pertes de recettes précitées : ainsi, aucune mesure n'est proposée pour remédier au déficit préoccupant de la branche maladie, alors que la simple compensation intégrale des exonérations de cotisations de sécurité sociale permettrait de ramener son solde à un niveau proche de l'équilibre.
Un « organisme concourant au financement des régimes de base », terme consacré par le législateur organique de 1996, ne présente de sens que si les recettes dont il dispose n'étaient pas précédemment affectées auxdits régimes de base ou à d'autres organismes concourant à leur financement. Le financement du FOREC, alimenté pour une grande partie par des recettes autrefois affectées aux régimes de base et au FSV, pour un montant de plus de 30 milliards de francs en 2002, nuit à l'objectif constitutionnel d'équilibre de la sécurité sociale.
Dans le même temps, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 accroît considérablement les charges de la CNAMTS : ainsi, l'article 42 fait supporter à la branche maladie du régime général une contribution au budget de l'Etat, afin d'assurer en 2001 le financement du plan BIOTOX, pour un montant de 1,3 milliard de francs.
L'article 59, qui abonde le fonds d'investissement pour la petite enfance par une nouvelle tranche de 1,5 milliard de francs prélevés sur l'excédent de la branche famille pour l'exercice 2000, et l'article 68, qui affecte au Fonds de réserve pour les retraites 5 milliards de francs d'excédents de la branche famille au titre de l'exercice 2000, contribuent à dégrader la situation financière nette du régime général sur l'année 2000 (cf. rapport de nouvelle lecture Sénat, no 100, op. cit., p. 9).
Enfin, l'article 67 diminue les recettes de la CNAVTS, à hauteur des 15 % du prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, affectés désormais au Fonds de réserve pour les retraites.
Certes, le Gouvernement objectera que, malgré ces transferts financiers et ces charges nouvelles, le régime général reste globalement excédentaire. Mais, d'une part, cette argumentation n'est pas recevable pour l'exercice 2000. D'autre part, les excédents prévus pour les exercices 2001 et 2002 ne sont respectivement que de 3,7 milliards et 4,2 milliards de francs et apparaissent particulièrement fragiles : la prévision de croissance de la masse salariale, qui sous-tend les recettes de cotisations sociales et de CSG sur les revenus d'activité, prévues à l'article 16, est de 5 %. Il suffirait d'une prévision de croissance de la masse salariale de 4,5 %, représentant une minoration des recettes de l'ordre de 4 à 5 milliards de francs, en supposant que l'évolution des dépenses reste dans le cadre des objectifs fixés à l'article 69, pour que l'excédent prévu de 4,2 milliards de francs pour 2002 se transforme en déficit.
Les recettes par catégorie, prévues à l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale, et les objectifs de dépenses fixés à l'article 69 apparaissent insincères.
Les « cotisations effectives » et les « impôts et taxes affectés » représentent les deux principales sources de financement des régimes de base de la sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement. Leur évolution prévue pour 2002 se fonde sur la prévision de masse salariale et la prévision de croissance du produit intérieur brut.
La France vient de connaître six mois ininterrompus de hausse du chômage, qui se traduiront inévitablement sur l'évolution des recettes de la sécurité sociale en 2002. La prévision de masse salariale retenue pour 2002, ainsi que la prévision de croissance, que l'on pouvait juger optimistes avant les événements du 11 septembre, apparaissent désormais irréalistes. Par analogie avec la jurisprudence du Conseil dégagée sur les lois de finances, et sa reconnaissance du « principe de sincérité budgétaire » (cf. DC no 99-424 du 29 décembre 1999), il est possible de consacrer un « principe de sincérité des comptes sociaux » et de considérer que les prévisions de recettes retenues à l'article 16 sont entachées d'une « erreur manifeste d'appréciation ». Un indice troublant de cette insincérité est le fait que le plafond d'avances de trésorerie du régime général, fixé à l'article 76, n'a pas été modifié entre 2001 et 2002 (29 milliards de francs ou 4 420 millions d'euros), alors même que le point le plus bas de trésorerie de l'année 2001 n'a été que de - 12 milliards de francs : le Gouvernement ne semble pas croire lui-même à la prévision de croissance retenue et à « la robustesse du redressement des comptes sociaux ».
De plus, la catégorie de recettes « autres ressources » (6,93 milliards d'euros) tient compte, pour un montant de 1,238 milliard d'euros, d'une recette pour le moins hypothétique, celle du produit, affecté au Fonds de réserve pour les retraites, de deux nouvelles licences UMTS qui seraient attribuées en 2002.
Enfin, l'article 16 a été malencontreusement « coordonné » par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Par un amendement du Gouvernement, la catégorie « impôts et taxes » a ainsi été minorée de 0,11 milliard d'euros (soit environ 722 millions de francs). Selon le Gouvernement, il s'agit de « faire apparaître dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale les mesures de rétablissement de l'équilibre du budget annexe des prestations sociales agricoles proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative pour 2001 à l'article 8 » (cf. JO Débats AN, 2e séance du 22 novembre 2001, p. 8508).
L'objet écrit de l'amendement no 144 permet de comprendre que l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2001, en portant la part de contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) affectée au BAPSA de 1 830 à 3 372 millions de francs, soit une majoration de 1 542 millions de francs, présente pour conséquence de diminuer le solde 2001 de la C3S, qui est affecté en 2002 au Fonds de solidarité vieillesse et retracé dans la catégorie « impôts et taxes » de l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
Mais cette « coordination » soulève deux problèmes au regard du principe de sincérité des comptes sociaux et du principe d'annualité qui s'attache aux recettes de la loi de financement de la sécurité sociale :
- le Gouvernement a tenu compte d'une « réévaluation » de 820 millions de francs des recettes 2001 de la C3S par rapport aux prévisions présentées lors de la commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001 : en conséquence, le « solde » 2001 de la C3S n'est diminué que de 722 millions de francs, et non de 1 542 millions de francs ; il serait curieux, au regard du principe de sincérité, que seule la C3S fasse l'objet d'un tel « retraitement » par rapport aux données communiquées au Parlement, ce retraitement intervenant de surcroît en nouvelle lecture ;
- il est difficile de comprendre qu'une mesure prévue pour 2001 puisse avoir la moindre influence sur les prévisions de recettes pour 2002. Un traitement comptable scrupuleux du principe d'annualité des recettes de la loi de financement aurait dû conduire à réduire la fraction de C3S affectée au Fonds de solidarité vieillesse sur l'exercice 2001, et non sur l'exercice 2002. La catégorie « Impôts et taxes » des recettes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 est ainsi insincère.
L'article 69 de la loi de financement de la sécurité sociale, relatif aux objectifs de dépenses pour 2002, appelle plusieurs observations, qui mettent en cause sa sincérité.
L'objectif de dépenses de la branche famille n'intègre pas, en premier lieu, les dépenses du Fonds d'investissement pour la petite enfance (FIPE), prévues à l'article 59, et le versement au fonds de réserve pour les retraites, prévu à l'article 68, alors que ces dépenses ne peuvent être recevables, au regard du principe d'annualité de la loi de financement de la sécurité sociale, que si elles sont inscrites au sein de cet objectif.
En effet, les dépenses du FIPE sont enregistrées au sein de l'un des trois fonds de la Caisse nationale d'allocations familiales, le Fonds national d'action sociale (FNAS), dont les autres dépenses sont par ailleurs comptabilisés dans l'objectif de dépenses. Selon l'exposé des motifs de l'article 59, le Gouvernement prétend les faire figurer en « charges exceptionnelles », pour les exclure des objectifs de dépenses.
Or les « charges exceptionnelles » du FNAS, existent déjà (cf., par exemple, Compte financier 2000, p. 67, II « total des charges exceptionnelles ») et sont, d'un point de vue comptable, des charges qui se rattachent à l'exercice de l'année et inscrites dans l'objectif de dépenses de la branche famille. Le Gouvernement prétend créer là une catégorie de charges « tellement exceptionnelles » qu'il n'y aurait pas lieu de ne les rattacher à un exercice, au mépris de tous les principes comptables.
Pour l'année 2002, les comptes de la branche famille sont présentés en droits constatés et non, comme en 2001, en encaissement-décaissement. La CNAF a déclaré elle même, par une décision de sa commission d'action sociale en date du 25 septembre 2001, que les projets n'ayant pu être financés en 2001 du fait de l'insuffisance de l'enveloppe initiale, le seront en 2002, à hauteur de 500 millions de francs au moins.
Les dépenses de ce fonds sont bien des dépenses rattachées à l'année 2002, et la procédure de création d'un fonds n'est qu'un artifice visant à minorer l'objectif de dépenses de 1,5 milliard de francs et faire apparaître ainsi un excédent de la branche, et du régime général, majoré d'autant.
C'est bien l'atteinte grave à la sincérité des lois de financement de la sécurité sociale qui doit être ici sanctionnée car le Gouvernement prétend créer un circuit de recettes et de dépenses parallèle, d'un montant total de 6,5 milliards de francs (1,5 milliard de francs au titre du FIPE, 5 milliards de francs au titre du Fonds de réserve), ayant pour seule finalité de masquer l'évolution réelle des dépenses de la sécurité sociale et d'améliorer faussement le solde présenté pour 2002.
Le Gouvernement prétend à la neutralité financière ; de fait, ces dépenses sont sans impact sur l'exercice 2000 de rattachement ou sur l'exercice 2002 d'exécution. Si les dépenses du fonds d'investissement pour les crèches, ou le versement au fonds de réserve pour les retraites, étaient inscrites régulièrement dans l'objectif de dépenses, le résultat de la branche serait minoré d'autant en 2002, et cette minoration se répercuterait in fine, à la clôture de l'exercice, lors de l'incorporation du résultat de l'exercice dans les réserves, sur le fonds de roulement de la CNAF.
Dans un sens inverse, l'objectif de dépense de la branche famille intègre ce qu'il ne devrait pas intégrer : la prise en charge par la branche du congé de paternité, accordé par la branche maladie-maternité. Or, conformément à la règle posée pour la consolidation des transferts d'une branche à une autre, ces dépenses ne devraient pas être inscrites. Ainsi le Gouvernement précise que « l'allocation vieillesse parent au foyer (AVPF) étant un transfert entre régimes de base, ce transfert est consolidé, c'est-à-dire qu'il n'apparaît pas dans l'agrégat de dépense ». Le Gouvernement applique deux règles différentes à deux cas similaires ; de même que l'AVPF, versé par la CNAF à la CNAV, n'apparaît pas dans l'objectif de dépenses, le congé de paternité, versé par la CNAF aux régimes d'assurance maladie, ne devrait pas apparaître dans l'objectif de dépenses de la branche famille.
De plus, cet objectif s'élève pour 2002 à 42,01 milliards d'euros, soit une progression affichée de 5,4 % par rapport à 2001. Au regard du champ retenu, une telle progression appelle de fortes interrogations sur sa sincérité, compte tenu de la faible revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales (BMAF) retenue par le Gouvernement (2,1 %), qui sous-tend pourtant, pour une grande partie, la détermination de cet objectif. Il apparaît en outre que les charges de la CNAF telles que prises en compte par l'objectif de dépenses de la branche famille sont évaluées à 41,467 millions d'euros hors AVPF (cf. annexe c, p. 28). Or, le rapport présenté lors de la Commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001 prévoyait un total de charges pour 2002, hors AVPF mais en y incluant les mesures proposées par le Gouvernement, de 41,788 millions d'euros. L'objectif de dépenses semble avoir été ainsi minoré de 321 millions d'euros (soit 2,1 milliards de francs), sans par ailleurs qu'aucune information ne vienne justifier une telle réduction, renforçant son caractère arbitraire.
Enfin, il convient de rappeler que l'objectif de dépenses de la branche famille a été systématiquement surestimé, comme en témoignent les réalisations 1998, 1999 et 2000 - hors « l'effet de champ » créé artificiellement par la prise en compte, en cours d'année, du financement de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire - et comme en atteste également la prévision de réalisation pour 2001, inférieure de 1,2 milliard de francs à l'objectif de dépenses adopté par la loi de financement pour 2001.
S'agissant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, fixé par l'article 71 :
- le montant de 112,8 milliards d'euros pour l'ONDAM 2002 correspond, selon le rapport présenté lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001, « à une augmentation de 3,8 % des dépenses par rapport à un objectif 2001 recalculé en droits constatés et rebasé en fonction des prévisions actuelles de dépenses pour 2001 ». Ce même rapport souligne que « l'hypothèse retenue en matière de dépenses d'assurance maladie est particulièrement ambitieuse. L'objectif de 3,8 % fixé pour 2002, qui inclut le financement de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux, correspond à un objectif inférieur pour les autres dépenses. Sa réalisation supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années, supérieure à 5 %. On rappelle que les objectifs fixés pour 2000 et 2001 ont été dépassés d'environ 2,5 milliards d'euros (soit 16 à 17 milliards de francs) ». De plus, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 ne comprend aucun dispositif permettant d'espérer un ralentissement des dépenses d'assurance maladie ;
- l'ONDAM retenu apparaît ainsi « insincère » : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 est entachée par une « erreur manifeste d'appréciation » ;
- par voie de conséquence, l'objectif de dépenses de la branche maladie maternité invalidité décès, fixé à l'article 70, est également insincère.
Certes, les objectifs de dépenses ne correspondent pas à des montants limitatifs de crédits ; pour autant, il importe que leur fixation, prévue par le législateur organique, obéisse à des règles sincères, fiables et pérennes.
Mettant systématiquement en cause l'objectif constitutionnel d'équilibre de la sécurité sociale, s'appuyant sur des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses insincères, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 doit être annulé.

II. - Sur l'article 12

Le deuxième alinéa du II de l'article 12 procède à l'annulation des créances des régimes sociaux sur le FOREC et rend nécessaire, par voie de conséquence, la modification des comptes de l'exercice 2000 des organismes de sécurité sociale concernés. L'enjeu financier est de plus de 16 milliards de francs, dont 15 pour le régime général et 1 milliard de francs pour le régime agricole.
Son effet est de dégrader à due concurrence les recettes des organismes de sécurité sociale : disposant au départ d'un excédent de 4,4 milliards de francs, le régime général serait ainsi déficitaire de 10,7 milliards de francs en 2000. Cette disposition dégrade ainsi significativement le solde. Dès lors, elle affecte substantiellement les conditions de l'équilibre financier arrêté par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, telles que déterminées en application de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, et apparaît en outre contraire à l'objectif d'équilibre financier de la sécurité sociale, devenu un principe à valeur constitutionnelle par la révision constitutionnelle du 19 février 1996.
De plus, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 ne comprend pas un article fixant des prévisions de recettes ainsi révisées pour 2000. Votre décision no 2000-441 DC du 28 décembre 2000 avait pourtant indiqué, à propos d'une affectation de 3 milliards de francs de droits tabacs au FOREC, que « ce transfert affecterait les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour l'année 2000, alors qu'aucune loi de financement de la sécurité sociale n'a pris en compte cette incidence et qu'aucune ne pourra plus le faire d'ici à la fin de l'exercice ». Il s'agit aujourd'hui d'une situation similaire, assortie d'un mouvement financier d'une tout autre ampleur : aucune loi de financement de la sécurité sociale ne peut prendre en compte l'incidence de l'annulation de la créance sur les recettes de la sécurité sociale en 2000.
Cette constatation devrait probablement amener le Conseil à encadrer les conséquences de sa décision no 2001-437 DC du 19 décembre 2000 (loi de financement de la sécurité sociale pour 2001). Vous avez, en effet, par cette décision, considéré qu'une loi de financement pour n ne pouvait non seulement revenir sur une disposition de l'année n-1, mais revenir rétroactivement sur les comptes de l'exercice n-1. Cette jurisprudence, qui s'appuie sur une interprétation incontestable de la lettre du deuxième alinéa du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, évite au Gouvernement de recourir à des lois de financement rectificatives.
Mais le Gouvernement détourne désormais cette procédure pour bouleverser les comptes d'un exercice clos. Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 avait comporté un article fixant des prévisions de recettes révisées pour 2000, un tel article aurait été conforme à la lettre du deuxième alinéa du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Mais cette « conformité » reviendrait à considérer que n'importe quelle loi de financement de la sécurité sociale peut revenir sur les recettes et les dépenses de n'importe quelle loi de financement de la sécurité sociale antérieure : l'interprétation littérale de l'article LO 111-3 est-elle ainsi conforme au souhait du pouvoir constituant et du législateur organique ?
Cette « réouverture » de comptes déjà adoptés par les conseils d'administration des caisses du régime général, et pour la Mutualité sociale agricole, par son assemblée générale, déjà approuvés par la tutelle de ces régimes, et transmis à la Cour des comptes, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 47-1 de la Constitution, représenterait une « première » dans l'histoire des comptes publics. L'application des règles de la comptabilité aurait dû conduire à l'annulation de ces créances sur l'exercice 2001.
L'article 12 apparaît ainsi contraire au principe de sincérité des comptes sociaux.
Enfin, l'article 12 est contraire à l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi. Le Gouvernement s'est prévalu constamment d'un « souci de transparence » et du rapport de la Cour des comptes portant sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. L'exposé des motifs du projet de loi justifie l'annulation de créance dans les comptes de l'exercice 2000 afin de « tenir compte de l'analyse de la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale ». Le Gouvernement a utilisé cet argument lors des débats en première lecture. Or, dans une note adressée le 7 novembre 2001 au président de la commission des affaires sociales du Sénat, la cour dément formellement cette interprétation : « Les dispositions contenues dans l'article 5 du projet de loi ne peuvent être considérées comme reflétant la position de la cour. Celle-ci estime que les écritures comptables visant à annuler la créance inscrite dans les comptes 2000 des régimes de sécurité sociale au titre des montants de charges non compensés par les réaffectations de recettes reçues par le FOREC devraient être passées en 2001 sans modification des comptes adoptés par les conseils d'administration de l'ACOSS et des caisses nationales » (cf. annexe au rapport Sénat no 60 2001-2002, tome 1, p. 201-202).
Dès lors, le Gouvernement a usé d'un argument insincère, visant à tromper le Parlement : l'article 12 apparaît ainsi contraire à l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi.

III. - Sur les articles 17, 70 et 72

Ces articles constituent le « volet rectificatif pour 2001 » de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
Au regard notamment des observations formulées sur l'article 12, les sénateurs requérants demandent à la Haute Juridiction de se pencher sur la constitutionnalité de ce dispositif, qui évite au Gouvernement de déposer un projet de loi de financement rectificatif.
De plus, s'agissant du seul article 17, il est curieux, au regard du principe de sincérité, que le Gouvernement n'ait pas réévalué les prévisions de recettes pour 2001, alors même qu'il se prévalait, dès la nouvelle lecture, de recettes de cotisations et d'impôts et taxes supérieures, qualifiées de « bonnes surprises ». Il s'est borné à tenir compte de l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2001, et a majoré la catégorie « impôts et taxes » d'un montant de 1,5 milliard de francs de C3S supplémentaire, affectée au régime de protection sociale des exploitants agricoles : en effet, la convention comptable retenue fait que la fraction de C3S qui n'est pas affectéee directement aux régimes n'est pas comptabilisée dans la catégorie « impôts et taxes ». On remarquera que cette convention est discutable, puisque, selon l'article L. 651-2-1 du code de la sécurité sociale, le solde est versé en tout ou partie au FSV ou au Fonds de réserve pour les retraites, qui sont des « organismes concourant au financement des régimes de base ». L'intégralité du produit de C3S attendu pour une année donnée devrait être ainsi comptabilisée dans la catégorie « impôts et taxes » de la loi de financement de la sécurité sociale. Mais, en tout état de cause, la catégorie « impôts et taxes » aurait dû être réévaluée d'un montant supérieur à 1,5 milliard de francs, puisque le Gouvernement a tenu compte, à l'article 16, de recettes supérieures de C3S en 2001, à hauteur de 800 millions de francs.
Ces coordinations diverses et arbitraires apparaissent ainsi insincères.

IV. - Sur l'article 18 de la loi

L'article 18 a fait l'objet de deux « étapes » bien différentes : dans un premier temps, il a été introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale : mais il s'agissait, selon les propres termes du Gouvernement, d'un « amendement d'esquisse », comprenant deux modestes paragraphes. La présentation par le Gouvernement de l'amendement no 334 rectifié a été particulièrement elliptique, ce qui a conduit le rapporteur de l'Assemblée nationale à admettre que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales avait le sentiment que « le dispositif proposé (était) loin d'être achevé ». Dans un second temps, l'article 18 s'est transformé en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale en un dispositif de quinze paragraphes, occupant six pages de la « petite loi » adoptée par l'Assemblée nationale. L'amendement du Gouvernement, déposé le 20 novembre, soit la veille du débat en séance publique, n'a pu de ce fait être examiné de manière approfondie par les députés.
La procédure suivie par le Gouvernement prétend respecter ainsi formellement la jurisprudence résultant de votre décision no 98-402 DC du 25 juin 1998, encadrant l'introduction d'articles additionnels après la tenue de la commission mixte paritaire : mais, compte tenu de l'ampleur et des implications des modifications apportées en nouvelle lecture, elle vide de sens cette jurisprudence.
Elle est d'autant moins admissible que la présentation et l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale sont soumises à des règles très strictes, compte tenu de l'urgence de droit et des délais fixés par l'article 47-1 de la Constitution. Présenter, même en première lecture, une série d'amendements portant création d'articles additionnels permet au Gouvernement d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat et des caisses de sécurité sociale, d'éviter de tenir compte de l'impact de ces amendements dans les annexes déposées, en vertu des dispositions organiques, à l'appui du projet de loi et de s'affranchir en définitive des délais imposés par l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale. A cet égard, on observera que le projet de loi initial, comptant trente-quatre articles , s'est enrichi en première lecture à l'Assemblée nationale de trente-sept articles additionnels, dont pas moins de quatorze à l'initiative du seul Gouvernement. Le recours à une lettre rectificative aurait été pour le moins souhaitable.
De fait, le président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), auditionné par la commission des Affaires sociales du Sénat, a fait observer que son conseil d'administration avait été amené à se prononcer « sur un projet de loi de financement de la sécurité sociale au caractère très virtuel puisque l'essentiel des dispositions touchant à l'assurance maladie semblaient devoir être introduites par voie d'amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale » (cf. rapport Sénat no 60 2000-2001, tome 1, p. 189). Au sein de ce conseil d'administration, la délégation CFDT et une personne qualifiée ont du reste refusé de se prononcer sur ce texte, les autres membres votant contre.
Les sénateurs requérants demandent au Conseil constitutionnel l'annulation de cet article , adopté selon une procédure contraire à la Constitution.

V. - Sur l'article 30, paragraphe III

Le paragraphe III de l'article 30 vise à corriger une « erreur » de la loi no 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie. En aucun cas, cette disposition, permettant de retrancher « les concours financiers apportés par les enfants pour les prises en charge nécessitées par les pertes d'autonomie de leurs parents, ainsi que certaines prestations sociales à objet spécialisé dont la liste est fixée par voie réglementaire » dans le calcul des ressources des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie en établissement, n'affecte de manière directe « l'équilibre financier des régimes obligatoires de base », ni n'améliore « le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ». Le Gouvernement a d'ailleurs reconnu lui-même qu'il s'agissait d'un « cavalier social » (cf. JO Débats Sénat, séance du 14 novembre 2001, p. 5079).
Cette disposition doit être déclarée non conforme à la Constitution, car étrangère au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

VI. - Sur l'article 42

L'article 42 prévoit une contribution de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) au budget de l'Etat, sous la forme d'un versement à un fonds de concours de 1,3 milliard de francs en 2001, pour financer l'achat d'un stock de vaccins et d'antibiotiques destinées à lutter contre des attaques terroristes.
La contribution ainsi demandée ne respecte pas l'alinéa 12 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que « La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».
En effet, les recettes de la Caisse nationale d'assurance maladie proviennent à plus de 50 % de cotisations sociales et les cotisants à cette caisse ne représentent qu'un peu plus de 80 % des assurés sociaux.
Les actes de terrorisme international qualifié par le Premier ministre lui-même « d'attentats d'une violence et d'une gravité sans précédent » ont été suivis d'attaques biologiques.
Prévoyant une éventuelle extension de ces attaques, le fonds vise à doter l'Etat d'un stock de médicaments destinés à lutter contre d'éventuelles épidémies fortement contagieuses (anthrax, variole) dont la diffusion recouvrirait sans nul doute le caractère de « calamité nationale ».
Le financement de ce fonds de concours en quasi-intégralité par cette caisse aboutit en effet à faire financer une dépense par essence régalienne, c'est-à-dire relevant du budget de l'Etat, par une fraction de la population, les seuls assurés de la CNAM, et ce au détriment du principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant les charges publiques.

VII. - Sur l'article 56

L'article 56 prévoit que la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) rembourse aux différents organismes payeurs le congé de paternité créé par l'article 55.
L'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale dispose que la loi de financement de la sécurité sociale « fixe par branche les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ».
Dans sa réponse au questionnaire de la commission des affaires sociales du Sénat en date du 22 octobre 2001, le Gouvernement déclare que le congé de paternité « n'est pas, au sens juridique du terme, une prestation familiale. Le choix a été fait, en effet, de caler la prestation servie sur l'indemnisation des mères au titre de la maternité (...). L'indemnisation du congé de paternité a donc la même nature juridique que celle du congé de maternité ».
Mais le financement du congé de paternité, qui est « juridiquement » une prestation maladie-maternité, est pourtant pris en charge par la branche familiale, par l'intermédiaire d'un transfert. La CNAF « assure à la branche maladie-maternité, prestataire de service, le remboursement des dépenses au titre de l'indemnisation du congé de paternité ainsi que des frais de gestion afférents ».
L'article 56 apparaît ainsi contraire au 3o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale : une prestation servie par une branche déterminée doit être financée par cette même branche. Si un principe différent était retenu, quelle serait la signification du vote par le Parlement d'objectifs de dépenses par branche ?
Par ailleurs, le présent article prévoit un remboursement de la Caisse nationale d'allocation familiale à l'Etat à hauteur du montant des indemnités journalières prévu pour les fonctionnaires. Or les dépenses d'indemnités journalières sont des dépenses figurant parmi les services des prestations sociales dues par l'Etat à ses agents. Ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994, « le respect des règles d'unité et d'universalité budgétaire ainsi énoncées font obstacle à ce que des dépenses qui, s'agissant des agents de l'Etat, présentent pour lui par nature un caractère permanent ne soient pas prises en charge par le budget ». La mise à la charge d'une branche de la sécurité sociale d'une dépense relevant « juridiquement » du risque maladie-maternité constitue un transfert de charge contraire à l'article 6 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959.
En conséquence, l'article 56 n'est conforme ni à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, ni à l'article 6 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959.

VIII. - Sur l'article 59

Le présent article vise à doter le fonds d'invertissement pour la petite enfance d'une somme de 1,5 milliard de francs, prélevé sur l'excédent de l'exercice 2000.
Pour le Gouvernement, cette dépense, qui serait financée par une affectation d'une fraction d'un résultat passé, n'apparaît pas dans les charges de l'exercice 2002, et donc dans les agrégats de dépenses.
Dès lors, cet article n'est pas conforme à la Constitution, puisqu'il n'affecte, selon le Gouvernement lui-même, ni les dépenses, ni les recettes de l'exercice 2002 : contraire au principe d'annualité, il est étranger au domaine de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
On peut considérer qu'il affecte les conditions générales de l'équilibre financier telles que déterminées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 : dans ce cas, aucune loi de financement de la sécurité sociale ne peut plus prendre en compte son incidence, puisque le Parlement ne s'est pas prononcé sur des objectifs de dépenses révisés pour 2000.

IX. - Sur l'article 60

Dans sa décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel n'avait pas déclaré inconstitutionnel l'article 21 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui transférait à la CNAF la prise en charge de 15 % des majorations de pensions pour enfants.
Le présent article prévoit d'élever de 15 % à 30 % de ces dernières le montant pris en charge par la CNAF.
Dès lors, les sénateurs requérants souhaitent faire part d'éléments nouveaux. En effet, la Cour des comptes, dans sa réponse au questionnaire de la Commission des affaires sociales du Sénat soulève que ce transfert pose des problèmes « de cohérence et d'équité » (cf. rapport Sénat, no 60, tome I, p. 198-199).
A ce titre, la Cour souligne l'importance de ces difficultés « dans les arbitrages de la politique familiale entre les familles qui ont des enfants à charge et celles, retraitées, ayant eu charge d'enfants. Le poids de l'AVPF et des majorations transférées du FSV mobilisent ainsi - dans une enveloppe budgétaire fortement contrainte - des marges croissantes de financement qui ne peuvent être affectées aux familles ayant des enfants à charge ».
La Cour ajoute par ailleurs que la logique d'un accroissement des transferts « supposerait de modifier les ressources de la branche ».
Le passage de 15 % à 30 % de la prise en charge par la CNAF de ces majorations de pension semble ainsi contraire au principe d'égalité entre les citoyens.
En effet, le Gouvernement n'a pas, malgré la réserve posée par la Cour des comptes, modifié les ressources de la CNAF afin de lui permettre de faire face à cette mission nouvelle.
Il ressort de la nouvelle répartition de « l'enveloppe » décrite par la Cour que, en l'absence de moyens nouveaux affectés à la CNAF pour financer ce transfert, la part des prestations versées par la CNAF à des retraités ayant eu charge d'enfant s'accroît. Ces derniers bénéficient donc deux fois de « l'enveloppe » des prestations familiales, hier en tant que « familles ayant des enfants à charge » et aujourd'hui comme « retraités ayant eu charge d'enfants », et ce, au détriment des « familles ayant des enfants à charge » aujourd'hui.
En l'absence de nouvelles ressources pour la CNAF, le transfert des majorations des pensions pour enfants prises en charge par la branche ne saurait être poursuivi sans rompre le principe constitutionnel d'égalité entre citoyens.

X. - Sur l'article 68

Cet article , qui prévoit le versement au Fonds de réserve pour les retraites de 5 milliards de francs, prélevés sur l'excédent 2000 de la CNAF, appelle le même type d'observations que celles formulées sur l'article 59 : s'il n'affecte pas les comptes de l'exercice 2002, cet article n'a pas sa place dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. En revanche, il affecte les conditions générales de l'équilibre financier pour 2000, alors qu'aucune loi de financement de la sécurité sociale ne peut plus prendre en compte son incidence sur l'exercice 2000.

XI. - Sur l'article 73

Les sénateurs requérants souhaitent que le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité de cet article , au regard du domaine des lois de financement de la sécurité sociale, défini par la loi organique du 22 juillet 1996.

XII. - Sur l'article 76

L'article 76 fixe, conformément au 5o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, les limites dans lesquelles les besoins de trésorerie des régimes obligatoires comptant plus de 20 000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres peuvent être couverts par des ressources non permanentes. Il s'agit d'une disposition normative essentielle des lois de financement de la sécurité sociale.
Or, les plafonds d'avances de trésorerie proposés appellent deux observations :
- premièrement, les plafonds consentis à la Caisse autonome de sécurité sociale dans les mines et au Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat ne sont pas compatibles avec les encours de ces deux « régimes », présentés à l'annexe c du projet de loi, qui font apparaître que leur trésorerie reste, sur toute l'année 2002, excédentaire ;
- deuxièmement, le plafond d'avances de trésorerie consenti au régime général apparaît largement surestimé : il est fixé à 4 420 millions d'euros (soit 29 milliards de francs) depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Or, en 2000, le point le plus bas du profil de trésorerie a été de - 20,1 milliards de francs. Pour 2001, ce point le plus bas, chiffré à - 17 milliards de francs selon l'annexe c du projet de loi, aurait été finalement de seulement - 12 milliards de francs (cf. rapport Sénat no 60, tome IV, p. 196-201). Pour 2002, le point le plus bas serait de - 3 000 millions d'euros, soit un montant largement inférieur au plafond proposé (cf. annexe c du projet de loi).
Dans ces conditions, l'adoption de plafonds d'avances de trésorerie soit inutiles (CANSSM, FSPOIE), soit largement surestimés (régime général, régime agricole), doit être censurée au regard du principe de sincérité et des dispositions du 5o du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale et de l'article LO 111-5 du même code : les plafonds d'avances de trésorerie avaient pour vocation de servir au Parlement « d'indicateurs d'alerte » sur la situation de tel ou tel régime. C'est pour cette raison que le législateur organique de 1996 avait prévu que le Gouvernement ait la possibilité de prendre à tout moment un décret relevant ce plafond, cette disposition réglementaire devant être ratifiée « dans le plus prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ».
Dans un sens inverse, le plafond d'avances de trésorerie consenti à la CNRACL (500 millions d'euros) s'appuie sur une hypothèse particulièrement optimiste de l'encours de trésorerie de ce régime. En effet, selon les propres calculs de la CNRACL, un plafond de 650 à 700 millions d'euros serait au minimum nécessaire, ce qui pose la question de la « sincérité » du plafond retenu par l'article 76. Du reste, le plafond prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 semble avoir été, dans les faits, dépassé (cf. rapport Sénat, no 60, tome III, p. 30).
Les sénateurs requérants demandent ainsi l'annulation de l'ensemble de l'article 76, qui apparaît contraire à la loi organique du 22 juillet 1996 et au principe de sincérité.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre conseil de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, et notamment les articles 12, 13, 16, 17, 18, 30 paragraphe III, 42, 56, 59, 60, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73 et 76.
(Liste des signataires : voir décision 2001-453 DC.)