Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 2000, adoptée le 28 juin 2000.
Dans le but de réduire pour tous les contribuables le montant de la taxe d'habitation, impôt dont les défauts, en termes d'équité et d'efficacité, viennent d'être soulignés par le Conseil des impôts dans son rapport récemment remis au Président de la République, cet article supprime la part régionale de cette taxe. Cette mesure se traduira, dès l'année 2000, par un allégement de 5,8 milliards de francs sur un total de 11 milliards, compte tenu des dispositions du même article relatives au régime des dégrèvements.
Pour l'année 2000, cette suppression prendra la forme d'un dégrèvement d'office dont la charge incombera intégralement à l'Etat. Les régions percevront donc, comme les années précédentes, le produit exact de la taxe d'habitation qu'elles ont voté dans le cadre de leur budget.
Pour les années suivantes, la perte de recettes résultant de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation sera compensée par une dotation budgétaire égale au produit des rôles généraux de l'année 2000, revalorisé en fonction du taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement.
Pour contester cette mesure, les sénateurs requérants font valoir qu'en supprimant une part importante des ressources fiscales des régions, elle va à l'encontre du principe de libre administration des collectivités locales. A cet égard, ils estiment qu'il faut également tenir compte de la réforme récente de la taxe professionnelle pour apprécier la diminution globale de la part de la fiscalité dans le budget des régions. Ils considèrent, en outre, que cette mesure ne sera que partiellement compensée.
Pour sa part, le Gouvernement considère que cette mesure est conforme au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales.
Il est utile de rappeler, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, qui traduit sur ce point le principe ancien du consentement à l'impôt exprimé à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, c'est au législateur qu'il revient de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, et donc de créer, de modifier ou de supprimer des impôts. Cette compétence s'exerce quelle que soit la collectivité publique affectataire de l'impôt (Etat, collectivité territoriale ou établissement public) sous réserve de la possibilité, admise par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que, dans un cadre et dans des limites définies par la loi, une marge de manoeuvre soit laissée, notamment en matière de fixation des taux, à l'appréciation du pouvoir réglementaire ou des organes délibérants des collectivités affectataires de l'impôt.
S'agissant des collectivités locales, la nécessité d'un tel cadre se traduit, en particulier, par les dispositions législatives qui plafonnent les taux des impôts locaux, ainsi que par celles qui établissent un lien entre ceux qui pèsent sur les ménages et ceux qui frappent les entreprises.
En conséquence, lorsqu'il décide de réformer un impôt ou d'en alléger le poids pour le contribuable, le législateur peut exercer pleinement le pouvoir d'appréciation qu'il tient de la Constitution, sous réserve des principes à valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui, qui sont principalement, dans ce domaine, le principe d'égalité devant l'impôt et le principe de nécessité de l'impôt.
En second lieu, il n'est certes pas contestable que le principe de libre administration serait privé de portée si les collectivités locales ne pouvaient compter sur des ressources suffisantes. Il appartient donc au législateur, compétent en vertu de l'article 34 pour déterminer les principes fondamentaux « de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », de faire en sorte que ces collectivités puissent disposer, d'une part, des ressources leur permettant de remplir de manière effective les attributions qui leur sont confiées, d'autre part, de la liberté d'emploi de ces ressources.
Il résulte en outre de la jurisprudence, et en dernier lieu de la décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998, que, parmi ces ressources, une certaine part de recettes fiscales doit être préservée. En déclarant conforme à ces exigences la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle par la loi de finances pour 1999, cette décision montre bien que la part des recettes fiscales n'a pas à être nécessairement majoritaire : lorsque cette suppression aura produit tous ses effets, les recettes fiscales des régions s'élèveront en effet à 44,4 % de leurs recettes totales hors emprunt. Comme le souligne un commentateur, c'est seulement « si les recettes fiscales propres des collectivités territoriales devenaient négligeables par rapport aux subventions de l'Etat » que le principe de libre administration serait méconnu (J.E. Schoettl, chronique AJDA 1999, p. 18).
Tel est le cadre constitutionnel à l'intérieur duquel il appartient au législateur d'exercer ses compétences.
Or l'article 11 de la loi déférée ne méconnaît pas ces exigences. Il est clair en effet que, après la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, les recettes fiscales des régions resteront substantielles, puisqu'elles représenteront encore 36,6 % de leurs recettes totales hors emprunt, en prenant en compte la réforme de la taxe professionnelle. Si l'on s'en tient aux recettes de la section de fonctionnement, c'est d'ailleurs une proportion de 41,3 % qui doit être retenue.
Ainsi, avec une telle proportion de recettes fiscales propres, les régions disposeront encore d'une marge de manoeuvre fiscale suffisante au regard de la jurisprudence précitée, qui paraît fondée sur le souci de permettre aux collectivités locales de mobiliser des ressources propres pour faire face, le cas échéant, à des coûts imprévus pesant sur les services publics dont elles ont la charge.
En tout état de cause, il est impossible de fixer une proportion ne varietur, valant pour toutes les collectivités territoriales, quelle que soit la catégorie et même au sein de chacune d'entre elles, et qui au surplus pourrait être vérifiée chaque année, nonobstant l'évolution de leurs assiettes fiscales comme des dotations de l'Etat. Ainsi, par exemple, des collectivités devant bénéficier, en raison de leur faible potentiel fiscal, d'un effort important de péréquation, connaîtront nécessairement une proportion de ressources fiscales propres inférieure à celle des collectivités ne bénéficiant pas de la péréquation de l'Etat.
Il convient en outre de souligner que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, le mode de compensation, par l'Etat, de la perte de recettes subie par les régions du fait de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation leur garantit un niveau de ressources qui ne les pénalise en rien et qui est, de surcroît, prévisible.
En effet, les régions percevront, à compter de 2001, une compensation égale au produit des rôles généraux de taxe d'habitation de 2000, revalorisée en fonction du taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Ce mode d'indexation, déjà utilisé pour plusieurs compensations, notamment pour la suppression de la part salariale des bases de la taxe professionnelle, permettra d'assurer aux collectivités locales une progression régulière de la compensation. C'est précisément ce mode de compensation qui a été jugé suffisant par le Conseil constitutionnel dans sa décision, déjà citée, du 29 décembre 1998. Il s'agit d'ailleurs d'un mécanisme particulièrement avantageux, dans la mesure où la DGF évolue chaque année comme l'indice des prix à la consommation, majoré de la moitié de la progression du produit intérieur brut.
Par ailleurs, les évolutions moyennes, au cours des dix dernières années, de la DGF et des bases régionales de la taxe d'habitation ont été comparables (+ 2,8 % contre + 2,9 % par an en moyenne), contrairement aux indications fournies par les requérants. Compte tenu des perspectives de croissance du produit intérieur brut, l'indexation sur la DGF devrait, dans les prochaines années, se révéler favorable aux régions.
Il convient de remarquer que l'évolution du produit voté constaté au début des années 1990 est, quant à elle, largement le fruit d'une augmentation des taux votés par les régions motivée par le souci de ces dernières de financer les charges liées à la montée en puissance de cette nouvelle catégorie de collectivité. Cette augmentation ne pouvait pas se poursuivre, au risque de rendre la pression fiscale insupportable pour le contribuable local ou d'obliger l'Etat à en prendre une part croissante à sa charge sous forme de dégrèvements ou d'exonérations. De fait, la croissance des taux s'est fortement ralentie à compter du milieu des années 1990.
Ainsi la compensation prévue permettra-t-elle de garantir aux régions le même niveau de recettes.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement considère que le Conseil constitutionnel ne pourra que déclarer l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 2000 conforme à la Constitution.