Les diverses mesures destinées à améliorer la sécurité routière adoptées depuis vingt ans ont permis d'obtenir, sur cette période, une réduction de moitié des accidents corporels impliquant des véhicules automobiles. Le nombre des décès liés à ces accidents a également fortement diminué, mais à concurrence de 30 % seulement, et plus de 8 000 personnes trouvent encore la mort chaque année sur les routes de notre pays, sans compter le nombre de celles qui se retrouvent définitivement handicapées à la suite d'un accident de la circulation. La France se situe ainsi parmi les pays membres de l'Union européenne dans lesquels le risque routier, qu'il soit mesuré en rapportant le nombre de tués au parc automobile ou à la population, est le plus élevé : deux fois plus, en particulier, qu'au Royaume-Uni, en Suède ou aux Pays-Bas, une fois et demie plus qu'en Italie. Cette insécurité touche particulièrement les jeunes de 15 à 24 ans, pour qui elle constitue la première cause de mortalité.
Une situation aussi grave exige une politique déterminée de sécurité routière, afin de faire baisser de manière significative le nombre des victimes de la route. A cet égard, le Gouvernement s'est fixé un objectif de réduction de moitié de ce nombre dans les cinq ans. Pour l'atteindre, il importe naturellement de faire appel au sens civique de chacun, et de mettre l'accent sur la formation à la sécurité routière.
Il est aussi nécessaire d'obtenir, le cas échéant au moyen de sanctions efficaces et dissuasives, le respect des règles essentielles sans lesquelles cette sécurité ne peut être assurée. Même si la répression ne peut suffire à porter remède à ce fléau national, l'expérience montre que l'adoption de réglementations plus strictes se traduit par une baisse significative du nombre des victimes de la route, ainsi que l'a prouvé, notamment, l'entrée en vigueur du permis à points en 1992.
C'est parce que rien ne doit être négligé pour mettre fin à cette hécatombe, que le Gouvernement a invité le Parlement à se prononcer sur un certain nombre de mesures, mettant l'accent à la fois sur la prévention, à travers l'amélioration de la formation des usagers de la route, sur un meilleur respect de la réglementation existante, et sur le renforcement de la répression pour les infractions les plus graves. Ces propositions ont fait l'objet d'un large consensus, ce qui a permis à la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, après avoir été votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, d'être définitivement adoptée le 19 mai 1999.
Certaines de ces mesures ont néanmoins été contestées par une soixantaine de députés, qui ont saisi le Conseil constitutionnel d'un recours dirigé contre trois articles de ce texte. Les critiques adressées à ces dispositions appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur l'article 6
A. - Cet article insère dans le code de la route un nouvel article L. 21-2, relatif à la présomption de responsabilité pécuniaire des propriétaires de véhicules.
1. Cette mesure procède du constat de l'insuffisante « crédibilité » de la réglementation, faute de contrôles véritablement efficaces. En effet, l'efficacité des contrôles automatiques sans interception est faible, en raison notamment des précautions prises, par ceux qui en font l'objet, pour éviter toute identification. De nombreux conducteurs dont le comportement est dangereux parviennent ainsi à échapper aux sanctions, dont l'effet dissuasif est gravement altéré par le sentiment d'impunité qui en résulte. Or, pour des raisons de sécurité, les contrôles sans interception sont pourtant les seuls contrôles susceptibles d'être pratiqués dans les endroits où, précisément, les conditions de circulation sont les plus dangereuses (virages, montées...).
S'inspirant du mécanisme introduit en 1972 pour le stationnement, le Parlement a donc décidé de rendre le titulaire du certificat d'immatriculation redevable, dans des conditions strictement définies, du paiement de certaines amendes, sanctionnant les comportements les plus dangereux, c'est-à-dire les excès de vitesse et les franchissements de « feux rouges » et de « stop ». Ce faisant, le législateur a suivi la voie ouverte par plusieurs pays européens. On constate ainsi que plusieurs pays dont le système juridique est comparable au nôtre connaissent des mécanismes de responsabilité du propriétaire du véhicule pour les infractions routières commises au moyen de celui-ci : tel est notamment le cas des Pays-Bas (loi Mulder de 1990) et du Royaume-Uni (Road Trafic Act de 1991). D'autres Etats, tels que l'Autriche, l'Espagne et l'Italie ainsi que certains cantons suisses, ont également mis en oeuvre des mesures analogues avec une efficacité démontrée sur la sécurité routière.
Le premier alinéa du nouvel article L. 21-2 précise que cette obligation est exclue en cas de vol ou de tout événement de force majeure. Elle ne joue pas davantage lorsque le propriétaire apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.
La portée de cette mesure est en outre encadrée et limitée par le deuxième alinéa du même article : la personne déclarée pécuniairement redevable n'est pas responsable pénalement de l'infraction ; la décision ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire ; elle ne peut être prise en compte pour la récidive ; elle n'entraîne aucun retrait de points affectés au permis de conduire ; enfin les règles de la contrainte par corps ne lui sont pas applicables.
2. Pour contester cette disposition, les requérants commencent par constater qu'elle s'apparente à une responsabilité d'ordre pénal. Ils en déduisent que le prononcé de la sanction pécuniaire doit bénéficier des garanties qui encadrent les peines prononcées par les juridictions répressives. Or l'article 6 de la loi déférée méconnaîtrait, selon eux, les règles et principes constitutionnels applicables en la matière. Ils mettent à cet égard en cause le caractère de « peine automatique » que présenterait cette sanction. Ils y voient une contradiction avec le principe de nécessité des peines posé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ce faisant, le législateur aurait également méconnu les principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle.
Les auteurs de la saisine invoquent enfin une incompatibilité avec l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui énonce le principe de la présomption d'innocence.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que l'article 6 est conforme à la Constitution.
A titre liminaire, il convient de souligner que l'argumentation des requérants se situe sur un terrain qui, s'agissant du contrôle de constitutionnalité d'une loi, n'est pas parfaitement adéquat.
Il n'est certes pas contestable que la disposition critiquée présente, indépendamment de ses finalités préventives et dissuasives, un aspect punitif. Il n'est donc pas douteux que sa conformité à la Constitution doit être vérifiée au regard des règles qui en découlent en matière répressive, et en particulier des principes déduits de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.
De même est-il certain que, bien que n'instaurant pas une responsabilité pénale, au sens plein de ce terme, la mesure en cause est soumise, pour les mêmes raisons, au principe de présomption d'innocence.
Mais c'est à tort que les auteurs de la saisine croient devoir rechercher le fondement de ce principe dans le paragraphe 2 de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme : une telle argumentation est à la fois inopérante car - hormis le cas, très particulier, visé à l'article 88-3 de la Constitution - les traités ne font pas partie du « bloc de constitutionnalité » et surtout inutile, car le principe de la présomption d'innocence trouve un fondement constitutionnel suffisant dans l'article 9 de la Déclaration de 1789.
Cela étant, et même en la replaçant dans un cadre juridiquement pertinent, cette argumentation ne peut être accueillie.
1. Il est clair, d'abord, que le moyen tiré du caractère automatique de cette mesure manque en fait.
Le nouvel article L. 21-2 du code de la route a pour seul objet de rendre, dans certains cas, le propriétaire du véhicule pécuniairement redevable du paiement d'une amende. Son mécanisme ne prévoit ni n'implique aucune automaticité. Il ne pourra jouer qu'après intervention d'un juge, comme l'impliquent les termes mêmes du deuxième alinéa, qui suppose que l'intéressé ait été « déclaré redevable » et précise les modalités et conséquences de cette intervention.
Il n'aura, par définition, à jouer que dans les cas où l'infraction constatée n'a pas donné lieu à interception du conducteur du véhicule, et dans la mesure seulement où le propriétaire de celui-ci contesterait en avoir été le conducteur au moment des faits.
S'il s'agit d'une contravention des quatre premières classes donnant lieu à la procédure d'amende forfaitaire, le titulaire de la carte grise qui entend présenter une telle contestation adressera une réclamation à l'officier du ministère public, lequel devra saisir le juge de police, soit par réquisition d'ordonnance pénale, soit par citation directe. Dans le cas d'un grand excès de vitesse, qui correspond à une contravention de cinquième classe, l'affaire sera directement examinée par le juge.
Dans tous les cas, et en fonction des éléments qui lui seront contradictoirement fournis, ce magistrat devra apprécier :
- si la responsabilité pénale de l'intéressé doit être retenue, avec les conséquences qui en résultent, s'agissant notamment du nombre de points affectés au permis de conduire ;
- dans la négative, si l'intéressé peut se prévaloir de l'une des causes d'exonération de sa responsabilité pécuniaire, soit qu'il s'agisse du vol - par exemple par la fourniture d'un récépissé de dépôt de plainte - ou de diverses situations de force majeure, soit que le propriétaire ait justifié d'une impossibilité d'avoir été le conducteur, aussi bien en montrant, par tous moyens, qu'il se trouvait ailleurs au moment des faits, qu'en fournissant des renseignements sur le véritable conducteur.
Il est donc inexact de qualifier ce mécanisme de sanction automatique, alors que le texte a prévu de larges possibilités d'exonération et que sa mise en oeuvre ne peut résulter que de la décision d'un juge du siège, contre laquelle les voies de recours habituelles pourront naturellement s'exercer.
2. La disposition contestée ne méconnaît pas davantage le principe de présomption d'innocence.
De manière générale, en effet, l'existence d'une présomption légale n'est, par elle-même, nullement incompatible avec ce principe. On soulignera, à cet égard, que le droit connaît de nombreuses hypothèses de présomptions de responsabilité, non seulement en matière civile, administrative, fiscale et douanière, mais aussi en matière pénale. C'est ainsi que, comme on l'a souligné plus haut, plusieurs pays dont le droit est régi par la présomption d'innocence font peser des présomptions sur les propriétaires de véhicules.
Notre droit pénal connaît lui-même des mécanismes de présomption en prévoyant que, par exemple, toute personne qui ne peut justifier des ressources correspondant à son train de vie :
- est présumée trafiquant de stupéfiants, si elle est en relations habituelles avec des trafiquants ou des usagers de stupéfiants (art. 222-39-1 du code pénal) ;
- est présumée proxénète, si elle vit ou est en relations habituelles avec une ou plusieurs prostituées (art. 225-6) ;
- est présumée receleur, si elle a autorité sur un mineur qui vit avec elle et se livre habituellement à des crimes ou des délits contre les biens d'autrui (art. 321-6).
Il s'agit toujours de présomptions simples, la personne poursuivie pouvant échapper à la condamnation en justifiant l'origine licite de ses ressources, renversant ainsi les apparences sur lesquelles repose la présomption légale.
Il n'est pas non plus indifférent de souligner qu'au regard des exigences, matériellement identiques, de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, de tels mécanismes ne sont pas jugés incompatibles avec la présomption d'innocence.
C'est ce qui résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, pour l'application du mécanisme analogue prévu par l'article L. 21-1 du code de la route. C'est également ce qu'a admis la Cour européenne des droits de l'homme, à propos d'une présomption prévue par la législation douanière française (7 octobre 1988, Salabiaku c/France ; 25 septembre 1992, Pham Hoang c/France). Il ressort de sa jurisprudence qu'en matière répressive les présomptions de fait ou de droit ne sont pas contraires à la présomption d'innocence, à la condition que les Etats les enserrent « dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense ».
Au regard de ces critères, la présomption prévue par l'article L. 21-2 n'est nullement contraire à la présomption d'innocence, dès lors qu'elle est enfermée dans des limites raisonnables. Apprécié en ayant en vue l'objectif poursuivi, ce caractère raisonnable est marqué à la fois par les conditions de mise en oeuvre de cette présomption et par les possibilités ouvertes pour la renverser.
L'objectif recherché - accroître l'efficacité de la sécurité routière - est, en effet, plus que légitime. A défaut d'une telle présomption, seuls les contrôles routiers effectués après interception du conducteur, alors même qu'ils présentent - notamment en matière d'excès de vitesse - un risque considérable pour la sécurité des usagers de la route, pourraient permettre la mise en oeuvre de la responsabilité des contrevenants. Les contrôles par « flashage » risqueraient de demeurer inefficaces, comme ils le sont trop souvent actuellement.
S'agissant des conditions de mise en oeuvre, il n'est pas contestable que, dans les hypothèses les plus fréquentes, le propriétaire du véhicule en est bien le conducteur effectif. C'est si vrai que, jusqu'à l'insertion, en 1958, de l'article L. 21 du code de la route posant le principe de la responsabilité personnelle du conducteur, la jurisprudence avait tendance à appliquer d'elle-même une telle présomption (Cass. crim. 12 février 1904 ; Cass. crim. 12 avril 1924).
En ce qui concerne la force de cette présomption, elle est singulièrement ténue puisque la personne qu'elle vise peut, par tous les moyens évoqués plus haut, aisément convaincre le juge qu'elle n'était pas le conducteur, de sorte que, mis à part les cas de mauvaise foi, seuls les propriétaires de véhicules témoignant d'un défaut de vigilance caractérisé n'y parviendront pas.
En tout état de cause, on relèvera que les conséquences de cette présomption de responsabilité sont limitées, car elle ne se traduit que par le paiement d'une somme d'argent et n'entraîne ni inscription sur le casier judiciaire, ni récidive, ni contrainte par corps, ni perte de points du permis de conduire.
Dans tous les cas, la loi préserve pleinement les droits de la défense et la possibilité de s'expliquer devant un juge. A cet égard, il importe de souligner que, tel qu'il est conçu, le nouvel article L. 21-2 implique que celui sur lequel pèse la présomption puisse combattre celle-ci à tout moment. Il en résulte que la jurisprudence qui, pour l'application de l'article L. 21-1 actuel, exige que le conducteur fournisse les informations que la loi met à sa charge dès la réclamation formée sur le fondement de l'article 530 du code de procédure pénale, sans pouvoir le faire à l'audience, ne devrait pas pouvoir être transposée au mécanisme institué par l'article 6 de la loi déférée.
C'est donc à tort que les auteurs de la saisine mettent en cause sa conformité à la Constitution.
II. - Sur les articles 7 et 8
A. - Les articles 7 et 8 de la loi déférée sont relatifs au délit dit de « très grande vitesse » en récidive.
1. La nécessité de réprimer de manière exemplaire les excès de vitesse procède d'une conviction qui découle de toutes les études menées en la matière : la vitesse excessive apparaît comme le facteur déterminant dans 48 % des accidents mortels et le simple respect des limitations de vitesse aurait permis de sauver, chaque année, plus de 3 000 vies. On a ainsi constaté que, si le nombre d'accidents a diminué de 0,7 % de 1997 à 1998, celui des tués a, dans le même temps, augmenté de 5,6 %.
Afin d'inciter à la baisse de l'ensemble des vitesses pratiquées, il est donc apparu nécessaire de compléter l'institution récente, par décret, d'une contravention de cinquième classe pour tout dépassement de la vitesse autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, par un délit spécifique en cas de récidive. Ce dispositif en deux étapes vise ainsi à être dissuasif et pédagogique.
C'est pourquoi l'article 7 ajoute un nouvel article L. 4-1 du code de la route, créant un délit en cas de réitération, dans un délai d'un an, de l'infraction consistant à dépasser la vitesse maximale autorisée d'au moins 50 km/heure. Ce délit peut être puni de peines atteignant au maximum trois mois d'emprisonnement et 25 000 F d'amende.
Quant à l'article 8, il insère un renvoi à ce nouvel article L. 4-1 dans le a) de l'article L. 11-1, relatif aux nombres de points affectés au permis de conduire, prévoyant ainsi, pour cette infraction, un retrait de six points.
2. Les députés, auteurs de la saisine, estiment que ces articles méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines affirmés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon eux, le législateur aurait ainsi commis une erreur manifeste d'appréciation au regard du dispositif existant, compte tenu notamment de l'article 223-1 du code pénal, relatif à la mise en danger délibérée d'autrui.
Les requérants contestent également le retrait de points prévu par l'article 8, l'auteur du délit en cause pouvant ainsi perdre, pour deux infractions, dix points sur les douze que compte le permis de conduire. Dans la mesure où le retrait total des points entraîne l'annulation du permis, cette disposition porte, selon eux, une atteinte excessive au principe de la liberté de circulation, tout en méconnaissant les exigences de proportionnalité et de nécessité des peines.
Les auteurs de la saisine font, par ailleurs, grief au mécanisme de retrait de points de ne pas respecter les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils considèrent, en outre, que la décision de retrait de points doit pouvoir être soumise à l'appréciation de l'autorité judiciaire en application de l'article 66 de la Constitution. Enfin, ces articles portent, selon eux, atteinte à l'exigence d'un recours de pleine juridiction à l'encontre de toute décision infligeant une sanction.
B. - Cette argumentation n'est pas fondée.
1. S'agissant de la violation alléguée de l'article 8 de la Déclaration de 1789, le Gouvernement entend d'abord rappeler qu'il faut se garder de confondre, comme semblent le faire les requérants, la discussion qui a pu avoir lieu devant le Parlement, quant à l'opportunité du renforcement du dispositif existant, avec le débat qui, la loi ayant été adoptée par la représentation nationale, ne peut porter, devant le Conseil constitutionnel, que sur la conformité du texte à la Constitution.
A cet égard, la haute juridiction a fréquemment eu l'occasion de souligner - notamment en réponse à de semblables moyens fondés sur l'article 8 de la Déclaration - qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation équivalent à celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas, en l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, de substituer sa propre appréciation à celle du législateur, en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par la loi (no 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1980 ; no 86-215 DC du 3 septembre 1986 ; no 94-346 DC du 29 juillet 1994).
Ce contrôle restreint n'empêche certes pas le juge constitutionnel de censurer la violation de l'article 8, notamment lorsque la sanction s'avère manifestement dépourvue de rapport suffisant avec les manquements qu'il s'agit de réprimer, comme le montre, en dernier lieu, la décision no 99-410 DC du 15 mars 1999.
Mais, sauf à remettre profondément en cause l'équilibre raisonnable qui résulte d'une jurisprudence bien établie - comme l'implique en réalité l'argumentation de la saisine - l'on ne saurait déclarer une disposition répressive contraire à la Constitution du seul fait que certains des manquements en cause pourraient, par ailleurs, être réprimés à un autre titre.
Quoi qu'il en soit, c'est à tort que les auteurs de la saisine font état de l'existence de l'article 223-1 du code pénal pour soutenir que l'adoption de l'article 7 de la loi déférée reposerait sur une « erreur manifeste d'appréciation ».
a) Dans la mesure où il vise à réprimer des comportements particulièrement dangereux, il n'est certes pas douteux que le délit de risques causés à autrui, prévu par l'article 223-1, peut notamment trouver à s'appliquer en matière de sécurité routière.
Mais il comporte néanmoins des éléments constitutifs spécifiques, dès lors qu'il sanctionne le fait d'exposer directement une personne à un risque immédiat de mort, de mutilation ou d'infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. La jurisprudence en a déduit que le non-respect d'une règle de prudence ou de sécurité ne suffit pas à en constituer l'élément matériel. Ainsi a-t-il été jugé que le seul fait, pour un automobiliste, de rouler à plus de 200 km/h sur une chaussée d'autoroute rectiligne et sèche, avec une visibilité parfaite, une circulation fluide, dans un véhicule en parfait état de marche, n'est pas constitutif du délit réprimé par l'article 223-1 (Cour d'appel de Douai, 26 octobre 1994).
Cet article ne permet donc pas de réprimer le seul dépassement excessif de la vitesse maximale autorisée. En outre, la condamnation d'un automobiliste dangereux sur son fondement n'entraîne pas de retrait des points du permis de conduire. Or il est nécessaire, et légitime, de mettre en place un dispositif dissuasif suffisamment efficace, sans attendre que les conducteurs qui méconnaissent délibérément la réglementation aient effectivement mis des tiers en danger.
Il est donc cohérent d'instituer un délit spécifique pour les infractions les plus graves au code de la route, avec, d'une part, une peine encourue inférieure à celle que prévoit l'article 223-1, mais en permettant, d'autre part, d'en tirer les conséquences nécessaires quant à l'aptitude à conduire un véhicule d'une personne reconnue coupable de violations graves et réitérées des obligations pesant sur tout conducteur en matière de limitations de vitesse.
L'on ne saurait donc raisonnablement soutenir - sauf à altérer profondément les principes constitutionnels issus de l'article 8 de la Déclaration - qu'une telle mesure n'est manifestement pas nécessaire pour lutter contre la délinquance routière.
b) On soulignera en outre que le nouvel article L. 4-1 du code de la route est nécessairement régi par le principe du caractère intentionnel des délits, énoncé à l'article 121-3 du code pénal. Il ne comporte, en effet, aucune des exceptions que ce dernier texte permet d'apporter au principe général qu'il énonce.
Le tribunal ne pourra donc entrer en voie de condamnation que s'il est établi que l'infraction a été commise de manière intentionnelle.
c) De même est-il évident que les peines encourues en vertu de l'article L. 4-1 ne sont qu'un maximum, et qu'il appartiendra au juge de choisir, à l'intérieur de ce plafond, le montant le mieux adapté aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de son auteur.
En résumé, l'existence de l'article 223-1 ne saurait suffire à établir qu'il n'était manifestement pas nécessaire d'ouvrir, comme le Parlement l'a estimé opportun, la possibilité de réprimer, plus sévèrement que par une simple contravention, le dépassement de plus de 50 km/h de la vitesse autorisée, lorsqu'il est le fait d'une personne qui a déjà été condamnée définitivement, depuis moins d'un an, pour avoir déjà commis une infraction de cette nature.
Enfin, et même si les requérants n'apportent guère de précisions à l'appui de leur grief tiré de l'absence de proportionnalité, on ajoutera qu'il serait pour le moins paradoxal de décider qu'il est manifestement excessif de prévoir la possibilité de sanctionner par des peines délictuelles des comportements récidivistes aussi graves, alors que, par ailleurs, celui qui conduit sous l'empire d'un état alcoolique, même pour la première fois, encourt, en vertu de l'article L. 1er du code de la route, des peines bien plus sévères.
2. Les moyens dirigés contre l'article 8 de la loi, relatif aux conséquences d'une condamnation sur le fondement de l'article L. 4-1 sur le nombre de points affectés au permis de conduire, ne sont pas non plus de nature à en justifier la censure.
Dès lors qu'il est clair que le droit répressif dégagé à partir de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme s'applique à toute sanction administrative ayant le caractère de punition, c'est à cette aune que doit être appréciée la conformité à la Constitution du mécanisme de retrait de points, la jurisprudence l'ayant ainsi qualifié (cf. CE 8 décembre 1995, Mouvement de défense des automobilistes ; et par analogie, au regard de la notion de matière « pénale », au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, CEDH 23 septembre 1998, Malige c/France).
Mais il est tout aussi clair que ni la disposition contestée ni, de manière générale, le mécanisme du permis à points ne méconnaissent ces principes.
a) En premier lieu, il est difficile de considérer comme manifestement déraisonnable un dispositif en vertu duquel le conducteur qui se placerait - délibérément, par définition - dans la situation entrant dans les prévisions de l'article L. 4-1 pourrait perdre, pour deux infractions commises en un an, dix points sur les douze que comporte son permis de conduire.
A cet égard, il convient de souligner qu'en invoquant une prétendue interdiction des sanctions « automatiques », les auteurs de la saisine se méprennent sur la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. S'il est exact que cet élément est souvent pris en compte dans le contrôle de constitutionnalité de dispositions répressives, c'est seulement en tant que paramètre permettant d'apprécier si les exigences de nécessité et de proportionnalité ne sont pas manifestement méconnues. Un tel élément peut, il est vrai, s'avérer parfois décisif, lorsque la sanction dont l'application automatique est prévue s'avère manifestement dépourvue de rapport suffisant avec les manquements qu'il s'agit de réprimer, comme le montre la censure prononcée par la décision, déjà citée, du 15 mars 1999.
Mais il résulte clairement de la décision no 97-395 DC du 30 décembre 1997 que les principes régissant le droit répressif n'imposent nullement au législateur de s'en tenir, dans tous les cas, à un maximum, à l'intérieur duquel le montant de la sanction devrait être modulé. Le Conseil constitutionnel a, en effet, expressément validé une sanction administrative « automatique », applicable dès lors qu'un manquement à une obligation est constaté, alors que, comme a pu le souligner un commentateur (J.E. Schoettl, chronique AJDA 1998, p. 124) les députés qui l'avaient saisi faisaient précisément grief à cet article de ne permettre aucune marge d'appréciation quant au montant de la sanction.
b) En second lieu, c'est en vain que les auteurs de la saisine mettent en cause les conditions d'intervention du juge en matière de retrait de points.
Il résulte en effet de ce qui a été dit ci-dessus que la Constitution n'impose pas nécessairement que le montant de la sanction soit, dans tous les cas, laissé à l'entière appréciation du juge. La notion de recours de pleine juridiction, à laquelle se réfère parfois la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les sanctions administratives, signifie donc essentiellement que le juge ne peut s'en tenir à un contrôle restreint, la personne sanctionnée devant bénéficier de la garantie d'un plein contrôle sur la réunion des conditions fixées par la loi (cf. obs. B. Genevois sur la décision no 88-248 DC du 17 janvier 1989, RFDA 1989, p. 227).
De même est-ce à tort que les requérants invoquent l'article 66 de la Constitution pour critiquer l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire dans la contestation du retrait de points. Comme le relevait le même auteur dans son commentaire de la décision no 89-261 DC du 29 juillet 1989 (RFDA 1989, p. 696), cet article a pour origine première le souci d'instituer en droit français l'équivalent de la procédure anglaise d'habeas corpus. Aussi est-il abusif de se prévaloir de cet article à propos de la possibilité de conserver l'autorisation administrative à laquelle est subordonnée la possibilité de conduire un véhicule automobile, cette possibilité ne mettant pas directement en cause la liberté individuelle, au sens précis que les rédacteurs de la Constitution ont entendu donner à cette notion : c'est dire que celle-ci ne saurait être confondue avec les diverses formes que peut prendre le principe de liberté énoncé par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
Enfin l'argumentation tirée de ce que le mécanisme de retrait de points ne respecterait pas les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut davantage être accueillie. Outre le caractère inopérant du moyen fondé sur une convention internationale, cette argumentation n'appelle que les deux remarques suivantes.
D'une part, elle se heurte, en tout état de cause, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a écarté, dans son arrêt du 23 septembre 1998, Malige c/France, de pareils griefs dirigés contre le mécanisme adopté par le législateur français pour le contentieux des retraits de points du permis de conduire. Cet arrêt juge, en particulier, que cette législation satisfait à l'exigence du contrôle entier, dès lors qu'un contrôle suffisant se trouve incorporé dans la décision pénale de condamnation, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'un contrôle séparé portant sur le retrait de points. La cour relève également que le juge administratif est à même de veiller au respect des garanties spécifiques de la procédure administrative de retrait de points.
D'autre part, rien ne fait obstacle, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelée plus haut, à ce que celui-ci s'inspire d'un semblable raisonnement pour écarter, sur le terrain du droit constitutionnel, l'argumentation des requérants, d'autant que l'arrêt Malige a pris soin de relever, en outre, que la loi avait elle-même procédé à une modulation du nombre de points retirés en fonction de la gravité des infractions. Par là-même, cette gradation satisfait ainsi pleinement aux exigences de proportionnalité.
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En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs invoqués n'est de nature à justifier une censure du texte contesté. Aussi demande-t-il au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.