Brève histoire de l'Ecole Polytechnique
Des débuts révolutionnaires
Une Ecole impériale militaire et disciplinée
Une Restauration difficile
La gloire populaire des révolutions de 183O et 1848
Une période de calme et de travail
Une école définitivement républicaine
Une Ecole tournée vers l'avenir
Des débuts révolutionnaires
Après l'enthousiasme de 1789, la France connait les bouleversements qui
accompagnent la chute de la Monarchie et les excès de la Terreur. La
jeune république doit lutter à la fois contre ses ennemis de l'intérieur
et de l'extérieur. Au début de 1794, la situation est presque
désespérée, et l'Etat manque dramatiquement de cadres scientifiques et
techniques.
A l'instigation de quelques savants réputés ralliés aux nouvelles
idées, parmi lesquels on trouve le géomètre Monge et le chimiste
Fourcroy, le Comité de Salut public crée une Commission des travaux publics par un décret du 21 ventose de l'an II (11
mars 1794), commission à l'origine de la création de l'Ecole. En moins
de huit mois, et malgré les troubles du temps, du 11 mars 1794 au 21
décembre 1794, l'Ecole est créée, elle est dotée d'un local, l'ancien
Palais-Bourbon, ses enseignants sont nommés parmi les plus grands noms
de la science et ses élèves sont recrutés par un concours qui se déroule dans toute la France.
Pour que tous ceux jugés dignes par leurs connaissances et leur
intelligence d'entrer dans la nouvelle école ne soient pas arrêtés par
des problèmes d'argent, les futurs élèves reçurent pour se rendre à
Paris les frais de route d'un cannonier de première classe, soit 15 sous
par jour, et ils devaient percevoir un salaire de 900 francs par an.
Les élèves étaient externes et logés chez de bons citoyens recommandés
par les sections des comités proches du Palais-Bourbon et chargés de
veiller sur leurs pensionnaires comme sur leur propres enfants. L'Ecole
suivait de très près les relations entre les élèves et leurs logeurs,
gentiment appelés les pères sensibles : le directeur des études
Gardeur-Lebrun, très souvent accompagné de Chaussier, le médecin de
l'Ecole, visitait régulièrement les familles d'accueil.
La première rentrée vit arriver à l'Ecole près de 400 élèves, de
niveaux scolaires différents. Un premier cycle de trois mois de cours,
appelés les cours révolutionnaires, permit de répartir les élèves en
trois catégories : ceux qui pouvaient immédiatement entrer dans les
services publics de l'Etat, ceux qui n'avaient besoin que d'une année
d'enseignement avant d'entrer dans les écoles des services publics et
ceux qui devaient suivre deux ans de cours. Grâce aux cours
révolutionnaires, l'organisation des cours sur deux ans est mise en
place immédiatement.
Dès sa création, l'Ecole, qui prendra le nom de Polytechnique en septembre 1795,
voit ainsi sa mission clairement définie. Elle doit donner à ses élèves
une solide formation scientifique, appuyée sur les mathématiques, la
physique et la chimie et les former pour entrer dans les écoles
spéciales des services publics de l'Etat, comme l'Ecole du Génie,
l'Ecole des Mines ou celle des Ponts et Chaussées.
Une Ecole impériale militaire et disciplinée
Pendant dix ans, de 1794 à 1804, les élèves de l'Ecole mènent une vie
studieuse et sortiront de ses rangs d'éminents savants comme les
mathématiciens Poisson et Poinsot, les physiciens Biot et Malus, le chimiste Gay-Lussac.
L'excellence de l'Ecole explique certainement que Bonaparte ait choisi
d'emmener avec lui en Egypte pour son expédition scientifique et
militaire Monge et Berthollet, tous deux enseignants à l'Ecole et 42 élèves tout juste sortis ou même encore en cours de scolarité.
Mais dans le Paris du Directoire, puis du Consulat et de l'Empire, les
jeunes élèves studieux à l'Ecole se montrent souvent très indisciplinés à
l'extérieur, d'autant que la tournure prise par le régime politique ne
leur convient pas trop.Pour reprendre en main l'Ecole, Napoléon décide
de lui donner un régime militaire et de caserner les élèves.
Décision est prise en 1804 de les installer sur la Montagne Sainte
Geneviève, dans les locaux désaffectés du Collège de Navarre et du
Collège de Boncourt. L'Ecole Polytechnique restera dans ces lieux
prestigieux mais mal commodes jusqu'en 1976. Elle doit aussi à Napoléon son drapeau et sa devise : "Pour la patrie, les sciences et la gloire"
Une Restauration difficile
L'Empire ne rallia jamais vraiment les élèves à sa cause, mais en 1814,
lorsque les troupes étrangères sont aux portes de Paris, les élèves qui
n'avaient suivi que quelques cours d'artillerie défendent avec un
courage extraordinaire la barrière du Trône. Leur action, pour brillante
qu'elle soit, n'empêche pas l'invasion. Napoléon abdique, Louis XVIII
arrive dans les fourgons de l'étranger, les élèves rentrent dans l'Ecole
Polytechnique. Les Cent jours vont remettre tout en question, car les
élèves font plutôt bon accueil au retour de l'empereur et accepte
d'autant plus mal la Restauration.
Des mesures maladroites, comme le renvoi du vieux Monge, exaspèrent les
élèves qui manifestent leur opposition par des chahuts et des actes
d'indisciplines. En 1816, à la suite d'un chahut particulièrement
sévère, le roi licencie toute l'Ecole. Auguste Comte, élève de la
promotion 1814 fera partie des élèves licenciés. Les cours ne
reprendront qu'en 1817, pour environ la moitié des élèves .
L'Ecole est dotée d'un nouveau statut : elle n'est plus
militaire, l'uniforme devient civil, les élèves sont toujours en
internat, la discipline est d'autant plus tatillonne qu'elle impose des
obligations religieuses comme la prière et la messe, mais la vocation
première de l'Ecole de former des jeunes scientifiques pour le service
de l'Etat n'est pas modifiée.
La gloire populaire des révolutions de 183O et 1848
Pendant tout le règne de Louis XVIII, et plus encore sous le règne de
Charles X, les élèves sont en opposition forte au régime. La férule
"paternelle" du roi se traduit par une discipline de plus en plus
rigoureuse et par une remise en vigueur du régime militaire. Malgré
tout, les élèves continuent à travailler sous la conduite de maîtres
prestigieux, pour la plupart anciens élèves de l'Ecole, comme Arago, Cauchy, Petit, Dulong et Gay-Lussac. Mais il ne faut donc pas s'étonner de les voir prendre fait et cause pour le peuple de Paris en 1830.
Le 29 juillet, une cinquantaine d'entre eux sortent en force de l'Ecole
et se mettent aux côtés des insurgés, qu'ils conduisent et protègent
parfois. L'élève Vaneau est tué lors de la prise de la caserne de
Babylone : le peuple insurgé est plein d'admiration et de reconnaissance
pour ces jeunes savants qui donnent leur vie pour la liberté.
L'arrivée au pouvoir de Louis Philippe ramène l'ordre, mais ne répond
pas aux aspirations de liberté qui avaient provoqué la Révolution de
1830. L'Ecole retrouve son statut militaire, mais les élèves
continuent à manifester leur opposition au nouveau régime, qui les
licencie en 1832, 1834 et 1844. En 1848, les élèves sont de nouveau dans
la rue, mais cette fois davantage en médiateurs et en intermédiaires
entre le pouvoir et les insurgés.De février à juin 1848, ils se mettent
au service du gouvernement provisoire. Dès que le calme est revenu, ils
rentrent sagement à l'Ecole.
Une période de calme et de travail
LePrince-Président, devenu ensuite l'empereur Napoléon III n'a pas
beaucoup de sympathie pour l'Ecole, dont les élèves ne lui manifestent
pas vraiment de respect, malgré les fortes injonctions des autorités
militaires. Cependant, l'époque des troubles violents est passée, et les
élèves se consacrent à leurs travaux et à leurs études. Certes, ils ont
toujours des opinions politiques, mais ils ne les affirment plus aussi
ouvertement et violemment que par le passé. Soumis à une stricte
discipline militaire, ils tentent de se ménager des espaces de liberté à
travers leurs traditions et leur argot qui se développent beaucoup
après 1860.
Les promotions se succèdent dans les locaux de la Montagne Ste
Geneviève, donnant régulièrement au pays des cadres scientifiques et
techniques. L'armée en absorbe une grande part, et ce sont des
militaires polytechniciens, Faidherbe et Denfert-Rochereau qui sauveront l'honneur de l'armée française dans le désastre de la guerre de 1870.
Une école définitivement républicaine
Le second empire qui a vu le développement économique et technique de la
France finit dans le drame de la défaite de 1870. La république
commence dans la répression sanglante de la Commune. Les élèves sont
alors absents de Paris, l'Ecole ayant été repliée à Bordeaux puis à
Tours devant l'avance allemande. La paix étant définitivement revenue,
l'Ecole va participer activement l'effort de redressement national.
L'armée renforce sa position d'employeur principal des polytechniciens,
mais les sciences ne sont pas abandonnées : la même promotion, 1873,
compte dans ses rangs Fayolles, qui sera maréchal de France et Henri Becquerel,
qui sera prix Nobel de physique. On retrouve des polytechniciens dans
toutes les activités du pays : développement des chemins de fer,
création d'industries nouvelles, modernisation des villes, conquête et
organisation d'un vaste empire colonial...
La guerre de 1914 va très profondement marquer l'Ecole, comme le reste
du pays. Pendant la durée des hostilités, les élèves sont mobilisés et
l'Ecole est transformée en hopital. L'Ecole peut s'enorgueillir d'avoir
formé les quatre maréchaux de France, Foch, Joffre, Fayolles et Maunoury
qui ont conduit à la victoire finale. Mais plus de deux cents élèves
des promotions 1912, 1913, 1914, 1916 et 1917 (il n'y a pas de promotion
1915) ont été tués pendant les combats.
La saignée fut aussi dramatique dans les autres grandes écoles et parmi
les étudiants de l'université. On peut penser que cette hécatombe de
jeunes talents plein d'avenir a privé durablement le pays d'une partie
de ses forces vives, qui feront défaut dans la crise économique des
années 1930 et dans la défaite de 1940.
Après l'armistice de juin 1940, l'Ecole est repliée à Lyon en zone libre
et elle redevient civile, du moins en apparence. Les courants et
conflits d'opinion qui déchirent le pays ne l'épargnent pas, mais elle
continue à payer un lourd tribut, dans les combats, dans la resistance
ou dans les camps nazis. Plus de quatre cents polytechniciens sont morts
pour la France pendant la seconde guerre mondiale, comme d'Estienne d'Orves, fusillé, ou le général Verneau, mort en déportation.
Une Ecole tournée vers l'avenir
Une fois de plus, après la tourmente, l'Ecole reprend son cours studieux
au service de la nation. Les activités de recherche scientifique se
développent, l'enseignement se modernise et s'adapte aux besoins
nouveaux de la société. Les filles font une entrée fracassante
dans ses rangs en 1972, et en 1975, elle quitte, à regret, la Montagne
Ste Geneviève pour s'installer plus largement à Palaiseau, dans la proche banlieue Sud de Paris.
Il devient plus difficile, en des temps si proches de citer des noms,
mais on retrouve des polytechniciens dans toutes les grandes avancées
technologiques : le développement de l'énergie nucléaire, la conquête de
l'espace, la télématique, les nouveaux moyens de transport. Ils sont
aussi très présents dans les organismes de recherche scientifique et ils
participent activement à toutes les activités du pays, industrielles et
de services, sans oublier la politique, la culture et le sport.
Depuis deux cents ans, l'Ecole Polytechnique assume sa longue histoire,
s'y enracine pour mieux se tourner vers les défis du futur, en restant
fidèle à la mission qui lui fut assignée par ses créateurs et qui
s'exprime dans sa devise : "Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire".