LOI RELATIVE À LA RÉTENTION DE SURETÉ ET À LA DÉCLARATION D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE POUR CAUSE DE TROUBLE MENTAL
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
A titre liminaire, et afin d'éviter tout mauvais procès, les auteurs de la présente saisine entendent rappeler leur attachement républicain au droit à la sécurité pour tous et au maintien de l'ordre public comme un des éléments d'une société garantissant le respect de l'autre. Il ne fait aucun doute que le droit à la sécurité et au maintien de l'ordre public sont au nombre des principes constitutionnels qui doivent être défendus.
Pour autant, l'Etat de droit ne peut et ne doit accepter des dispositions dont l'inspiration, la rédaction, les possibilités de mise en œuvre et d'élargissement futur altèrent évidemment les principes fondamentaux de notre justice pénale soit parce qu'elles y portent atteinte directement soit parce qu'elles créent des mesures non nécessaires ou disproportionnées dans une société démocratique qui ont pour effet d'entamer nos droits et libertés constitutionnellement protégés.
Les auteurs de la saisine souscrivent pleinement à votre propre jurisprudence qui rappelle que l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion (décision du 20 janvier 1994).
Que deviendrait une justice qui méconnaîtrait la double visée de la punition, ― d'une part la protection de la société et la punition du condamné, d'autre part son amendement et sa réinsertion ― pour n'en retenir que la première ? Si la justice ignorait que la peine a aussi pour but de sanctionner un coupable et de l'amender pour mettre en lumière uniquement sa fonction de protection de l'ordre public, nous quitterions assurément l'état de justice pour entrer dans l'état de sûreté. Alors il faudrait enfermer tous ceux qui n'ayant enfreint aucune loi pourraient seulement le faire ! Il faudrait punir non pour ce qu'on a fait mais pour ce qu'on pourrait faire ! Et au lieu d'établir des faits qui tombent sous le coup de la loi, il faudrait que des experts sondent les reins et les coeurs pour deviner ce qui pourrait se produire ! Cela ne serait plus un Etat de justice mais un Etat de sûreté dans lequel les psychiatres remplaceraient les magistrats.
Les auteurs de la saisine soutiennent que la loi déférée altère les principes fondamentaux sur lesquels repose notre justice.
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Sur l'article 1er de la loi
A titre principal :
Cet article a pour objet de renverser l'un des principes les mieux établis de notre droit pénal qui veut que la justice ait le pouvoir d'emprisonner un homme à raison d'une infraction commise ou, pour la détention provisoire, à raison d'une infraction dont il est fortement soupçonné d'être l'auteur.
Certes, il existe dans notre droit certaines possibilités d'être privé de liberté mais dans des conditions qui sont sans commune mesure avec celles qui sont prévues à l'article 1er de la loi déférée :
― l'hospitalisation d'office dont les dispositions n'ont jamais fait l'objet de votre contrôle ;
― la garde à vue strictement encadrée tant pour son régime de droit commun que pour celui de la délinquance ou de la criminalité organisée ;
― la rétention des étrangers en situation irrégulière en vue de permettre leur éloignement du territoire.
Hormis ces hypothèses, le principe fondamental de notre droit est celui de l'absence de détention dans le cas où il n'y a pas d'infraction. Ou, mieux encore, le principe est celui de la liberté pour l'innocent de toute infraction. A peine est-il besoin de rappeler que ce principe de justice se confond avec le principe démocratique qui veut que les citoyens libres puissent vivre sous l'empire d'une loi qui protège et qui sanctionne s'ils l'enfreignent. C'est la raison pour laquelle toute démocratie fait confiance à ses citoyens pour comprendre une loi qui doit être claire et connaître les sanctions qu'ils encourent s'ils la méconnaissent. On s'en veut presque de rappeler que le corollaire de la liberté est celui de la responsabilité de ses actes.
Sans acte répréhensible il n'est pas de sanction et sans responsabilité de ses actes il n'est pas de punition.
Or quel est l'objet du texte de l'article 1er de la loi déférée si ce n'est d'instituer une rétention de sûreté dans un « centre médico-judiciaire de sûreté » pour une personne dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, « qu'elles présentent une particulière dangerosité par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité... ».
Certes le législateur a indiqué que cette rétention de sûreté était à titre exceptionnel, à la condition que la personne ait été condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour des crimes particulièrement graves d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés ou de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravés, commis non seulement sur des victimes mineures mais aussi sur des victimes majeures.
Il n'en demeure pas moins que sous l'appellation « rétention de sûreté », et quelle que soit la terminologie utilisée, le législateur a défini un régime de privation de liberté d'une durée indéfinie pour un individu qui a purgé sa peine et qui présenterait une particulière dangerosité et une probabilité très élevée de récidive, appréciées par une commission pluridisciplinaire instituée par l'article 763-10 du code de procédure pénale. Pour prévenir un crime virtuel, des hommes et des femmes déjà jugés, déjà condamnés et dont la peine aura été purgée, seront détenus au seul motif de leur dangerosité présumée.
Qui plus est, elles seront privées de liberté non pas parce qu'elles auraient commis une infraction qui les qualifierait d'auteur mais parce qu'elles « souffrent d'un trouble grave de la personnalité » qui devrait les qualifier plutôt de victime.
La question constitutionnelle porte sur le fait de savoir si cette mesure est une sanction à caractère répressif ou simplement une mesure de sûreté ayant un caractère préventif. En effet dans le premier cas c'est l'ensemble des garanties qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui s'appliquent ; dans le second cas, ce sont les seules garanties qui découlent de l'article 9 de la même Déclaration.
Cette distinction est très précisément exposée dans votre décision n° 2005-527 du 8 décembre 2005 relative à la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
Les auteurs de la présente saisine soutiennent sans hésiter que la mesure appelée « rétention de sûreté » est une sanction.
En effet, il convient de rappeler.
1° Que votre jurisprudence depuis la décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 préfère utiliser la notion de sanction plutôt que celle de peine pour dire qu'elle peut être prononcée aussi bien par une autorité administrative que par une autorité judiciaire ;
2° Que votre jurisprudence a explicité la matière répressive visée à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme pour désigner des mesures prises en considération de la personne qui sont des sanctions ayant le caractère d'une punition ;
3° Que votre jurisprudence est même allée jusqu'à dire que certains actes administratifs pouvaient constituer des sanctions dissimulées (décision n° 77-83 DC du 20 juillet 1977) auquel cas l'intégralité des principes constitutionnels du droit répressif des articles 8 et 9 de la Déclaration s'appliquent.
En l'espèce, la nature de sanction ayant le caractère de punition de la rétention de sûreté ne fait aucun doute.
En premier lieu, la mesure de rétention de sûreté est prononcée par une juridiction et doit être regardée comme une peine prononcée non par une autorité administrative mais par une juridiction.
En deuxième lieu, même si le Gouvernement a soutenu pendant les débats que la mesure de rétention de sûreté était préventive et de nature à empêcher le renouvellement de crimes particulièrement odieux, il est constant que la mesure est fondée sur l'appréciation de la « particulière dangerosité » caractérisée par une probabilité très élevée de récidive de personnes qui souffrent d'un trouble grave de la personnalité.
Et si la crainte de la récidive est là pour « colorer » la sanction en mesure de haute police préventive, il n'en demeure pas moins que la mesure est bien prise en considération de la personne.
Le juge constitutionnel que vous êtes ne peut pas s'arrêter à la qualification que le législateur a choisie de donner à cette mesure et il vous appartient, bien entendu, d'apprécier la nature réelle de la mesure dont il ne peut vous échapper qu'elle constitue une sanction.
En troisième lieu, en raison du caractère intrinsèque de la privation de liberté qui est la mesure la plus grave, la plus puissante et la plus coercitive qui peut être prise à l'encontre d'un citoyen, cette mesure ne peut être qualifiée que de sanction. Sinon, c'est le terme même de sanction qui n'a plus de sens. Si votre Conseil, au terme d'un raisonnement subtil, en venait à affirmer que la privation de liberté, ordonnée après qu'un débat contradictoire a été organisé devant une juridiction spécialisée et que les droits de la défense ont été respectés, ne constituait pas une peine, alors dans la langue française le mot peine n'aurait plus aucun sens...
D'ailleurs, si dans votre décision du 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, vous avez pu dire que la simple inscription de l'identité d'une personne dans le fichier judiciaire national automatisé des infractions sexuelles avait pour objet de prévenir le renouvellement de ces infractions et par conséquent qu'elle révélait une mesure de police et non de sanction, c'est aussi parce qu'il n'y a rien de commun entre l'inscription dans un fichier et la privation effective de liberté.
Enfin, il convient de revenir à votre décision du 8 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales par laquelle vous avez parfaitement tracé la distinction entre une peine et une mesure de sûreté.
Dans cette décision vous aviez à vous prononcer sur une mesure introduite par l'article 13 de la loi qui instituait la surveillance judiciaire des personnes dangereuses condamnées pour crimes ou délits. Cette mesure était ordonnée aux fins de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré après expertise concluant à la dangerosité du condamné.
A l'évidence, le législateur de 2008 s'est inspiré de cette disposition que vous n'avez pas censurée pour définir le régime de la rétention de sûreté. Mais il sera fait observer que nous ne sommes pas du tout dans le même cas de figure et que votre décision ne peut constituer un précédent.
En effet, les auteurs de la saisine soutenaient à l'époque que le placement sous surveillance électronique mobile d'un condamné bénéficiant d'une libération conditionnelle était une peine ou une sanction, comme les auteurs de la saisine aujourd'hui vous le soutiennent pour la détention de sûreté.
Si vous n'avez pas suivi les auteurs de la saisine de l'époque et avez répondu par la négative, s'agissant du PSEM, c'est pour les raisons suivantes :
1° Que le PSEM ordonné dans le cadre de la surveillance judiciaire est une mesure d'exécution de la peine puisque sa mise en œuvre ne peut se poursuivre au-delà de la durée de la peine initialement prononcée. Comme l'a écrit un commentateur autorisé de votre jurisprudence : « Sa durée ne peut excéder celle correspondant aux réductions de peine dont le condamné a bénéficié. Cette limitation est importante pour le raisonnement de constitutionnalité » (Jean-Eric Schoettl, Gazette du Palais, 18 au 20 décembre 2005). Le juge d'application des peines peut moduler la nature et la durée des obligations sans que la durée ne puisse dépasser celle correspondant aux réductions de peine.
Dans le cas de la loi déférée, la rétention de sûreté n'a rien à voir avec les modalités de l'exécution de la peine puisque par définition celle-ci est purgée. C'est donc bien une nouvelle peine qui va venir s'ajouter à la peine initialement prononcée. Il est exclu qu'elle puisse être considérée comme une modalité de l'exécution de la première peine ; et ce n'est pas parce que la loi a ajouté que la cour d'assises devait avoir expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourrait faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation, que l'on peut considérer que la rétention de sûreté est une modalité d'exécution de la peine.
2° En deuxième lieu, vous souligniez dans votre décision que la mesure n'était pas prononcée par une juridiction de jugement et qu'elle avait une visée préventive et non punitive.... Mais en l'espèce, la peine de rétention de sûreté est bien prononcée par une juridiction de jugement nouvelle créée par la loi déférée.
Cette juridiction est mise en place par l'article 706-53-15 qui prévoit une juridiction régionale de la rétention de sûreté et une juridiction nationale devant laquelle il peut être fait appel. Un pourvoi en cassation est possible contre la décision de cette dernière.
3° Enfin, bien que le Gouvernement ait expliqué que cette mesure avait une visée préventive et non punitive, caractéristique qui vous avait conduit dans la décision du 8 décembre, entre autres arguments, à écarter les garanties de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme, il n'est pas possible dans les circonstances de l'espèce d'écarter la visée punitive. D'une part parce qu'intrinsèquement l'enfermement et la privation totale de liberté, qui peuvent être indéfinis, ne peuvent pas être appelés autrement qu'une punition et en cela la mesure se distingue du placement sous surveillance électronique mobile ou fixe ; d'autre part parce que la mesure est prise en considération de la personne et de sa dangerosité intrinsèque résultant d'un trouble grave de la personnalité.
On voit bien, d'ailleurs, derrière l'hésitation entre le vocabulaire préventif et le vocabulaire répressif que la mesure est aussi bien préventive que répressive.
Ainsi de quelque côté que l'on prenne cette mesure entièrement nouvelle d'enfermement d'une personne qui a purgé sa peine, il ne peut échapper au juge constitutionnel qu'elle constitue une peine privative de liberté.
A cet égard, les garanties de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doivent s'appliquer.
Vous ne pourrez manquer de censurer tout le chapitre qui définit l'ensemble de la mesure de rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté :
Il ne peut en effet être contesté :
1° Que cette mesure est contraire au principe de la légalité des délits et des peines. En effet pour que ce principe soit respecté il appartient au législateur de fixer les éléments constitutifs de l'infraction ainsi que la peine dont elle est assortie en termes suffisamment clairs et précis de manière à exclure tout arbitraire.
En l'espèce la peine de rétention de sûreté ne vient sanctionner aucune infraction clairement déterminée pour la bonne raison qu'il n'y en a pas, ou qu'il n'y en a plus puisque celle qui avait été commise et qui avait entraîné une condamnation égale ou supérieure à 15 ans a été purgée entièrement. De plus, la peine est appliquée en raison non pas de ce que la personne a fait mais de ce qu'elle pourrait faire. Il est clair que l'infraction ne peut pas être seulement présumée.
Non seulement il n'existe pas d'infraction matérielle mais il n'existe pas non plus d'élément moral puisque les personnes concernées sont caractérisées par une dangerosité, seulement présumée, qui provient du trouble grave de leur personnalité et qui les conduirait à commettre des actes indépendamment de leur volonté, selon une probabilité très élevée... Et s'il n'y a pas d'intention fautive de commettre une infraction, il n'y a pas d'infraction. Votre Conseil constitutionnel l'a fort justement rappelé dans sa décision du 16 juin 1999 (n° 99-411 DC) « la définition d'une incrimination en matière délictuelle doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non de celle-ci ».
En l'espèce on n'aperçoit ni élément matériel ni élément moral.
2° Que cette mesure est contraire à la nécessité des peines. En effet la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaire.
Certes il n'appartient pas à votre Conseil de substituer son appréciation à celle du législateur sur la nécessité des peines sauf en cas de disproportion grave ou manifeste.
Il ne peut pas vous échapper qu'infliger une peine à celui qui n'a pas commis d'infraction n'est ni strictement ni évidemment nécessaire.
De plus comment le juge constitutionnel ne peut-il pas constater la disproportion manifeste instituée par le texte entre, d'une part, un enfermement qui peut être indéfiniment renouvelé par période d'une année sans aucun terme prévisible et, d'autre part, une probabilité seulement très élevée de récidive ? On peut ajouter « très probable », à « élevée », cela ne transforme pas la probabilité en fait.
Comment ne pas apercevoir la disproportion entre, d'une part, la certitude de l'enfermement et la probabilité, soi-disant élevée de récidive attestée par une commission d'experts dont on sait par ailleurs combien l'avis peut être fragile ? La présomption qu'une nouvelle infraction pourrait seulement être commise ne peut pas conduire à la privation totale de liberté qui est la mesure de coercition maximale, sauf à croire qu'une détermination génétique fait d'un coupable en puissance nécessairement un coupable en acte. Si le Conseil constitutionnel estimait qu'il n'y a pas là de disproportion entre la sanction et la soi-disant infraction, il abolirait et la notion de responsabilité des actes et l'idée même de liberté.
Les auteurs de la saisine soutiennent également que la mesure n'est pas nécessaire. Il suffit de rappeler ce qu'une ancienne garde des sceaux écrivait à propos de l'affaire Evrard qui « motive » largement la loi déférée :
« Les lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu'il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses 12 lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le JAP que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu'un JAP traite 750 dossiers ! Etait-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l'obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non !... Enfin il y a l'hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique. Bien entendu, cela n'a pas été mis en œuvre ! »(Elisabeth Guigou devant l'Assemblée nationale).
Il n'y a aucune nécessité de cette peine de rétention de sûreté parce qu'il existe des alternatives comme le suivi socio-judiciaire institué par la loi du 17 juin 1998 ou celui de la surveillance judiciaire institué par la loi du 12 décembre 2005 dont il a été question plus haut.
Contrairement aux affirmations de l'article 706-53-14, il n'est aucunement démontré que cette mesure de sûreté s'impose dans la mesure où il apparaît que sont insuffisantes l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, les obligations résultant des injonctions de soin ou d'un placement sous surveillance électronique mobile, susceptibles d'être prononcés dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance judiciaire. Ces mesures s'appliquent au condamné de façon contraignante et contrôlent de façon prégnante sa liberté d'aller et de venir. Elles sont de nature, si elles sont effectivement mises en œuvre, à répondre aux objectifs constitutionnels de prévention de la récidive. Il n'y a pas dans le dispositif juridique français d'absence de réponse à laquelle pourrait seule répondre la rétention de sûreté.
Le principe constitutionnel de la nécessité des peines oblige à ce qu'aucune peine ne soit infligée par l'autorité publique au-delà de ce qui est nécessaire, c'est-à-dire au-delà de ce qui est indispensable à la protection des intérêts du corps social. Cette nécessité résulte donc d'une proportion entre la peine et l'infraction commise. Et si vous avez pu dire avec raison dans votre décision n° 93-334 du 20 janvier 1994 qu'une peine incompressible n'était pas manifestement disproportionnée avec l'infraction commise, il n'est pas possible de juger que tel est le cas d'une peine d'enfermement à vie prononcée en relation avec une infraction potentielle.
3° Enfin on verra que cette mesure est contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère dans l'article 13 de la loi déférée. Dès maintenant on peut rappeler que votre jurisprudence la plus ancienne (décision n° 78-98 DC du 22 novembre 1978) avait attiré l'attention sur le fait que le principe de non-rétroactivité ne s'appliquait pas dans un cas où la mesure ne concernait que « l'exécution de la peine » et « ne pouvait être regardée comme constituant elle-même une peine ». Comme il a été dit, en aucun cas la peine de rétention ne peut être considérée comme une modalité de l'exécution d'une peine. Elle constitue bien en elle-même une peine.
De quelque côté qu'on le considère, la censure du chapitre 1er de la loi déférée s'impose.
A titre subsidiaire :
Si vous ne suiviez pas les auteurs de la saisine qui vous démontrent que la rétention de sûreté est une peine qui ne respecte pas les prescriptions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il vous appartiendrait pourtant d'appliquer le principe qui, en matière de restrictions apportées à la liberté individuelle, à la liberté personnelle ou au respect de la vie privée, prohibe la rigueur non nécessaire (décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, loi d'orientation et de programmation pour la justice ; décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure).
On sait que ce principe trouve sa source dans les articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789.
S'il était soutenu que les restrictions apportées aux droits sus-énumérés ne sont pas arbitraires en ce qu'elles se veulent la traduction d'exigences constitutionnelles éminentes (protection des personnes et plus particulièrement des mineurs) qu'elles sont limitées aux contextes les plus graves (personnes condamnées à des peines égales ou supérieures à quinze ans pour des crimes odieux, barbares et violents), qu'elles présentent des garanties procédurales inhérentes au prononcé des peines par une juridiction, il n'en demeure pas moins qu'il faudrait faire observer en premier lieu que le champ des infractions visées par le texte s'est considérablement accru entre le dépôt du texte du Gouvernement et celui qui est finalement adopté.
Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement énonçait que « Cette rétention est entourée d'importantes garanties pour en limiter l'application aux cas extrêmes n'offrant aucune autre solution. Elle ne pourra être prononcée qu'à l'encontre des personnes condamnées à une peine d'au moins quinze ans de réclusion, pour meurtre, assassinat, actes de torture ou de barbarie ou viol, commis sur un mineur de quinze ans. » Seuls quatre crimes étaient ainsi retenus initialement.
Mais dans le texte adopté c'est cinquante-trois incriminations qui sont visées, c'est presque la totalité des atteintes à la personne qui est dans le champ de la mesure de rétention de sûreté et celles-ci visent aussi bien les mineurs que les majeurs. Par conséquent, les auteurs de la saisine soutiennent que ce qui aurait pu passer pour une garantie constitutionnelle ― à savoir le champ limité ― n'existe plus dans le texte voté.
D'autre part, la mesure de rétention de sûreté est contraire à la présomption d'innocence énoncée à l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui fait que « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».
Le droit pour une personne physique ou morale d'être présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie par jugement constitue l'un des principes fondamentaux de notre droit. La simple affirmation d'une culpabilité vraisemblable peut s'avérer contraire à la présomption d'innocence comme l'a établi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 15 juillet 1976, n° 6650/74, R. Liebigc/RFA).
Par conséquent, il ne peut pas y avoir de peine sans preuve de la culpabilité de l'accusé qui appartient à la partie poursuivante et qui est établie par jugement.
En l'espèce, et sans rappeler tout ce qui a été dit plus haut, la dangerosité d'une personne, la probabilité même très élevée qu'elle récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité ne sauraient passer pour une preuve de la culpabilité sans porter atteinte à la présomption d'innocence.
Par conséquent, quelque garantie procédurale qu'ait prévue le texte, l'absence de culpabilité établie ne peut entraîner une coercition de la personne, surtout quand celle-ci présente une contrainte physique totale.
Se saisir d'un individu et l'arrêter sur une présomption de dangerosité, sans qu'une culpabilité quelconque puisse être établie à son égard est une rigueur non nécessaire contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789.
Sur l'article 3 relatif à l'irresponsabilité pénale
en raison d'un trouble mental
Cet article a pour fonction de décrire la procédure suivie devant la chambre de l'instruction pour déterminer si le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal relatif à l'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble mental est applicable.
Le cinquième alinéa de l'article 706-122 issu de la loi déférée indique que :
« Sur décision de son président, la juridiction peut également entendre au cours des débats, conformément aux articles 436 à 457, les témoins cités par les parties ou le ministère public si leur audition est nécessaire pour établir s'il existe des charges suffisantes contre la personne d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés et déterminer si le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal est applicable ».
Pour établir que les charges sont suffisantes et déterminer si l'article 122-1 du code pénal s'applique, la procédure retenue est celle qui est suivie devant la juridiction de jugement pour établir la réalité et l'imputabilité des faits. Ce sont les articles 436 à 457 du code de procédure pénale qui sont les articles concernant l'établissement des preuves apportées au cours des débats.
Elles permettent d'entendre les personnes mises en examen, auteurs et complices, les victimes, les enquêteurs, les experts et les témoins. Elles permettent au ministère public et aux parties d'interroger toutes personnes appelées à la barre. Les dépositions portent non seulement sur la personnalité du prévenu mais également sur les faits qui lui sont reprochés.
Les trois derniers alinéas de l'article 706-22 sont la reprise de l'article 460, à l'exception du mot : « défense », remplacé par « observation ».
Il résulte de ces dispositions que l'audience telle qu'elle est organisée aura contribué à discuter des preuves recueillies et non seulement du discernement du mis en cause. Or la chambre d'instruction ne peut rendre un jugement sur la culpabilité.
Il résulte du renvoi aux articles définissant la procédure suivie devant la juridiction de jugement que les débats qui vont se dérouler devant la chambre de l'instruction établiront les faits et leur imputabilité à une ou plusieurs personnes en préjugeant au stade de l'instruction de ce qui ne pourrait être établi que par une juridiction de jugement.
Cet aspect est d'ailleurs renforcé par le fait que l'article 4 de la loi déférée qui modifie les articles 768 et 769 du CCP prévoit l'inscription au casier judiciaire n° l, qui en principe répertorie les peines prononcées par les juridictions de jugement, des décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental prononcées par la chambre de l'instruction.
Comme l'a rappelé le président Badinter devant le Sénat : « l'audience de la chambre de l'instruction s'apparente effectivement à une audience juridictionnelle de droit commun, mais le problème est qu'elle va aboutir à un préjugement qui va déterminer si les faits sont imputables à la personne considérée comme irresponsable et si celle-ci est effectivement irresponsable. Si la chambre de l'instruction estime que l'article L. 122-1 du code pénal n'est pas applicable, elle devra renvoyer la personne devant la juridiction de jugement compétente. Il sera alors difficile à cette dernière de se prononcer de façon impartiale, puisque les faits auront déjà été imputés à l'accusé ».
Dès lors cet article 3, ou du moins ses six derniers alinéas, méconnaît la présomption d'innocence de la personne à l'égard de laquelle se pose la question du discernement mais également la présomption d'innocence des éventuels co-auteurs, non concernés par une application de l'article 122-1 du code pénal et qui devront en tout état de cause répondre de leurs actes devant une juridiction de jugement.
L'article 3 méconnaît aussi le principe de la séparation des fonctions judiciaires.
La séparation des fonctions d'instruction et de jugement est une règle qui ne souffre d'aucune exception en matière criminelle.
Cette séparation des fonctions est de nature à préserver la présomption d'innocence. Aussi dès l'instant où certaines décisions peuvent être prises par des magistrats de la chambre d'instruction qui sont susceptibles de laisser planer un doute sur l'innocence (admission implicite de culpabilité), ces décisions sont contraires à la Constitution.
Votre haute juridiction a établi ce principe avec force dans sa décision du 2 février 1995 (n° 95-360 DC), injonction pénale.
Sur l'article 12
Cet article complète le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale par une phrase ainsi rédigée : « La personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 706-53-14. »
La personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Cet article subordonne ainsi l'exercice par le tribunal de l'application des peines de ses attributions à l'accord d'une commission administrative. Rappelons que le tribunal de l'application des peines est une juridiction indépendante qui statue, après avis du représentant de l'administration des peines, à la suite d'un débat contradictoire au cours duquel le tribunal entend le ministère public, le condamné et éventuellement son avocat, que ses décisions sont susceptibles d'appel et de pourvoi en cassation et qu'en ce qui concerne les libérations conditionnelles des condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité il ne peut statuer sans avoir fait procéder à une expertise psychiatrique.
Par comparaison, on rappellera que l'article 763-10 en vigueur du CPP, qui prévoit l'intervention du JAP dans la procédure du placement sous surveillance électronique mobile, se borne dans son deuxième alinéa à la faire précéder d'un avis simple de la même commission.
Ainsi l'article 12 de la loi déférée méconnaît le principe de l'indépendance des juridictions judiciaires consacré par l'article 66 de la Constitution et par votre décision du 22 juillet 1980.
Sur l'article 13
Dès lors qu'il a été démontré ci-dessus que le placement en rétention de sûreté est effectivement une peine prononcée en considération de la personne, les garanties de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doivent s'appliquer.
Au nombre de ces garanties figurent évidement la non-rétroactivité des peines plus sévères.
Le premier alinéa du I de l'article 13 dispose que : « Les personnes exécutant, à la date du 1er septembre 2008, une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans à la suite soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine, pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes, peuvent être soumises, dans le cadre d'une surveillance judiciaire, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance de sûreté, à une obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile. »
Or le deuxième alinéa du I de l'article 13 de la loi incriminée prévoit qu'« à titre exceptionnel, si cette obligation apparaît insuffisante pour prévenir la récidive, ces personnes peuvent être soumises à un placement en rétention de sûreté selon la procédure prévue par les articles 706-53-14 et suivants du même code ».
De même le II de cet article prévoit que les I et II de l'article 1er sont applicables aux personnes faisant l'objet d'une condamnation prononcée après la publication de la présente loi pour des faits commis avant cette publication.
Par conséquent, un détenu qui exécute sa peine au 1er septembre 2008 et qui a été condamné à une époque où la rétention de sûreté n'existait pas pourra être placé pour une durée qui peut être potentiellement perpétuelle dans un établissement fermé dont il ne pourra sortir que sous escorte.
Cette personne connaîtra incontestablement une aggravation de sa situation pénale. Appliquer cette disposition à un condamné qui exécute une peine prononcée avant la création de la rétention de sûreté constitue une atteinte au principe fondamental de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Elle est donc contraire à la Constitution.
Dans votre décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 vous avez reconnu l'application de ce principe y compris à la période de sûreté, mesure relative à l'exécution de la peine.
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Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.