JORF n°0018 du 22 janvier 2008    J.O. disponibles

Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 2007 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2007-561 DC

NOR: CSCL0711156X

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LOI RATIFIANT L'ORDONNANCE N° 2007-329 DU 12 MARS 2007

RELATIVE AU CODE DU TRAVAIL (PARTIE LÉGISLATIVE)

Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et monsieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.

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Conformément aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, l'article 84 de la loi n° 2004-1343 du 19 décembre 2004 de simplification du droit a habilité le Gouvernement à adapter par ordonnance la partie législative du code du travail. L'article 92 de cette même loi fixait un délai de dix-huit mois pour la promulgation de cette ordonnance.

Ce délai s'étant avéré insuffisant, l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social a, dans son I, autorisé de nouveau le Gouvernement à procéder par ordonnance pour adapter les dispositions législatives du code du travail. Le législateur a cru bon alors indiquer que cette adaptation devait se faire « à droit constant, afin d'y inclure les dispositions de nature législative qui n'ont pas été codifiées, d'améliorer le plan du code et de remédier, le cas échéant, aux erreurs ou insuffisances de codification ».

L'autorisation du législateur était à cette occasion strictement définie grâce au rappel de l'obligation d'une codification à droit constant et pour un délai supplémentaire de neuf mois. C'est dans ces conditions qu'est parue au Journal officiel du 13 mars 2007 l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, que la loi déférée propose de ratifier.

Les auteurs de la saisine entendent préciser que la procédure de codification par voie d'ordonnance suite à l'habilitation donnée par le législateur peut être un objectif partagé dès lors qu'elle répond aux exigences de la matière à savoir le double respect des principes de codification à droit constant et des principes constitutionnels de sécurité juridique, de lisibilité et d'intelligibilité de la loi. En l'espèce, la ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007 n'a pas pour simple objet de respecter l'article 38 de la Constitution et de permettre au législateur d'ajuster les dispositions soumises à ratification. Le rapport de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale (n° 436, page 5) indique en effet que l'intérêt d'une loi de ratification est aussi « de rendre sans objet les recours engagés devant la juridiction administrative contre cette ordonnance en donnant une valeur législative à l'ordonnance qu'elle ratifie ».

Cette intention clairement revendiquée du législateur donne un sens particulier à l'avant-propos, rédigé par M. Christophe Radé, professeur à l'université de Bordeaux, du code Dalloz de la nouvelle partie législative du code du travail : « Il est aujourd'hui trop tôt pour déterminer l'impact de cette recodification sur le droit du travail. Même si on peut raisonnablement penser que dans l'immense majorité des cas la réécriture de certaines dispositions jugées obsolètes, la scission des articles les plus volumineux et le regroupement des dispositions jusque-là éparses ne devraient pas modifier leur interprétation, plusieurs mois, voire plusieurs années, seront sans doute nécessaires pour que ce nouveau code révèle tous ses secrets. »

Outre le fait que la nouvelle partie législative du code du travail soit publiée avant que le Parlement n'ait définitivement adopté la loi de ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007, cette citation laisse perplexe quant aux exigences constitutionnelles de lisibilité et d'intelligibilité que doit respecter la loi ratifiant l'ordonnance de codification de la partie législative du code du travail.

La codification étant censée améliorer l'accessibilité et la lisibilité du droit, il semble pour le moins paradoxal de lire qu'en l'espèce, il faudra attendre des mois, voire des années, pour que le nouveau code ne soit plus un secret pour les salariés et les employeurs, les organisations syndicales et les représentants du personnel, les inspecteurs du travail et les conseillers prud'homaux.

Elle laisse également perplexe quant au respect d'une codification à droit constant, et au-delà du respect des articles 34 et 37 de la Constitution, dans la mesure où il apparaît que dans certains cas, l'interprétation des nouveaux articles du code du travail pourra être modifiée.

Pour dénoncer ce double manquement, les auteurs de la saisine recommandent la lecture d'articles de doctrine, celui du professeur Emmanuel Dockès, professeur à l'université de Lyon, paru dans la Revue de droit social en avril 2007, celui du professeur Bernard Teyssié, professeur à l'université Panthéon-Assas, paru dans la Semaine juridique en mars 2007, ou encore celui d'Alexandre Fabre, docteur en droit, et Manuela Grevy, maître de conférences à l'université Paris-I, publié dans la Revue du droit du travail.

Ces articles très sévères sur l'ordonnance de codification sont révélateurs de ces manquements aux exigences constitutionnelles. Plusieurs dispositions d'ordre législatif de l'ancien code ne se trouvent plus dans la nouvelle partie législative. D'autres dispositions sont déplacées vers d'autres codes. Enfin, de nombreuses dispositions législatives sont déclassées en dispositions réglementaires.

L'autorisation du législateur pour une codification à droit constant n'est pas, loin s'en faut, scrupuleusement respectée. Ce sont bien les principes de sécurité juridique, les exigences constitutionnelles d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et le respect des articles 34 et 37 de la Constitution qui sont ainsi méconnus.

1. Sur l'exigence constitutionnelle de lisibilité

et d'accessibilité de la loi

Sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement peut procéder à une codification à droit constant. La décision du Conseil constitutionnel n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 sur la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adaptation de la partie législative de certains codes a clairement précisé les conditions qui s'imposent alors au Gouvernement.

Ainsi, l'égalité devant la loi tirée de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la garantie des droits issue de son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables.

La connaissance de la loi est indispensable à l'exercice des droits et libertés garantis par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Autrement dit, la codification doit répondre « à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ». A défaut, les dispositions excessivement complexes au regard de l'aptitude des citoyens à en mesurer utilement la portée ne pourront qu'être censurées. Récemment, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré l'article 78 de la loi de finances pour 2006 (décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005), instituant un dispositif de plafonnement d'avantages fiscaux.

L'ordonnance de codification du 12 mars 2007, que la loi déférée propose de ratifier, est tellement complexe et confuse qu'il est illusoire d'imaginer que d'une part les citoyens soient désormais en mesure d'exercer leurs droits, et que d'autre part ces droits soient effectivement garantis. L'égalité des citoyens devant la loi s'impose avec d'autant plus de force que le code du travail régit les relations du travail de 21 millions de salariés et de leurs employeurs.

1.1. L'éclatement du code du travail

L'ordonnance du 12 mars 2007 procède au transfert de nombreuses dispositions de l'ancien code du travail vers d'autres codes législatifs, le code de l'action sociale et des familles, le code de l'éducation nationale, le code rural, le code minier....

A titre d'exemple, les dispositions instituant les commissions d'hygiène et de sécurité dans chaque lycée d'enseignement technique et chaque lycée professionnel et précisant leur mission fixées à l'article L. 231-2-2 de l'ancien code du travail se retrouvent à l'article L. 421-25 du code de l'éducation.

L'habilitation accordée au Gouvernement n'autorise pas de tels transferts. Ils concrétisent une forme d'éclatement et de segmentation du code du travail préjudiciable à l'accessibilité de la loi. Le passage d'un code unifié des relations du travail à des règles éparpillées entre différents codes comporte le risque d'un droit du travail sectoriel peu lisible faute d'un traitement unifié des relations du travail, seule garantie de normes sociales protectrices communes à tous les salariés.

Le passage de règles communes présentes dans un code unique à des règles éparpillées sur plusieurs codes différents est source de complexités supplémentaires. La cohérence et la lisibilité du droit du travail imposent au contraire des règles générales valables pour tous les salariés. Même si atomisation et simplification riment, ces deux mots ne sont pas pour autant synonymes.

En adoptant l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, le Parlement n'a pas autorisé le Gouvernement à externaliser des dispositions qui figurent dans l'ancien code du travail. Pourtant en présentant, lors de la 3e séance du mardi 4 décembre 2007, l'avis du Gouvernement sur les amendements 114, 160, 159 et 161 à l'article 2 du projet de loi de ratification, le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité a considéré que ces amendements remettaient en cause le périmètre du nouveau code du travail. Autant dire que le Gouvernement a été au-delà de l'autorisation du Parlement.

1.2. La refonte du plan du code du travail

L'ordonnance du 12 mars 2007 définit un nouveau plan, une numérotation et une nomenclature renouvelées. Aux huit parties de l'ancien code du travail succèdent neuf livres pour le nouveau code, le nombre d'articles est presque doublé passant de 1 891 à 3 652 malgré de très nombreux déclassements de l'ordre législatif à l'ordre réglementaire, comme en témoignent les rapports parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de ratification. Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat évoque environ cinq cent opérations de déclassement, dont 61 portant sur la totalité d'un article (rapport n° 459, page 14).

Le principe général qui a guidé l'écriture du nouveau code consiste à présenter une idée par article. Pour autant, il n'y a pas de raison a priori que l'augmentation du nombre d'articles au sein du code du travail qui en résulte ne conduise à rendre plus complexe son utilisation. Malheureusement, ce principe général entraîne un démembrement, source de difficultés pour les utilisateurs du code d'autant plus importantes qu'il conduit à mettre sur le même plan la règle principale de droit, la règle qui en découle et la dérogation éventuelle.

A titre d'exemple, l'ancien article L. 122-14-4 relatif aux indemnités dues en cas de non-respect de la procédure de licenciement est éclaté en six articles, qui acquièrent la même valeur et peuvent être lus indépendamment les uns des autres. L'accessibilité de la loi ne s'en trouve ni maintenue, ni améliorée.

Les transferts d'articles figurant au sein des livres de l'ancien code vers les chapitres du nouveau renforcent le manque de lisibilité du code du travail. Ainsi, les articles concernant les salaires qui se trouvaient dans le livre Ier de l'ancien code sur les conventions relatives au travail figurent désormais dans la troisième partie relative à la durée du travail, à l'intéressement, la participation et l'épargne salariale et non dans la première partie relative aux relations individuelles de travail, ni dans la deuxième relative aux relations collectives de travail.

Il est difficile de comprendre pour les utilisateurs du code pourquoi les dispositions relatives aux salaires ne figurent pas dans la nouvelle première partie sur les relations de travail. En effet, en agissant ainsi, l'ordonnance du 12 mars 2007 met sur le même plan salaire, temps de travail, participation et épargne salariale.

Cette localisation des articles relatifs aux salaires au sein du nouveau code du travail va bien au-delà du principe de faire figurer une idée par article. Elle conduit à ce que finalement le contenu des articles ne corresponde plus véritablement aux intitulés. Le caractère peu lisible et peu accessible pour les salariés et leurs représentants comme pour leurs employeurs du nouveau code est ainsi la conséquence directe de la codification prévue par l'ordonnance du 12 mars 2007.

De même dans la nouvelle première partie, sont traités tous les aspects du licenciement, y compris les dispositions relatives aux procédures collectives dans le cadre des licenciements économiques. Dans l'ancien code, ces articles figuraient dans le livre III intitulé « Placement et emploi », dans la mesure où ils répondaient à une démarche de prévention de l'emploi et non au seul traitement des conséquences sociales pour chaque salarié.

Là encore, le nouveau plan dénature les dispositions jusque-là en vigueur au point de compromettre gravement l'accessibilité et la lisibilité du nouveau code du travail.

1.3. La méthode de codification

retenue par le Gouvernement

La méthode choisie par le pouvoir réglementaire entraîne une illisibilité totale de la loi. La table de correspondance publiée au Journal officiel en annexe de l'ordonnance entre les anciens et les nouveaux articles du code du travail ne permet pas à ce stade de la procédure de codification d'identifier les raisons pour lesquelles les normes ont été abrogées. Plusieurs raisons peuvent être invoquées en la matière, les doublons, les changements de circonstances de droit ou de fait, les externalisations, ou encore le déclassement dans la partie réglementaire du code.

Tant que la partie réglementaire du code n'est pas publiée au Journal officiel, elle n'est pas opposable aux justiciables. Il est impossible dans ces circonstances d'assurer le droit de recours effectif. C'est bien le principe de sécurité juridique et l'impératif de lisibilité et d'accessibilité de la loi qui est ainsi fortement entravé.

2. Sur la codification à droit constant

et le respect des articles 34 et 37 de la Constitution

L'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 prévoit dans son II que les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication de l'ordonnance. Les seules modifications acceptées sont celles rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, pour assurer l'harmonie du droit, pour remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet.

Il ressort de cet article que le législateur n'a pas autorisé le Gouvernement à édicter de nouvelles nonnes relevant de l'article 34 de la Constitution, aux termes desquels la loi détermine notamment les principes fondamentaux du droit du travail. Le Gouvernement a simplement été autorisé en application de l'article 38 de la Constitution à codifier la législation existante à droit constant, sans modifier le contenu ou la portée de ces dispositions.

Les abrogations éventuelles, les déclassements de l'ordre législatif à l'ordre réglementaire, comme les modifications de telle ou telle disposition au sein de la partie législative du code du travail, ne sauraient avoir pour effet de modifier l'état du droit. A fortiori, toute disposition qui consisterait en l'ajout d'une disposition nouvelle relevant du domaine de l'article 34 de la Constitution, qui reviendrait ainsi sur le principe d'une codification à droit constant, et qui finalement irait au-delà de l'autorisation accordée au Gouvernement par la loi d'habilitation du 30 décembre 2006, retirerait au Parlement son pouvoir de voter la loi.

Pourtant le Gouvernement, dans le cadre de l'ordonnance du 12 mars 2007, est allé très largement au-delà des exceptions prévues par l'article 57 de la loi du 30 décembre 2006, au principe de codification à droit constant. Ce faisant, il a méconnu et déplacé la frontière entre l'article 34 et l'article 37 de la Constitution.

2.1. Le déclassement de normes législatives

en normes réglementaires

En application de l'article 57 de la loi du 30 décembre 2006, le Gouvernement ne détient aucune habilitation, qu'elle soit explicite ou implicite, pour déclasser des articles de la partie législative du code du travail, au prétexte qu'ils relèveraient de son propre point de vue du pouvoir réglementaire.

La seule autorisation explicite accordée au Gouvernement porte sur une adaptation à droit constant des dispositions législatives. Elle signifie que le Parlement n'a pas souhaité déléguer au pouvoir réglementaire sa compétence normative issue de l'article 34 de la Constitution pour le droit du travail.

Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat relatif à l'examen en première lecture du projet de loi décrit les principales dispositions renvoyées de la partie législative à la partie réglementaire. Le déclassement concerne des dispositions portant notamment sur la désignation de l'autorité administrative et de la juridiction compétente.

A titre d'exemple, l'article L. 423-3 de l'ancien code prévoit que l'accord préélectoral qui peut modifier le nombre et la composition des collèges électoraux est obligatoirement transmis à l'inspecteur du travail. Dans le nouveau code, la transmission est faite à l'autorité administrative. Il apparaît à la lecture du rapport du Sénat qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire de désigner l'autorité en question.

L'amendement n° 149, présenté lors de la 3e séance du mardi 4 décembre de l'Assemblée nationale, visait à rétablir dans le nouvel article L. 2314-11 du code du travail la référence à l'inspecteur du travail, plutôt que laisser celle relative à l'autorité administrative compétente. Cette opération de déclassement, conformément aux indications figurant dans le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat, ne consiste pas à mieux faire appliquer le partage entre le domaine de la loi et du règlement. Il revient à renvoyer au pouvoir réglementaire une des compétences de l'inspection du travail jusqu'alors du domaine législatif.

De même l'amendement n° 150, présenté également lors de la 3e séance du mardi 4 décembre de l'Assemblée nationale, revenait également à pérenniser le statut et l'indépendance de l'inspection du travail, protégés par la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail. En réalité le rejet de cet amendement traduit un changement conséquent des missions de l'inspection du travail, qui ne peut relever du seul pouvoir réglementaire.

Ce déclassement permet de contourner l'indépendance garantie aux inspecteurs du travail et de déléguer par la suite sans modification législative bon nombre de leurs missions aux directeurs départementaux du travail sous la tutelle directe du ministère compétent.

Des observations de même nature peuvent être formulées sur la référence faite désormais dans le nouveau code à l'autorité judiciaire en lieu et place du conseil des prud'hommes. Ce changement ne correspond pas à un simple exercice de vocabulaire, il conduit à une modification des compétences et des missions des conseils de prud'hommes, qui va bien au-delà de l'habilitation accordée au Gouvernement par la loi du 30 décembre 2006.

En procédant ainsi, le Gouvernement permet la construction d'un code du travail où les corps de contrôle administratifs et judiciaires ne lui sont plus spécifiques. De tels changements contreviennent à terme à l'exercice des pouvoirs du législateur, alors que l'habilitation ne l'a pas autorisé.

2.2. L'introduction dans le code des éléments

de jurisprudence

En application de l'article 57 de la loi du 30 décembre 2006, le Gouvernement ne détient aucune habilitation pour procéder à des ajouts et notamment à l'introduction dans la partie législative d'éléments de nature jurisprudentielle.

Si la jurisprudence est source de droit, rien n'indique qu'il soit nécessaire de la codifier et de lui donner ainsi force de loi. En effet, elle n'est pas une source de droit comme les autres. Elle se caractérise par une forme d'enracinement dans le contexte du moment et de ce point de vue dispose d'une double qualité essentielle d'adaptabilité et de souplesse. En la codifiant, elle perd cette double qualité sans pour autant acquérir automatiquement la constance et la stabilité de la loi.

En outre, au sein de la hiérarchie des normes, le niveau de la règle jurisprudentielle correspond à celui du juge dans cette même hiérarchie. Le juge peut adapter et préciser les règles de jurisprudence aux spécificités du moment. La codification de la jurisprudence compromet non seulement sa souplesse, mais écrase d'une certaine façon la hiérarchie des normes, au-delà de ce que prévoit l'article 34 de la Constitution.

A titre d'exemple, l'article L. 1233-2 du nouveau code prévoit l'obligation que le licenciement pour motif économique ait une cause réelle et sérieuse. Cette dernière notion figure uniquement dans l'article L. 122-14-3 de l'ancien code qui ne traite pas du licenciement économique, relevant du livre III. La jurisprudence, ayant considéré que certaines dispositions du livre I avaient vocation à s'appliquer à toutes les ruptures de contrat de travail à l'initiative de l'employeur, a considéré que la cause économique définie à l'article L. 321-1 de l'ancien code était une cause réelle et sérieuse.

Cette interprétation jurisprudentielle est intégrée désormais dans le nouveau code du travail, pourtant ce n'est pas le législateur qui a affirmé qu'un licenciement économique doit procéder non seulement d'une cause économique, mais également d'une cause économique réelle et sérieuse. Cet ajout issu de la jurisprudence va bien au-delà de l'habilitation accordée au Gouvernement par la loi du 30 décembre 2006 d'une codification à droit constant. Le Gouvernement édicte ainsi de nouvelles règles législatives relevant de l'article 34 de la Constitution sans en avoir reçu l'autorisation.

2.3. La transformation de la portée des règles législatives

L'utilisation du présent de l'indicatif dans les articles du nouveau code efface toute forme d'impérativité des obligations faites notamment aux employeurs. Ce changement est loin d'être neutre. Les formules « l'employeur doit informer » n'a pas la même valeur que la formule « l'employeur informe ». En conséquence, la portée des obligations des employeurs peut se trouver réduite, en contradiction avec l'autorisation accordée par le Parlement d'une codification à droit constant. Il ne s'agit pas là non plus d'une simple question de vocabulaire. Il s'agit d'une modification de la portée des normes législatives.

Par ailleurs, le Gouvernement a procédé à de nombreux ajouts de normes qui ne correspondent pas aux impératifs de la codification à droit constant, qui ne sont ni nécessaires à l'harmonisation et à la cohérence des textes, ni a fortiori au respect de la hiérarchie des normes.

A titre d'exemple, les articles L. 1221-14 et L. 3243-5 du nouveau code du travail incluent le recours aux moyens informatiques pour déroger à la tenue du registre unique du personnel ou à la conservation des bulletins de paie. De même, le Gouvernement a défini à l'article L. 1251-1 la notion de travail temporaire et les contrats auxquels il donne lieu.

Parallèlement, le Gouvernement a manifestement procédé à l'abrogation de nombreuses dispositions. Les missions dévolues aux inspecteurs du travail du contrôle de l'égalité salariale entre hommes et femmes et de constat des infractions aux dispositions sur le SMIC ne figurent plus dans les articles du nouveau code du travail.

Le Gouvernement a mis sur le même plan la règle principale et son extension dérogatoire. Ainsi, l'extension des conventions de forfait en jours aux salariés non-cadres figurait dans l'ancien code du travail, dans le III de l'article L. 212-15-3 consacré aux dispositions particulières s'appliquant aux salariés cadres. Dans le nouveau code du travail, ces dispositions définies comme dérogatoires à la règle de droit figurent dans une section indépendante consacrée aux forfaits jours pour les non-cadres. Ce faisant, elles se trouvent déconnectées des règles et des garanties introduites par la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail pour les salariés cadres.

La nouvelle rédaction dépasse le cadre d'une codification à droit constant. L'absence pour les salariés non cadres d'une référence aux clauses obligatoires prévues pour les conventions de forfait pour les cadres va conduire à des querelles d'interprétation préjudiciables aux salariés non cadres. En mettant sur le même plan la règle et la dérogation, le Gouvernement a, là encore, procédé à des modifications législatives sans qu'il n'ait été autorisé à le faire par la loi d'habilitation du 30 décembre 2006.

Les débats parlementaires à l'Assemblée nationale ont permis de traduire l'ampleur des modifications de la portée des règles législatives qu'implique l'ordonnance du 12 mars 2007.

A titre d'exemple, l'amendement n° 76, présenté lors de la 3e séance du mardi 4 décembre 2007, prévoit que dans le nouvel article L. 1233-17 du nouveau code soit faite la référence à l'article L. 1233-5, tout comme l'ancien article L. 122-14-2 mentionnait l'article L. 321-1-1. Ainsi, la notification par l'employeur aux salariés des critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements fait référence à l'article qui en fixe les conditions de définition. Sans cette référence, les critères pourraient être de nature différente à ceux strictement définis.

L'amendement n° 31 rectifié, présenté lors de la 1re séance du mercredi 5 décembre 2007, porte sur l'ouverture des magasins le dimanche. L'article L. 3132-12 comprend un critère supplémentaire par rapport à l'article 221-6 de l'ancien code sur ce point. La référence dans le nouveau code aux besoins du public pour l'ouverture le dimanche prend la place de la notion de préjudice pour le public. Une telle modification n'est pas non plus d'ordre strictement sémantique.

Le rejet de cet amendement, qui proposait de supprimer la référence aux besoins du public, traduit l'intention d'une généralisation de l'ouverture des magasins le dimanche, dans la mesure où la notion de besoins du public est très extensible. En agissant ainsi, la fermeture du dimanche risque de devenir l'exception. L'autorisation au Gouvernement ne portait pas sur ce point.

Les exemples de bouleversement de la portée des règles législatives sont très nombreux. Ainsi, l'exigence de codification à droit constant issue de la loi du 30 décembre 2006 n'a pas été respectée en ce qui concerne le droit local d'Alsace-Moselle. Les débats sur l'amendement n° 187 présenté lors de la 3e séance du mardi 4 décembre 2007 en témoignent. Le champ d'application du droit local se trouve être modifié, sans que l'habilitation du Gouvernement ne l'autorise.

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Tous ces exemples montrent qu'il est totalement impossible, face à l'ordonnance du 12 mars 2007 que la loi propose de ratifier, de parler de codification à droit constant. L'autorisation accordée au Gouvernement n'a pas été respectée. Comme l'indique le professeur Radé dans l'avant-propos du code Dalloz, reprenant la partie législative du nouveau code du travail, la réécriture de certaines dispositions va immanquablement modifier leur interprétation.

Ceci n'est pas acceptable, dans la mesure où ce faisant, la loi de ratification est contraire aux exigences constitutionnelles d'accessibilité et de lisibilité et que la portée de la loi va se trouver modifiée sans que le Parlement n'ait pu se prononcer aux termes d'un processus législatif normal. L'autorisation accordée par le Parlement au Gouvernement dans le cadre de la loi du 30 décembre 2006 est totalement bafouée. La loi de ratification ne peut dans ces conditions qu'être censurée.