J.O. 177 du 2 août 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 13311

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 juillet 2003 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-480 DC


NOR : CSCL0306779X




LOI MODIFIANT LA LOI N° 2001-44 DU 17 JANVIER 2001

RELATIVE À L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi modifiant la loi no 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.


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I. - Sur les articles 1er, 2, 5 et 6 de la loi


Ces articles modifient l'organisation de l'archéologie préventive, d'une part, conditionnent la phase de diagnostic et, d'autre part, placent l'établissement public national à caractère administratif, l'INRAP, en situation de concurrence avec le secteur privé s'agissant de la phase des fouilles.

En particulier, l'article 1er encadre par des délais très stricts le pouvoir de l'Etat d'établir des prescriptions de diagnostic et de fouille.

L'article 2, pour sa part, dépossède l'Etat pendant cinq ans de son pouvoir d'action en ce domaine.

Quant à l'article 5 de la loi critiquée, insérant un nouvel article 4-5 dans la loi du 17 janvier 2001, il prévoit la caducité des prescriptions de diagnostic dès lors qu'un certain délai s'est écoulé.

Enfin, et s'agissant de l'article 6 de la présente loi, les conditions de réalisation des opérations de fouilles sont modifiées de telle sorte qu'un opérateur privé peut être chargé d'y procéder, l'INRAP n'intervenant qu'à défaut, selon un contrat conclu entre la personne chargée de l'aménagement et des travaux en cause et l'opérateur de fouilles.

Ces différentes modifications législatives portent atteinte à l'objectif d'intérêt général que constitue l'archéologie préventive et ensemble au principe de continuité du service public (I-1). Par ailleurs, leur rédaction révèle une méconnaissance par le législateur de sa propre compétence et donc une violation de l'article 34 de la Constitution (I-2).

I-1. Sur la méconnaissance de l'objectif d'intérêt général et ensemble du principe de continuité du service public :

Votre jurisprudence a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de continuité du service public, principe fondamental de notre droit public (décisions no 79-105 DC du 25 juillet 1979 ; no 94-347 DC du 21 juillet 1994 ; no 96-380 DC du 23 juillet 1996). Si ce principe, comme les autres normes de valeur constitutionnelle, doit pouvoir être concilié avec des règles de même valeur, il est acquis, en revanche, qu'il ne peut être affaibli sans justification tirée de l'intérêt général ou de la nécessité de garantir un autre droit ou liberté d'un rang identique dans la hiérarchie des normes.

Pourtant, la loi présentement déférée porte atteinte à ce principe sans aucunement poursuivre d'intérêt général ou de droit ou liberté particulière. Bien au contraire.

Il résulte, en effet, de votre propre jurisprudence que l'archéologie dite préventive relève de missions de service public, formant partie intégrante de l'archéologie, et qu'elle a pour objet d'assurer la préservation d'éléments du patrimoine archéologique menacé par des travaux d'aménagement ainsi que l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus. Vous avez donc rattaché cette mission de service public, dont on mesure l'importance au regard de la protection de notre environnement historique et culturel, à un intérêt général suffisamment évident pour justifier l'instauration de droits exclusifs au bénéfice d'un établissement public administratif et des limitations à la liberté d'entreprendre (décision no 2000-439 DC du 16 janvier 2001, considérants 14 à 16).

C'est dans cette logique que le Conseil d'Etat, à son tour, a jugé que « les opérations de diagnostics et de fouilles d'archéologie préventive relèvent, compte tenu de la nécessité de protéger le patrimoine archéologique à laquelle elles répondent et de la finalité scientifique pour laquelle elles sont entreprises, de missions d'intérêt général au sens de l'article 86 du traité précité, qu'eu égard, en premier lieu, aux liens que ces opérations comportent avec l'édiction des prescriptions d'archéologie préventive et le contrôle de leur respect par l'Etat, en deuxième lieu, aux conditions matérielles dans lesquelles elles doivent être entreprises, en troisième lieu, au besoin de garantir l'exécution de ces opérations sur l'ensemble du territoire et, en conséquence, de les financer par une redevance assurant une péréquation nationale des dépenses exposées, les stipulations de cet article autorisaient le législateur à doter l'établissement public national créé par l'article 4 de la loi de droits exclusifs en vue de permettre l'accomplissement des missions d'intérêt général rappelées ci-dessus » (CE 30 avril 2003, Union nationale des industries de carrière et des matériaux de construction).

Le caractère de service public de l'archéologie préventive comme l'intérêt général auquel elle se rattache sont certains. Cette dimension avait été mise en lumière par le rapport de MM. Pêcheur, Poignant et Demoule, qui concluait à la nécessité de l'ériger en service public sous ses trois aspects qui doivent former un tout indissociable et cohérent : diagnostic, travaux de fouille et diffusion des découvertes.

L'importance de cette mission de service public a conduit jusqu'à la conclusion d'une convention internationale, la Convention de Malte du 16 janvier 1992, ratifiée par la France, pour la protection du patrimoine archéologique dont « le but est de protéger le patrimoine archéologique en tant que source de mémoire collective européenne et comme instrument d'étude historique et scientifique » (art. 1er).

C'est donc bien dans le but d'assurer pleinement la satisfaction de l'intérêt général dont il s'agit, sur l'ensemble du territoire et au travers d'un système qui s'affranchit de toute autre considération tenant à la difficulté ou à la rentabilité des fouilles, que le législateur de 2001 a mis en oeuvre l'organisation de ce service public. Afin de respecter les objectifs ainsi définis, le législateur avait donc rompu avec la logique purement économique qui prévalait auparavant au détriment des considérations de service public que constituent la qualité des fouilles, leur suivi scientifique, leur « rendu », leur évaluation et la valorisation scientifique et pédagogique des résultats.

Or, en l'occurrence, la loi critiquée revient sur cette mission d'intérêt général et soumet, à l'évidence, le service public de l'archéologie préventive à une organisation dont la principale conséquence sera de ruiner la continuité du service public pour, à la fin, menacer l'intérêt général en cause. En scindant en plusieurs étapes soumises à des règles distinctes en même temps que dépendantes d'intervenants différents, tantôt personnes morales de droit public, tantôt personnes privées, les trois aspects du service public de l'archéologie préventive, la loi en cause méconnaît, sans justification ni légitime ni suffisante, l'intérêt général.

Elle le fait à un double titre. En premier lieu, elle conditionne la mise en oeuvre de cette mission de service public à des délais, classiques en apparence mais pervers en réalité (I-I.1). En second lieu, elle compartimente le service public de l'archéologie préventive de telle sorte que sa cohérence et sa globalité sont atteintes (I-I.2).

I-I.1. En premier lieu, les articles 1er, 2, 5 de la présente loi ont pour conséquence de soumettre à des délais subordonnant la mission de service public de l'archéologie préventive à des risques d'interruptions injustifiées au regard de l'intérêt général poursuivi.

L'article 1er subordonne les prescriptions de diagnostics et de fouilles, telles que l'Etat les réalise, au respect de délais dans lesquels celles-ci doivent être prises, de un à trois mois selon les cas. A défaut de réponse dans ces délais, l'Etat est réputé avoir renoncé à les édicter. Si l'on mesure assurément la nécessité de ne pas bloquer des opérations d'aménagements au motif de retards pris dans la gestion administrative des dossiers, il reste que lesdits délais ne sont manifestement pas en adéquation avec la nature du service public et de l'objectif d'intérêt général en cause. Une prescription de diagnostic d'archéologie préventive et une prescription de fouille peuvent requérir davantage de temps que les délais susdits, selon la configuration du terrain, la connaissance des lieux,... En sorte que l'application de ces délais pourrait conduire à faire cesser toute mission d'archéologie préventive qui serait pourtant nécessaire pour la simple et bonne raison que les services compétents auraient mis un certain temps conditionné par la nature même du dossier soumis à leur expertise. Ce mécanisme excessivement contraignant risque de porter atteinte à la continuité du service public de l'archéologie préventive sans justification suffisante.

L'article 2 procède de la même logique puisque hors les zones archéologiques, les personnes qui projettent de réaliser des travaux et aménagements peuvent demander à l'Etat d'indiquer si une prescription de diagnostic pourrait avoir lieu à cet égard. A défaut de réponse ou de réponse négative, l'Etat est réputé renoncer pendant cinq ans à prescrire un diagnostic. Cette conséquence est pour le moins attentatoire, là encore, au principe de continuité du service public de l'archéologie préventive. Par définition, si le projet concerné est situé hors les zones d'archéologie préventive, on doit en déduire que la connaissance des lieux en est moins fine et que l'appréciation par les services compétents mérite une expertise plus fine parce qu'incertaine.

Or, la conséquence d'une réponse négative procédant d'une mauvaise appréciation desdits services ou d'une hésitation de leur part dans ce délai de deux mois sera l'impossibilité pour l'Etat d'assurer sa mission de service public d'archéologie préventive pendant cinq longues années, soit bien plus que le temps d'enterrer des pans entiers de notre histoire. Cette hypothèse est, radicalement, en contradiction avec l'intérêt général en cause. La clause de sauvegarde tenant à la modification substantielle du projet d'aménagement permettant à l'Etat de recouvrer sa compétence ne saurait tromper. En effet, rien ne permet de savoir dans quelles conditions l'Etat pourrait être conduit à connaître de telles modifications substantielles des projets. L'aménageur ayant fait sa demande une première fois, il n'a aucune obligation de faire une seconde demande ni, d'ailleurs, intérêt à le faire. En sorte que, sauf information spontanée ou connaissance acquise par un biais quelconque, cette période de cinq années pendant lesquelles l'Etat sera dépossédé de sa mission de service public est quasiment irréductible.

Ce n'est pas l'intérêt des aménageurs ni le développement économique local qui peuvent justifier la mise en oeuvre d'une contrainte si forte sur l'intérêt général. Si conciliation il doit y avoir, c'est à la condition de ne pas défavoriser manifestement le service public.

Un tel mécanisme ne saurait être admis sauf à admettre que le service public est à éclipse.

Pour que le schéma soit complet, l'article 5 dispose que si le diagnostic n'est pas achevé, du fait de l'opérateur, dans le délai prévu par une convention, la prescription de diagnostic devient caduque. Par définition, l'archéologie préventive recèle des difficultés inhérentes aux mystères et incertitudes qui entourent les lieux de mémoire. Des retards peuvent survenir pour de multiples raisons. Aussi, mettre fin à cette mission de service public, par la caducité de la prescription de diagnostic entraînant l'absence de fouilles, pour un motif aussi vague que celui tiré du « fait de l'opérateur », ne peut satisfaire l'intérêt général et le principe de continuité du service public. Car la conséquence de cette caducité est d'interrompre toute la mission de service public et de ruiner toute hypothèse de fouilles ultérieures. Ce découpage de ce service public en différentes phases contraintes par des délais apparaît, dans ces conditions, contraire à sa propre cohérence et de nature à créer les conditions de son interruption.

Certes, le service public de l'archéologie préventive ne doit pas aboutir à bloquer indéfiniment, et sans doute pas sans un horizon raisonnable, toute opération d'aménagement. Une conciliation entre l'intérêt général et la continuité du service public, d'une part, et les contraintes économiques des aménageurs, d'autre part, doit être opérée. Mais il est tout aussi certain que cet équilibre ne doit pas se faire dans des conditions telles que l'intérêt général poursuivi soit remis en cause de façon trop radicale. C'est pourtant ce que le texte critiqué fait évidemment. Sous couvert de délais, certes connus en droit administratif, la loi fait peser des contraintes excessives sur le service public concerné et risque d'empêcher sa satisfaction dans une continuité pourtant indispensable.


Car, les nouvelles règles de réalisation des fouilles accroissent ce danger en créant les conditions de différentes ruptures quant à la cohérence scientifique de cette mission de service public.

I-I.2. En second lieu, l'article 6 de la loi querellée, modifiant l'article 5 de la loi du 17 janvier 2001, organise la possible dévolution d'une phase de la mission de service public de l'archéologie préventive, celle des fouilles, à un opérateur privé. Il introduit ici une faculté de mise en concurrence des opérateurs de fouilles, dont la décision incombe à la seule personne projetant l'aménagement concerné. Cette phase des fouilles pourra donc être organisée selon des modalités différentes sur le territoire. S'agissant d'un service public dont on a vu combien, de l'avis unanime, il constitue un tout cohérent, un tel mécanisme ne manque pas d'inquiéter.

D'abord, comme déjà montré, la phase des fouilles est susceptible d'être confiée à une personne distincte de celle en charge du diagnostic. En soi, et au regard de la globalité que constitue cette mission de recherche et de conservation du patrimoine, ce séquençage heurte de plein fouet la continuité du service public.

Ensuite, il s'avère que cette partie de la mission de service public d'archéologie préventive repasse sous le contrôle de la personne en charge du projet d'aménagement. C'est là une hypothèse de gestion déléguée du service public à front renversé.

(i) Dans le schéma critiqué, c'est l'aménageur, le plus souvent une personne morale de droit privé, qui choisira les modalités d'organisation d'une étape essentielle de réalisation d'une mission de service public, en déterminant, à partir de critères inédits à ce stade et, en réalité, sans doute plus attachés à la rentabilité qu'à la conservation de notre patrimoine, sa préférence pour telle ou telle solution, pour tel ou tel opérateur de fouilles !

Pour comparaison, il convient de souligner que toute opération déléguée par l'INRAP, en qualité d'établissement public administratif, serait, pour sa part, soumise aux conditions posées par le code des marchés publics avec, pour corollaire, l'application des principes d'égalité et de transparence que vous vous êtes attachés à rappeler encore récemment (décision no 2003-473 DC du 26 juin 2003).

Or, au cas présent, c'est tout le contraire qui devrait se passer. Une partie d'une mission de service public serait confiée par une personne privée, y ayant des intérêts quant aux conditions matérielles et financières de sa réalisation, à une autre personne de droit privé ou de droit public, sans qu'aucun critère objectif ne soit fixé par la loi.

Cette dévolution parcellaire, on n'ose écrire délégation, d'une mission de service public par une personne privée dont les intérêts économiques sont tributaires des résultats des fouilles se fait par la voie contractuelle, y compris en ce qui concerne le prix de l'opération et les délais de réalisation.

C'est, et tout le monde le mesure à l'instar de la communauté scientifique si fortement mobilisée, un retour vers le passé le moins satisfaisant pour notre patrimoine : prévalence des intérêts économiques et de rentabilité sur la dimension scientifique. On rappellera que le système antérieur à la loi du 17 janvier 2001 faisait l'objet de critiques tenant à la variabilité des coûts selon les régions ou selon la nature des travaux et à la logique purement économique qui régnait à l'AFAN au détriment des autres considérations (voir sur ce point : Cahiers du Conseil constitutionnel, no 10, commentaire sur la décision du 16 janvier 2001).

La contestation de ce texte par la communauté des archéologues et des plus grands noms de la science française mérite ici l'attention. La menace alors dénoncée porte sur notre patrimoine. Instruits par les exemples étrangers, ces scientifiques ont montré dans des articles et tribunes tous les dangers que de tels mécanismes peuvent engendrer, et notamment que le choix du moins-disant financier aboutit souvent au moins-disant scientifique et culturel.

(ii) C'est en vain que l'on opposerait les conditions posées par l'article 6 pour, apparemment, garantir un minimum de transparence et d'objectivité quant au choix de l'opérateur privé de fouilles. Certes, et c'est bien le moins, l'indépendance de cet opérateur et le contrôle du contrat par l'Etat passé entre lui et l'aménageur sont prévus. Ces prescriptions utiles ne font que révéler un peu plus les risques que ce système de découpage aléatoire et de privatisation d'un service public fait courir à l'intérêt général poursuivi.

Ce cadre est surtout notoirement insuffisant.

D'une part, et encore une fois, les conditions de passation du contrat lui-même sont sous le seul contrôle de la personne en charge du projet de travaux et d'aménagement. C'est donc au travers du prisme exclusif de la rentabilité que le prix et le délai seront négociés. On retrouve là la problématique du moins-disant culturel et scientifique auquel le mécanisme précédent avait choisi de remédier au travers de règles de solidarité financière et d'obligations de service public (décision du 16 janvier 2001 précitée).

D'autre part, le contrôle que l'Etat exercera sur le contrat ne se fera qu'a priori et, sans doute, au travers d'une analyse seulement formelle. Il suffira que le contrat reprenne, de façon stéréotypée, les prescriptions de fouilles pour satisfaire cette étape.

En outre, on relèvera que ce contrôle n'est assorti d'aucune sanction. En sorte que l'on peut s'interroger sur sa portée et sur la garantie qu'il apporte au service public. On est bien loin ici des garanties pour le service public que vous exigez par ailleurs (décision no 2002-460 DC du 22 août 2002, considérant 15).

Enfin, un tel contrôle formel et partiel assuré a priori n'est pas en adéquation avec l'intérêt général concerné. Dans le domaine de l'archéologie, et surtout au stade préventif, les prescriptions ne peuvent pas envisager tout ce que l'on va trouver, ni en quantité ni en qualité. C'est même le propre de cette discipline. Surtout, les travaux ne sont pas réversibles et, la fouille étant terminée, il n'y a plus de possibilité de vérifier ou non l'existence ou la non-existence de vestiges et leur intérêt pour notre patrimoine.

La différence est ici notable avec, par exemple, la restauration des monuments historiques dès lors qu'il s'agit là d'un geste technique sur la base du constat d'un existant connu et qui peut faire l'objet d'un contrôle a posteriori et d'un rattrapage.

Il est exact que la loi critiquée a prévu une hypothèse de rattrapage au cinquième alinéa de la rédaction de l'article 5 de la loi du 17 janvier 2001 modifiée. Si l'aménageur n'a pas trouvé de cocontractant privé, l'INRAP est tenu de procéder aux fouilles. Autrement dit, si l'équation économique ne satisfait pas l'opérateur privé, l'établissement public est autorisé à intervenir pour satisfaire l'intérêt général...

Cela n'est ni sérieux ni satisfaisant pour l'intérêt général.

(iii) C'est tout aussi vainement que le Gouvernement opposerait le principe classique au terme duquel il est acquis que vous n'avez pas de pouvoir d'appréciation semblable au Parlement.

En l'espèce, il est clair que l'organisation du service public de l'archéologie préventive portée par la loi critiquée porte atteinte à l'intérêt général poursuivi et méconnaît les principes fondamentaux du service public, dont celui de continuité.

Cette remise en cause, à peine plus d'un an après la refonte précédente, ne sert, de surcroît, aucun intérêt général différent qui aurait été méconnu ou aucun droit ou liberté qui aurait été menacé par le système entré en vigueur en 2001.

En revanche, c'est bien la conservation et la protection de notre patrimoine historique et culturel, de notre environnement, qui serait menacé par la loi.

De tous ces chefs, la censure est inévitable.

Ces dispositions constituent l'architecture porteuse de la loi. Leur invalidation inévitable entraînera donc la censure de l'ensemble de la loi dès lors qu'elles en sont inséparables.

I-2. Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :

En outre, le législateur a méconnu sa propre compétence en organisant ce service public entachant la loi du vice d'incompétence négative.

En particulier, l'article 6 de la loi en permettant que l'aménageur puisse choisir de recourir pour l'étape des fouilles, soit à un service d'archéologie territorial, soit à un opérateur privé, soit à l'INRAP, place cette mission de service public sous la seule autorité de l'opérateur de travaux, sans garantie quant à l'intérêt général.

Or, s'agissant de la satisfaction d'une mission d'intérêt général, il eût été nécessaire que la loi prévoit les conditions et les critères à partir desquels ce choix peut se faire. L'alternative ouverte à l'aménageur aurait dû être encadrée de manière plus précise. De même, il eût été indispensable que les critères de choix et la procédure de choix du cocontractant par l'aménageur soit encadrés a priori. Ce qui est imposé à une personne publique lorsqu'elle délègue un service public devrait l'être, au moins, tout autant lorsque une part essentielle d'une mission de service public est dévolue et organisée par une personne morale de droit privé, ayant un intérêt financier dans l'opération.

Faute d'avoir pourvu à cet encadrement indispensable au regard de l'intérêt général poursuivi et de la mission de service public en cause, le législateur est resté en deçà de sa propre compétence.

Il en va de même pour le troisième alinéa de l'article 5 de la loi du 17 janvier 2001 présentement modifié. En organisant le contrôle du contrat conclu entre l'aménageur et l'opérateur privé de fouilles sans prévoir la sanction qui s'attache à cette compétence de l'Etat, le législateur a rendu cette disposition soit inapplicable, soit inopérante. Dans les deux cas, il n'a pas épuisé sa compétence.

C'est encore le cas pour le quatrième alinéa du même article qui prévoit la caducité de la prescription de diagnostic en cas de dépassement du délai fixé par convention. La fixation de ce délai butoir est renvoyée, en effet, à la voie réglementaire. Or, considérant les conséquences qui s'attachent à ce délai, et notamment l'interruption de toute la chaîne d'archéologie préventive, il était constitutionnellement indispensable que la loi détermine ce délai.

L'absence de toutes ces précisions entache de plusieurs vices d'incompétence négative la loi en cause. Le caractère inséparable des dispositions visées du reste de la loi conduira à la censure de l'ensemble du texte.

I-3. Sur la violation de l'article 72-2 de la Constitution :

L'article 5 en ce qu'il insère un nouvel article 4-2 dans la loi du 17 janvier 2001 viole le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution qui dispose que « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

Or, l'article critiqué transfère aux collectivités territoriales disposant d'un service d'archéologie la réalisation de diagnostics pour certaines opérations d'aménagement.

Il s'agit donc bien d'un transfert de compétences au sens de l'article 72-2 précité.

Certes, l'article 10-IV de la même loi prévoit que la redevance d'archéologie préventive est reversée à la collectivité territoriale ayant assuré l'intégralité du diagnostic. Pourtant, du fait de l'exonération de cette redevance des surfaces égales ou supérieures à 3 000 mètres carrés, cela signifie que tous les travaux concernant de telles surfaces et pour lesquelles lesdites collectivités auraient assuré un diagnostic ne seraient pas compensés financièrement.

C'est donc dire que les collectivités territoriales et les groupements de collectivités territoriales réalisant les diagnostics pour les surfaces inférieures ne percevront pas de redevance. Il s'agit bien d'un transfert de compétences non accompagné des ressources y afférentes.


De ce chef encore, la censure est encourue.II. - Sur l'article 10 de la loi


Cet article modifie l'article 9 de la loi du 17 janvier 2001 précitée en instituant une redevance d'archéologie préventive due par les personnes publiques ou privées projetant d'exécuter, sur un terrain d'une superficie égale ou supérieure à 3 000 mètres carrés, des travaux affectant le sous-sol et qui sont soumis à une autorisation ou une déclaration préalable en application du droit de construire.

Cette disposition viole le principe d'égalité et ensemble l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Votre jurisprudence en matière d'égalité fiscale est constante à cet égard. Vous avez, encore récemment, censuré une disposition prévoyant une différence de traitement sans rapport direct avec l'objectif que le législateur s'était assigné (décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002). En outre, et en tout état de cause, il importe que les différences de traitement en rapport avec l'objet de la loi reposent sur des critères objectifs et rationnels.

En fixant à 3 000 mètres carrés la superficie à partir de laquelle un terrain est soumis à la redevance d'archéologie préventive, le législateur a rompu le principe d'égalité et méconnu l'article 13 de la Déclaration de 1789.

Cette surface ne correspond à aucun objectif particulier de la loi et ne repose donc sur aucun critère objectif ou rationnel. Il est vrai que, dans le projet de loi initialement déposé sur le bureau du Sénat, l'assiette de la redevance était fixée à 5 000 mètres carrés. Le Sénat avait réduit la surface à 1 000 mètres carrés. L'Assemblée nationale avait remonté le chiffre à 5 000 mètres carrés. Finalement, dans le cours de la commission mixte paritaire, la surface servant d'assiette a été figée à 3 000 mètres carrés. Cela tient sans doute plus aux jeux de l'archéologie et du hasard qu'à un quelconque critère sérieux.

L'invalidation est certaine.

Or, cette disposition assure le financement du service public de l'archéologie préventive. Par voie de conséquence, sa censure ne peut qu'entraîner l'invalidation de l'ensemble du texte dont elle constitue un élément déterminant.


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Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir décision no 2003-480 DC.)