J.O. 87 du 12 avril 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 06510

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Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques


NOR : CSCL0306572X



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, en particulier ses articles 3, 4, 9, 10, 14, 15, 17 et 28.

Ces saisines appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - Sur la procédure législative


A. - Les sénateurs requérants, après avoir relevé que le Gouvernement avait engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale conformément à la procédure prévue à l'article 49, 3e alinéa, de la Constitution, soutiennent que l'organisation et la conduite des débats devant le Sénat n'aurait pas respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, ce qui aurait altéré la sincérité du débat démocratique au Sénat et vicié la procédure d'adoption de l'ensemble de la loi.

B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.

La loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques a été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative.

Le projet de loi, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, a été considéré comme adopté en première lecture par cette Assemblée le 15 février 2003, par application des dispositions de l'article 49, 3e alinéa, de la Constitution. Après que le conseil des ministres en eut délibéré en sa séance du mercredi 12 février 2003, le Premier ministre avait, en effet, engagé la responsabilité du Gouvernement sur le vote de ce texte - y intégrant 38 amendements présentés devant l'Assemblée -, et l'Assemblée nationale n'a pas adopté de motion de censure dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 49.

Le Sénat a ensuite adopté le texte issu de l'Assemblée nationale, sans y apporter de modifications mais après avoir délibéré conformément aux règles constitutionnelles relatives à la procédure législative. Au cours des débats qui ont eu lieu les 4, 5, 6, 7, 11 et 12 mars 2003, le Sénat a examiné 347 amendements portant sur les différents aspects du texte. Ces amendements ont été défendus par leurs auteurs conformément à la procédure législative. Le Sénat s'est prononcé sur chacun d'entre eux. La circonstance qu'aucun amendement n'ait finalement été adopté par le Sénat n'est constitutive d'aucune irrégularité, dès lors que l'exercice du droit d'amendement prévu à l'article 44 de la Constitution - s'il garantit que les amendements recevables et régulièrement déposés soient examinés conformément aux règles de la procédure législative - ne saurait évidemment garantir leur adoption par l'assemblée devant laquelle ils ont été déposés.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la procédure législative a été menée dans le respect des règles constitutionnelles applicables et que le grief articulé à cet égard par la seconde saisine ne peut qu'être écarté.


II. - Sur les articles 3 et 4


A. - L'article 3 de la loi déférée, ajoutant un article L. 338-1 au code électoral, détermine les modalités de répartition des sièges de conseillers régionaux entre les sections départementales qui composent chaque liste.

L'article 4, pour sa part, modifie l'article L. 346 du code électoral relatif aux déclarations de candidature pour l'élection des conseillers régionaux. Son paragraphe 1° prévoit notamment que les listes de candidats doivent être composées, au sein de chaque section départementale, alternativement d'un candidat de chaque sexe. Son paragraphe 2° élève le seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour de scrutin, en substituant à la disposition exigeant l'obtention de 5 % du total des suffrages exprimés une disposition nouvelle exigeant d'avoir obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 10 % des électeurs inscrits. Il est expressément précisé, dans le cas où une seule liste aurait atteint ce dernier seuil au premier tour, comme dans le cas où aucune liste ne l'aurait atteint, que les deux listes ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages peuvent se maintenir au second tour. Le paragraphe 2° de l'article 4 élève, en outre, le seuil permettant à une liste, en vue du second tour, de fusionner avec une autre liste. La loi déférée porte ce seuil de 3 % à 5 % des suffrages exprimés.

Selon les députés, auteurs du premier recours, les dispositions relatives au relèvement du seuil de participation au second tour auraient été adoptées au terme d'une procédure contraire à l'article 39 de la Constitution. Ces mêmes dispositions méconnaîtraient, au surplus, les termes de l'article 4 de la Constitution et de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que le principe d'égalité garanti par l'article 3 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les députés saisissants articulent les mêmes griefs à l'encontre des dispositions relatives au relèvement du seuil exigé pour permettre la fusion de listes.

Selon les sénateurs, auteurs du second recours, les dispositions des articles 3 et 4 méconnaîtraient l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ils soutiennent, en outre, que l'article 4 aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article 39 de la Constitution, que cet article porterait atteinte au principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion, serait contraire à l'article 4 de la Constitution et au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution et par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B. - Le Gouvernement estime que ces griefs ne sont pas fondés.

1. La critique formulée par les sénateurs requérants au titre de la clarté et de l'intelligibilité de la règle de droit ne peut être suivie. Le mécanisme d'attribution et de répartition des sièges organisé par les articles L. 338 et L. 338-1 du code électoral, tels qu'ils résultent des articles 2 et 3 de la loi déférée, a été clairement et précisément déterminé par le législateur, qui a prévenu tout risque d'ambiguïté ou difficulté d'interprétation (V. en ce sens la décision no 98-407 DC du 14 janvier 1999).

En vertu de l'article L. 338, les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours. Les candidats se répartissent sur chaque liste en sections départementales. Dans un premier temps, les sièges sont attribués aux différentes listes en fonction du nombre de suffrages obtenus dans la région par chaque liste. Cette attribution est faite au premier tour de scrutin si une liste a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et au second tour de scrutin dans les autres cas. La liste arrivée en tête obtient le quart du nombre des sièges à pourvoir, les autres sièges étant répartis entre les listes qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés, suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

Dans un deuxième temps, en vertu du nouvel article L. 338-1, les sièges attribués à chaque liste sont répartis, à l'intérieur de la liste, entre les sections départementales proportionnellement aux voix obtenues par la liste dans chaque département, selon la règle de la proportionnelle à la plus forte moyenne. Le nombre de conseillers généraux par département n'est pas fixé a priori. Cette répartition des sièges entre sections départementales est faite en proportion du nombre de suffrages obtenus dans chaque département. A titre d'exemple, une liste ayant obtenu 10 sièges au conseil régional en vertu de l'article L. 338 et dont les suffrages se répartissent entre départements à raison de 50 % du total dans un premier département, de 30 % dans un deuxième et de 20 % dans un troisième département, verra ses sièges répartis, en vertu de l'article L. 338-1, de la manière suivante : 5 sièges dans le premier département, 3 dans le deuxième et 2 dans le troisième.

Un tel mécanisme est aisément compréhensible. Il est dépourvu d'ambiguïté et a été clairement et précisément déterminé par le législateur. Il permet de concilier deux exigences essentielles : voter dans le cadre de la région pour permettre l'émergence de majorités responsables dans les conseils régionaux, tout en garantissant une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires. On peut relever que le système retenu présente en outre deux avantages : d'une part, celui de prendre automatiquement en compte les évolutions démographiques à l'intérieur d'une région, en ce que les variations de la population - et donc du nombre d'électeurs - se traduiront directement sur le nombre d'élus de chaque section départementale ; d'autre part, celui d'ajuster précisément la représentation départementale de chaque liste en fonction du nombre de voix obtenues dans chaque département. Ces deux objectifs peuvent être atteints parce que le nombre de conseillers régionaux par département n'est pas limité a priori : si toutes les listes obtiennent leur plus grand nombre de suffrages dans un département en raison de son poids démographique ou d'une plus forte participation, le nombre des conseillers régionaux figurant sur les listes au titre de la section de ce département sera plus élevé, sans pour autant aboutir à priver aucun département d'une représentation.

On peut aussi observer que la détermination de seuils de fusion de listes ou de participation au second tour en fonction de suffrages exprimés ou d'électeurs inscrits ne peut susciter de critiques en termes d'intelligibilité de la règle de droit : les règles sont clairement énoncées par le législateur et ne suscitent aucune difficulté de compréhension ou d'application.

Enfin, il faut relever que ne saurait emporter la conviction sur un plan constitutionnel le reproche selon lequel aucune disposition n'imposerait au candidat tête de liste au plan régional d'être inscrit en tête au titre d'une section départementale. En s'abstenant de prévoir des dispositions à ce titre, le législateur n'a méconnu aucune exigence constitutionnelle : la composition des listes relève de la responsabilité des candidats aux élections et des partis politiques ; l'élection du président du conseil régional appartient au conseil régional ; la question de la place des candidats sur une liste et du choix de la personnalité appelée à en prendre la tête relève du débat politique et non du contrôle de constitutionnalité des lois.

Pour ces raisons, le Gouvernement considère que le grief tiré du défaut de clarté ou d'intelligibilité de la loi manque en fait.

2. En ce qui concerne l'article 4 de la loi déférée, les auteurs des recours critiquent d'abord la procédure ayant conduit à l'adoption de certaines des dispositions de cet article , en se prévalant des termes de l'article 39 de la Constitution.

Aux termes du second alinéa de cet article , « les projets de lois sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». Le Conseil constitutionnel a déjà été conduit à vérifier, par application de ces dispositions, que des projets de loi présentés par le Premier ministre avaient été délibérés par le conseil des ministres et avaient fait l'objet d'une consultation du Conseil d'Etat (décision no 90-285 DC du 28 décembre 1990 ; décision no 94-357 DC du 25 janvier 1995 ; décision no 2000-433 DC du 27 juillet 2000).

En l'espèce, le Conseil d'Etat a bien été saisi d'un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, des conseillers régionaux, des représentants au Parlement européen et à l'aide publique aux partis politiques, sur lequel il a émis un avis au cours de sa séance du 27 janvier 2003. Les saisissants font toutefois valoir que cette consultation n'a pas été régulière, au motif que le projet de loi déposé au Parlement, après sa délibération lors du conseil des ministres du 29 janvier 2003, comporte, à son article 4, les mots « du nombre des électeurs inscrits », mots qui ne figuraient ni dans le texte soumis au Conseil d'Etat, ni dans l'avis rendu par ce dernier.

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, le Gouvernement estime que cette seule circonstance ne constitue pas une violation de l'article 39 de la Constitution affectant la constitutionnalité de la loi votée par le Parlement.

Il convient de rappeler à cet égard l'objet de la consultation du Conseil d'Etat sur les projets de loi, telle qu'elle est prescrite par l'article 39 de la Constitution.

Ainsi que le reconnaissent d'ailleurs les auteurs du premier recours, la portée juridique de cette consultation doit être clairement distinguée de celle à laquelle il est procédé sur des textes à caractère réglementaire, lorsque ces textes doivent revêtir la forme d'un décret pris « en Conseil d'Etat ». Dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat doit être regardé comme le véritable « co-auteur » des dispositions réglementaires. Le Gouvernement, après la consultation du Conseil d'Etat, ne peut que choisir entre son projet initial et celui adopté par le Conseil. Il ne saurait recourir à une rédaction tierce sans que le texte ainsi amendé soit entaché d'incompétence (CE Sect. 1er juin 1962, Union générale des syndicats de mandataires des halles centrales et autres, Rec. p. 362 ; CE 26 avril 1974, Villate, Rec. p. 253 ; CE 9 février 1994, Préfet de Seine-et-Marne, Rec. p. 60 ; CE 4 avril 1997, Marchal, Rec. p. 131). Mais cette solution ne s'explique que par le fait que le Gouvernement, lorsqu'il agit par la voie de décrets en Conseil d'Etat, exerce une compétence conjointement avec le Conseil d'Etat (V. les motifs de CE Ass. 9 juin 1978, société civile immobilière du 61-67, boulevard Arago, Rec. p. 237).

C'est d'ailleurs en raison de la force juridique particulière de l'avis ainsi rendu que le Conseil constitutionnel a considéré que le renvoi à un décret en Conseil d'Etat pouvait constituer une garantie essentielle et relever, à ce titre, de la compétence du législateur (décision no 73-76 L du 20 février 1973).

L'intervention du Conseil d'Etat dans la procédure d'élaboration des projets de loi, même si elle a été consacrée pour la première fois par la Constitution du 4 octobre 1958, n'a pas une telle portée. Le pouvoir constituant n'a pas entendu faire du Conseil d'Etat le « co-auteur » des projets de loi. Il a voulu garantir, dans un souci de qualité du travail d'élaboration de la loi, que la délibération, de nature politique, du conseil des ministres, serait éclairée par l'expertise du Conseil d'Etat. Destiné au Gouvernement, et à lui seul, l'avis du Conseil d'Etat, qui est en principe secret, a pour objet de lui permettre d'arrêter en conseil des ministres le texte définitif des projets dont il entend saisir le Parlement.

En résumé, l'article 39 de la Constitution pose une obligation de consultation, tout en préservant entièrement la compétence du conseil des ministres pour arrêter le projet de loi. Il en résulte, assurément, que le Conseil d'Etat doit avoir été saisi de l'économie du projet de loi envisagé. Si le Conseil constitutionnel estimait que la formalité prévue par l'article 39 est plus exigeante, ce ne pourrait être qu'en considérant que cet article implique que le Conseil d'Etat ait été mis à même de se prononcer sur l'ensemble des questions posées par le projet. Cela interdirait au Gouvernement de retenir des dispositions étrangères au champ de la saisine du Conseil d'Etat. Mais, en tout état de cause, l'article 39 ne saurait faire obstacle à ce que soient adoptées, en conseil des ministres, et au vu de l'avis du Conseil d'Etat sur les questions posées, des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis à ce dernier.

Telle est aussi la pratique constante suivie sous l'empire de la Constitution de la Ve République, ainsi qu'en témoigne la rédaction de la circulaire du Premier ministre en date du 30 janvier 1997 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en oeuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre (point 3.7, JO du 1er février 1997).

Telle est aussi la position adoptée par le Conseil d'Etat pour les consultations qui précèdent l'adoption d'actes réglementaires, réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat.

Au cas présent, le Gouvernement entend souligner que le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble des questions soulevées par le projet de loi délibéré au cours de la séance du conseil des ministres du 29 janvier 2003. Le Conseil d'Etat a notamment été saisi de la question posée par la modification introduite au deuxième alinéa de l'article L. 346 du code électoral, qui était celle du seuil nécessaire pour qu'une liste de candidats aux élections régionales puisse se maintenir au second tour de scrutin. Le projet soumis au Conseil d'Etat soulevait cette question puisqu'il envisageait un relèvement de ce seuil, passant de 5 à 10 % des suffrages exprimés. Le Conseil d'Etat a été ainsi mis à même d'exprimer son avis sur cette question du seuil au second tour. La circonstance que le Gouvernement ait finalement décidé d'introduire dans le projet qu'il entendait soumettre au Parlement, seul investi du pouvoir de décision, des dispositions relevant de manière plus significative ce seuil de maintien au second tour ne constitue pas une question nouvelle par rapport à celles qui avaient été soumises au Conseil d'Etat, dès lors que ces dispositions ne présentent pas de différence de nature, mais simplement de degré, avec celles dont le Conseil d'Etat avait été saisi.

Les saisissants souhaiteraient aller au-delà et faire consacrer une conception particulièrement restrictive de la liberté dont dispose le Gouvernement lorsqu'il arrête les projets de loi. Mais cette conception ne paraît pas admissible, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, elle reviendrait nécessairement à faire une nouvelle lecture de l'article 39 de la Constitution, qui prévoit que « les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres », en réduisant, en pratique, cette délibération à une simple alternative d'acceptation ou de rejet du texte qui, en pareil cas, devrait à nouveau être soumis à la consultation du Conseil d'Etat. Une telle lecture porterait atteinte aux pouvoirs du conseil des ministres et à la marge d'appréciation des autorités politiques qui serait très strictement limitée par l'avis rendu. Elle aurait ainsi une incidence non négligeable sur le fonctionnement des institutions. L'article 39 ne peut être interprété que d'une manière telle qu'il concilie le rôle et les attributions respectifs du conseil des ministres et du Conseil d'Etat, sans que cette interprétation ne déséquilibre leurs rapports mutuels.

En deuxième lieu, privant le Gouvernement de la marge de liberté dont il estimait jusqu'ici disposer, une telle interprétation l'empêcherait de procéder à des ajustements souvent nécessaires pour concilier les améliorations apportées au texte par le Conseil d'Etat avec des préoccupations d'ordre politique et le contraindrait, sauf à recommencer la consultation du Conseil d'Etat, à revenir à son texte initial, ce qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi par l'article 39, qui est d'assurer la qualité des textes. Les conditions mêmes d'élaboration des projets de loi seraient sérieusement affectées, en ce que les pratiques usuelles, expressément codifiées par la circulaire susmentionnée du 30 janvier 1997 qui n'ont jamais donné lieu à critique, seraient remises en cause.

Il y aurait, en troisième lieu, quelque paradoxe à ce que le Gouvernement soit soumis à des contraintes supérieures, lorsqu'il consulte en vue de la mise au point d'un projet de loi dont la teneur sera, en tout état de cause, décidée par le Parlement, que lorsqu'il recueille l'avis d'organismes en vue d'une décision qu'il prendra lui-même.

Or, toujours réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat, on rappellera que, s'agissant des consultations précédant l'adoption de dispositions réglementaires, la jurisprudence administrative se montre soucieuse d'éviter que le Gouvernement ne puisse, sans recommencer la consultation, faire évoluer le texte sur lequel un avis a été recueilli. Ainsi la consultation est-elle régulière, dès lors que l'organisme consulté a été mis à même d'exprimer son opinion sur la question posée, sans que la définition de la question fasse l'objet d'une très stricte appréciation (CE Sect. 12 novembre 1954, Jammes, Rec. p. 585 ; CE 15 mai 1959, Lacroix, Rec. p. 310, CE 16 octobre 1974, Syndicat national de l'éducation physique de l'enseignement public, p. 487). L'autorité compétente dispose d'une marge d'appréciation étendue pouvant conduire à l'adoption régulière de dispositions dont la portée est très sensiblement différente de celles qui avaient été présentées à l'organisme consulté.

A titre d'exemple, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a jugé que le Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat avait été régulièrement consulté sur un texte disposant que, pour la détermination de certains droits, les périodes de travail à temps partiel des stagiaires de l'Etat étaient prises en compte « pour leur durée effective », alors que le projet qui lui avait été soumis prévoyait, au demeurant de manière indirecte, qu'elles seraient assimilées à des périodes de temps plein : comme le relève cette décision du Conseil d'Etat, l'organisme consulté avait été mis en mesure de se prononcer sur la question posée, qui était celle des modalités de prise en compte des périodes de travail à temps partie des stagiaires (CE Ass. 23 octobre 1998, Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées [UFFA-CFDT], Rec. p. 360).

Enfin, on soulignera que la Constitution prévoit d'autres consultations obligatoires sur les projets de loi (par exemple celle du Conseil économique et social ou des assemblées des collectivités d'outre-mer), qui ne sont pas, d'un point de vue juridique, d'une nature différente de celle du Conseil d'Etat. On imagine la rigidité dont serait affectée l'élaboration des projets de loi si l'interprétation de l'article 39 préconisée par les saisissants valait également pour ces consultations qui s'ajoutent à celle du Conseil d'Etat.

Une telle contrainte serait d'autant plus vaine que le droit d'amendement constitutionnellement reconnu par l'article 44 de la Constitution au Gouvernement comme aux parlementaires peut ensuite conduire à modifier substantiellement le projet de texte soumis au Parlement, y compris en y ajoutant des dispositions entièrement nouvelles, dès lors qu'elles ne sont pas dénuées de tout lien avec le texte initial, ainsi que le juge le Conseil constitutionnel.

C'est pourquoi le Gouvernement estime que l'adoption du projet de loi par le conseil des ministres avant son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale ne peut être jugée contraire à l'article 39 de la Constitution.

3. Les saisines critiquent également le bien-fondé des dispositions de l'article 4 par lesquelles le législateur a, d'une part, relevé à 5 % des suffrages exprimés le seuil permettant la fusion de listes en vue du second tour et, d'autre part, relevé à 10 % des électeurs inscrits le seuil en dessous duquel une liste ne peut se maintenir au second tour. Elles soutiennent à cet égard que les dispositions nouvelles porteraient atteinte à la liberté des partis politiques garantie par l'article 4 de la Constitution, au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et méconnaitraient le principe d'égalité.

Le Gouvernement estime qu'aucune de ces critiques n'est fondée.

Il entend rappeler, d'abord, que la Constitution n'impose aucun mode de scrutin pour les élections autres que celle du Président de la République. Sans doute des règles constitutionnelles, au premier rang desquelles l'égalité du suffrage, doivent recevoir application, mais c'est au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, qu'il appartient de déterminer le mode de scrutin applicable à chaque élection et de retenir, ce faisant, parmi la très grande variété de systèmes possibles, celui qui lui paraît le mieux adapté. Il procède, ce faisant, à un nécessaire arbitrage entre des considérations liées à la représentation des différents courants politiques et les impératifs qui appellent l'émergence de majorités claires pour conduire l'action des collectivités publiques.

A cet égard, ainsi qu'il a déjà expressément été jugé, la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Il n'appartient pas au Conseil de rechercher si l'objet que le législateur s'est assigné aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées (V. précisément pour le mode de scrutin régional la décision no 98-407 DC du 14 janvier 1999 ; V. aussi, pour le découpage des circonscriptions électorales législatives, la décision no 86-218 DC du 18 novembre 1986).

En l'espèce, l'objectif poursuivi par le législateur consiste à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes dans les conseils régionaux, en remédiant à l'émiettement de la représentation dans ces conseils. Les seuils requis pour se maintenir au second tour ou pour procéder à une fusion de listes, respectivement fixés à 10 % des électeurs inscrits et 5 % des suffrages exprimés, ne sont pas manifestement inappropriés par rapport à l'objectif poursuivi. Ils visent à permettre aux électeurs de choisir entre les différentes listes, dans la clarté et en toute connaissance de cause. Sans doute le législateur aurait-il pu décider d'autres modalités - les règles applicables aux différents scrutins montrent d'ailleurs qu'il lui est loisible d'adopter des dispositions très variées selon les types d'élection -, mais celles qu'il a adoptées en l'espèce dans le cadre de son pouvoir d'appréciation ne sont pas susceptibles d'être jugées contraires à la Constitution.

En particulier, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions adoptées par le législateur ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté des partis politiques, au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ou au principe d'égalité.

La liberté des partis politiques qui, selon l'article 4 de la Constitution, concourent à l'expression du suffrage et doivent pouvoir se former et exercer leur activité librement n'est nullement mise en cause. Les seuils fixés par l'article 4 de la loi déférée n'ont ni pour objet ni pour effet de régir la création ou le fonctionnement des partis politiques ou d'interdire à quiconque de se présenter aux élections régionales ; ils n'interdisent pas aux partis de constituer des listes de candidats ou de participer librement au débat politique et à la campagne électorale. Ils constituent seulement l'un des éléments de la règle du jeu électoral applicable aux élections régionales. L'article 4 de la Constitution n'implique évidemment pas que tous les partis qui présentent des candidats aux élections aient le droit d'être présents au second tour de scrutin ou d'avoir des représentants élus.

L'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions constitue, ainsi qu'il a été jugé, le fondement même de la démocratie (décision no 89-271 DC du 11 janvier 1990). Mais les conséquences qui en découlent ne sont naturellement pas de même nature selon que le législateur détermine les règles applicables à la communication audiovisuelle (décision no 81-129 DC des 30 et 31 octobre 1981 ; décision no 82-141 DC du 27 juillet 1982 ; décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986), aux entreprises de presse (décision no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984), au financement public des partis politiques (décision no 89-271 DC du 11 janvier 1990) ou selon qu'il détermine un mode de scrutin. L'objet même d'une loi fixant un mode de scrutin est de déterminer les règles selon lesquelles est organisée la compétition électorale qui voit s'affronter plusieurs candidats. Elle vise à concilier des exigences de représentation avec la nécessité de permettre l'émergence de majorités de gestion à même de diriger, dans la durée, l'action des collectivités publiques. L'exigence constitutionnelle de pluralisme pourrait sans doute s'opposer à ce que le législateur subordonne le droit de se porter candidat à des conditions injustifiées ; mais elle ne paraît pas s'opposer par principe à ce que le législateur mette des conditions d'accès au second tour de scrutin, sauf à ce qu'elles aient pour effet de dénaturer l'exercice démocratique.

Sur ce dernier point, le Gouvernement entend souligner que l'article 4 de la loi déférée a expressément veillé à ce qu'en toute hypothèse au moins deux listes soient présentes au second tour de scrutin, quels que soient les résultats obtenus par les listes en présence au premier tour. Le législateur a aussi prévu la possibilité pour des listes de fusionner entre les deux tours de scrutin. Compte tenu de ces précisions, il ne peut être valablement soutenu que les seuils fixés par l'article 4 seraient de nature à dénaturer l'exercice démocratique : le second tour offrira toujours aux électeurs un choix entre au moins deux listes, dont la composition pourra être pluraliste selon les options retenues par les candidats. Dans ces conditions, il n'apparaît pas au Gouvernement que les dispositions adoptées par le législateur porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de pluralisme. On peut d'ailleurs noter que l'article 7 de la Constitution réserve l'accès du second tour de l'élection présidentielle à seulement deux candidats.

Les règles adoptées par le législateur ne portent, enfin, pas atteinte au principe d'égalité du suffrage. Les mêmes règles seront appliquées pour l'élection de tous les conseils régionaux. La circonstance qu'un seuil de maintien d'une liste au second tour soit déterminé en fonction non des suffrages exprimés mais des électeurs inscrits ne peut être regardée comme étant contraire au principe d'égalité : dans les deux cas, les résultats dépendent du choix des électeurs et de l'expression de leurs suffrages, mesurés dans le cadre de règles connues d'eux et déterminées par la loi. Il n'est, dès lors, pas vrai de dire que des listes pourraient être privées de représentation pour des causes qui sont étrangères au déroulement du scrutin. On peut aussi observer que le droit positif connaît déjà des seuils de maintien au second tour déterminé en fonction des électeurs inscrits (V. pour les élections cantonales l'article L. 210-1 du code électoral qui prévoit un seuil de 10 % des électeurs inscrits, ainsi que, pour les élections législatives, l'article L. 162 du code électoral qui fixe un seuil de 12,5 % des électeurs inscrits).

Le Gouvernement estime ainsi que le choix de relever les seuils de maintien au second tour et de fusion des listes, qui ont été effectués par le législateur dans le cadre de son pouvoir général d'appréciation, ne méconnaissent aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle. Il considère, en conséquence, que les griefs des saisines critiquant le bien-fondé de ces dispositions de l'article 4 de la loi déférée ne pourront qu'être écartés.


III. - Sur l'article 9


A. - L'article 9 modifie certaines des dispositions particulières applicables à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse, sans modifier l'article L. 370 du code électoral qui traite des déclarations de candidature à ces élections.

Les députés et sénateurs saisissants critiquent ces dispositions au motif qu'elles ont maintenu, pour l'élection à l'Assemblée de Corse, les règles antérieures relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes, sans étendre les dispositions, différentes, adoptées par la loi déférée pour l'élection des conseillers régionaux, ce qui porterait atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution.

B. - Une telle argumentation ne pourra être retenue.

On voit mal, en premier lieu, quelle serait au cas présent la disposition votée par le Parlement qui pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Comme le reconnaissent les auteurs des recours, le législateur n'a pas modifié les règles relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes s'agissant des élections à l'Assemblée de Corse : les dispositions en cause, qui figurent à l'article L. 370 du code électoral, résultent d'une loi promulguée qui n'a été sur ce point ni modifiée, ni complétée, ni affectée par la loi déférée. Dans un tel cas, le Conseil constitutionnel considère qu'il ne peut examiner la conformité à la Constitution de telles dispositions (décision no 85-187 DC du 25 janvier 1985 ; décision no 86-211 DC du 26 août 1986 ; décision no 89-256 DC du 25 juillet 1989 ; décision no 99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision no 99-414 DC du 8 juillet 1999 ; décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002).

En second lieu, et en tout état de cause, on doit relever que la collectivité de Corse constitue une collectivité territoriale de la République à statut particulier (décision no 91-290 DC du 9 mai 1991 ; décision no 2001-454 DC du 17 janvier 2002). Le législateur a pu doter cette collectivité d'un statut spécifique comportant, notamment, des règles particulières pour l'élection de l'assemblée délibérante. C'est ainsi que, depuis le statut de 1991, les dispositions qui régissent l'élection des membres de l'Assemblée de Corse diffèrent des règles applicables aux élections régionales, notamment en ce que les élections à l'Assemblée de Corse ont lieu, depuis cette date, dans un cadre territorial sans ancrage départemental (décision no 91-290 DC du 9 mai 1991).

Peut-être le principe d'égalité pourrait-il s'opposer, dans certaines circonstances, à ce que le législateur institue des règles pour les membres de l'Assemblée de Corse qui diffèrent des règles applicables aux conseillers régionaux. Ce serait toutefois à la double condition que le législateur entende procéder à une forme d'assimilation entre les collectivités et qu'aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne puisse être avancée (V. pour le cumul des mandats électifs la décision no 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 23 et 24).

Mais, en l'espèce, le Gouvernement relève que le mode de scrutin applicable aux élections à l'Assemblée de Corse diffère de celui retenu pour les élections régionales, notamment en ce que les élections à l'Assemblée de Corse se déroulent sans sections départementales. Le législateur pouvait ainsi, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité, conserver ce mode de scrutin spécifique résultant du statut de la Corse : c'est pourquoi il n'a, par la loi déférée, expressément repris pour la Corse que les seules dispositions susceptibles de valoir indifféremment pour les conseils régionaux et pour l'Assemblée de Corse. Tel n'était pas le cas des règles relatives à la parité qui trouvent leur traduction dans les règles de composition des listes de candidats : ces règles seront différentes pour les élections régionales et pour les élections à l'Assemblée de Corse, compte tenu de l'absence en Corse de sections départementales. En raison des différences objectives qui séparent ces deux modes de scrutin, qui sont liées à la spécificité de la collectivité territoriale de Corse, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité en conservant, pour l'heure et pour cette collectivité, les règles de composition des listes de candidats qui prévalaient antérieurement.


IV. - Sur l'article 10


A. - L'article 10 de la loi déférée modifie les dispositions de l'article L. 280 du code électoral relatif à la composition du collège électoral procédant à l'élection des sénateurs, pour préciser que les conseillers régionaux relèvent du collège électoral du département correspondant à la section départementale de laquelle ils relèvent.

Les sénateurs, auteurs du second recours, contestent l'intelligibilité de cette disposition qui serait, de surcroît, contraire à l'article LO 274 du code électoral, au principe d'égalité et au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.

B. - Ces griefs seront écartés.

Les dispositions de l'article 10 de la loi déférée, et d'ailleurs aussi celles de son article 11, se bornent à tirer les conséquences, sur la composition du collège électoral départemental appelé à élire les sénateurs, de l'élection des conseillers régionaux dans le cadre de sections départementales. La loi no 99-36 du 19 janvier 1999 avait été conduite à préciser, pour les conseillers régionaux que cette loi faisait élire dans un cadre régional sans ancrage départemental et pour les membres de l'Assemblée de Corse, les modalités selon lesquelles ces grands électeurs devaient être rattachés à un collège départemental (V. les articles L. 280 et L. 293-1 à L. 293-3 du code électoral dans leur rédaction résultant de la loi du 19 janvier 1999, qui n'ont pas été jugés contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel no 98-407 DC du 14 janvier 1999). Dès lors que, pour les conseillers régionaux, leur élection sera désormais acquise après une candidature présentée dans le cadre d'une section départementale, la procédure de désignation prévue antérieurement n'avait plus lieu d'être conservée pour ce qui les concerne. C'est ce qui explique les modifications adoptées par les articles 10 et 11 de la loi déférée.

Le rattachement au collège électoral correspondant à la section départementale au titre de laquelle sont élus les conseillers régionaux est, contrairement à ce qui est soutenu, parfaitement intelligible. La règle nouvelle est objective et rationnelle et n'emportera aucune distorsion arbitraire, compte tenu de ce que la répartition, selon le mécanisme précédemment exposé, des sièges de conseillers régionaux entre les différentes sections départementales se fera proportionnellement au nombre de voix obtenues par les listes dans chaque département.

On peine enfin à discerner en quoi l'article 10 de la loi déférée pourrait méconnaître l'article LO 274 du code électoral selon lequel « le nombre de sénateurs élus dans les départements est de 304 ». Le Conseil constitutionnel a déjà écarté un grief tiré de l'article LO 274, alors dirigé contre les dispositions sur le rattachement des conseillers régionaux à un collège départemental qui figuraient dans la loi du 19 janvier 1999 (décision no 98-407 DC du 14 janvier 1999). On voit encore moins pourquoi la disposition aujourd'hui déférée pourrait encourir la censure.


V. - Sur les articles 14 et 15


A. - L'article 14, modifiant l'article 3 de la loi no 77-729 du 7 juillet 1977, détermine le mode de scrutin applicable aux élections des représentants au Parlement européen, en retenant un scrutin de liste par circonscription, à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel ; les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. L'article 15 précise que la composition des circonscriptions est fixée conformément à l'annexe 2 de la loi et détermine les conditions de répartition des sièges entre ces circonscriptions.

Les députés, auteurs du premier recours, soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte aux principes de liberté et de pluralisme, ainsi qu'au principe d'égalité.

Les sénateurs saisissants estiment que la substitution d'un mode de scrutin par circonscriptions régionales à un mode de scrutin à circonscription nationale unique porterait atteinte au principe d'indivisibilité de la République ainsi qu'au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.

B. - Le Gouvernement ne souscrit pas à cette analyse.

1. Le grief tiré de l'atteinte à l'indivisibilité de la République tente de prendre appui sur la décision no 76-71 DC du 30 décembre 1976 par laquelle le Conseil constitutionnel a estimé que l'acte du 20 septembre 1976 relatif à l'élection des représentants à l'Assemblée des Communautés européennes ne comportait pas de clause contraire à la Constitution. Dans cette décision, le Conseil avait relevé que l'acte soumis à son examen ne modifiait pas la nature de cette Assemblée, qui demeurait composée de représentants des peuples des Etats membres et qu'il ne comportait aucune stipulation fixant, pour l'élection des représentants français, des modalités de nature à mettre en cause l'indivisibilité de la République.

Certains avaient cru pouvoir déduire des motifs retenus par le Conseil que seul un scrutin dans le cadre d'une circonscription nationale unique serait susceptible de respecter le principe d'indivisibilité de la République, en considérant que les élus au Parlement européen, destinés à représenter le peuple français dans son entier, ne pouvaient se borner à représenter telle ou telle région. Cette interprétation de la décision du 30 décembre 1976 a été contestée par une partie de la doctrine, qui a critiqué l'idée selon laquelle des circonscriptions régionales pour les élections européennes pourraient être contraires au principe d'indivisibilité de la République alors qu'il n'a jamais été soutenu que l'élection des députés à l'Assemblée nationale dans le cadre de circonscriptions législatives porterait atteinte à ce principe. On peut par ailleurs rappeler que l'Assemblée européenne n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française et qu'elle ne participe pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision no 76-71 DC du 30 décembre 1976 ; décision no 92-308 DC du 9 avril 1992). Plus certainement, sans doute, les motifs de la décision du 30 décembre 1976 entendaient interdire l'instauration de circonscriptions transfrontalières, communes à plusieurs Etats membres des communautés européennes.

Au cas présent, le Gouvernement estime en tout état de cause que les articles 14 et 15 de la loi déférée, qui retiennent le principe d'un scrutin européen dans le cadre de huit circonscriptions régionales, ne portent pas atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Il relève, en particulier, que le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 a introduit dans le traité instituant la Communauté européenne des stipulations relatives à la citoyenneté de l'Union européenne (V. les articles 8 à 8 E devenus les articles 17 à 22 du traité CE). L'article 19 du traité reconnaît ainsi à tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas le ressortissant le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. Le Conseil constitutionnel n'a pas estimé ces stipulations contraires à la Constitution (décision no 92-308 DC du 9 avril 1992), prenant particulièrement en considération les attributions et la nature du Parlement européen. Compte tenu de ces stipulations, il paraît difficile d'imaginer en quoi le mode de scrutin retenu pourrait porter atteinte à l'indivisibilité de la République.

2. Les griefs tirés des « principes de liberté et de pluralisme » n'emportent pas la conviction. Comme il a été dit précédemment à propos du mode de scrutin retenu pour l'élection des conseillers régionaux, il est loisible au législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, d'adopter le mode de scrutin qui lui paraît le mieux adapté à une catégorie d'élections. En l'espèce, prenant en considération l'intérêt général qui s'attache à une représentation équilibrée de l'ensemble du territoire et à une plus grande proximité entre les électeurs et les représentants au Parlement européen, le législateur a décidé de retenir un mode de scrutin dans le cadre de huit grandes circonscriptions régionales. Il n'en résulte aucune atteinte au pluralisme. On peut relever, d'ailleurs, que le mode de scrutin retenu est la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

3. S'agissant du principe d'égalité et de la répartition du nombre de sièges dévolus à la France entre les huit circonscriptions régionales, les députés saisissants se prévalent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au découpage des circonscriptions électorales.

On pourrait s'interroger à cet égard sur le cadre constitutionnel applicable aux élections au Parlement européen. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques (décision no 85-196 DC du 8 août 1985 ; décision no 85-197 DC du 23 août 1985 ; décision no 86-208 DC du 2 juillet 1986 ; décision no 86-218 DC du 18 novembre 1986). Mais ce principe, qui trouve sa source dans les articles 1er et 3 de la Constitution et dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, vaut pour les élections politiques qui mettent en cause l'expression de la souveraineté nationale. S'il est applicable pour l'élection du congrès de Nouvelle-Calédonie, c'est parce que cet organe ne se limite pas à la simple administration du territoire (décision no 85-196 DC du 8 août 1985) ; s'il est applicable aux élections municipales, c'est parce que des élus municipaux participent à l'élection du Sénat (décision no 87-227 DC du 7 juillet 1987).

Or le Parlement européen relève d'un ordre juridique propre, distinct de l'ordre institutionnel de la République française, et ne concourt pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision no 92-308 DC du 9 avril 1992). On peut dès lors s'interroger sur la transposition directe du principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques. Cette interrogation pourrait conduire à estimer que le législateur dispose, pour les élections au Parlement européen, d'une marge d'appréciation plus large, sans que cela lui permette, pour autant, de s'affranchir du respect du principe d'égalité pris dans son acception générale.

En l'espèce, il résulte, en tout état de cause, des termes mêmes de la loi déférée que la critique tirée du principe d'égalité ne peut qu'être écartée et que la répartition des sièges a été organisée par le législateur de telle façon que sont pleinement respectées les exigences constitutionnelles rappelées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le législateur a adopté le principe d'un scrutin par circonscriptions régionales. Il a fixé à huit le nombre de ces circonscriptions et déterminé leur composition, en respectant les limites administratives des régions. L'article 15 de la loi déférée précise que les sièges des représentants français au Parlement européen sont répartis entre les circonscriptions régionales proportionnellement à leur population, avec application de la règle du plus fort reste, en se fondant sur le chiffre de la population résultant du dernier recensement général. Le nombre de sièges est constaté par décret au plus tard à la date de convocation des électeurs. Il résulte directement de ces dispositions que la répartition des sièges entre les huit circonscriptions régionales sera faite sur des bases essentiellement démographiques, selon une règle précisément fixée par le législateur de proportionnalité par rapport à la population des circonscriptions. De telles dispositions législatives ne peuvent être regardées comme étant contraires au principe constitutionnel d'égalité.


VI. - Sur l'article 17


A. - L'article 17, modifiant l'article 9 de la loi du 7 juillet 1977, détermine les règles relatives aux déclarations de candidature pour les élections des représentants au Parlement européen et précise, notamment, que les listes présentées par circonscription sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.

Cette dernière disposition est critiquée par les députés saisissants au motif qu'elle méconnaîtrait l'article 3 de la Constitution selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir cette critique.

En adoptant les nouvelles dispositions de l'article 3 de la Constitution, le pouvoir constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (décision no 2000-429 DC du 30 mai 2000). Comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, le législateur peut ainsi adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Mais c'est au législateur qu'il appartient de déterminer, pour chaque élection, les dispositions qui lui paraissent le plus appropriées et il lui est loisible de modifier pour l'avenir les règles antérieurement édictées. On ne saurait, dès lors, déduire des dispositions de l'article 3 de la Constitution qu'elles s'opposeraient à ce que le législateur modifie les règles applicables à un mode de scrutin déterminé au motif que cette modification serait susceptible d'avoir pour conséquence une moindre représentation des femmes.

Au demeurant, il faut souligner que le législateur, dans le cadre du mode de scrutin par circonscriptions régionales qu'il a décidé d'instituer, a prévu que les listes de candidats par circonscription devront être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe. Il ne peut être démontré que ces règles, par elles-mêmes, aboutiraient nécessairement à une moindre représentation des femmes au Parlement européen que celle qu'impliquaient les dispositions antérieures, qui n'ont, d'ailleurs, compte tenu de leur date d'entrée en vigueur, jamais reçu application.


VII. - Sur l'article 28


A. - L'article 28 abroge l'article 23 de la loi no 77-729 du 7 juillet 1977 relatif au vote des Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centre de vote pour l'élection du président de la République.

Selon les auteurs de la première saisine, cette abrogation aurait pour effet de priver de l'exercice du droit de vote les citoyens français résidant hors des frontières de l'Union européenne, ce qui serait contraire au principe d'universalité du collège électoral.

B. - Le Conseil constitutionnel devra écarter ce grief.

L'article 23 de la loi du 7 juillet 1977 avait pu prévoir, alors que le mode de scrutin en vigueur avait pour base une circonscription nationale unique, que les Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centres de vote pour l'élection du Président de la République exercent leur droit de vote dans les conditions prévues par la loi organique no 76-97 du 31 janvier 1976, sous réserve qu'ils n'aient pas été admis à exercer leur droit de vote pour l'élection des représentants au Parlement européen de l'Etat membre de l'Union européenne où ils résident. Ces dispositions ne pouvaient être conservées dans le cadre d'un scrutin par circonscriptions régionales, sauf à rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions.

Plutôt que d'organiser un tel rattachement, le législateur a préféré s'en tenir à l'application des dispositions générales du code électoral qui permettent l'inscription sur les listes électorales des communes des Français établis hors de France. Ainsi l'article L. 12 du code électoral prévoit que les Français établis hors de France et immatriculés au consulat de France peuvent, sur leur demande, être inscrits sur la liste électorale de leur commune de naissance, de la commune de leur dernier domicile, de la commune de leur dernière résidence, de la commune où est inscrit un de leurs descendants au premier degré. L'article L. 12 prévoit aussi la possibilité pour les Français établis hors de France de s'inscrire dans la commune où est né, est inscrit ou a été inscrit l'un de leurs ascendants : dans ce cas, le citoyen qui se prévaut de ces dernières dispositions n'a pas l'obligation de justifier cumulativement de la naissance de son ascendant dans la commune et d'une inscription, présente ou passée, de cet ascendant sur les listes électorales (Cass. Civ. II 3 juin 1977, Bull. no 142 p. 100). L'article L. 13 du code électoral règle pour sa part la situation des militaires. L'article L. 14 prévoit enfin que les Français établis hors de France et les conjoints des militaires de carrière peuvent demander leur inscription sur la liste électorale où est inscrit leur conjoint.

C'est en vertu de ces dispositions que les Français établis hors de France pourront participer à l'élection des représentants au Parlement européen, soit personnellement, soit par procuration, de la même façon qu'ils peuvent participer aux autres élections politiques qui se déroulent dans le cadre de circonscriptions sur le territoire national. On peut relever, en outre, que les Français établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne peuvent aussi choisir de voter dans cet Etat en s'y inscrivant sur les listes électorales propres à l'élection au Parlement européen. Dans ces conditions, il apparaît au Gouvernement que le grief adressé à l'article 28 de la loi déférée ne pourra être retenu.


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En définitive, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.