[ Internet et PMI - JM Yolin ][ 1999 ] 4

Travail coopératif à distance
dans le cadre d'un réseau d'entreprises

Les réseaux d'entreprises : un champ d'application privilégié ?

L'ouverture des frontières, avec les exigences de la compétition internationale, a entraîné une profonde mutation des structures industrielles avec une double évolution apparemment contradictoire :

  • les PME, grâce à leur flexibilité, à la légèreté de leurs structures, et à la motivation de leur personnel, se sont révélées capables d'une réactivité, d'une productivité, et d'une aptitude à d'innover bien supérieure aux grosses.

    Dans ce domaine également un "principe de subsidiarité" s'est dégagé et c'est le marché qui l'a imposé : ne jamais faire dans une grande structure ce qui peut être fait dans une plus petite

  • en même temps, la mondialisation a contraint les grandes entreprises, qui devaient rentabiliser des investissements de plus en plus lourds notamment dans la R&D (microprocesseurs, médicaments,.... ) ou dans le développement de très grandes marques (Coca-Cola, Disney,.... ) à étendre leur activité bien au-delà des frontières.

Sur le plan de l'organisation industrielle, cela s'est traduit par trois conséquences :

1 ère évolution : les grandes entreprises se sont étendues sur le plan géographique mais en même temps se sont reconcentrées sur le coeur de leur métier, en sous-traitant une part croissante de leur chiffre d'affaire : dans l'automobile par exemple cette part est passée en 20 ans de 33 % à 66 %

Ce phénomène n'est pas seulement quantitatif : les donneurs d'ordre n'attendent plus seulement de leurs partenaires qu'ils soient de simples exécutants. Ils exigent maintenant une capacité d'innovation et de co-ingénierie.

La réduction corrélative du nombre de sous-traitants de premier niveau s'est paradoxalement traduite par une augmentation du nombre global d'entreprises concernées, car les partenaires de premier niveau ont, eux aussi, dans la même logique fait appel à des sous-traitants, qui eux-mêmes....

D'une structure "en râteau" (plusieurs milliers de sous-traitants-exécutants) le tissu industriel a évolué vers une structure "en balai" ou en"en grappes" (seulement quelques centaines de partenaires capables de participer au développement du produit, qui eux même s'appuient....)

Bien entendu ces "grappes" s'enchevêtrent car désormais ni le sous-traitant, ni le donneur d'ordre, ne souhaitent que la dépendance mutuelle soit trop forte. (réseaux de type 1)

2ème évolution : tirant la leçon du manque de compétitivité de structures trop lourdes, trop hiérarchisées, peu manoeuvrantes, les grandes entreprises se sont efforcées de retrouver les qualités intrinsèques à la PMI en développant l' "intraprenariat", prenant ou non la forme juridique de filiales (des groupes comme la compagnie générale des eaux ou Elf Aquitaine ont plus d'un millier de filiales chacune)

Ces filiales, pour la plupart, disposent d'une autonomie certaine (notamment pour le choix de leurs fournisseurs ou clients) qui les rapprochent de vraies PMI. (réseaux de type 2)

LaModeFrancaise

3ème évolution : certains métiers et certains produits qui exigent

  • de l'innovation, sans pour autant demander des efforts de R&D démesurés (informatique, agro-alimentaire, composants mécaniques,.... )
  • une image de marque, sans investissement commercial gigantesque (produits "du terroir", produits culturels, textile-habillement,.... )
  • ou qui occupent des niches trop réduites pour intéresser les grands groupes (machines spéciales,.... )

sont aujourd'hui réappropriés par les PMI (parfois par externalisation des grandes entreprises).

Pour autant, ces entreprises, si elles veulent rester compétitives, exporter, développer des moyens d'essais leur permettant d'atteindre les critères de qualité exigés d'elles, avoir un poids suffisant dans leurs relations avec leurs fournisseurs ou leurs partenaires financiers, doivent mettre en commun un certain nombre de moyens techniques et logistiques. ainsi se sont développés, dans tous les pays industrialisés, des réseaux : districts italiens, Clusters danois, ou "systèmes locaux de production" pour reprendre le dernier vocable de la DATAR (réseaux de type 3)

Dans ces trois formes nouvelles d'organisation du tissu industriel, la coopération cohabite avec la compétition (le mot de "coopétition"a été proposé pour décrire cette situation). Elles présentent 2 points communs :

  1. les différents acteurs sont indépendants mais, néanmoins, ne peuvent se développer qu'en synergie forte avec leurs partenaires.

  2. le recentrage sur le métier augmente fortement la performance de chacune des entreprises mais la performance globale est maintenant fortement dépendante de l'efficacité des liaisons interentreprises :
    • délais de livraison
    • capacité d'échange de données techniques permettant la coingénierie
    • performance du système de facturation-paiement
    • continuité du processus d'assurance qualité à travers la cascade de production
    • .... et le tout, bien entendu, à des coûts les plus bas possible

Tout ceci exige un système de circulation et de traitement de l'information performant, d'un coût acceptable, capable de s'adapter à des changements permanents de situation et de partenaires, permettant en interne de développer les échanges, et d'offrir à l'extérieur une vitrine ou un catalogue collectif.

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On peut se demander si Internet, fruit paradoxal de la liaison entre la rigueur des militaires et l'imagination foisonnante des chercheurs, n'est pas l'outil qui "colle" le mieux à ce besoin en rendant plus efficaces toutes les actions de coopération.

"[il] ouvre de larges champs d'action à des structures très mobiles, créatives et souples, comme à des systèmes de production "virtuels", légers, peu intégrés verticalement et donc très flexibles et réactifs"(note du poste d'expansion économique de Washington)

Si internet connaît aujourd'hui un développement aussi fulgurant ce n'est pas tant par son degré d'innovation technologique mais parce qu'il "colle" parfaitement à des tendances sociologiques majeures : aplatissement des pyramides hiérarchiques, organisation en centres de responsabilité, mondialisation des échanges, flux tendus, réseaux d'entreprises,...

C'est sans doute dans les situations n° 2 (réseau des filiales d'un groupe) et n° 1 (grappes de fournisseurs et de sous-traitants) que l'évolution sera la plus rapide. En effet les grands groupes disposent d'une capacité plus grande que les réseaux de PMI indépendantes pour développer des «intranets».

Il sera intéressant d'examiner ce qui existe aujourd'hui et d'étudier dans quelle mesure ces réalisations sont transposables à des réseaux de type 3

anx Quelques exemples

Type 1 Aux USA constructeurs automobiles, équipementiers, et sous-traitants achèvent actuellement la mise au point du plus grand extranet du monde : ANX (Automotive Network Exchange) permettant transfert de fichiers CAO, messageries, conduite de projets,... toutes les transactions EDI étant naturellement transférées sur Internet :

Objectifs : économiser 1 milliard de dollars par an et accélérer considérablement tant le processus de conception que celui de la production

bien entendu pour que ce réseau puisse fonctionner avec la sécurité nécessaire, les transactions utilisent des procédures sophistiquées de cryptage et d'authentification

Ford, par ailleurs est en train de développer un Extranet, intitulé «Focal Pt» pour relier ses 15 000 concessionnaires, qui offrira des informations sur les stocks, les promotions mais aussi sur l'historique des réparations de chaque voiture.

il est vraisemblable que ce mode de travail s'imposera également en Europe, et dans un marché aussi compétitif il convient de ne pas prendre de retard.

GEC Plessey

type 2 : GEC Plessey (GB), 3000 personnes, 2 milliards de F de CA conçoit des circuits spécifiques (Asic). Elle dispose d'implantation de fabrication ou de conception en France (les Ulis), en Grande-Bretagne, et à Taiwan. Elle utilise son intranet :

  • pour échanger les fichiers techniques (CAO) entre les sites
  • pour mettre à disposition de toutes les équipes des banques de logiciels de simulation
  • pour donner aux commerciaux la possibilité de suivre l'exécution de sa commande à travers les différentes usines du groupe

Ne peut-on imaginer qu'un bureau d'ingénierie travaille ainsi avec les entreprises oeuvrant à la réalisation d'un projet ?

Solectron

alpha-c

type 2 : SOLECTRON (US) spécialiste de la sous-traitance électronique, 2 M $ de CA, organisé en 6 filiales relativement indépendantes (dont une à Canéjan en Gironde)

L'intranet a été développé pour permettre aux services chargés de l'achat des composants

  • de créer au niveau du réseau une base de données commune
  • de négocier les meilleures conditions d'achat (prix, qualité, délais)
  • de créer une bourse de composants entre les filiales permettant de réduire d'1/3 le "ferraillage" des composants en stock devenus obsolètes

Une telle organisation ne pourrait-elle pas se transposer à un réseau de PMI travaillant dans la sous-traitance électronique ?

type 2 (à la frontière du type 3):ALPHA-C (http://www.alpha-c.com) à Vermondans dans le Doubs est un groupe de 5 PME, 250 personnes, 135 MF de CA, réparties dans un rayon de 200 km, spécialisé dans la réalisation de sous-ensembles mécaniques (usinage, traitement thermique, dépôts sous vide, outillage)

Son patron, Philippe Contal déclarait lors d'un séminaire à l'institut de productique de Besançon :
"tous nos sites industriels sont connectés au réseau. Cela permet d'échanger des informations en temps réel, aussi bien en interne que vis-à-vis des clients. Transmission de devis et possibilité de visite virtuelle de nos installations à partir de tout ordinateur de la planète connecté au réseau, Internet c'est aussi un formidable outil de marketing"

"en moins de 2 h, alors que j'envisageais un développement de produit, j'ai pu accéder à l'ensemble des données mondiales sur les systèmes qui m'intéressaient. Aussi bien sur ceux qui possédaient cette technologie que sur ceux qui l'utilisaient : avec une recherche traditionnelle il m'aurait fallu plus de 6 mois"
"un manuel qualité, réalisé en collaboration par 5 personnes travaillant en parallèle à été rédigé en 1 mois seulement, en échangeant les documents au moyen du réseau"
"aujourd'hui il est aussi impératif de disposer d'Internet que d'avoir un fax"

Graphic Village

type 3 (à la frontière du type 1) : Graphic village

Créé à l'initiative de Jean-Michel Billaut à la Compagnie Bancaire, avec le soutien de la fédération de l'imprimerie et de la communication graphique, ce rendez-vous électronique des professionnels des industries graphiques, pour la plupart clients de la filiale UFC-Locabail, a déjà réussi à regrouper 500 d'entre-eux.

Il leur offre messagerie, revue de presse quotidienne, offres et demandes d'emploi, bourse de matériels d'occasion, forums techniques, espace fournisseur, offres de sous-traitance,....

Les diverses filiales de la Compagnie travaillent sur des opérations similaires destinées à leurs segments de clientèles respectifs (CETELEM pour les distributeurs et commerçants, COFICA pour les garagistes, UCB pour les agents immobiliers, CARDIF pour les professionnels de l'assurance)


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