2 Juillet 1998

par Thierry TROUVE

Dans une société caractérisée par une compétition de plus en plus féroce entre les hommes et entre les organisations, le rôle d'un Etat, gardien d'indispensables règles du jeu, apparaît plus que jamais nécessaire. Mais pour pouvoir continuer à assurer cette mission, l'Etat se doit d'être toujours plus efficace, ce qui représente un véritable défi, dans le contexte actuel.

L'Etat Nouveau dont ont besoin les citoyens aujourd'hui, est un Etat totalement décloisonné, très réactif et transparent, donc déconcentré et servi par des agents responsabilisés et remotivés.

En attendant une mythique réforme de l'Etat, promise depuis trop d'années, il est un phénomène qui peut provoquer un véritable changement et initier une dynamique vertueuse : l'arrivée de la technologie Internet. Bien plus qu'une simple nouvelle technologie et une mode, Internet apporte de nouvelles méthodes de travail capables de briser les traditionnels cloisonnements, de redonner le pouvoir à des agents responsabilisés, animés par une hiérarchie redynamisée pour rendre un service public moderne.

C'est assez naturellement que les DRIRE, services déconcentrés du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, agissant pour le compte de nombreux départements ministériels (industrie, environnement, travail, etc...), ont compris ces enjeux et entamé une démarche d'appropriation volontariste. En effet, les DRIRE sont en contact étroit avec les entreprises et ont dans leur mission d'aider les PMI à anticiper les mutations qu'Internet provoque dans la vie économique. Elles étaient donc en première ligne de l'administration.

Examinons, au travers de l'exemple d'une DRIRE (celle du Nord - Pas-de-Calais), comment un service déconcentré de l'Etat peut utiliser concrètement la technologie Internet, et ce qu'il peut en retirer dès lors qu'il a décidé d'intégrer Internet au coeur de son développement.

Pour un service déconcentré comme une DRIRE, le système d'information est, en fait, l'outil de production principal ; il est, à ce titre, vital et stratégique, même s'il est largement perfectible et s'il n'a pas encore donné toute la mesure de ce dont il est capable. Des applications ont été construites au fil des ans, chacune répondant bien à une problématique, mais n'ayant pas (ou rarement) de passerelles avec les autres applications.

De nombreuses données ont ainsi été accumulées et stockées, sous forme structurée (bases de données) ou non structurées (textes et documents divers). Mais l'hétérogénéité et le cloisonnement des applications font que bien souvent cette richesse n'est exploitée que très partiellement, tandis que beaucoup d'agents n'imaginent pas tout ce qui pourrait être fait grâce à sa valorisation. Or Internet (et notamment ses dérivés du type Intranet) touche profondément au système d'information du service : il va en devenir l'ossature et permettre progressivement le décloisonnement entre les applications ainsi qu'entre les différentes équipes de travail. La technologie Intranet, en rupture avec l'informatique classique, est de plus accessible à tous et présente ainsi l'intérêt de redonner, aux utilisateurs finaux, la maîtrise de leur système d'information.

Il apparaît alors clairement que la technologie Internet n'est pas un gadget accessoire hérité d'une mode passagère mais l'outil n° 1 de travail du service. Cette technologie peut se décliner en grands services : messagerie, Intranet (Web), Internet (Web) et Extranet que nous allons successivement passer en revue.

Nous passerons rapidement sur ce premier service utilisé par de plus en plus d'entreprises et de services publics (la totalité des DRIRE en est ainsi équipée).

Ses principales caractéristiques sont d'être un outil de communication interpersonnel direct et asynchrone. Elle permet ainsi de mettre en contact directement deux personnes qui ne sont pas disponibles au même instant. Pour être réellement efficace, elle présuppose que chaque agent dispose d'un ordinateur (les boîtes aux lettres multiples sur un ordinateur commun à plusieurs personnes sont en général mal utilisées) et d'une connexion permanente au service de messagerie (afin d'éviter d'avoir à vérifier régulièrement le contenu de la boîte aux lettres).

Il est alors important de lui conserver son caractère interpersonnel et de ne pas la transformer en outil de communication de service à service au risque de doublonner avec le courrier papier ou d'en faire un fax un peu plus évolué.

Dans ces conditions, la messagerie peut donner la pleine mesure de son intérêt :

- Elle rapproche les hommes et donc contribue au décloisonnement des services (à l'intérieur du service, avec l'administration centrale, entre services déconcentrés, avec d'autres entités comme les collectivités locales, agences et organismes divers,...).

- Elle est un élément de responsabilisation des agents car elle permet d'établir un lien plus facilement entre celui qui connaît un dossier et celui qui va décider, même si plusieurs échelons hiérarchiques les séparent.

- Elle fluidifie la structure hiérarchique et contribue à sa modernisation en soulageant les échelons intermédiaires du rôle de relais de l'information et en leur permettant de se concentrer sur leur rôle d'animation et d'impulsion (on notera, à ce propos, que la rétention savamment dosée d'information ne peut plus être une mode de management comme cela a pu exister dans le passé).

Le monde de l'Intranet est en pleine explosion et les évolutions permanentes qu'il connaît doivent inciter le commentaire à la prudence et à la modestie.

A la lumière de notre expérience, son usage le plus important (et le plus bénéfique) est de faciliter le partage d'informations de travail entre les hommes d'une même structure, d'un même service. Ceci peut se décliner en trois volets :

Il s'agit de pages d'informations qui habituellement font l'objet de distributions papier plus ou moins générales car susceptibles d'intéresser tous les agents du service :

- Informations sur les Ressources Humaines (fiches de poste, dates de stages de formation, notes de service,...) ;

- Dates des réunions importantes qui rythment certaines activités du service (pour une DRIRE : comités départementaux d'hygiène, comités régionaux des aides) et liste des dossiers inscrits à l'ordre du jour ;

- Notices méthodologiques à jour pour chaque activité ;

- Eléments de réglementation ou de jurisprudence ;

- Etc ...

De nombreuses données font l'objet d'une structuration, parfois très simple (tableau dans une feuille de calcul de tableur) ou plus complexe (dans le cadre d'un logiciel de gestion de bases de données).

Ces données sont bien souvent peu ou pas partagées : les applications construites sur des SGBD classiques sont, en général, lourdes et compliquées, nécessitant l'installation d'un logiciel client spécifique sur le poste de travail et une formation importante de l'utilisateur : en pratique seuls les utilisateurs intensifs sont donc équipés, les utilisateurs occasionnels potentiels étant laissés de côté.

Quant aux tableaux de données plus simples, ils sont souvent détenus par un seul utilisateur pour ses besoins propres.

La publication de ces données sur un site Web interne présente donc l'avantage de rendre accessible, au plus grand nombre, ces données, par l'intermédiaire du logiciel client unique qu'est le navigateur.

Tous les logiciels de bases de données permettent ou permettront rapidement cette publication sur le Web, d'une façon de plus en plus conviviale. Dès aujourd'hui, quelques progiciels bon marché et très simples d'emploi (ex File Maker Pro 4 en version Windows ou Mac) permettent cette publication et la rendent accessibles à des non informaticiens. C'est cette solution qui a été mise en oeuvre à la DRIRE Nord - Pas-de-Calais.

L'une des voies les plus prometteuses d'un Intranet administratif est la constitution et la mise à disposition des agents, pour exploitation, du fonds documentaire composé de tous les documents élaborés par le service (notes, courriers, rapports,...).

L'idée consiste à stocker tous ces documents (notamment fichiers de traitement de texte, habituellement cantonnés aux disquettes ou disques durs de chaque poste) sur un serveur commun accessible à tous. Il n'est pas nécessaire de classer finement ceux-ci (ce qui serait trop long) ni de les convertir en pages Internet au format HTML.

Un classement par entités du service, voire par agent, par exemple, peut permettre de réaliser une partition simple et efficace de cette base documentaire ainsi constituée. Un moteur de recherche, activé depuis l'Intranet, permet alors d'indexer ce fond documentaire et d'effectuer, ensuite, des recherches sur les mots contenus dans les fichiers, depuis n'importe quel poste de travail du réseau avec les mêmes fonctionnalités (rapidité, ergonomie) que dans le monde Internet.

Plusieurs moteurs de recherche possèdent, en effet, une version Intranet (parfois gratuite) qui permet d'indexer de nombreux types de fichiers (Word, Excel, Word Perfect, etc...) et de mettre à disposition sur l'Intranet cette fonctionnalité essentielle.

On le voit, l'Intranet est bien un outil de travail du service : en pratique, cela signifie que les informations qui y sont publiées ne sont pas le seul fait de la hiérarchie et encore moins d'un service de communication interne. A notre sens, chaque agent producteur ou détenteur d'une information doit pouvoir la publier.

L'arborescence du (ou des) site(s) Web interne doit donc être organisée de façon à pouvoir gérer cette possibilité et les éventuels droits d'accès qui y sont liés. L'utilisation de la nouvelle génération d'outils bureautiques (versions 97 et ultérieures) permet, par ailleurs, la création très aisée de pages HTML simples sans nécessité d'utiliser des éditeurs spécialisés, ce qui ouvre, à tous les agents, la possibilité de réaliser une page d'Intranet.

L'Intranet ouvert à la DRIRE Nord - Pas-de-Calais, depuis fin 1997, et dont le déploiement complet sera terminé en Juillet 1998, implémente chacune de ces trois grandes fonctions.

Bien d'autres fonctions et développements d'un Intranet sont possibles (comme les utilisations nomades), et l'explosion actuelle des Intranets en entreprise apporte tous les jours de nouveaux outils et de nouvelles perspectives.

Tous les Ministères se sont dotés de sites Web, en général fort bien réalisés et au contenu intéressant. Pourtant beaucoup de services déconcentrés devraient se doter de leurs propres sites. En effet, la déconcentration a donné à ces services de nombreuses missions et responsabilités. Il est donc naturel qu'une part du travail se fasse par le canal d'Internet en complément des moyens traditionnels utilisés.

Là encore, il ne s'agit pas d'outils de communication (qui posent des problèmes de pouvoir et de redondance par rapport aux sites ministériels ou préfectoraux), mais d'outils de travail utilisés comme un des canaux d'échanges entre une administration moderne et ses administrés.

Un site Web d'un service déconcentré est donc un site transactionnel (on n'est pas loin du "commerce" électronique) sur lequel le service va mettre l'information pratique concernant les démarches que les administrés ont à faire auprès de ce service (pourquoi faire, que faire, comment le faire). Quand la procédure s'y prêtera, le site permettra de faire tout ou partie de la procédure de façon électronique (mise à disposition de formulaire, envoi du formulaire, réponse de l'administration,...).

Un tel site Web doit donc également être la porte d'entrée possible d'un échange par mél avec les agents responsables (ainsi, par simple consultation de la carte de la région, la structure territoriale de la DRIRE Nord Pas-de-Calais apparaît et il est possible de connaître, pour un territoire donné, le nom, les coordonnées du subdivisionnaire responsable, et de lui envoyer un courrier électronique).

La capacité que l'administration aura à accepter la réalisation de sites Web pour ses services déconcentrés sera, de ce point de vue, un excellent baromètre de l'avancement de cette déconcentration souhaitée par tous et un puissant vecteur de mobilisation, de responsabilisation et donc de plus grande efficacité de sa composante déconcentrée.

Le site de la DRIRE Nord - Pas-de-Calais, basé sur ces principes, a été inauguré le 10 Avril 1998 par M. Christian PIERRET, Secrétaire d'Etat à l'Industrie (www.drirenpdc.org).

Ouvrir l'accès au Web aux agents du service devient, bien entendu, une nécessité du service : en Juin 1998, on trouve, en effet, quantité d'informations sur Internet dont la recherche, grâce à des moyens puissants, s'avère très utile au quotidien (journal officiel, informations réglementaires, informations sur la vie économique et les entreprises,...).

Une part importante du travail d'un agent chargé de faire le point sur un sujet consistera ainsi à faire la synthèse entre l'information détenue en interne (sur l'Intranet) et l'information disponible à l'extérieur (sur Internet), avant de s'attaquer au fond du dossier.

Compte tenu du caractère interministériel grandissant de l'action de l'Etat et de la complexité des procédures réglementaires, l'application inter-services des solutions évoquées plus haut ouvre d'énormes perspectives en termes d'efficacité, de réduction des délais de l'action publique.

Dans une région ou dans un département (comme une administration centrale) l'ouverture d'une messagerie interministérielle et d'Intranets permettant le partage d'informations de travail détenues par les différents services, mais aussi la réalisation d'applications de "Workflow" pour les procédures administratives doit être une priorité d'investissement pour l'Etat (le Workflow permet l'informatisation des flux d'information déterminés par le déroulement d'une procédure).

Le projet d'informatisation de la procédure "Installations Classées pour la Protection de l'Environnement " que la DRIRE a proposé au Préfet du Pas-de-Calais, et dont la maîtrise d'oeuvre est assurée par l'Ecole des Mines de DOUAI, répond à cet objectif.

La procédure (qui vise à autoriser l'installation ou l'extension d'unités industrielles dont l'activité peut avoir un impact sur l'Environnement et / ou la sécurité des populations environnantes) est, en effet, particulièrement complexe : celle-ci concerne 6 Ministères différents représentés par 19 services sur 54 sites géographiques distincts et met en jeu 120 personnes différentes pour le seul département du Pas-de-Calais. Cette complexité de la procédure, qui comprend une phase d'enquête publique, se traduit aujourd'hui, pour certains dossiers, par des délais qui peuvent être supérieurs à un an et constituer, ainsi, un frein à l'activité industrielle. L'enjeu sur le développement économique et la création d'emplois du projet d'Intranet Etat autour de cette procédure est donc considérable.

Pour mettre en place de tels outils, deux voies très différentes sont possibles : l'achat de solutions "clés en main" comme plusieurs grands éditeurs en proposent aujourd'hui (Exchange de Microsoft, Notes, Domino de Lotus - IBM...) ou le recours à un ensemble de logiciels gratuits disponibles sur Internet.

Notre préférence va clairement à la deuxième solution pour des raisons de prix et de performances. En effet, les solutions propriétaires se révèlent onéreuses à l'usage et enferment leur utilisateur dans une logique de dépendance et de consommation très habilement élaborée par les équipes marketing des éditeurs. Ces solutions présentent, par ailleurs, l'inconvénient de n'être pas complètement ouvertes et compatibles avec les diverses spécifications d'Internet, ce qui pose des problèmes dès que l'on veut sortir du monde de l'éditeur (même si celui-ci affirme le contraire).

On peut trouver des informations très précieuses sur la construction de solutions complètes à base de logiciels libres sur Internet (voir par exemple www.europe-inside.com).

8. METHODE : "FAITES-LE, TOUT SIMPLEMENT"

Beaucoup de décideurs ont le réflexe (tout à fait justifié) de n'aborder les questions informatiques qu'après de longs travaux de schémas directeurs puis de spécifications fonctionnelles très détaillées. Pourtant, dans le cas des projets de sites Web (Internet et davantage encore Intranet), cette approche cartésienne purement descendante ou "top down" ne nous paraît pas la meilleure. Cette technologie est, en effet, jetable et accessible à beaucoup : elle offre donc la possibilité d'expérimenter et de procéder par essais successifs, de façon itérative. Cette approche pragmatique, à l'image de l'Internet mondial (aurait-il été possible de bâtir le schéma directeur du réseau Internet ?), est, à notre avis, la plus efficace. S'agissant d'un domaine nouveau, elle permettra aux services de l'Etat qui l'adopteront de progresser dans leur réflexion au fur et à mesure de l'avancement de leur projet. C'est de cette façon que la DRIRE Nord - Pas-de-Calais a conduit ses projets (une fois l'architecture du réseau définie et mise en place) et c'est ce qui a permis de démarrer, en quatre mois, le site Web Intranet et le site Web Internet, alors qu'une méthode classique aurait conduit à trois fois plus de délais pour un résultat sans doute équivalent.

A l'image du travail entrepris par les DRIRE, l'administration de l'Etat, et, en particulier, sa composante déconcentrée, doit se saisir de l'opportunité offerte par les technologies Internet. Le moment est venu de reconstruire une administration réactive, efficace et transparente qui sache faire travailler en réseau, de façon décloisonnée et par projets, des agents motivés et responsabilisés.

Il faut rebâtir l'administration moderne dont notre pays a besoin et Internet peut nous y aider.

Faisons-le.