LES OUTILS ET LEUR MISE EN OEUVRE    
ANNALES DES MINES NOVEMBRE 1991  
  Aménagement du territoire et développement
industriel sont-ils compatibles ?

 
Par Jean-Luc
VO VAN QUI
 
responsable de la sous-direction
deloppement industriel
et technologique régional,
ministère de l'industrie et du Commerce extérieur
 
A la croisée des chemins
entre tradition interventionniste
et respect
des lois du marché, la politique
d'aménagement du territoire
se complexifie
et s'ouvre aujourd'hui
à une appréhension globale de
ses enjeux et de son impact.
 
Mais la coordination de ses actions, indispensable tant au plan national
qu'européen, requiert
désormais une grande souplesse
face à de multiples difficultés.
  La lecture des journaux, même relativement spécialisés, donne trop souvent une impression quelque peu caricaturale de l'aménagement du territoire.

En effet l'action en ce domaine y est régulièrement mesurée à travers des statistiques d'emplois créés grâce à de nouvelles implantations industrielles (en fait le plus souvent il s'agit d'emplois annoncés), à l'exclusion quasi-complète de toutes autres considérations. Cela conduit naturellement certains à assimiler aménagement du territoire, implantations industrielles et emplois annoncés.

Or, par ailleurs, ces implantations nouvelles viennent parfois concurrencer des intérêts existants qui s'étonnent de ce qu'ils perçoivent comme une distorsion.

Se développent donc deux attitudes extrêmes entre d'un côté ceux qui ont la religion du chiffre d'emplois annoncé, alpha et oméga de l'aménagement du territoire, et de l'autre ceux qui rejettent toute aide à l'implantation comme une intolérable distorsion de concurrence.

Cette caricature est le résultat de simplifications abusives et du refus de considérer la complexité de l'aménagement du territoire et de son impact industriel.

La vrai question devrait, en fait, être " comment rendre aménagement du territoire et développement industriel compatibles " ?

Nous allons donc essayer d'apporter quelques éléments de réflexions dans ce débat.

Après avoir rappelé quelques uns des choix sous-jacents à une politique d'aménagement du territoire, nous verrons que celle-ci ne se réduit pas à une simple politique d'implantations industrielles et nous examinerons les questions que celles-ci soulèvent.
 

LES CHOIX SOUS-JACENTS A UNE POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE  

Il n'est pas inutile de rappeler quelques-uns des choix implicites ou explicites qui sont faits dans le cadre d'une politique d'aménagement du territoire. Même si certaines questions peuvent paraître provocatrices, elles éclairent la complexité du problème. Enfin, les réponses peuvent varier suivant les périodes.

L'aménagement du territoire doit-il viser à obtenir une densité d'activités uniforme sur le territoire national ? C'est l'une des tentations évidentes, du moins en terme d'affichage pour mécontenter le moins d'interlocuteurs possible. Il est d'ailleurs frappant de comparer la physionomie des cartes d'aménagement du territoire britannique et française: alors que la première est relativement limitée en étendue, surtout si l'on omet les Highlands, et concentrée sur le pays industriel, la seconde couvre une grande part du territoire.

Quelle priorité donner à la reconversion des zones qui connaissent des mutations industrielles par rapport au rattrapage des zones en retard de développement ou qui se désertifient (zones rurales par exemple) ? Nous n'avons pas toujours tranché très clairement, en fait, entre les deux options. Or on peut par exemple se demander si la même politique, ou plus précisément les mêmes outils, peuvent s'appliquer aux deux cas de figure.

Ne faudrait-il pas renforcer les zones privilégiées ? En dépit d'un aspect provocateur, cette question doit être posée très sérieusement. Nous ne pouvons pas forcément avoir la même attitude selon que nous raisonnons à l'échelle nationale (dans ce cadre décourager les développements dans les zones privilégiées, par exemple, peut avoir un sens) ou à l'échelle européenne ou mondiale (la même attitude apparaît comme fort dommageable aux intérêts nationaux). Nous pouvons même nous demander, lorsqu'il s'agit d'attirer des investissements étrangers très porteurs d'avenir, s'il n'est pas préférable de mettre en avant les zones privilégiées. Par exemple, il est apparu qu'il valait mieux qu'un centre de recherche japonais s'installe à Orsay plutôt que de le " chasser " vers Bruxelles ou Londres en voulant trop obstinément le localiser dans une zone déshéritée. Ce même souci de compétitivité intemationale a, en outre, conduit à améliorer la fiscalité des quartiers généraux de groupes dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire.

Une politique nationale d'aménagement du territoire a-t-elle un sens dans le contexte européen actuel ? Certes, une certaine coordination existe, mais cette question revêt une acuité particulière dès qu'apparaissent des surenchères entre pays de la communauté pour capter les investissements géographiquement mobiles.

Le développement de l'industrie est-il la seule forme d'aménagement du territoire ? Bien évidemment la réponse est non. Le développement du secteur tertiaire doit être pris en compte dans la politique d'aménagement du territoire. Ainsi, dans certains cas il peut être préférable d'encourager ou de laisser se développer le tertiaire que d'imposer une réindustrialisation difficile. Par ailleurs, comme nous allons le voir, il faut aussi une politique visant à renforcer l'environnement général des entreprises dans les zones reconnues comme prioritaires.

UNE CONCEPTION GLOBALE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE  

Même si on pense plus facilement au développement d'activités industrielles dans le cadre de l'aménagement du territoire, celui-ci ne se réduit pas à une simple politique d'implantations industrielles. En effet, il y a deux autres volets très importants qui sont la création d'un environnement favorable et le développement du tissu industriel existant.

Un environnement adapté est une condition essentielle du développement industriel, qu'il s'agisse d'infrastructures de transport et d'accueil, d'un support éducatif et scientifique, d'une main-d'oeuvre formée ou formable, et même du cadre de vie. Aucun de ces éléments à lui seul ne fait une politique d'aménagement du territoire, mais s'ils ne sont pas réunis simultanément, les initiatives seront beaucoup plus difficiles à mener à terme, sinon vouées à l'échec. C'est une évidence qu'il faut rappeler. Il n'est pas possible de produire s'il n'y a pas de moyens de transporter rapidement et sûrement matières premières et produits ou si l'on ne dispose pas d'une main-d'oeuvre adaptable aux tâches à effectuer. Par ailleurs, les activités les plus porteuses d'avenir nécessitent souvent une collaboration avec les centres de recherche ou de formation et sont donc attirées préférentiellement par les pôles d'excellence en ce domaine. Enfin pour retenir ou attirer les cadres indispensables au bon fonctionnement de ces mêmes activités, il faut un cadre de vie agréable: l'anecdote de l'usine qui n'arrive pas à retenir de jeunes ingénieurs parce que leurs épouses ne veulent pas venir vivre dans la région n'est pas un cas isolé et n'est pas limité aux cadres de ce niveau.

Par ailleurs il y a une tendance certaine, lorsque l'on parle d'aménagement du territoire, à négliger ce qui peut être fait pour développer le tissu industriel local.

Cela est compréhensible dans un contexte général de " médiatisation ". La création de trois emplois dans cent entreprises différentes qui se modernisent et se développent est moins spectaculaires que l'annonce de la création par un grand groupe ex nihilo de trois cents emplois. Par contre, la conséquence immédiate est la même.

Certes, cela suppose qu'il existe déjà un tissu industriel susceptible de développement, et ce volet de la politique d'aménagement du territoire concerne donc plus les zones en conversion que les zones rurales. Par ailleurs, il a aussi le défaut de mal se prêter aux mesures de résultats, ce qui le rend suspect aux yeux de certains.

Mais, si nous considérons un bassin d'emplois où la fermeture d'une grande usine, chimique, sidérurgique, automobile ou électronique, semble probable à terme, un travail considérable peut être accompli en y concentrant les moyens financiers et humains des Pouvoirs publics pour moderniser les entreprises locales, les aider à se sevrer de la sous-traitance du donneur d'ordre condamné, les accompagner dans la recherche et le développement de nouveaux marchés... Il est intéressant de considérer un instant ce qui a été fait dans le cadre du Plan Productique Nord-Pas-de-Calais (PPR).

Le PPR a pour vocation d'aider à la modernisation des entreprises du Nord-Pas-de-Calais. Son objectif n'est pas de créer des emplois sur l'instant, mais de donner aux entreprises les moyens de se mettre à niveau dans la compétition européenne et, dans un premier temps, de consolider les emplois existants.

Après sept ans de fonctionnement on peut faire un bilan rapide. 890 entreprises ont été soutenues de 84 à 90 et celles-ci ont réalisé 13 milliards d'investissements. 4 600 emplois nets ont été effectivement créés et 2 800 autres devraient suivre.

Compte tenu des crédits engagés, cela représente un coût de I00 000 F par emploi, ce qui semble élevé. Mais, en fait, il faut aussi prendre en considération les 54000 emplois que représentaient initialement ces entreprises, et dont une part non négligeable n'aurait pas été maintenue sans leur modernisation.

Cette action sur le tissu industriel existant est donc un outil très important de la politique d'aménagement qui ne doit pas être négligé sous prétexte qu'il est peu visible, et dont il n'est pas évident que l'efficacité soit moindre que celle de mesures plus spectaculaires.

Pour conclure sur ce point, disons que " l'iceberg aménagement du territoire " a une partie immergée méconnue mais essentielle sans laquelle il n'y aurait pas de partie émergée: c'est le travail considérable entrepris par les autorités locales et les différents départements ministériels pour créer un contexte local favorable au développement économique et industriel et pour redynamiser l'existant.

 
LA POLITIQUE D'IMPLANTATIONS : COMPLEXITÉ ET AMBIGUITÉ    

La partie visible et médiatique de l'aménagement du territoire est la politique d'implantations. Celle-ci déchaîne parfois les passions sans doute en raison du refus de prendre en compte la complexité et l'ambiguïté du problème: une implantation n'est pas a priori bonne ou mauvaise; il faut examiner chaque cas séparément, sans trop de parti pris et se .déterminer en conséquence.

Nous allons donc passer en revue quelques-uns des critères envisageables.

De fait, une implantation est jugée avant tout sur le critère de création d'emplois, ou plus exactement de " nombre d'emplois devant être créés ", ce qui se traduit souvent par certaines désillusions.

Se pose immédiatement la question de la nature et de la qualité de l'emploi. En effet créer des emplois féminins pour l'électronique dans un bassin où l'on licencie des sidérurgistes ne répond pas immédiatement au problème d'emploi posé et aggravera éventuellement les statistiques du chômage. Par ailleurs, si un emploi est un emploi, les perspectives et les répercussions à terme d'un emploi hautement qualifié ne sont pas comparables à celles d'un emploi d'OS.

Lorsque l'on attire certaines implantations un peu trop mobiles, on peut s'interroger sur leur pérennité en cas de changement économique ou d'offre alléchante d'une autre région ou d'un autre pays.

Certaines implantations ont un impact local et un effet multiplicateur très importants à travers la sous-traitance et les consommations intermédiaires. D'autre, au contraire, telles les " usines-tounevis ", n'en ont aucun.

Nous avons malheureusement l'expérience du manque de diversification des activités dans une zone donnée qui résulte en de graves problèmes lorsque le conjoncture du secteur se retourne.

"La création de 100 emplois dans la régon A vaut-elle la destruction de 90 ou 110 emplois dans la région B ? ". Certes, la question, en général, peut ne pas se poser en des termes aussi clairs et brutaux, mais nous devons être conscient qu'un tel problème d'impact global peut exister dans certains cas et en mesurer la probabilité.

Toute intervention publique crée une certaine distorsion de la loi du marché. Sauf à être ultralibéral ou ultra-dirigiste, cela conduit à se poser la question de savoir à partir de quel niveau l'aide à l'implantation constitue non plus la compensation d'inconvénients liés à la localisation dans telle région, mais une distorsion de concurrence intolérable. Là encore la réponse n'est pas évidente, mais ne peut pas se réduire à ignorer la question.

La pénurie des moyens a été avancée comme justification à la priorité donnée au soutien des investissements géographiquement mobiles.

La tentation est en effet de leur réserver les meilleures conditions. Par contre, les développements d'entreprises qui ne peuvent pas donner lieu à une délocalisation, sont de facto moins pris en considération. Il est clair que, dans certains cas, les exigences de la concurrence doivent amener à examiner de plus près ce paradoxe.

Nul ne peut nier l'existence d'une surenchère intira-européenne entre pays, entre régions et même au sein d'une même région. Quelles sont les limites à cette surenchère ? Est-il vraiment possible d'avoir une politique d'aménagement du territoire national ? Quel degré de coordination réelle est souhaitable au sein de la CEE?

Même pris sous son seul aspect industriel, l'aménagement du territoire est un problème complexe qui ne peut pas se réduire à quelques certitudes simples, sauf à se transformer en caricature.

L'aménagement du territoire est un problème global dont il faut considérer à chaque instant tous les aspects. C'est bien pour cela sans doute que ce sujet est interministériel et qu'il doit être traité dans le cadre d'une étroite coopération des différents ministères concernés afin que les choix retenus soient, sinon parfaits, du moins effectués en pleine connaissance de cause et en passant au-delà des contradictions d'intérêt apparentes.

 
 

ANNALES DES MINES - NOVEMBRE 1991

 
 

 

HAUT DE PAGE


[ industrie | cgm | annales des mines | réalités industrielles ]