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RESPONSABILITÉ
&
ENVIRONNEMENT

N° 10

EDITORIAL

En pleine crise politique, conséquence des élections régionales, s'est tenue à Paris à l'initiative de la France, une importante réunion préparatoire à la Conférence plénière des Nations Unies sur l'eau et le développement durable prévue pour la fin du mois d'avril. Les plus hautes autorités de l'Etat, Président de la République et Premier ministre, ont honoré de leur présence cette manifestation qui illustre les initiatives prises par notre pays dans cette réflexion internationale. Le Gouvernement entend faire accepter quelques idées essentielles : l'eau est un bien rare ; elle a un coût que doivent supporter les utilisateurs, mais les premiers mètres cubes, absolument nécessaires à la vie, doivent coûter moins cher que les suivants ; elle doit être gérée comme un patrimoine commun : les rivières ignorent souvent les frontières et le loup en amont peut faire mourir de soif l'agneau en aval.

Pourtant la couverture de l'événement par les médias est restée discrète, loin derrière celle des débats de la politique nationale et des derniers échos d'un procès du passé.

Il s'agit pourtant d'une question essentielle au niveau de la planète. L'eau manque dans beaucoup de pays alors que les besoins croissent plus vite que la population. L'utilisation abusive d'un bien rare a déjà conduit à des bouleversements écologiques comme l'assèchement de la mer d'Aral, dont on a beaucoup parlé, et celui du fleuve Colorado, dont on parle beaucoup moins. Faute d'accord entre les pays d'un même bassin fluvial, des conflits armés sont à craindre.

Des milliards d'être humains n'ont pas accès à l'eau potable et les maladies qu'ils contractent en buvant une eau polluée sont sans doute le risque sanitaire le plus sérieux de notre monde. On le sait mais que fait-on pour combattre ce fléau ?

En France, enfin, tout est en place pour que s'ouvre le théâtre de l'été. L'hiver fut sec, très sec même, dans la moitié nord du pays. Le niveau des rivières est bas, celui des nappes phréatiques aussi. Les blés sont semés, les maïs aussi. Sauf miracle de pluies exceptionnelles dans les mois qui viennent, on va donc reparler de sécheresse, de rivières à sec, de restriction des usages de l'eau. Avec les faibles débits des cours d'eau, les niveaux de pollution vont croître et il est hautement probable qu'il y aura quelques incidents sur les réseaux d'eau potable.

Verra-t-on enfin s'ouvrir dans notre pays, à l'exemple de ce que la France aide à faire vivre dans le cadre des Nations Unies, un vrai débat sur le bon usage de l'eau, sur le prix que les utilisateurs, tous les utilisateurs, devraient payer et sur les charges que les pollueurs, tous les pollueurs, devraient supporter pour qu'il devienne économiquement justifié de changer de comportement ?

On dit que le Gouvernement, sous l'impulsion du Ministre de l'Environnement, prépare un véritable plan d'action. Très respectueusement, nous vous souhaitons, Madame le Ministre, bon courage et tous nos voeux de succès car certaines forteresses sont âprement défendues.

Michel TURPIN
Président du Comité d'Orientation

SOMMAIRE DU NUMÉRO 10

Opinion

Société sans risque, société virtuelle!
par André-Jean Guérin
La charrue avant les boeufs
par Patrick Legrand

INFORMATIONS-ACTUALITÉS

Les risques naturels : évaluation de la politique publique de prévention
par Paul-Henri Bourrelier

L'APRÈS-KYOTO

La politique du gouvernement français
par Dominique Voynet
Avant-Propos
Kyoto : du mythe à la réalité
par Corinne Lepage
Sur le plan des principes les résultats de Kyoto méritent un bon point : prise de conscience et ébauche de gouvernance mondiales, fixation d'objectifs à l'échéance 2008-2012 et, aussi, mise en place des institutions et instruments nécessaires au fonctionnement du protocole - permis négociables, système dit de "développement propre" et possibilité d'échanger des quotas d'émission entre pays industrialisés. Mais quid de l'efficacité probable du dispositif ? Des trois instruments envisagés et qui devront être précisés dans les mois à venir, le premier- et le plus important - risque de favoriser l'apparition d'un nouveau marché financier plutôt que la lutte contre l'effet de serre. Un marché qui, tel qu'il semble s'organiser actuellement avec, notamment, l'émergence de la notion de bulle, risque d'être dominé par un seul pays, les Etats-Unis, et ce essentiellement au détriment des pays européens. D'où l'urgence pour l'Europe de se préparer à la conférence de Buenos Aires et d'y proposer une règle du jeu plus satisfaisante que celle qui semble se mettre en place. Car, d'une certaine manière, ce sont les Européens qui, par le degré de leur détermination, peuvent gagner la bataille du climat.
Les réalités de l'après Kyoto
Yves-René Nanot
Si l'opinion publique ne s'est pas encore véritablement emparée de la question de l'effet de serre, les politiques eux se sont saisis du dossier et savent que c'est une affaire de "longue haleine". Mais ont-ils bien pris, en Europe, la mesure des enjeux économiques ? L'Europe qui contribue largement moins que les Etats-Unis aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et se voit pourtant attribuer un objectif de réduction supérieur, va-t-elle encore accroître la pression sur ses entreprises ? Dans l'hypothèse où les Etats-Unis ne ratifieraient pas le protocole, faute d'engagement des pays en développement, l'Europe ne peut alourdir encore - et unilatéralement - les contraintes qui pèsent sur son économie. Elle devra donc, tout d'abord, se déterminer en fonction de l'attitude de ses partenaires. Puis, une fois les objectifs de réduction arrêtés, il faudra mettre en place un système qui fasse appel à la logique de marché plutôt qu'à une logique étatique de réglementation et préciser les rôles respectifs des entreprises et des pouvoirs publics : aux entreprises d'organiser la commercialisation des droits d'émission par secteurs industriels sur le plan international et de faire vivre ce marché ; aux pouvoirs publics un rôle d'incitation pour modifier les comportements du citoyen et du consommateur.
Effet de serre : de kyoto à Buenos-Aires
Lionel Stoléru
Après Rio, en 1992, qui avait vu les pays signataires s'engager à stabiliser leurs émissions de CO2 au niveau de 1990 en application du principe de précaution, Kyoto devait, en 1997, décider des mesures à prendre pour lutter contre l'effet de serre.
Entre temps, un groupe ad hoc engrangeait les connaissances scientifiques et discutait des réponses politiques possibles.
Mais, pour des raisons techniques et aussi politiques - et, peut-être, tactiques du côté des Etats-Unis - ces travaux préparatoires débouchent sur une impasse. C'est alors que les Américains proposent "leur" solution, les permis négociables, prenant de court leurs partenaires, en particulier l'Europe partie sur une autre piste.
En dépit de ce manque de cohérence, un accord est trouvé dans la dernière ligne droite - des engagements chiffrés pour 2008-2012, un mécanisme de développement propre et le principe des permis négociables, les modalités de mise en oeuvre étant renvoyées à la conférence de Buenos-Aires, en novembre 1998.
Restent donc quelques mois pour résoudre les questions en suspens dont la principale, celle des permis négociables, et définir une position française "motrice".
Au-delà de kyoto : problèmes, promesses et perspectives.
R.K. Pachauri
Si la conférence de Kyoto peut être considérée comme un succès, le protocole pose autant de problèmes qu'il en résoud.
Un problème politique, d'abord, celui de la ratification, puisque les Etats-Unis exigent au préalable un engagement significatif des grands pays en développement ,Inde et Chine, essentiellement.
S'y ajoutent des problèmes techniques : la définition précise des engagements (et notamment le calcul des objectifs de réduction), le manque de vue sur le long terme, la prise en compte insuffisante des coopérations régionales ou encore un manque de clarté sur les règles du jeu du CDM (mécanisme de développement propre).
Dernier défi, une opinion publique encore largement à convaincre. Le relever aiderait à résoudre le premier : la pression d'une opinion mieux informée, devrait inciter les politiques à résoudre la question de la ratification.
Penser l'après Kyoto
Antoine Bonduelle et Sebastien Fenet
Pour que Kyoto soit un succès, il faudra d'abord en ratifier le protocole.
Il faudra aussi que les Etats de l'OCDE montrent aux Etats du Sud qu'ils ont économiquement intérêt à en appliquer les modalités et que le développement durable peut également être désirable. Comment les convaincre ? En musclant les mécanismes d'aide au transfert technologique, bien sûr, mais surtout en mettant l'accent sur la notion de "double dividende" - aux réductions d'émissions de gaz à effet de serre s'ajoutent des gains pour l'économie et pour l'emploi - qui reste le meilleur argument pour un gouvernement.
Il faudra encore que cette approche volontariste des Etats se trouve relayée par les chercheurs et les industriels qui devront faire du changement climatique la "nouvelle frontière".
Un état d'esprit qui gagne du terrain malgré des résistances remettant en cause la notion même de double dividende ou des polémiques économiques entre industriels et associations sur les coûts de transition et les effets redistributifs.
A terme, il est probable qu'un consensus se dégagera sur cette notion de double dividende. Déjà s'y sont ralliés une majorité d'économistes qui estiment que de nombreuses industries pourraient bénéficier de cette politique de lutte contre l'effet de serre. L'impératif écologique rejoindrait ainsi la nécessité économique.

COMMENT ORGANISER UN DÉBAT PUBLIC

La scène publique nouveau passage obligé des décisions?
Pierre Lascoumes
La tradition française du tout-état, c'est-à-dire de la décision prise au sommet sous forme de lois, règlements ou diktats administratifs a vécu car de moins en moins admise par l'opinion publique. Droit à l'information et procédures participatives doivent maintenant s'intégrer dans les processus de décision. D'où la multiplication des outils de régulation des controverses que les acteurs, tous les acteurs - pouvoirs publics, experts mais aussi représentants des profanes - devront apprendre à manier pour éviter aussi bien la manipulation légitimante que l'information-participation substitut de la démocratie. La mission TGV Méditerranée n'aboutissant, pour l'essentiel et malgré une importante mobilisation, qu'à la redéfinition de certains tronçons ou la gestion du dossier des déchets nucléaires soupçonnée, sous couvert de "laboratoire" et de "recherche", de préparer et d'imposer des sites d'enfouissement, illustrent la difficulté de mise en oeuvre de ces nouvelles pratiques. Délibérer sur les décisions publiques est un exercice démocratique difficile : il ne s'agit pas de remplacer le tout-état par moins d'état mais d'inventer de nouveaux modes de gouvernement.
Les déchets radioactifs à vie longue sont-ils gouvernables?
Yannick Barthe
L'objet de la loi de 1991 n'est pas de trouver une solution définitive au problème de la gestion des déchets radioactifs à vie longue, c'est de le rendre gouvernable.
Dans un premier temps, les pouvoirs publics, sur avis des experts, avaient décidé de privilègier l'enfouissement des dits déchets. La violence des réactions de la population autour des sites sélectionnés comme l'incapacité de la science à démontrer l'absence de risque à long terme de cette solution incitent le gouvernement à modifier son approche et à recourrir à la voie législative. La loi votée en 1991 prend acte de la controverse en donnant du temps et à la recherche pour qu'elle se poursuive - en retenant trois directions, transmutation, stockage en profondeur et entreposage en surface, sans privilégier la seconde - et au débat pour qu'il s'organise en mettant l'accent sur l'information de l'opinion et la concertation avec ses représentants.
Quel peut-être l'impact de ce dispositif sur la résolution du problème des déchets et, surtout, sur son acceptation par l'opinion publique? La réponse dépendra en partie de sa capacité à éviter deux écueils: un cadrage trop strict des débats et l'explosion des controverses.
Les déchets sont sous le paillasson
Jacky Bonnemains
En matière de gestion des déchets radioactifs, les positions des deux camps - pro et anti nucléaires - peuvent révéler des surprises. Ainsi peut-on observer des "alliances" paradoxales entre, par exemple, écologistes et Cogema pour promouvoir la recherche en matière de retraitement ainsi que le stockage en surface, au détriment de l'enfouissement - et de la loi de 1991 qui reste lettre morte.
La gestion des déchets radioactifs en France
Un projet responsable, enjeu d'un véritable débat de société
Yves Kaluzny
Si l'on peut considérer que la gestion des déchets radioactifs à vie courte a trouvé une solution satisfaisante, celle des déchets à vie longue ou à haute activité n'est toujours pas résolue.
Que faire de ces 2000m3/an de déchets? L'idée d'un stockage en couche géologique profonde semblait devoir s'imposer puisque susceptible d'assurer un confinement sur, sur une longue période. Mais, devant la levée de boucliers suscitée par le projet chez les populations concernées, les pouvoirs publics décident l'arrêt des travaux et font adopter la loi du 3 décembre 1991 qui veut concilier gestion des déchets, démocratie et environnement.
Cette loi présente cinq caratéristiques : elle organise la gestion de l'incertitude scientifique, elle rappelle la responsabilité des politiques, elle insiste sur l'importance d'une information scientifique compréhensible en mettant en place une commission nationale d'évaluation, elle pose en principe la participation des populations locales au processus de décision, elle instaure transparence et accés facile aux données scientifiques et techniques.
Parallèlement, des travaux d'origines diverses ont permis de dégager cinq grands principes de responsabilité sur cette question : protection durable de l'environnement et de la santé, précaution et réversibilité, principe de transparence et de dialogue permanent, principe d'un accompagnement économique légitime et, enfin, principe du producteur- payeur et de l'opérateur indépendant.
Cet opérateur indépendant, l'Andra, se voit donc confier la réalisation de laboratoires d'études sur le stockage souterrain avec obligation d'arriver à un minimum de consensus avec les populations locales. D'où une politique de communication suivant trois axes - institutionnel, scientifique et opérationnel - qui semble avoir porté ses fruits : plus de 75% des communes concernées sont favorables à la réalisation des laboratoires souterrains.