Les savants décidément sont gens mal élevés. Ils ne savent pas réfréner leur poursuite de la connaissance et ce faisant laisser quelque temps les politiques au repos. Car leur quête d'une meilleure maîtrise du vivant les a d'ores et déjà conduits au coeur des interrogations métaphysiques qui étaient jusqu'à présent le privilège des religions. Et celles-ci, débordées, ont beaucoup de mal à réagir autrement que par des interdits ou le retour pur et dur à des conceptions d'un autre âge. Le clonage réussi de mammifères supérieurs, mouton et singe, est un énorme pavé dans la mare d'autant que le savant qui a créé Dolly, sympathique brebis écossaise, avoue que "ce qui l'a le plus surpris c'est la facilité de la manipulation, à la portée de n'importe quel laboratoire de biologie normalement équipé".
Dès lors, il ne faut pas faire preuve de beaucoup d'audace pour penser que le clonage des êtres humains est possible. Or, la confiance en la science et ses bienfaits a été détruite par des affaires comme le sang contaminé et la vache folle, mais aussi par son impuissance devant le SIDA comme devant d'autres maladies virales. On ne voit plus dans ses succès que les risques qu'ils font naître. Comme le montre le dossier que nous ouvrons aujourd'hui, les biotechnologies présentent d'extraordinaires possibilités. Mais elles sont suspectes et leurs produits sont mis à l'index, comme récemment en France le maïs transgénique.
Avec le clonage d'êtres humains, la science fiction devient possible réalité où pourront être fabriqués en série des êtres sélectionnés. Les chefs de gouvernement se retournent vers les savants, les juristes et les philosophes pour chercher des bases à un contrôle qui paraît plus que jamais indispensable. Avec les lois de bioéthique de 1994, notre pays fait figure de pionnier.
Nous ne pouvons échapper au progrès des connaissances sans renier notre nature même. Nous ne pouvons pas davantage, principe de précaution ou non, échapper aux risques qu'il entraîne. Essayons de le maîtriser le mieux possible, essayons aussi d'en tirer profit pour faire progresser l'humanité.
"Voici la difficulté", comme soupire Hamlet, car il nous faut définir ce qu'est le progrès. L'éthique et le droit s'efforcent d'y apporter des réponses universelles, de définir ce qu'est la notion d'humanité et la dignité de l'homme. Mais peut-on échapper à la question des fins dernières de l'humanité, domaine où les religions sont, qu'on le veuille ou non, incontournables ?
Michel TURPIN
Président du Comité d'Orientation
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