"Messager des dieux de l'Antiquité, Hermès gît sur le sol. On le reconnaît à ses membres épars et à son caducée. Le Médiateur chrétien prend sa place sur le socle, les jambes brisées, le corps déchiré. Mercure et le Christ agonisent tous deux. Les messagers disparaîssent devant le message".

Michel Serres

Le chiffre fascine. L'élève l'aborde avec respect ou s'en détourne avec crainte ; le statisticien le sonde et le politique en use ou s'en inquiète ; l'économiste le sculpte, hors de sa gangue de faits bruts, et l'investisseur parie sur la tendance ; l'ingénieur le dompte et transforme la vie ; certains encore jouent avec lui comme d'autres avec les mots. On demande au chiffre de révèler le réel alors que souvent, Pénombre en témoigne, il le brouille. Le chiffre est un messager, parfois trompeur, qui fascine, comme fascinent les ports, les gares et les voyageurs au retour de contrées lontaines, témoins d'un univers rêvé où tout ne serait qu'ordre, calme, voire volupté. Le chiffre rassure.

Il me semble que cette aspiration à un ailleurs, forcément meilleur, sous-tende toutes les réflexions développées dans ce numéro et que la question de l'obscur objet de la demande, posée par Gilles Arnaud, déborde largement son article. Il me semble également que les mondes évoqués par les auteurs nous confrontent à l'impossibilité récurrente de répondre à cette demande et nous appellent à réfléchir à la fonction de médiation, sous ses multiples formes.

Ainsi, dans les années 60, le monde économique s'emballe et les chefs d'entreprise français se tournent vers une Amérique porteuse de toutes les vertus de rationalité qui font défaut, pensent-ils, en France. Pierre Morin témoigne de ces demandes et des réponses, partielles et contingentes, qu'apportèrent alors les premiers consultants et leurs modèles censés être universels. L'histoire, au fond, n'est pas très différente quand Renault s'installe en Slovénie : au coeur de demandes croisées qui s'excluent, une Slovène de Paris, médiatrice, arrondit les angles et, plutôt que de répondre par de vaines palinodies, aide les protagonistes à bien poser leur demande.

Ailleurs, c'est le client, Moloch insatiable, qui demande toujours plus et toujours mieux, épuisant les entreprises dans une course asymptotique à la diversité et à la qualité. Comment faire, demandent les constructeurs automobiles ? Et quand les guichetiers, dans l'impossibilité de répondre à ses exigences, s'abritent derrière vitres et hygiaphones pour résister à sa pression, c'est toute la hiérarchie qui est mobilisée pour rendre supportable le face-à face.

Devant cette impossible demande d'expertise, de chiffres, de qualité, de conseils, et que sais-je encore, que répondre ? L'article d'Alain Henry, comme celui de Tatjana Globokar, parle de cette pression de l'Autre, de cette violence sourde qui habite les sociétés, la nôtre aussi sans doute, mais que nous voyons tellement mieux chez les autres. Il parle du besoin d'un regard neutre, point de repère face à l'incompréhensible ou au démesuré, d'un intermédiaire qui conjure l'angoisse, la colère, la peur. Il parle de quelqu'un qui sache apprivoiser le réel et lui donner sens. Avec des chiffres. Ou avec des mots. Il parle des médiateurs.

Pascal LEFEBVRE

Secrétaire général du Comité de rédaction

Chercheur associé à Gestion & Société - CNRS

Entre Balkans, Europe de l'Est et Occident, un petit pays se découvre indépendant et affirme son identité. Un industriel français s'y installe et s'inquiète du peu d'efficacité de ses méthodes éprouvées ailleurs. Ces difficultés à communiquer, cette revendication de l'identité, une Slovène de Paris les connaît bien. Quand les hasards du métier de chercheur l'amènent à retrouver son pays, c'est tout un tissage de compréhensions nouvelles qu'il lui faudra mettre en place pour que vive l'entreprise.

Pierre Morin, au fil de sa carrière, est passé de la philosophie au management et de la recherche opérationnelle à la sociologie des organisations. Inspiré par le courant américain du développement organisationnel, il participe à l'invention de la démarche du consultant en intégrant ce que dit le chercheur dans le point de vue du décideur, enrichissant le discours théorique par la réflexion sur cette action empirique qu'est le management.

CSO-CNRS

Les discours des entreprises sur la prise en considération du client sont légions. Il y est question de "client-roi", de qualité, de pyramide inversée, etc. Paradoxalement, le rôle effectif du client sur l'entreprise demeure flou. Quels sont donc ces mécanismes par lesquels le client agit sur l'entreprise et quels en sont les incidences sur l'organisation du travail et la gestion de cette dernière ?

ingénieur des mines

Ingénieur des télécommunications

Sous une même appellation (405 ou Laguna), les constructeurs offrent des centaines de milliers de voitures différentes. Fabricants, vendeurs, clients, tous déplorent cette inflation, qui a pour origine la structure même des entreprises.

Paris, 1994, Presses de la FNSP

Les Editions d'Organisation, 1994

Paris, L'Harmattan, 1994

ECLAIRAGE PUBLIC

PAR FRÉDÉRIQUE PALLEZ

Centre de gestion scientifique

Ecole des Mines de Paris

"La précision numérique est souvent une émeute de chiffres, comme le pittoresque est, pour parler comme Baudelaire, une émeute de détails". Que dirait donc Gaston Bachelard de nos statistiques ! Quelques esprits libres et éclairés s'emploient cependant à faire la lumière sur cette ténébreuse affaire d'émeute...

Sur un thème d'une actualité brûlante, le libre-échange et les inégalités entre pays, le débat organisé par les Annales des Mines a rassemblé et passionné de nombreux participants. Mais, le temps étant trop court face à la complexité du sujet, Jean Méo, Président du Club des Annales des Mines a sollicité les réactions de l'auditoire : Jean-Pierre Ponsard nous soumet aujourd'hui les siennes et Pierre Noël Giraud lui donne la réplique

Laboratoire d'économétrie de l'Ecole Polytechnique

Directeur du CERNA - Centre d'économie industrielle de l'Ecole des Mines de Paris

Professeur associé - Université de Paris-IX Dauphine

Caisse Française de Développement

Chercheur associé à Gestion et Société - CNRS

En Afrique subsaharienne, l'heure est au retrait de l'assistance technique. Depuis plusieurs années, la Banque Mondiale souligne que le nombre d'expatriés y est anormalement élevé comparativement aux autres régions du globe. Envoyés initialement pour combler le manque de compétences locales, ils se sont perpétués au-delà du prévisible. Les agences de coopération en font désormais une priorité : il faut diminuer les effectifs.

Professeur, Groupe ESC Toulouse

A quel moment le consultant ou l'auditeur social doit-il considérer que sa mission consiste à interpréter le "matériel" inconscient ? Comment peut-il mener à bien cette tâche ? Ces questions d'Abraham Zaleznik, professeur à la Harvard Business School et auteur d'un récent ouvrage de psychanalyse appliquée à l'entreprise, en appellent entre autres à une réflexion renouvelée sur l'analyse des demandes de conseil ou d'audit formulées par les "clients".